N° 60
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des femmes
et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
(1) sur la
situation
des
femmes
dans les
territoires
ruraux
,
Par MM. Jean-Michel ARNAUD, Bruno BELIN, Mme Nadège HAVET, M. Pierre MÉDEVIELLE, Mmes Marie-Pierre MONIER, Guylène PANTEL, Raymonde PONCET MONGE et Marie-Claude VARAILLAS,
Sénatrices et Sénateurs.
Tome I : Rapport
(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.
AVANT-PROPOS
Agenda rural du Gouvernement : où sont les femmes ?
Ce fut le point de départ du présent rapport de la délégation aux droits des femmes. En effet, la délégation a constaté qu'aucune des 181 mesures de l'Agenda rural du Gouvernement, adopté à l'automne 2019, et qui constitue aujourd'hui le socle de la politique gouvernementale en faveur des territoires ruraux dans toute leur diversité, ne mentionne l'égalité femmes-hommes ni aucune problématique spécifique aux femmes. L'égalité femmes-hommes serait-elle un impensé de l'action publique en faveur des territoires ruraux ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité, a lui-même confirmé devant la délégation, lors de son audition le 5 mai 2021 aux côtés d'Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, ce constat sans appel : « lorsque j'ai regardé les 181 mesures adoptées à l'automne 2019, j'ai été surpris de constater que deux sujets étaient totalement absents : l'égalité hommes-femmes et les problématiques LGBT en zone rurale » . Il a ajouté : « je ne comprends pas pourquoi ces sujets n'ont jamais émergé alors qu'énormément d'élus nationaux, et notamment d'élues nationales, figuraient parmi les partenaires de l'Agenda rural. Cela reste pour moi un mystère. Il convient aujourd'hui de transformer les conditions de l'Agenda rural pour qu'il devienne un instrument de non-discrimination en ce qui concerne l'égalité hommes-femmes et les droits LGBT . »
Reconnaissant ainsi cette lacune de l'Agenda rural, le ministre s'est engagé auprès de la délégation à s'atteler à ce sujet et à être attentif aux conclusions du présent rapport lors d'un prochain comité interministériel aux ruralités. Le troisième comité interministériel aux ruralités qui s'est tenu le 24 septembre 2021 a d'ores et déjà annoncé le lancement de deux appels à manifestation d'intérêt pour soutenir des associations dans la mise en oeuvre de projets en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et visant à lutter contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ dans les territoires ruraux. La délégation se félicite d'avoir contribué à inscrire à l'agenda ces sujets, qu'elle suivra avec attention dans les prochains mois.
Avant toute chose : de qui et de combien de femmes parle-t-on lorsque l'on s'intéresse à la situation des femmes dans les territoires ruraux ?
L'Insee a récemment fait évoluer sa définition des territoires ruraux, en la fondant non plus sur un nombre d'habitants mais sur la densité de population. Les territoires ruraux sont désormais entendus comme les « espaces peu denses et très peu denses » de la grille communale de densité. Ils regroupent ainsi 88 % des communes et 33 % de la population française.
Sur la base de la nouvelle définition de l'Insee, on estime à environ 11 millions le nombre de femmes vivant dans les territoires ruraux . Selon l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), les femmes rurales représentent ainsi 32 % des femmes du pays, 51 % de la population des territoires ruraux et 17 % de la population nationale. Elles sont plutôt plus âgées que les femmes des territoires urbains : les femmes de 40 à 80 ans sont plus nombreuses dans les zones rurales, tandis que les femmes de 18 à 24 ans y sont sous représentées.
Pendant dix mois , la délégation aux droits des femmes s'est intéressée à la situation de ces femmes dans toute sa diversité.
Elle a mené une trentaine d'heures d'auditions et tables rondes réunissant tous les acteurs de la ruralité. Elle a auditionné les deux principaux ministres concernés par ces sujets, Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité, et Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, ainsi que Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises, sur le sujet spécifique de l'entrepreneuriat au féminin. Elle a également entendu la cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes à la direction générale de la cohésion sociale ainsi que des représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), de la Gendarmerie nationale, de l' Association pour le droit à l'initiative économique en milieu rural (ADIE), de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de Familles rurales , des professionnels de santé, des associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes ou le soutien à l'orientation scolaire et professionnelle, des chercheurs, des agricultrices et membres de syndicats agricoles, des cheffes d'entreprises et dirigeantes de réseaux féminins, des élus locaux et des représentants d'associations d'élus.
Elle a organisé une consultation en ligne des élues locales issues des territoires ruraux et a ainsi recueilli plus d' un millier de témoignages d'élues municipales de l'ensemble des départements métropolitains, qui ont permis de nourrir et d'affiner, tant quantitativement que qualitativement, les constats et recommandations de la délégation formulés dans le présent rapport.
Enfin, les huit co-rapporteurs, qui représentent ensemble une belle diversité de territoires, ont mené des démarches dans leur département respectif . Les comptes rendus de ces rencontres figurent en annexe du présent rapport.
Sans prétendre à l'exhaustivité, tous ces travaux ont permis de dresser un large tour d'horizon de la situation des femmes dans les territoires ruraux, à travers le prisme de huit grandes thématiques :
- la mobilité au coeur de l'articulation des temps de vie des femmes ;
- la jeunesse et l'orientation scolaire et universitaire ;
- l'insertion professionnelle et l'accès à l'emploi ;
- l'entrepreneuriat au féminin ;
- le métier d'agricultrice ;
- la santé et l'accès aux soins ;
- la lutte contre les violences conjugales ;
- l'engagement politique.
Certains constats de la délégation sont communs à l'ensemble de ces thématiques et sont déterminants pour améliorer les conditions de vie des femmes en milieu rural.
Le manque de mobilité , l'éloignement des services et l'insuffisance de la couverture numérique apparaissent comme les principales difficultés des territoires ruraux, et tout particulièrement des femmes qui y résident, mais aussi comme les freins à lever afin de pouvoir mettre en oeuvre des solutions adaptées et innovantes dans ces territoires. L'existence d'une bonne connexion Internet est ainsi le préalable au développement des procédures administratives dématérialisées, des téléconsultations, des formations et mentorats à distance, des tiers-lieux ou encore du télétravail.
Dans la même optique transversale, la délégation estime également primordial de travailler à une déconstruction des stéréotypes de genre , et ce dès le plus jeune âge, mais aussi de recourir de façon plus systématique aux statistiques genrées afin de poser des diagnostics clairs.
Plus globalement, ce rapport se fonde sur la conviction de la nécessité d' articuler les politiques publiques en faveur de l'égalité femmes-hommes et celles en faveur des territoires ruraux pour les inscrire dans un processus d'égalité territoriale : les questions d'égalité doivent toujours être partie prenante des politiques d'aménagement du territoire, dès leur définition et lors de leur mise en oeuvre. L'aménagement du territoire ne peut se penser sans la dimension « égalité femmes-hommes » et, inversement, les politiques d'égalité doivent systématiquement intégrer une réflexion territoriale.
De ce point de vue, la question de la mobilisation des moyens humains et financiers , consacrés aux acteurs de terrain oeuvrant à l'amélioration de la situation des femmes dans les territoires ruraux, est bien évidemment primordiale, notamment en faveur des structures associatives ou des collectivités territoriales engagées au premier plan, dans ces territoires, aux côtés des services de l'État .
Malgré les difficultés liées à l'enclavement et à l'isolement de ces territoires, les territoires ruraux, et notamment les femmes de ces territoires, font souvent preuve d'un dynamisme et d'un esprit d'initiative et de solidarité considérables. Ce rapport souhaite ainsi se faire l'écho de bonnes pratiques innovantes et de solutions originales constatées dans les territoires .
TYPOLOGIE DES TERRITOIRES
Jusqu'en 2020, l'Insee définissait les territoires ruraux de façon négative, en opposition aux villes. Relevait de l'espace rural l'ensemble des communes n'appartenant pas à une unité urbaine, se caractérisant par le regroupement de plus de 2 000 habitants dans un espace présentant une certaine continuité du bâti.
La nouvelle approche de l'Insee définit désormais les territoires ruraux comme l'ensemble des communes peu denses ou très peu denses d'après la grille communale de densité.
Afin d'appréhender ces territoires dans toute leur diversité, l'Insee établit un continuum allant des espaces les plus isolés et peu peuplés jusqu'aux espaces ruraux les plus urbanisés, dont la dynamique dépasse celle des communes urbaines.