N° 841

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 septembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' enquête
de la Cour des comptes sur les soins critiques ,

Par Mme Catherine DEROCHE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale » , la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a demandé au premier président de la Cour des comptes, par courrier du 12 janvier 2021, de procéder à une enquête sur les soins critiques .

L'épidémie de covid-19 a mis en lumière, en effet, l'importance des unités de soins critiques dans l'arsenal de réponse à une crise sanitaire tout en révélant les faiblesses de leur organisation.

Les soins critiques : définition et chiffres clés

L'appellation de soins critiques recouvre trois catégories de structures :

- les unités de réanimation , accueillant des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter plusieurs défaillances viscérales aiguës mettant en jeu leur pronostic vital, dans le cadre de l'évolution d'une pathologie médicale ou immédiatement après une prise en charge chirurgicale lourde 5 433 lits

- les unités de soins intensifs , destinées à des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter une défaillance d'un seul organe potentiellement grave, mettant en jeu leur pronostic vital 5 955 lits

- les unités de surveillance continue , destinées à la prise en charge des malades qui nécessitent, en raison de leur état ou du traitement qui leur est appliqué, une observation clinique et biologique répétée et méthodique 8 192 lits

Soit un total de 19 580 lits adultes et enfants au 31 décembre 2019.

Les soins critiques représentent 4,3% des séjours hospitaliers mais 20% des journées réalisées en hospitalisation complète du fait de durées de séjour longues (16,8 jours en moyenne pour une hospitalisation avec passage en réanimation contre 5,5 jours pour une hospitalisation conventionnelle).

Ils rassemblent près de 54 000 équivalents temps plein (ETP) de personnels médicaux et paramédicaux, dont 11% de médecins. Les médecins y exerçant sont à 66,5% des anesthésistes-réanimateurs (MAR), à 23,2% des intensivistes-réanimateurs (MIR), à 5,5% des urgentistes, 4,8% ayant une autre spécialité.

Les soins critiques représentent une dépense de 7,2 milliards d'euros en 2018, dont 46% consacrés à la réanimation et 54% aux activités de surveillance continue et de soins intensifs.

Fortement mises sous tension, les capacités d'accueil au sein de ces unités ont connu une montée en puissance sans précédent lors du pic épidémique (avec un nombre de lits installés porté de 5 080 à 10 133 le 15  mai  2020), au prix cependant d'une déprogrammation massive des activités hospitalières programmées.

Le décompte des lits occupés, les inquiétudes autour des critères d'admission des patients ou de la disponibilité des équipements, produits de santé et personnels soignants indispensables au bon fonctionnement de ces services, ont constitué la chronique de la crise sanitaire à compter du printemps 2020. Les réponses apportées dans l'urgence ont révélé la résilience des acteurs hospitaliers. Elles ont également mis en relief plusieurs difficultés qui amènent à s'interroger, au-delà de la pandémie, sur le dimensionnement pertinent de ces unités et leur modularité, sur les disparités territoriales dans leur répartition, sur les conditions d'une coopération durable entre les secteurs public et privé ou encore sur la capacité à mobiliser des outils de pilotage plus efficients, notamment en termes de systèmes d'information.

Dans le prolongement des travaux conduits notamment par la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la crise sanitaire 1 ( * ) sur ces enjeux, la commission des affaires sociales a jugé utile, dans ce contexte et afin de tirer tous les enseignements de cette pandémie, d'approfondir l'étude de ce secteur jusqu'alors mal connu de notre système hospitalier .

Revenant sur les trois premières « vagues » épidémiques, l'enquête conduite par la Cour des comptes montre bien que si cet épisode, exceptionnel par son ampleur et sa durée, ne peut servir de « standard » pour l'organisation pérenne des soins critiques, il a agi comme un révélateur de difficultés structurelles qui n'avaient pas été analysées par les pouvoirs publics ou dans le débat public depuis une vingtaine d'années :

- un décrochage du volume de l'offre par rapport aux besoins de la population, en partie liés au vieillissement,

- une insuffisante modularité de l'offre,

- une mise en réseau et une informatisation très insuffisantes,

- de fortes tensions sur les ressources humaines,

- un mode de financement inadapté.

Plusieurs des constats formulés rejoignent des analyses établies par la commission d'enquête du Sénat.

Ils font en outre écho aux retours d'expérience et préconisations des conseils nationaux professionnels 2 ( * ) de la réanimation dont la commission des affaires sociales a auditionné des représentants au cours des derniers mois.

Les propositions des conseils nationaux professionnels (CNP) pour l'avenir des soins critiques

Les propositions du CNP MIR (médecine intensive réanimation)

Dans un plan global de remise à niveau des soins critiques à la lumière de l'expérience de la première vague de la crise sanitaire présenté en juillet 2020, les professionnels de la médecine intensive réanimation insistent sur trois volets :

1. Mise à niveau de l'offre de lits de réanimation :

- simplification de l'offre de soins critiques en intégrant au parc de lits de réanimation les lits d'unités de surveillance continue adossés aux réanimations (formant ainsi des soins intensifs polyvalents), ce qui porte le nombre de lits de réanimation à 7 500 ;

- augmentation de l'offre de lits dans les régions les plus déficitaires.

2. Mise à niveau des ressources humaines médicales :

- reconnaissance de la médecine intensive réanimation comme spécialité en tension et augmentation du flux de médecins compétents en soins critiques formés annuellement (objectif annuel de 150 étudiants entrant dans la filière MIR afin d'atteindre un effectif de 10 médecins compétents pour 15 lits de soins critiques).

3. Mise à niveau des ressources humaines paramédicales :

- reconnaissance du métier d'infirmier de réanimation fondée sur les compétences et l'expérience ;

- reconnaissance de la pénibilité au travail des infirmiers de réanimation ;

- rationalisation des effectifs infirmiers fondée sur la qualité et la sécurité des soins.

Les propositions du CNP ARMPO (anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire)

Le livre blanc sur « l'avenir des soins critiques 2021-2030 » présenté le 30 juin  2021 présente 14 propositions pour faire progresser l'organisation et l'accès aux soins critiques en France :

1. Augmenter le nombre d'infirmiers et d'aides-soignants dans les unités de soins critiques. Créer une compétence spécifique et reconnue d'infirmier de soins critiques.

2. Augmenter le nombre de psychologues et de kinésithérapeutes exerçant dans les unités de soins critiques.

3. Obtenir un recensement précis et en temps réel du nombre de lits disponibles dans les unités de soins critiques sur l'ensemble du territoire national.

4. Renforcer les filières de soins critiques avec une évaluation précise, territoire par territoire, de la demande et des besoins en ressources humaines.

5. Créer un portail d'information à destination des usagers.

6. Disposer dans chaque établissement de santé d'un plan d'extension des soins critiques.

7. Organiser un pilotage médicalisé et territorialisé des soins critiques, investi par des professionnels de terrain, et faciliter les coopérations entre les opérateurs publics et privés de soins critiques.

8. Mettre le guide de mise en place de réanimations éphémères à disposition de l'ensemble des établissements disposant d'unités de soins critiques.

9. Créer une réserve soignante en soins critiques.

10. Proposer des outils numériques adaptés et interopérables pour l'organisation et la formation de la réserve soignante.

11. Créer un portail unique d'accès à la formation pour tous les professionnels de santé à même d'intervenir en soins critiques, quel que soit leur parcours.

12. Créer un plan décennal d'investissement dans la recherche.

13. Accompagner les services conventionnels dans l'utilisation de scores d'alerte précoce, pour diminuer le recours aux unités de soins critiques.

14. Mettre en place des équipes rapides de soins critiques, susceptibles d'intervenir dans les unités conventionnelles.

Les principaux constats et recommandations formulés par la Cour des comptes sont examinés à l'aune de ces différents travaux et viennent opportunément nourrir la réflexion sur l'organisation et le pilotage des soins critiques qui apparaît à présent nécessaire.

*

Un premier constat saillant posé par ce rapport est celui d'une insuffisante anticipation des besoins en soins critiques face à une crise sanitaire qui a généré un afflux de patients considérable.

Pour la Cour, le risque de saturation des réanimations constituait un angle mort des dispositifs nationaux « Orsan » de gestion des situations sanitaires exceptionnelles mis en place à compter de 2014, plus généraux et davantage centrés sur le risque d'un afflux massif et de courte durée de patients en premier lieu aux urgences, comme en cas d'attentat terroriste.

Les consignes élaborées à la mi-mars 2020 en direction des établissements de santé reprennent, parfois au mot près, celles élaborées au milieu des années 2000 pour les plans pandémie grippale, fondés quant à eux sur l'idée d'un doublement progressif des capacités en réanimation.

Bien que prises en compte tardivement, elles ont conduit à une adaptation rapide et de grande ampleur des capacités face à un afflux de patients brutal , qui a progressé de plus de 65% en huit jours, entre le 18 mars et le 26 mars 2020.

Source : Cour des comptes, rapport public annuel 2020

Ces constats, concernant le secteur spécifique des soins critiques, rejoignent les constats plus généraux portés sur le manque de préparation de notre pays à affronter une crise sanitaire de cette nature et de cette ampleur : si « tous les pays ont manqué d'anticipation » , même ceux qui disposaient d'un plan pandémie grippale, pour reprendre les propos du Pr Didier Pittet devant la commission 3 ( * ) , d'autres défaillances, qu'il s'agisse de la gestion des équipements de protection et notamment des masques ou des retards à l'allumage de la politique de tests ont été largement commentées.

Dans son rapport d'étape d'octobre 2020, la mission indépendante nationale d'évaluation de la crise de la covid-19 présidée par le Pr Pittet soulignait ainsi « le déclin progressif du degré de priorité accordé à la prévention des pandémies au cours de la dernière décennie, concourant à une moindre préparation et vigilance au risque » . L'abandon depuis 2013 des exercices nationaux « pandémie grippale », dont s'était étonnée la commission d'enquête sénatoriale, en offre une illustration. A cet égard, les préconisations du Sénat et celles de la Cour convergent pour appeler à une actualisation des réponses, aux échelons national, régional comme local, et à une meilleure organisation de la mobilisation face à un risque pandémique.

L'étude de la Cour semble par ailleurs confirmer un autre constat posé par la commission d'enquête en décembre 2020, qui notait un certain décalage entre l'optimisme affiché par les responsables administratifs et les fédérations hospitalières à la veille de la deuxième vague de l'automne 2020 et les inquiétudes exprimées par des professionnels de santé épuisés. Si la stratégie plus territorialisée mise en place a limité les déprogrammations engagées uniformément sur l'ensemble du territoire au printemps, elle a néanmoins rendu la mobilisation de renforts plus difficile, fragilisé les coopérations territoriales et accru la tension sur les ressources humaines.

De toute évidence, une mobilisation s'inscrivant dans le long terme est nécessaire pour ne pas perdre les enseignements tirés de cette crise et maintenir un niveau de vigilance et de sensibilisation élevé chez les acteurs hospitaliers. En particulier, les enjeux de mise en place d'une réserve sanitaire pérenne, formée à ces prises en charge très techniques et aisément mobilisable, ainsi que la réflexion sur l'élasticité de l'offre de soins critiques, issue du concept de lits de réanimation « éphémères » théorisé par les anesthésistes-réanimateurs, apparaissent prioritaires.

*

Sur un plan plus structurel, la crise sanitaire a soulevé la question du calibrage des unités de soins critiques et celle du pilotage de cette activité , à la fois pour identifier l'adéquation de l'offre aux besoins actuels et futurs et pour optimiser la gestion des capacités disponibles.

Comme le rappelle le rapport de la Cour, le nombre global de lits de soins critiques a augmenté de 6,8 % entre 2013 et 2019 , cette hausse étant ciblée sur les unités de soins intensifs et de surveillance continue ; dans le même temps, le nombre de lits d'hospitalisation complète diminuait de 5,1% sur la même période, dans un contexte de « virage ambulatoire ». Il faut rappeler toutefois que si des actions de prévention peuvent contribuer à réduire les hospitalisations ou réhospitalisations en soins critiques, comme l'a montré la crise de la covid-19, il s'agit de soins pour lesquels il n'existe pas d'alternative . Par ailleurs, l'âge est un facteur prédictif important : 67% des patients pris en charge en soins critiques ont plus de 60 ans.

L'évolution positive de l'offre de lits doit néanmoins être tempérée : si l'on considère le nombre de lits de réanimation pour 100 000 habitants de plus de 65 ans, ce ratio a diminué, passant de 44 en 2013 à 37 à la veille de la crise sanitaire ; en outre, des lits ne sont pas ouverts, que ce soit pour maintenance ou défaut de personnel, sans que cela fasse l'objet d'un suivi ; enfin, l'allocation des unités de soins intensifs sur l'ensemble du territoire reste inégale. Comme le note le Livre blanc sur l'avenir des soins critiques du CNP-ARMPO, on compte en Bretagne 15,1 lits de soins critiques et 4,9 lits de réanimation pour 100 000 habitants, quand ces chiffres sont respectivement de 21,9 et 9,7 en Ile-de-France .

Or, comme le montre la Cour, cette répartition inégale de l'offre induit un taux de recours aux soins critiques très variable d'un territoire à l'autre, sans que les éventuelles pertes de chance associées aient donné lieu à une évaluation. Cette question mériterait effectivement d'être approfondie.

La commission tient également à souligner que le mouvement de concentration de soins critiques au sein de plateaux plus étoffés engagé par le ministère de la santé au début des années 2000 ne doit pas occulter les enjeux de l'accessibilité aux soins critiques sur le territoire auxquels peuvent répondre des unités isolées, en veillant à leur inscription dans une coordination territoriale.

Quant au calibrage de l'offre de soins, s'il a donné lieu pendant la crise sanitaire à des comparaisons parfois peu flatteuses avec un pays voisin comme l'Allemagne, la Cour rappelle, comme l'avait fait la mission Pittet, que les comparaisons internationales sont délicates à établir en raison de modes d'organisation différents d'un pays à l'autre. Il n'en demeure pas moins que la question de l'adéquation de l'offre aux besoins de moyen et long termes doit être posée et donner lieu à une analyse prospective qui semble aujourd'hui faire défaut, aussi bien d'ailleurs dans ce domaine de l'activité hospitalière que dans d'autres secteurs de l'offre de soins. Les positions des professionnels médicaux sur les besoins de court terme divergent quelque peu, seuls les médecins intensivistes plaidant ouvertement pour une augmentation du nombre de lits. Tout travail sur l'évaluation des besoins, à court ou plus long terme, devrait bien évidemment se faire en concertation étroite avec les professions concernées.

Pour la commission, la question des capacités de prises en charge nécessaires ou souhaitables devrait s'accompagner d'une amélioration du pilotage de l'offre de soins pour gérer les flux de patients , dont la crise sanitaire a montré les limites, notamment en termes de systèmes d'information : la commission d'enquête du Sénat avait relevé que le recours au répertoire opérationnel de ressources (ROR) n'avait pas permis la collecte d'une information en temps réel des capacités disponibles pour aider à leur gestion. Il est également évident que, comme le suggère la Cour, la fluidité des parcours des patients vers des structures d'aval en nombre suffisant doit entrer en ligne de compte pour désengorger les unités de soins critiques et améliorer dans le même temps les qualités des prises en charge.

*

La question des ressources humaines, tant médicales que paramédicales , constitue enfin le noeud central du bon fonctionnement de ces unités hautement spécialisées au sein desquelles le suivi des patients est assuré 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 4 ( * ) , comme le montre le fonctionnement d'une unité de réanimation schématisé ci-après.

Qu'est-ce qu'un lit de réanimation ?

Source : « 2021 - 2030. L'avenir des soins critiques », Conseil national professionnel anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire (CNP ARMPP)

Or, la Cour note que « le secteur est confronté à une crise des ressources humaines » , qui se traduit notamment par des tensions sur le recrutement de médecins et un important turnover de personnels infirmiers, évalué à l'AP-HP à 17% contre 13% en services de soins conventionnels.

Comme le soulignent les représentants de la profession d'anesthésiste-réanimateur dans le Livre blanc précité, la crise sanitaire a montré que « l'élasticité du système ne dépend pas tant du nombre de lits que des ressources humaines qui les animent » . Selon eux, le nombre de médecins anesthésistes-réanimateurs formés (473 postes d'internat en 2020) est inférieur de 15% à ce qui serait souhaitable au vu des postes vacants et de la démographie, 40% de ces spécialistes ayant plus de 55 ans.

Un constat similaire est établi par les représentants des médecins intensivistes réanimateurs : la société de réanimation de langue française estime le nombre de postes vacants à 329, auxquels il convient d'ajouter plus de 300 départs en retraite dans les cinq prochaines années. Elle souligne l'insuffisance du nombre d'internes formés en dépit d'une légère augmentation depuis 2017 (de 64 à 74 postes de MIR en 2020, soit moins de 1% du nombre total d'étudiants), alors que des terrains de stage existent.

Une augmentation plus significative du nombre de médecins formés apparaît ainsi comme une exigence pour répondre aux besoins actuels et futurs en soins critiques.

La commission partage enfin le constat unanime selon lequel le bon fonctionnement de ces unités repose sur une meilleure reconnaissance du personnel paramédical dans ces services à forte technicité et où les conditions de travail sont exigeantes. Les 28 000 infirmiers qui constituent le « pilier » de ces unités selon la Cour sont en majorité (95%) non spécialisés, contrairement à leurs homologues allemands, belges ou suisses ; en outre, une formation en réanimation n'est plus intégrée de manière systématique dans leur formation initiale depuis 2009, elle se fait par compagnonnage.

Le principe d'une qualification spécifique , sans pour autant la rendre obligatoire pour garder une certaine souplesse d'organisation, pourrait contribuer à renforcer l'attractivité de ces postes en reconnaissant les compétences acquises. Cette évolution devrait s'inscrire dans un cadre de réflexion plus large sur la revalorisation de la profession d'infirmier, en lien avec le déploiement en cours des pratiques avancées et l'articulation avec les autres spécialisations, comme celles d'infirmiers anesthésistes diplômés d'Etat (IADE), qui souffrent d'une insuffisante reconnaissance.

*

Dans une première étude sur les soins critiques publiée dans son rapport public annuel 2021, la Cour des comptes relevait que « depuis le début de la crise sanitaire, en France comme à l'étranger, les capacités hospitalières en réanimation ont conditionné non seulement le fonctionnement des systèmes de santé, mais aussi la vie économique et la vie sociale dans leur ensemble, et même les libertés publiques. » Si cette crise a effectivement braqué les projecteurs vers les unités et personnels de soins critiques, il est quelque peu paradoxal que la concertation ouverte à l'été 2020, à l'issue de la première vague, dans le cadre du Ségur de la santé n'ait pas abordé directement l'organisation de ce secteur d'activité pourtant crucial dans les prises en charge hospitalières.

La commission des affaires sociales souhaite que les éléments d'analyse que ce rapport apporte au débat montrent l'urgence d'une réflexion d'ensemble sur l'organisation des soins critiques en France, tirant les enseignements de la crise sanitaire. Examen en commission


* 1 « Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19 », rapport n° 199 (2020-2021) de Catherine Deroche, Bernard Jomier et Sylvie Vermeillet, au nom de la commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques face aux pandémies, Sénat, 8 décembre 2020.

* 2 Les conseils nationaux professionnels de médecine intensive réanimation (CNP MIR) et d'anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire (CNP ARMPO) sont les organes institutionnels de représentation de ces spécialités, dont ils associent les différentes composantes scientifiques, syndicales et universitaires.

* 3 Cf. compte rendu de l'audition devant la commission des affaires sociales le 29 juin 2021.

* 4 L'encadrement en personnel médical, infirmier et en postes d'aide-soignant en équivalent temps plein (ETP) est encadré par le code de la santé publique dans les unités de réanimation ; les unités de soins critiques ne sont pas soumises à ces exigences réglementaires.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page