Rapport d'information n° 841 (2020-2021) de Mme Catherine DEROCHE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 22 septembre 2021

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N° 841

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 septembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' enquête
de la Cour des comptes sur les soins critiques ,

Par Mme Catherine DEROCHE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale » , la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a demandé au premier président de la Cour des comptes, par courrier du 12 janvier 2021, de procéder à une enquête sur les soins critiques .

L'épidémie de covid-19 a mis en lumière, en effet, l'importance des unités de soins critiques dans l'arsenal de réponse à une crise sanitaire tout en révélant les faiblesses de leur organisation.

Les soins critiques : définition et chiffres clés

L'appellation de soins critiques recouvre trois catégories de structures :

- les unités de réanimation , accueillant des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter plusieurs défaillances viscérales aiguës mettant en jeu leur pronostic vital, dans le cadre de l'évolution d'une pathologie médicale ou immédiatement après une prise en charge chirurgicale lourde 5 433 lits

- les unités de soins intensifs , destinées à des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter une défaillance d'un seul organe potentiellement grave, mettant en jeu leur pronostic vital 5 955 lits

- les unités de surveillance continue , destinées à la prise en charge des malades qui nécessitent, en raison de leur état ou du traitement qui leur est appliqué, une observation clinique et biologique répétée et méthodique 8 192 lits

Soit un total de 19 580 lits adultes et enfants au 31 décembre 2019.

Les soins critiques représentent 4,3% des séjours hospitaliers mais 20% des journées réalisées en hospitalisation complète du fait de durées de séjour longues (16,8 jours en moyenne pour une hospitalisation avec passage en réanimation contre 5,5 jours pour une hospitalisation conventionnelle).

Ils rassemblent près de 54 000 équivalents temps plein (ETP) de personnels médicaux et paramédicaux, dont 11% de médecins. Les médecins y exerçant sont à 66,5% des anesthésistes-réanimateurs (MAR), à 23,2% des intensivistes-réanimateurs (MIR), à 5,5% des urgentistes, 4,8% ayant une autre spécialité.

Les soins critiques représentent une dépense de 7,2 milliards d'euros en 2018, dont 46% consacrés à la réanimation et 54% aux activités de surveillance continue et de soins intensifs.

Fortement mises sous tension, les capacités d'accueil au sein de ces unités ont connu une montée en puissance sans précédent lors du pic épidémique (avec un nombre de lits installés porté de 5 080 à 10 133 le 15  mai  2020), au prix cependant d'une déprogrammation massive des activités hospitalières programmées.

Le décompte des lits occupés, les inquiétudes autour des critères d'admission des patients ou de la disponibilité des équipements, produits de santé et personnels soignants indispensables au bon fonctionnement de ces services, ont constitué la chronique de la crise sanitaire à compter du printemps 2020. Les réponses apportées dans l'urgence ont révélé la résilience des acteurs hospitaliers. Elles ont également mis en relief plusieurs difficultés qui amènent à s'interroger, au-delà de la pandémie, sur le dimensionnement pertinent de ces unités et leur modularité, sur les disparités territoriales dans leur répartition, sur les conditions d'une coopération durable entre les secteurs public et privé ou encore sur la capacité à mobiliser des outils de pilotage plus efficients, notamment en termes de systèmes d'information.

Dans le prolongement des travaux conduits notamment par la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la crise sanitaire 1 ( * ) sur ces enjeux, la commission des affaires sociales a jugé utile, dans ce contexte et afin de tirer tous les enseignements de cette pandémie, d'approfondir l'étude de ce secteur jusqu'alors mal connu de notre système hospitalier .

Revenant sur les trois premières « vagues » épidémiques, l'enquête conduite par la Cour des comptes montre bien que si cet épisode, exceptionnel par son ampleur et sa durée, ne peut servir de « standard » pour l'organisation pérenne des soins critiques, il a agi comme un révélateur de difficultés structurelles qui n'avaient pas été analysées par les pouvoirs publics ou dans le débat public depuis une vingtaine d'années :

- un décrochage du volume de l'offre par rapport aux besoins de la population, en partie liés au vieillissement,

- une insuffisante modularité de l'offre,

- une mise en réseau et une informatisation très insuffisantes,

- de fortes tensions sur les ressources humaines,

- un mode de financement inadapté.

Plusieurs des constats formulés rejoignent des analyses établies par la commission d'enquête du Sénat.

Ils font en outre écho aux retours d'expérience et préconisations des conseils nationaux professionnels 2 ( * ) de la réanimation dont la commission des affaires sociales a auditionné des représentants au cours des derniers mois.

Les propositions des conseils nationaux professionnels (CNP) pour l'avenir des soins critiques

Les propositions du CNP MIR (médecine intensive réanimation)

Dans un plan global de remise à niveau des soins critiques à la lumière de l'expérience de la première vague de la crise sanitaire présenté en juillet 2020, les professionnels de la médecine intensive réanimation insistent sur trois volets :

1. Mise à niveau de l'offre de lits de réanimation :

- simplification de l'offre de soins critiques en intégrant au parc de lits de réanimation les lits d'unités de surveillance continue adossés aux réanimations (formant ainsi des soins intensifs polyvalents), ce qui porte le nombre de lits de réanimation à 7 500 ;

- augmentation de l'offre de lits dans les régions les plus déficitaires.

2. Mise à niveau des ressources humaines médicales :

- reconnaissance de la médecine intensive réanimation comme spécialité en tension et augmentation du flux de médecins compétents en soins critiques formés annuellement (objectif annuel de 150 étudiants entrant dans la filière MIR afin d'atteindre un effectif de 10 médecins compétents pour 15 lits de soins critiques).

3. Mise à niveau des ressources humaines paramédicales :

- reconnaissance du métier d'infirmier de réanimation fondée sur les compétences et l'expérience ;

- reconnaissance de la pénibilité au travail des infirmiers de réanimation ;

- rationalisation des effectifs infirmiers fondée sur la qualité et la sécurité des soins.

Les propositions du CNP ARMPO (anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire)

Le livre blanc sur « l'avenir des soins critiques 2021-2030 » présenté le 30 juin  2021 présente 14 propositions pour faire progresser l'organisation et l'accès aux soins critiques en France :

1. Augmenter le nombre d'infirmiers et d'aides-soignants dans les unités de soins critiques. Créer une compétence spécifique et reconnue d'infirmier de soins critiques.

2. Augmenter le nombre de psychologues et de kinésithérapeutes exerçant dans les unités de soins critiques.

3. Obtenir un recensement précis et en temps réel du nombre de lits disponibles dans les unités de soins critiques sur l'ensemble du territoire national.

4. Renforcer les filières de soins critiques avec une évaluation précise, territoire par territoire, de la demande et des besoins en ressources humaines.

5. Créer un portail d'information à destination des usagers.

6. Disposer dans chaque établissement de santé d'un plan d'extension des soins critiques.

7. Organiser un pilotage médicalisé et territorialisé des soins critiques, investi par des professionnels de terrain, et faciliter les coopérations entre les opérateurs publics et privés de soins critiques.

8. Mettre le guide de mise en place de réanimations éphémères à disposition de l'ensemble des établissements disposant d'unités de soins critiques.

9. Créer une réserve soignante en soins critiques.

10. Proposer des outils numériques adaptés et interopérables pour l'organisation et la formation de la réserve soignante.

11. Créer un portail unique d'accès à la formation pour tous les professionnels de santé à même d'intervenir en soins critiques, quel que soit leur parcours.

12. Créer un plan décennal d'investissement dans la recherche.

13. Accompagner les services conventionnels dans l'utilisation de scores d'alerte précoce, pour diminuer le recours aux unités de soins critiques.

14. Mettre en place des équipes rapides de soins critiques, susceptibles d'intervenir dans les unités conventionnelles.

Les principaux constats et recommandations formulés par la Cour des comptes sont examinés à l'aune de ces différents travaux et viennent opportunément nourrir la réflexion sur l'organisation et le pilotage des soins critiques qui apparaît à présent nécessaire.

*

Un premier constat saillant posé par ce rapport est celui d'une insuffisante anticipation des besoins en soins critiques face à une crise sanitaire qui a généré un afflux de patients considérable.

Pour la Cour, le risque de saturation des réanimations constituait un angle mort des dispositifs nationaux « Orsan » de gestion des situations sanitaires exceptionnelles mis en place à compter de 2014, plus généraux et davantage centrés sur le risque d'un afflux massif et de courte durée de patients en premier lieu aux urgences, comme en cas d'attentat terroriste.

Les consignes élaborées à la mi-mars 2020 en direction des établissements de santé reprennent, parfois au mot près, celles élaborées au milieu des années 2000 pour les plans pandémie grippale, fondés quant à eux sur l'idée d'un doublement progressif des capacités en réanimation.

Bien que prises en compte tardivement, elles ont conduit à une adaptation rapide et de grande ampleur des capacités face à un afflux de patients brutal , qui a progressé de plus de 65% en huit jours, entre le 18 mars et le 26 mars 2020.

Source : Cour des comptes, rapport public annuel 2020

Ces constats, concernant le secteur spécifique des soins critiques, rejoignent les constats plus généraux portés sur le manque de préparation de notre pays à affronter une crise sanitaire de cette nature et de cette ampleur : si « tous les pays ont manqué d'anticipation » , même ceux qui disposaient d'un plan pandémie grippale, pour reprendre les propos du Pr Didier Pittet devant la commission 3 ( * ) , d'autres défaillances, qu'il s'agisse de la gestion des équipements de protection et notamment des masques ou des retards à l'allumage de la politique de tests ont été largement commentées.

Dans son rapport d'étape d'octobre 2020, la mission indépendante nationale d'évaluation de la crise de la covid-19 présidée par le Pr Pittet soulignait ainsi « le déclin progressif du degré de priorité accordé à la prévention des pandémies au cours de la dernière décennie, concourant à une moindre préparation et vigilance au risque » . L'abandon depuis 2013 des exercices nationaux « pandémie grippale », dont s'était étonnée la commission d'enquête sénatoriale, en offre une illustration. A cet égard, les préconisations du Sénat et celles de la Cour convergent pour appeler à une actualisation des réponses, aux échelons national, régional comme local, et à une meilleure organisation de la mobilisation face à un risque pandémique.

L'étude de la Cour semble par ailleurs confirmer un autre constat posé par la commission d'enquête en décembre 2020, qui notait un certain décalage entre l'optimisme affiché par les responsables administratifs et les fédérations hospitalières à la veille de la deuxième vague de l'automne 2020 et les inquiétudes exprimées par des professionnels de santé épuisés. Si la stratégie plus territorialisée mise en place a limité les déprogrammations engagées uniformément sur l'ensemble du territoire au printemps, elle a néanmoins rendu la mobilisation de renforts plus difficile, fragilisé les coopérations territoriales et accru la tension sur les ressources humaines.

De toute évidence, une mobilisation s'inscrivant dans le long terme est nécessaire pour ne pas perdre les enseignements tirés de cette crise et maintenir un niveau de vigilance et de sensibilisation élevé chez les acteurs hospitaliers. En particulier, les enjeux de mise en place d'une réserve sanitaire pérenne, formée à ces prises en charge très techniques et aisément mobilisable, ainsi que la réflexion sur l'élasticité de l'offre de soins critiques, issue du concept de lits de réanimation « éphémères » théorisé par les anesthésistes-réanimateurs, apparaissent prioritaires.

*

Sur un plan plus structurel, la crise sanitaire a soulevé la question du calibrage des unités de soins critiques et celle du pilotage de cette activité , à la fois pour identifier l'adéquation de l'offre aux besoins actuels et futurs et pour optimiser la gestion des capacités disponibles.

Comme le rappelle le rapport de la Cour, le nombre global de lits de soins critiques a augmenté de 6,8 % entre 2013 et 2019 , cette hausse étant ciblée sur les unités de soins intensifs et de surveillance continue ; dans le même temps, le nombre de lits d'hospitalisation complète diminuait de 5,1% sur la même période, dans un contexte de « virage ambulatoire ». Il faut rappeler toutefois que si des actions de prévention peuvent contribuer à réduire les hospitalisations ou réhospitalisations en soins critiques, comme l'a montré la crise de la covid-19, il s'agit de soins pour lesquels il n'existe pas d'alternative . Par ailleurs, l'âge est un facteur prédictif important : 67% des patients pris en charge en soins critiques ont plus de 60 ans.

L'évolution positive de l'offre de lits doit néanmoins être tempérée : si l'on considère le nombre de lits de réanimation pour 100 000 habitants de plus de 65 ans, ce ratio a diminué, passant de 44 en 2013 à 37 à la veille de la crise sanitaire ; en outre, des lits ne sont pas ouverts, que ce soit pour maintenance ou défaut de personnel, sans que cela fasse l'objet d'un suivi ; enfin, l'allocation des unités de soins intensifs sur l'ensemble du territoire reste inégale. Comme le note le Livre blanc sur l'avenir des soins critiques du CNP-ARMPO, on compte en Bretagne 15,1 lits de soins critiques et 4,9 lits de réanimation pour 100 000 habitants, quand ces chiffres sont respectivement de 21,9 et 9,7 en Ile-de-France .

Or, comme le montre la Cour, cette répartition inégale de l'offre induit un taux de recours aux soins critiques très variable d'un territoire à l'autre, sans que les éventuelles pertes de chance associées aient donné lieu à une évaluation. Cette question mériterait effectivement d'être approfondie.

La commission tient également à souligner que le mouvement de concentration de soins critiques au sein de plateaux plus étoffés engagé par le ministère de la santé au début des années 2000 ne doit pas occulter les enjeux de l'accessibilité aux soins critiques sur le territoire auxquels peuvent répondre des unités isolées, en veillant à leur inscription dans une coordination territoriale.

Quant au calibrage de l'offre de soins, s'il a donné lieu pendant la crise sanitaire à des comparaisons parfois peu flatteuses avec un pays voisin comme l'Allemagne, la Cour rappelle, comme l'avait fait la mission Pittet, que les comparaisons internationales sont délicates à établir en raison de modes d'organisation différents d'un pays à l'autre. Il n'en demeure pas moins que la question de l'adéquation de l'offre aux besoins de moyen et long termes doit être posée et donner lieu à une analyse prospective qui semble aujourd'hui faire défaut, aussi bien d'ailleurs dans ce domaine de l'activité hospitalière que dans d'autres secteurs de l'offre de soins. Les positions des professionnels médicaux sur les besoins de court terme divergent quelque peu, seuls les médecins intensivistes plaidant ouvertement pour une augmentation du nombre de lits. Tout travail sur l'évaluation des besoins, à court ou plus long terme, devrait bien évidemment se faire en concertation étroite avec les professions concernées.

Pour la commission, la question des capacités de prises en charge nécessaires ou souhaitables devrait s'accompagner d'une amélioration du pilotage de l'offre de soins pour gérer les flux de patients , dont la crise sanitaire a montré les limites, notamment en termes de systèmes d'information : la commission d'enquête du Sénat avait relevé que le recours au répertoire opérationnel de ressources (ROR) n'avait pas permis la collecte d'une information en temps réel des capacités disponibles pour aider à leur gestion. Il est également évident que, comme le suggère la Cour, la fluidité des parcours des patients vers des structures d'aval en nombre suffisant doit entrer en ligne de compte pour désengorger les unités de soins critiques et améliorer dans le même temps les qualités des prises en charge.

*

La question des ressources humaines, tant médicales que paramédicales , constitue enfin le noeud central du bon fonctionnement de ces unités hautement spécialisées au sein desquelles le suivi des patients est assuré 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 4 ( * ) , comme le montre le fonctionnement d'une unité de réanimation schématisé ci-après.

Qu'est-ce qu'un lit de réanimation ?

Source : « 2021 - 2030. L'avenir des soins critiques », Conseil national professionnel anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire (CNP ARMPP)

Or, la Cour note que « le secteur est confronté à une crise des ressources humaines » , qui se traduit notamment par des tensions sur le recrutement de médecins et un important turnover de personnels infirmiers, évalué à l'AP-HP à 17% contre 13% en services de soins conventionnels.

Comme le soulignent les représentants de la profession d'anesthésiste-réanimateur dans le Livre blanc précité, la crise sanitaire a montré que « l'élasticité du système ne dépend pas tant du nombre de lits que des ressources humaines qui les animent » . Selon eux, le nombre de médecins anesthésistes-réanimateurs formés (473 postes d'internat en 2020) est inférieur de 15% à ce qui serait souhaitable au vu des postes vacants et de la démographie, 40% de ces spécialistes ayant plus de 55 ans.

Un constat similaire est établi par les représentants des médecins intensivistes réanimateurs : la société de réanimation de langue française estime le nombre de postes vacants à 329, auxquels il convient d'ajouter plus de 300 départs en retraite dans les cinq prochaines années. Elle souligne l'insuffisance du nombre d'internes formés en dépit d'une légère augmentation depuis 2017 (de 64 à 74 postes de MIR en 2020, soit moins de 1% du nombre total d'étudiants), alors que des terrains de stage existent.

Une augmentation plus significative du nombre de médecins formés apparaît ainsi comme une exigence pour répondre aux besoins actuels et futurs en soins critiques.

La commission partage enfin le constat unanime selon lequel le bon fonctionnement de ces unités repose sur une meilleure reconnaissance du personnel paramédical dans ces services à forte technicité et où les conditions de travail sont exigeantes. Les 28 000 infirmiers qui constituent le « pilier » de ces unités selon la Cour sont en majorité (95%) non spécialisés, contrairement à leurs homologues allemands, belges ou suisses ; en outre, une formation en réanimation n'est plus intégrée de manière systématique dans leur formation initiale depuis 2009, elle se fait par compagnonnage.

Le principe d'une qualification spécifique , sans pour autant la rendre obligatoire pour garder une certaine souplesse d'organisation, pourrait contribuer à renforcer l'attractivité de ces postes en reconnaissant les compétences acquises. Cette évolution devrait s'inscrire dans un cadre de réflexion plus large sur la revalorisation de la profession d'infirmier, en lien avec le déploiement en cours des pratiques avancées et l'articulation avec les autres spécialisations, comme celles d'infirmiers anesthésistes diplômés d'Etat (IADE), qui souffrent d'une insuffisante reconnaissance.

*

Dans une première étude sur les soins critiques publiée dans son rapport public annuel 2021, la Cour des comptes relevait que « depuis le début de la crise sanitaire, en France comme à l'étranger, les capacités hospitalières en réanimation ont conditionné non seulement le fonctionnement des systèmes de santé, mais aussi la vie économique et la vie sociale dans leur ensemble, et même les libertés publiques. » Si cette crise a effectivement braqué les projecteurs vers les unités et personnels de soins critiques, il est quelque peu paradoxal que la concertation ouverte à l'été 2020, à l'issue de la première vague, dans le cadre du Ségur de la santé n'ait pas abordé directement l'organisation de ce secteur d'activité pourtant crucial dans les prises en charge hospitalières.

La commission des affaires sociales souhaite que les éléments d'analyse que ce rapport apporte au débat montrent l'urgence d'une réflexion d'ensemble sur l'organisation des soins critiques en France, tirant les enseignements de la crise sanitaire. Examen en commission

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 22 septembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de Mme Véronique Hamayon, conseillère maître, présidente de section à la sixième chambre de la Cour des comptes pour donner suite à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur les soins critiques.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons ce matin des magistrats de la Cour des comptes, pour la présentation d'une enquête demandée par notre commission sur les soins intensifs et de réanimation. M. Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour, ayant eu un empêchement, il est remplacé par Mme Véronique Hamayon, conseillère maître, présidente de section, qui est accompagnée de M. Noël Diricq, conseiller maître, et de M. Nicolas Parneix, rapporteur extérieur.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Quasiment inconnus du grand public avant la crise sanitaire, les soins critiques ont acquis depuis lors une notoriété nouvelle, les capacités des établissements de santé ayant même fini par commander les mesures de restrictions de liberté appliquées à la population.

Au-delà de la gestion de la crise sanitaire, en particulier de sa première vague, que le Sénat a analysée lors des travaux de la commission d'enquête sur le covid-19, il m'a semblé nécessaire d'approfondir les aspects structurels de ce secteur de l'organisation des soins : non seulement le bon dimensionnement des lits, mais sans doute aussi la modularité des organisations, les disparités territoriales, les conditions d'une coopération durable entre les établissements publics et privés et la mise en place de capacités de pilotage plus efficaces, en particulier des systèmes d'information.

La crise sanitaire a également mis en évidence la question cruciale des ressources humaines, en particulier des paramédicaux, dont le manque s'est fait sentir et pose des questions lourdes, comme l'attractivité, la gestion des carrières ainsi que l'organisation des tâches entre les différentes professions de santé.

Nous avons reçu plusieurs témoignages de professionnels faisant état de ces difficultés structurelles. Celles-ci devront trouver des réponses sans tarder, car le principal défi auquel les soins critiques sont confrontés est bien le vieillissement de la population, qui en sollicitera toujours plus les capacités sans que puissent être développées des solutions de substitution.

Madame la présidente, vous avez la parole pour nous exposer les conclusions de votre enquête.

Mme Véronique Hamayon, conseillère maître, présidente de section à la sixième chambre de la Cour des comptes . - Vous connaissez, bien entendu, les conditions de notre saisine et les conditions difficiles dans lesquelles nous avons dû réaliser notre contrôle puisque, en raison du contexte de pandémie, nos interlocuteurs étaient peu disponibles. Néanmoins, nous avons pu la mener et elle a débouché sur deux études de la Cour des comptes.

Faisons d'abord le point sur les définitions : les services de soins critiques, qui ne sont pas forcément comparables à ce que désigne ce terme dans les autres pays européens, recouvrent trois types de service : les services de réanimation, les unités de soins intensifs (USI) et les unités de surveillance continue (USC).

La Cour a instruit son contrôle sur les soins critiques tant au regard de la pandémie que d'un point de vue structurel. Notre étude a donné lieu à une insertion dans le rapport public annuel de la Cour de mars dernier, mais il nous a semblé dommage de ne pas aller plus loin, car nous avions recueilli nombre de données et nous pensions nécessaire d'étudier les deuxième et troisième vagues, afin d'examiner si les enseignements de la première avaient été tirés, si les services avaient adapté leur réponse aux besoins. Nos constats nous ont amenés à émettre trois grands messages : il est indispensable de revenir aux fondamentaux de la planification sanitaire, qui a existé jusqu'en 2014 ; l'adaptation de l'offre de soins ne peut s'envisager que sur le long terme, car faire face à une pandémie ne devrait pas s'improviser ; et la tarification à l'activité (T2A) n'est pas adaptée aux soins critiques.

Nos constats se structurent autour des deux axes annoncés, les enseignements tirés de la crise et ceux qui sont issus de notre analyse structurelle.

En ce qui concerne les enseignements tirés de la crise, nous avons en premier lieu constaté que la France était très mal préparée à la survenue d'une pandémie. Depuis 2014, les outils spécifiques n'existaient plus et les plans Orsan (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) ne sont pas adaptés.

En second lieu, la réponse des autorités sanitaires a été quelque peu tardive. Ces dernières n'ont pas anticipé les effets de la pandémie sur les services de soins critiques puisque ce n'est qu'à la mi-mars 2020 que les autorités se sont organisées pour faire monter en charge les services de soins critiques. Entre les deux premières vagues, entre juillet et octobre 2020, nous n'avons pas relevé de décision annonciatrice d'évolution structurelle, non plus que lors du Ségur de la santé. De même, nous n'avons pas observé d'évolution en matière d'ouverture de places d'interne en anesthésie-réanimation ni dans les dotations en infirmiers en soins critiques.

Toutefois, nous avons constaté qu'une nouvelle doctrine a été mise en place pour éviter les déprogrammations massives de la première vague, une approche régionalisée ayant succédé à une approche nationale ; on a aussi pérennisé les outils de suivi épidémiologique, des capacités hospitalières et des stocks de médicaments et de dispositifs médicaux.

Les leçons tirées de la première vague sont positives : les déprogrammations ont été régionalisées et il y a eu une volonté de structurer une filière hospitalière de covid-19. Néanmoins, l'efficacité de ces solutions s'étiole, car les renforts exceptionnels de ressources humaines ont été difficiles à mobiliser, en raison de la lassitude des acteurs et du développement de la pandémie sur le territoire. Quant aux transferts de patients, ils demeurent lourds à mettre en oeuvre. Enfin, la coopération entre public et privé, assez marquée pendant la première vague, a été difficile à maintenir dans la durée.

Pour ce qui concerne le volet structurel de notre enquête, nous avons cherché à identifier des pistes de réforme.

Nous avons d'abord constaté que la croissance de l'offre en soins critiques a été limitée, entre 2013 et 2019, à la surveillance continue et aux soins intensifs et n'a pas touché la réanimation. Nous constatons également des inégalités territoriales marquées du point de vue de la capacité d'hospitalisation en soins critiques, ainsi que la concentration progressive de l'offre de soins, avec la suppression de petits services et leur regroupement, les créations de lits s'enregistrant dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Malgré cette évolution positive, il reste un grand nombre d'unités de soins critiques de petite taille et isolés.

Par ailleurs, les coopérations territoriales des services de soins critiques sont informelles ; en outre, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont trop étroits pour permettre une véritable coopération : 65 % des GHT n'ont qu'un service de réanimation.

Enfin, nous avons constaté que les services rendus par les unités de soins critiques n'étaient pas identiques selon la nature, publique ou privée, de l'établissement.

J'en viens à l'évolution de l'activité de soins critiques. La progression de l'activité en volume constatée sur les cinq ou six dernières années va se poursuivre ; le nombre de passages en réanimation a crû de 8,2 % par an entre 2014 et 2019. Par ailleurs, les patients en soins critiques sont de plus en plus âgés.

En ce qui concerne les parcours en soins critiques, nous montrons un manque évident de fluidité en aval. En effet, un certain nombre de patients, faute de débouché, occupent des lits de soins critiques qui font défaut pour des patients en ayant plus besoin. Nous avons été étonnés de constater que l'activité de soins critiques diminue fortement le week-end. Une marge d'amélioration existe certainement en la matière.

Je termine par un point sur les ressources humaines consacrées aux soins critiques. Ces services mobilisent 53 000 équivalents temps plein (ETP), soit 9 % des équipes médico-soignantes de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO). Les infirmiers en représentent plus de la moitié, les médecins 11 % et les aides-soignants 31 %. On observe des tensions sur les effectifs de médecins anesthésistes-réanimateurs et de médecins intensivistes-réanimateurs. Surtout, on observe un turnover très élevé chez les infirmiers en soins critiques, de l'ordre de 25 % par an, soit le double de ce que l'on observe dans les services de soins conventionnels. C'est très lourd pour les équipes, d'autant qu'il faut former les nouveaux arrivants. Tout départ crée donc une difficulté pour le service.

Sur le fondement de ces constats, la Cour suggère des orientations. Elle propose d'abord de conserver la pluridisciplinarité des spécialités d'anesthésie-réanimation et de médecine intensive-réanimation. Il convient également d'anticiper les tensions sur les effectifs, compte tenu de la dynamique de l'activité et du vieillissement de la population. La Cour suggère de favoriser les passerelles entre spécialités médicales et de renforcer la reconnaissance des infirmiers diplômés d'État (IDE) en soins critiques, au travers d'une formation spécifique et d'une reconnaissance financière.

Par ailleurs, il faut anticiper, sur le plan matériel, l'avenir des soins critiques, afin que les établissements se préparent en amont, car la refonte des services de soins critiques nécessite de repenser les bâtiments. En outre, l'informatisation des services est très insuffisante et les systèmes d'information (SI) ne sont pas compatibles entre eux.

Enfin, il faut réformer le financement des soins critiques. L'ouverture d'un lit en réanimation représente, pour un établissement, un déficit moyen de 115 000 euros par an. Il y a donc une désincitation à ouvrir un lit en soins critiques s'il n'est pas adossé à un service de MCO. Il convient d'annihiler les effets tarifaires de l'ouverture d'un service de soins critiques et d'envisager une tarification permettant de libérer des lits quand ils peuvent l'être.

Mme Corinne Imbert . - L'offre de lits en soins intensifs n'est plus en phase avec la disponibilité de lits en aval. Or les spécialistes de médecine intensive-réanimation recommandent une augmentation du nombre de lits dans les régions déficitaires, tandis que les anesthésistes-réanimateurs sont plus réservés à cet égard. Comment analysez-vous cette différence d'appréciation ? Quel type d'adaptation préconisez-vous ?

Quelles seraient les pistes de réforme du financement ?

Il m'a semblé que vous préconisiez, dans votre rapport, la constitution d'une réserve de soignants en soins critiques. Pouvez-vous en dire deux mots ?

Enfin, cette étude porte sur 2019, mais l'année 2020 a été cruciale, de même que l'année 2021. Avez-vous des éléments sur ces deux années ? Comment analysez-vous la quatrième vague de l'été 2021 ?

Mme Florence Lassarade . - Je connais bien ce secteur en tant qu'ancienne réanimatrice pédiatrique ; bienvenue dans un monde qui était mal connu avant la crise...

Le soignant passe beaucoup de temps à organiser le transfert et le transport d'un patient d'un service à l'autre, et la France est reconnue pour la qualité de ses transferts. Connaissez-vous le coût de ces transferts ? En particulier, pouvez-vous nous dire un mot sur les transferts médiatiques organisés lors de la première vague du covid-19 notamment, qui mobilisaient jusqu'à huit soignants ?

Quant à la question de la formation, des élèves infirmiers et des personnes souhaitant passer une année en centre hospitalier universitaire (CHU) ont été pénalisés, en raison du manque de temps pour les former. C'est paradoxal...

Mme Véronique Guillotin . - Merci de ce rapport qui formalise beaucoup de choses qui étaient déjà dans notre esprit, notamment les tensions dans ces filières.

Vous avez évoqué la question des débouchés en aval et la fluidité de la filière hospitalière. Il manque des services adaptés pour accueillir les patients qui devraient sortir de soins critiques mais qui y restent trop longtemps, aucun service de soins de suite et de réadaptation (SSR) ne pouvant les accueillir. Il faudrait donc créer, dans chaque GHT, un service prenant en charge des patients ne pouvant être admis en SSR. Un lit de réanimation doit rester un lit de réanimation.

Connaissez-vous le nombre de soignants supplémentaires qui seraient nécessaires, sachant que les besoins en soins critiques vont encore augmenter ?

Enfin se pose la question de la collaboration privé-public ; il faudrait être plus dynamique à cet égard. Croyez-vous aux unités mobiles ?

Mme Véronique Hamayon . - Mesdames Imbert et Guillotin, votre remarque sur les lits d'aval rejoint une préconisation de la Cour des comptes : la création de services adaptés, entre les soins critiques et les SSR. Il manque de tels services, pour les patients qui ne relèvent plus des soins critiques mais qui ne sont pas encore prêts pour les SSR. Nous n'avons pas fait de chiffrage, nous nous en sommes tenus au constat.

M. Nicolas Parneix , magistrat à la chambre régionale des comptes d'Occitanie, rapporteur extérieur . - Il y a deux sujets : le nombre de lits requis - c'est vrai, les experts ne sont pas d'accord entre eux sur la question - et la tension en aval : le bon patient doit être dans le bon lit. Certains patients ne sortent pas le week-end, ce qui représente, sur l'année, des centaines de lits bloqués. Il faudrait donc créer des services adaptés, mais il conviendrait également que la MCO puisse fonctionner en permanence, y compris le week-end ; en général, ces secteurs ne peuvent prendre en charge les patients, faute d'effectifs pour traiter les admissions. La Cour propose donc l'expérimentation de ces services d'aval, qui éviterait la création de lits, qui n'est pas forcément nécessaire.

Sur la création de lits, notre analyse n'est pas partagée par les sociétés savantes. Nous constatons qu'il y a de plus en plus de patients âgés en soins critiques - c'est difficile à contester - et que le volume global de patients augmente. Or il y aura 5,2 millions de Français de plus 65 ans d'ici à 2030, donc le phénomène est encore devant nous. Ces patients étant de plus en plus présents dans les soins critiques, on peut anticiper une augmentation des flux.

Toutefois, il faut également prendre en compte les évolutions technologiques de long terme ; aujourd'hui, des actes interventionnels légers se substituent à des actes chirurgicaux lourds, qui nécessitaient de la réanimation. Ainsi, quand l'angioplastie remplace la chirurgie cardiaque « à ciel ouvert », le recours à la réanimation diminue.

Les deux effets se conjuguent mais jouent en sens inverse. Il faut évaluer les besoins sur ces fondements, mais la Cour n'est pas compétente pour cela.

Mme Véronique Hamayon . - J'en viens à la réforme du financement. Notre rapport ne traite pas de la réforme de la T2A ; nous observons simplement qu'un lit de réanimation représente un poste de coût significatif, puisqu'il entraîne en moyenne un déficit annuel de 115 000 euros. Or ces soins ne sont pas remplaçables, il n'y a pas de choix. C'est donc moins le principe de la T2A que son niveau inadapté que nous pointons. Nous avons observé, sur la période étudiée, une baisse de la tarification de ces soins, qui ne se justifie pas. La tarification doit, à tout le moins, couvrir les coûts, en se fondant, bien évidemment, sur les établissements les plus efficients. C'est le principe de la neutralité de la tarification : la tarification ne doit pas avoir d'impact sur l'ouverture et l'organisation d'un tel service.

L'objectif d'une réserve de soignants spécialisés en soins critiques serait de permettre une mobilisation rapide des professionnels. L'idée serait de mobiliser des professionnels qui ont reçu une formation initiale spécifique, actualisée régulièrement : médecins, infirmiers, kinésithérapeutes ou autres. En effet, pendant la crise sanitaire, ce sont non les médecins mais les infirmiers qui ont manqué. Cette idée de réserve de professionnels, notamment d'infirmiers, nous paraît donc indispensable.

Enfin, nous avons entièrement couvert l'année 2020 dans notre étude.

M. Nicolas Parneix . - Madame Lassarade, les transferts ont été importants médiatiquement, mais n'ont concerné que 660 personnes en 2020. Nous n'avons pas analysé les coûts complets de ces transferts, non plus que le fait, polémique, d'avoir transféré des patients à travers le pays en les faisant passer devant des cliniques. Cela est peut-être arrivé, mais ne représentait pas grand-chose du point de vue du coût et cela ne s'est pas reproduit. En revanche, les patients ont dû être transférés avec leur dossier papier, car il n'était pas possible de transférer le dossier informatique. C'est l'objet de l'une de nos alertes.

Quant au paradoxe consistant à ne pas dispenser la formation des infirmiers du fait de la pandémie, alors que c'était une bonne occasion de les former aux soins critiques, je pense que la solution passe avant tout par la révision de la maquette de formation des IDE. Si cette maquette avait intégré, dès l'origine, la formation aux soins critiques, on aurait eu moins de pertes d'opportunité. La réponse est donc structurelle : il faut réviser cette maquette. Un patient en soins critiques génère 10 000 données biologiques par jour, principalement via des équipements informatiques. Une infirmière ne gère pas tous ces signaux, bien sûr, mais cela requiert un système informatisé performant et une formation adéquate.

Mme Véronique Hamayon . - Nous n'avons pas quantifié le nombre d'infirmiers nécessaires en services de soins critiques, mais il faut réviser la formation initiale et continue, et s'attaquer au problème du turnover.

M. Nicolas Parneix . - Sur les unités mobiles de réanimation, il y a eu plusieurs initiatives en la matière. La question de la logistique et des équipements n'a pas été le problème fondamental, en dehors du premier mois, lorsque l'on a manqué de respirateurs ou de médicaments - d'ailleurs, les outils ad hoc créés pour suivre l'approvisionnement en médicaments perdureront, ce qui montre que l'on bénéficie toujours, après une crise, de l'inventivité dont on a fait preuve pendant son déroulement - ; en réalité, on a surtout besoin de médecins et d'infirmières pour former une unité mobile. D'ailleurs, certains lits de réanimation n'ont pas été ouverts, faute de personnel disponible. C'est donc un problème non pas capacitaire mais de ressources humaines, ce qui soulève à nouveau la question de la formation, initiale et actualisée, des infirmières aux soins critiques.

Mme Victoire Jasmin . - Les services support ne sont pas pris en compte dans votre rapport alors qu'ils sont des maillons importants de la chaîne. Je pense aux laboratoires ; lors de la première vague, certains ne pouvaient pas faire de tests de réaction de polymérisation en chaîne, ou PCR. Or il est important de disposer de diagnostics fiables.

La compatibilité entre les systèmes d'information est effectivement importante, car il peut y avoir des problèmes d'homonymie et cela permet de gagner du temps.

Enfin, il convient, pour les futures crises, de prendre en compte l'ensemble des professionnels, y compris les « invisibles », qui manquent sur notre territoire.

Mme Laurence Cohen . - Ce rapport corrobore les positions du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qui dénonce de longue date l'insuffisance des budgets hospitaliers.

La formation est importante, certes, mais la question majeure est celle du manque d'attractivité de ces métiers ; le personnel quitte, sur la pointe des pieds, les établissements hospitaliers, ce qui aggrave les difficultés. Avez-vous observé cela ?

Selon vous, la solution ne passe pas nécessairement par l'ouverture de lits, mais, pendant la pandémie, des lits et du personnel ont été redéployés temporairement en réanimation. Donc, oui pour la formation initiale, mais il faut un personnel suffisant, c'est-à-dire une profession attractive.

Vous remettez par ailleurs en cause la T2A et Agnès Buzyn elle-même nous avait indiqué que ce mode de financement n'était pas complètement adapté ; nombre de directeurs d'hôpital pensent la même chose. Donc tout le monde le dit, mais on n'avance pas et on élargit même la T2A aux hôpitaux psychiatriques, ce qui me semble aberrant. Que recommandez-vous ?

Enfin, pourriez-vous compléter votre évaluation des services de soins critiques en incluant les consultations post-réanimation ?

Mme Élisabeth Doineau . - Vous avez dit à quel point nous étions mal préparés. Que préconisez-vous pour les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ? Il faut un véritable plan, car ce manque d'anticipation a entraîné une perte de chance pour certains patients. Il faut donc se préparer, c'est-à-dire faire des choix : lesquels ?

Le vieillissement de la population représente une pression importante pour l'hôpital. Le projet de loi Grand âge et autonomie a été enterré, donc quelle piste envisager pour remédier à l'occupation de ces lits par des personnes âgées ?

Enfin, le ministère de la santé vous semble-t-il sensible à vos préconisations sur la reconnaissance et la formation des infirmiers ?

Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous avez observé des différences dans le service rendu par le secteur public et par le secteur privé. Pouvez-vous développer ce point ? Quelles en sont les conséquences financières ? La différence des niveaux de sévérité a-t-elle pu entraîner des différences de coûts ?

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je partage nombre de vos constats et de vos positions : sur la T2A, sur les passerelles médicales, sur la formation et sur le Ségur de la santé, qui n'a pas pris de décisions sur les services de soins critiques.

Nous avons adopté, de façon transpartisane, une mesure sur la reconnaissance des infirmiers anesthésistes diplômés d'État (IADE) et sur les infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État (Ibode), mais cela n'a pas abouti. Aujourd'hui, les professionnels de santé n'ont plus envie de se former car, s'ils reprennent leurs études, ils subissent une perte de salaire pendant leur formation. Qu'en pensez-vous ?

Tant qu'on n'abordera pas le problème de la reconnaissance des métiers et celui des fermetures de lit, on ne réglera rien. À Douai, les urgences pédiatriques ferment le week-end, donc les familles doivent aller à Lens, mais on y manque aussi de personnel.

Mme Laurence Garnier . - Je veux revenir sur notre impréparation face à la crise. Celle-ci a surpris tout le monde, mais nombre d'experts expliquaient, dès la fin des années 1990, que les pandémies se développeraient au XXIe siècle. Or, malgré une prise de conscience au début des années 2000, ce risque a été complètement occulté par la suite. Pourquoi le risque de pandémie, qui était à l'esprit des dirigeants au début des années 2000, a-t-il disparu ensuite ?

M. René-Paul Savary . - Selon vous, les GHT sont trop petits et n'intègrent pas l'offre de soins privée ; c'est vrai. Comment faire évoluer cela ?

M. Jean Sol . - Il est difficile d'anticiper les tensions à venir des effectifs et des compétences, dans un contexte de pénurie des effectifs.

Les effectifs d'unité de soins critiques sont normés. Serait-il pertinent de réviser ces normes ? Vous parlez d'immobilisation des lits ; pouvez-vous développer ce point ?

La formation des infirmiers en soins critiques doit être corrélée aux évolutions technologiques. En outre, il est déjà difficile de détacher du personnel vers une formation en temps normal, donc c'est pire pendant une crise. Par ailleurs, cela fait longtemps que l'on souhaite une reconnaissance des infirmiers, mais, pour l'instant, cela ne se fait pas.

Enfin, je ne vois rien sur l'amélioration des conditions de travail, notamment sur le travail en douze heures ; la possibilité de récupérer accroîtrait l'attractivité de ces services.

M. Alain Milon . - Les questions de mes collègues touchent à l'approche comptable du financement de la sécurité sociale. Si nous devions abandonner cette approche, quel type d'approche recommanderiez-vous ?

Mme Véronique Hamayon . - Madame Jasmin, la réanimation représente un moment de l'hospitalisation et il était impossible de prendre en compte toute la chaîne hospitalière. Notre rapport s'est concentré sur les soins critiques, sans préoccupation du service d'aide médicale urgente (SAMU), des urgences, etc. J'entends bien votre question, mais tout cela constitue un continuum. Nous n'avons donc pas étudié les services support, à l'exception des SI, compte tenu du nombre d'informations générées par ces services. Or non seulement les systèmes des établissements d'un même GHT ne sont pas compatibles entre eux, mais, au sein d'un même établissement, il n'y a pas d'interface non plus ! Les informations sont ressaisies, avec tous les risques d'erreur et le temps perdu que cela entraîne.

Le département de la Guadeloupe a été en forte tension, d'où l'envoi de renforts. Je renvoie à mes observations sur la réserve en soins critiques, qui devrait être, d'après nous, régionalisée.

Madame Cohen, sur le manque d'attractivité, il faut être prudent. Pour les médecins, il n'y a pas de manque d'attractivité des soins critiques, puisque ces spécialités ressortent à un niveau élevé dans les épreuves classantes. Pour les infirmières, effectivement, la pénibilité et le stress sont à prendre en compte, d'où la nécessité d'un volet spécifique dans la formation initiale, avec, en regard, une possible revalorisation financière.

Le rapport ne porte pas sur la refonte de la T2A, mais, je vous l'annonce, ce sujet est prévu dans les prochains travaux de la Cour. Néanmoins, nous pointons la baisse tendancielle de la tarification des soins critiques, qui n'est pas justifiée. C'est donc le niveau de la tarification qui nous semble poser problème, non la T2A en soi.

Nous n'avons pas étudié la question des consultations post-réanimation, afin de nous focaliser sur un moment, celui des soins critiques.

Madame Doineau, la question sur les capacités relève du politique, non de la Cour. Les sociétés savantes et l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) se sont prononcées sur ce point. L'évolution des capacités est une question essentielle, mais elle n'est pas univoque, car, pour les soins critiques, elle dépend du vieillissement inéluctable de la population, mais aussi du progrès technique, qui peut réduire ou supprimer le passage en soins critiques. La Cour n'est pas compétente sur cette question, mais l'analyse doit être conduite par les sachants afin que le politique s'en saisisse.

Je suppose que le ministre est sensible à la question de la formation des infirmiers en soins critiques, car la Cour n'est pas la seule à recommander une adaptation. Nous verrons si les recommandations de la Cour sont suivies d'effets.

Sur la comparaison du financement et du service rendu entre public et privé, il est difficile de répondre. Dans le privé, la réanimation est directement adossée à une activité rémunératrice de MCO, car elle vient à l'appui d'actes chirurgicaux, alors que, dans le public, ces services peuvent exister sans acte classant.

M. Nicolas Parneix . - En effet, le recours aux soins de critiques n'est pas le même. Dans le secteur privé, les patients sont programmés et le passage en soins critiques est lié à un acte rémunérateur, donc le déficit lié à la réanimation est compensé par l'acte chirurgical rémunérateur, tandis que les soins critiques non liés à un acte interventionnel, sans acte classant, se portent majoritairement vers le public. Ainsi, le service rendu n'est pas le même, mais on ne peut donc pas se prononcer sur la qualité de ce service.

Mme Véronique Hamayon . - Il n'y a pas eu de fermeture de lits en soins critiques ; des services ont fermé et se sont regroupés pour atteindre une taille critique, mais, globalement, il y a eu un accroissement du nombre de lits, lequel, peut-être, n'est pas adapté aux besoins. Évidemment, on ne peut pas adapter la jauge à la crise que l'on a connue. La jauge doit être liée au vieillissement de la population et au progrès technique et c'est cette balance qui doit permettre de déterminer la jauge idéale à moyen et long termes. Peut-être faudra-t-il créer des lits, mais peut-être pas ; la Cour ne peut pas le dire.

Nous avons analysé le sujet de la préparation face à la crise non pas dans toute son ampleur, mais uniquement du point de vue des soins critiques. Nous montrons que ces services n'ont plus été un sujet spécifique du plan Orsan. Nous le regrettons et nous proposons de les y réintégrer.

Monsieur Savary, la Cour a publié un rapport assez complet sur les GHT, avec des réponses à cette question. Je vous y renvoie.

Monsieur Sol, la Cour ne parle pas de « pénurie d'effectifs » ; nous nous sommes bornés à évoquer la formation des infirmiers en soins critiques et la meilleure coordination des différentes professions. C'est vrai, les soins critiques engendrent des conditions de travail difficiles, parce qu'il y a un taux de mortalité élevé et parce que l'on est dans une situation de stress, avec beaucoup de gestes techniques, pouvant avoir des conséquences dommageables. La reconnaissance financière et une formation spécifique seraient donc à envisager.

M. Nicolas Parneix . - Les soins critiques sont assez recherchés par les infirmiers, notamment jeunes, parce qu'ils requièrent des gestes techniques et valorisants, mais on y enregistre aussi le taux de mortalité le plus fort de l'hôpital. Cela dit, la pénibilité est compensée par le fait que les effectifs y sont normés ; c'est le seul service à en bénéficier. Le Gouvernement, avec les sociétés savantes, veut faire évoluer cette norme, mais celle-ci compense les conditions de travail. Néanmoins, c'est vrai, le turnover y est très élevé.

Mme Catherine Deroche , présidente. - Madame la présidente, messieurs, je vous remercie.

La commission autorise la publication du rapport

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

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Consultable uniquement au format PDF


* 1 « Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19 », rapport n° 199 (2020-2021) de Catherine Deroche, Bernard Jomier et Sylvie Vermeillet, au nom de la commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques face aux pandémies, Sénat, 8 décembre 2020.

* 2 Les conseils nationaux professionnels de médecine intensive réanimation (CNP MIR) et d'anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire (CNP ARMPO) sont les organes institutionnels de représentation de ces spécialités, dont ils associent les différentes composantes scientifiques, syndicales et universitaires.

* 3 Cf. compte rendu de l'audition devant la commission des affaires sociales le 29 juin 2021.

* 4 L'encadrement en personnel médical, infirmier et en postes d'aide-soignant en équivalent temps plein (ETP) est encadré par le code de la santé publique dans les unités de réanimation ; les unités de soins critiques ne sont pas soumises à ces exigences réglementaires.

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