EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 21 juillet 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Hugues Saury et Rachid Temal sur le Contrat d'objectifs et de Moyens (COM) de l'Agence Française de développement (AFD).
M. Hugues Saury, rapporteur . - Nous examinons aujourd'hui le contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'Etat et l'Agence française de développement (AFD) pour la période 2020-2022.
Comme le projet de loi sur le développement solidaire, ce COM nous est donc présenté avec un retard considérable. Lorsqu'il sera signé, peut-être dans un mois, à peine la moitié de la période sur laquelle il porte restera à parcourir.
Deux raisons sont alléguées par les ministères de tutelle pour expliquer ce retard qui vide partiellement l'exercice de son sens. D'abord, alors que le document était prêt dès l'automne 2019, la crise du Covid a remis en cause les projections d'activité globale de l'agence. Ainsi, après un record d'environ 14 milliards d'euros d'engagements en 2019, cette activité est redescendue à environ 12 milliards en 2020, même si les décaissements ont pour leur part connu une forte hausse en raison de la nécessaire réponse à la crise. Cette forte inflexion obligeait à une modification des indicateurs du COM relatifs à l'activité de l'agence. Deuxième raison alléguée : le retard pris par l'examen de la loi de programmation, qui comportait elle aussi des projections d'activité jusqu'en 2022.
Quoi qu'il en soit, il aurait peut-être été préférable de prendre acte de ce retard et de prévoir un COM débutant en 2021 ou en 2022, plutôt que ce document qui couvre une période très hétérogène et qui ne court plus en réalité que sur un an et demi.
S'agissant en second lieu du contenu de ce COM, il comprend deux grandes parties. La première présente les grands objectifs que devra poursuivre l'agence. Ils sont de 5 types : des objectifs d'activité, présentés pour la première fois en signatures et versements et non plus en engagements ; des objectifs de transformation interne - par exemple le nouveau statut des personnels ou la mise en place d'un nouveau système d'information financier ; des objectifs de pilotage sectoriel, c'est-à-dire relatifs à la répartition entre santé, climat, sécurité alimentaire, etc. ; des objectifs de pilotage géographique avec une concentration particulière sur l'Afrique ; enfin des objectifs de pilotage par type d'instrument de financement.
Le COM comporte ensuite une partie, très succincte comme toujours, relative aux moyens que l'Etat apportera à l'agence à l'appui de ces objectifs. Enfin, des annexes présentent les indicateurs qui permettront aux tutelles de mesurer, au fil de l'eau, l'atteinte des objectifs fixés.
Il convient tout d'abord de souligner que la partie sur les objectifs apporte des améliorations réelles par rapports au précédent COM.
D'abord, les indicateurs sont plus nombreux, passant de 27 à 47. Ceci devrait permettre un suivi plus fin de l'activité de l'agence. En outre, pour la première fois, certains indicateurs, certes en nombre encore limité, sont des indicateurs d'impact et non simplement de moyens. Il en va ainsi du nombre de filles scolarisées au primaire et au premier niveau du secondaire, des superficies bénéficiant de programmes de conservation ou restauration de la biodiversité, ou encore des tonnes de CO2 évitées. Bien entendu, plus on va vers l'évaluation de l'impact final des projets, plus il est compliqué d'établir des résultats précis et mesurables. C'est là un domaine dans lequel la nouvelle commission d'évaluation créée par la loi relative au développement solidaire permettra, nous l'espérons, des avancées significatives.
Notons également la création d'un indicateur relatif au bilan climat global du groupe AFD. Il s'agit de connaître les émissions nettes de CO2 dues à l'ensemble des projets de l'agence, et non aux seuls engagements ayant un co-bénéfice climat. Actuellement, rien n'empêcherait en effet l'AFD de faire une moitié de projets vertueux tout en étant extrêmement émettrice de CO2 sur l'autre moitié. Cet indicateur nous permettra ainsi de mesurer si le discours très volontariste et assuré de l'AFD dans ce domaine correspond pleinement à la réalité.
Ensuite, on passe à travers ce COM d'un pilotage par les engagements à un pilotage par les signatures et les versements. Il s'agit là d'un progrès notable. On sait que les délais entre l'engagement et la signature des projets, puis entre la signature et le premier versement, peuvent se compter en années. Ce choix inaugure ainsi une période de stabilisation de l'activité de l'Agence et illustre l'importance accrue accordée à la mise en oeuvre concrète des projets et à la réalisation effective des impacts sur le terrain. Il est ainsi prévu 27 milliards de signatures cumulées sur trois ans et 24 milliards de versements. La signification de ces montants en termes d'objectifs fixés à l'agence est évidemment amoindrie par le fait que nous en sommes déjà à la moitié du COM, mais je ne reviens pas sur ce point.
Notons qu'à travers ces objectifs et ces indicateurs renouvelés, ce COM répond en partie par avance à une modification que nous avons apportée au projet de loi pour renforcer la portée de ce document, en en faisant l'unique référence centralisant l'ensemble des objectifs fixés à l'AFD, alors qu'il étaient jusqu'alors dispersés dans une multitude de textes.
Ce COM présente toutefois aussi certaines limites.
D'abord, il y a le retard que j'ai déjà évoqué, et qui prive ce document d'une bonne partie de sa signification.
Ensuite, sur de nombreux objectifs, les cibles données pour les indicateurs ne semblent pas très ambitieuses, puisqu'elles se contentent de reprendre les montants ou les pourcentages déjà atteints en 2019.
Il y a parfois de bonnes raisons à cela. En effet, certains de ces indicateurs ont atteint un niveau d'équilibre acceptable. C'est le cas pour la finance climat : une augmentation de la cible fixée à l'AFD, déjà la plus ambitieuse parmi les bailleurs, déséquilibrerait le portefeuille de projets de l'Agence et compromettrait l'atteinte d'autres objectifs, notamment s'agissant des secteurs sociaux - éducation, égalité femmes-hommes, santé, etc. - pour lesquels il est rare d'obtenir des co-bénéfices climat. Il est vrai aussi que l'agence a reçu moins de subventions en 2020 qu'en 2019, ce qui rendra certaines cibles plus difficiles à atteindre, notamment en Afrique.
En revanche, les nouveaux indicateurs d'impact ont été calibrés de manière délibérément conservatrice à la demande de l'AFD. Le MEAE nous a indiqué que cela ne signifiait pas qu'un équilibre satisfaisant avait été atteint et qu'il continuerait à attendre des améliorations régulières de la performance de l'AFD sur ces différents points. Une calibration plus ambitieuse pourra ainsi être proposée dans le prochain COM, maintenant que le principe et la légitimité de tels indicateurs ont été acceptés.
Deux points d'amélioration pourraient toutefois selon nous être immédiatement apportés. D'abord, l'indicateur relatif à la part des autorisations d'engagement dans les secteurs de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et de l'agriculture, qui est très important, devrait être établi sur l'ensemble des prêts et des dons de l'AFD et non sur les seuls dons. Cela serait plus efficace pour inciter l'agence à orienter davantage l'ensemble de son activité vers des secteurs essentiels, et non ses seuls dons, qui restent pour le moment encore assez faibles dans le total des engagements.
Ensuite, sur le plan de la biodiversité, il y a une contradiction entre les objectifs fixés par le COM et le dernier rapport d'activité de l'AFD, qui montre que ces objectifs sont déjà dépassés par l'agence et que l'ambition de celle-ci est en réalité bien plus forte en la matière.
Pour conclure : un document globalement amélioré par rapport au précédent, plus précis et plus complet, mais une présentation tardive très dommageable ; quelques améliorations souhaitables sur des indicateurs, comme par exemple en matière d'agriculture et de nutrition ou de biodiversité : telles sont les quelques points que je souhaitais souligner à propos de ce COM.
M. Rachid Temal, rapporteur . - Comme mon collègue Hugues Saury, je regrette évidemment cette présentation très tardive du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Comme pour le projet de loi, il y a encore ici une dimension un peu surréaliste car on nous demande de nous prononcer sur un document censé couvrir une période déjà achevée aux deux tiers !
La deuxième interrogation qui vient immédiatement à l'esprit à propos de ce COM est à la suivante : est-il cohérent avec la loi que nous venons d'adopter définitivement hier après-midi ? À cette question, la direction générale du Trésor, que nous avons auditionnée, répond par l'affirmative en disant que le COM décline, tout comme le projet de loi, les résultats du CICID de février 2018. Cela fait un peu l'impasse sur ce qui s'est passé depuis trois ans, et notamment sur l'apport du Parlement lors de l'examen de la loi !
À cet égard, j'estime que le COM n'offre qu'à moitié satisfaction. En particulier, il ne reflète pas suffisamment la distinction que nous avons établie entre les missions de l'AFD. Il aurait fallu rappeler dès l'introduction que l'agence agit selon deux lignes directrices distinctes, l'une avec des dons pour les pays très pauvres, l'autre avec des prêts pour la transition écologique dans les pays intermédiaires. Le COM ne comporte à cet égard qu'un sous-objectif intitulé « agir de manière différenciée en fonction des géographies d'intervention », avec trois indicateurs de concentration des subventions sur l'Afrique et les pays prioritaires. Il est d'autant plus heureux que nous ayons introduit dans la loi un objectif général de concentration de l'ensemble de l'aide-projet sur les pays prioritaires : l'AFD devra ainsi de toute façon réorienter son activité dans ce sens.
Par ailleurs, l'accent que nous avons mis sur l'évaluation est bien reflété par le COM, avec un objectif spécialement consacré à cet aspect. En revanche, la cible fixée d'une évaluation de 50% des projets achevés n'est pas très ambitieuse, puisque ce taux est déjà atteint actuellement. Espérons que création de la nouvelle commission d'évaluation permettra de donner un nouvel élan à cette dimension essentielle !
Deuxième remarque, les objectifs et indicateurs liés à l'activité de l'AFD prévoient indirectement une stabilisation des engagements à environ 12 milliards d'euros par an, alors que l'agence avait atteint 14,1 milliards juste avant la crise. Il s'agit là d'un changement considérable, qui n'apparaît pas suffisamment clairement dans le COM. Après une phase de croissance extrêmement rapide de l'activité de l'agence, qui a vu les engagements passer de 7 milliards à 14 milliards d'euros en 7 ans, nous entrons donc dans une période de stabilisation. Lors du précédent COM, notre commission avait émis des doutes sur la trajectoire dessinée pour l'agence, qui prévoyait à l'époque près de 17,9 milliards d'euros d'engagements en 2022. En effet, les pays émergents, à qui l'AFD avait le plus prêté au cours des trois dernières années, connaissaient une situation financière qui se dégradait. En outre, l'agence s'approchait de sa limite de risque sur un certain nombre de pays comme l'Indonésie, la Tunisie ou le Maroc. Enfin, un surendettement se faisait jour dans plusieurs pays africains qui pouvait, jusqu'alors, contracter des emprunts à taux bonifiés.
Plus fondamentalement, nous nous interrogions sur la démarche qui consistait à essayer de placer un volume toujours croissant de prêts à des taux proches de celui du marché dans des pays qui n'en voyaient pas toujours eux-mêmes la nécessité.
Finalement, la crise du Covid a cristallisé tous ces doutes et a abouti à une révision drastique de cet objectif de croissance. Ceci implique un profond changement dans le projet d'entreprise de l'AFD : après une expansion très forte, il s'agit désormais de consolider. Le passage à un pilotage par les versements et le renforcement de l'évaluation vont tout à fait dans ce sens. Mais il convient également de renforcer encore la concentration des efforts des équipes de l'agence sur la gestion des dons, qui ont connu une forte hausse depuis quelques années en volume, même s'il y a eu une baisse relative en 2020.
Stabilisation et consolidation de l'activité, renforcement de l'activité en dons : c'est bien l'ensemble de ces évolutions qui auraient dû figurer en introduction du COM, davantage que l'évocation des objectifs d'un CICID qui remonte à trois ans et demi ! De même, la partie relative aux moyens de l'agence pourrait indiquer en termes plus clairs que la période d'augmentation continue des fonds propres de l'agence est désormais révolue.
Au-delà de ces grandes tendances, je souhaiterais exprimer deux regrets et un sujet de vigilance.
Premier regret, le COM ne comporte aucun indicateur sur les synergies entre l'AFD et Expertise France, qui seront fusionnées début 2022 en vertu du projet de loi que nous venons d'adopter. On aurait pu imaginer, par exemple, un indicateur consistant en un nombre ou un pourcentage de projets comportant à la fois un financement de l'AFD et une prestation de conseil réalisée par Expertise France. On nous répond qu'il n'y a pas besoin d'indicateur dans ce domaine tellement cela fonctionne déjà bien. Cela ne me paraît pas convaincant : il faut aussi penser dans le long terme ; le rapprochement n'en est qu'à ses débuts.
Deuxième regret, le nouveau siège de l'AFD n'est évoqué nulle part. À ce sujet, nous sommes en pleine actualité puisque le Conseil de l'immobilier de l'Etat vient d'entendre M. Rioux. Le projet est entré dans la phase des recours juridique qui devrait s'achever en 2022. À ce stade, la surface définitive est fixée mais le projet comporte une part dite de « flex-office », 20% devant être rendue par l'AFD pour d'autres usages, part qui pourrait être revue à la hausse à la suite de la crise. La question est donc de savoir comment seront utilisés ces mètres carrés excédentaires. Il y a peut-être ici l'occasion de mettre en oeuvre l'article 10 du projet de loi que nous venons d'adopter, et dont on nous dit qu'il permettra, grâce à des ordonnances, de faire venir des organisations internationales. Bercy indique suivre très attentivement ce dossier. Nous ferons de même au cours des prochains mois. En tout état de cause, il faudra que ce sujet figure dans le prochain COM, qui nous devrions examiner dans un an s'il n'est pas en retard.
Enfin, le sujet de vigilance concerne le statut du personnel. En effet, le COM prévoit un indicateur intitulé « adopter un nouveau statut du personnel d'ici 2021 ». Il s'agit de mettre à jour un statut que beaucoup considèrent comme obsolète, notamment s'agissant des dispositions relatives à l'expatriation. L'Etat poursuit évidemment également un objectif de stabilisation de la masse salariale. Le « deal » passé avec la direction de l'AFD à l'automne dernier a été de conditionner la recapitalisation de l'agence à un tel effort de stabilisation. Dans cette affaire, c'est l'Etat qui gardera le dernier mot avec un acte réglementaire obligatoire en fin de parcours. Pour l'instant, les négociations internes ne semblent pas engagées pour le mieux.
Il faut également noter que les demandes des salariés d'Expertise France relatives à un rapprochement de leur statut avec celui des salariés de l'AFD ont été rejetées, au motif que ce n'est pas du tout le même métier. Si nous faisions un peu de mauvais esprit, nous pourrions à nouveau nous interroger sur cette fusion entre deux agences qui ont des métiers si différents !
Pour conclure et pour résumer l'ensemble de nos remarques, nous aimerions que figurent au sein de ce COM :
- un indicateur qui inclut les prêts en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle et d'agriculture ;
- des indicateurs plus ambitieux en matière de biodiversité ;
- une distinction plus claire des deux types d'activités de l'AFD, conformément à ce que nous avons inscrit dans la loi ;
- une mention de l'objectif de stabilisation de l'activité à 12 milliards d'euros d'engagements, de l'objectif de consolider cette activité autour des dons et, en conséquence, l'absence de nécessité de recapitaliser l'agence dans les prochaines années ;
- un indicateur lié au rapprochement de l'AFD et d'Expertise France, tel qu'un nombre ou un pourcentage de projets menés en commun ;
- une cible d'évaluation interne des projets d'au moins 60% et non 50%, pour avoir une progression par rapport à la situation actuelle.
Nous vous proposons ainsi de donner un avis favorable au COM, sous réserve que ces modifications y soient apportées.
M. Pierre Laurent . - Il faudrait nous assurer que le prochain COM soit présenté en temps utile, c'est-à-dire au plus tard à l'automne 2022, sinon nous allons nous retrouver exactement dans la même situation qu'aujourd'hui.
M. Christian Cambon, président . - C'est une excellente remarque et je propose qu'elle soit ajoutée à notre avis sur ce COM.
La commission émet un avis favorable au COM 2020-2022 de l'AFD sous réserve qu'y soient portées les modifications indiquées par les rapporteurs.