EXAMEN PAR LA MISSION D'INFORMATION

Réunie le jeudi 1 er juillet 2021, sous la présidence de M. Roger Karoutchi, rapporteur, la mission d'information examine le rapport d'information de M. Bernard Jomier sur les orientations de la stratégie vaccinale.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Mes chers collègues, dans quelques instants, notre président Bernard Jomier va nous présenter ses recommandations relatives à la stratégie vaccinale au cours des prochains mois, ce qui explique que j'assure la présidence de notre réunion aujourd'hui.

C'est en effet sur sa proposition que notre mission d'information a décidé de confier à l'ANRS | Maladies infectieuses émergentes la réalisation d'une étude sur ce que pourrait être la suite de la lutte contre la pandémie. Depuis mars 2020, nous en sommes restés au « vivre avec le virus » mais les conditions sanitaires ont considérablement évolué. La mise au point très rapide de vaccins protecteurs a fait naître l'espoir d'un retour - si ce n'est à la vie d'avant - du moins à une situation plus sereine. Jusqu'à ce que l'apparition de nouveaux variants plus contagieux soit venue doucher cet espoir.

À la veille des vacances, tous les Français voudraient pouvoir tourner la page de la pandémie, en avoir fini avec la covid-19. Il était donc important de nous projeter vers l'automne, qui marquera sans doute - malheureusement - une reprise de l'épidémie, comme ce fut le cas à l'automne 2020.

Monsieur le président, cher Bernard Jomier, je vais maintenant vous laisser la parole, en vous suggérant de nous rappeler brièvement dans quelles conditions l'étude commandée à l'ANRS a été menée.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Nous sortons aujourd'hui d'une séquence difficile, au cours de laquelle il a fallu gérer la question des approvisionnements en vaccins, aux mois de février et mars. À l'heure où nous parlons, cet obstacle est levé et tous les Français de 12 ans au moins peuvent être vaccinés. Après plusieurs mois d'une dynamique forte, il semble que nous ayons atteint une sorte de « plafond de verre » et la volonté d'accéder à la vaccination connaît désormais une forme d'essoufflement.

Ce phénomène aura une conséquence directe : le risque du maintien à l'automne prochain d'une circulation virale élevée.

Afin d'anticiper cette situation, nous avons souhaité qu'un travail de modélisation soit mené, établissant les conditions auxquelles il serait possible de réduire la circulation du virus, en alternative au scénario que nous subissons depuis la fin de l'année dernière, qui tolère une circulation relativement élevée du virus, au prix de restrictions.

Notre mission d'information s'est donc rapprochée de l'ANRS | Maladies infectieuses émergentes, inaugurant ainsi un partenariat inédit. Sans remettre en cause la qualité des résultats de l'étude livrée, je ne peux que regretter que les termes de notre contrat n'aient pas été totalement respectés, l'institut Pasteur ayant fait le choix de publier de larges extraits des documents établis pour notre compte avant la date convenue et sans notre accord.

Les résultats de ces études confirment que les niveaux actuels de couverture vaccinale nous tiennent encore éloignés du seuil de l'immunité collective. Le rythme de la dynamique vaccinale fait craindre que cette dernière ne soit malheureusement pas atteinte d'ici l'automne prochain. Or un nouveau variant - le « variant delta » - plus contagieux et plus transmissible, est apparu et constitue, pour les populations vulnérables et non protégées, un danger renouvelé.

Sans doute une quatrième vague doit être envisagée d'ici deux à trois mois, dont la cinétique sera certainement similaire à celle du variant britannique. Dans une hypothèse moyenne d'un R0 à 4 - soit le nombre moyen de personnes contaminées par une personne infectée - et si l'on suppose la couverture vaccinale actuelle stable, cette quatrième vague provoquera un engorgement du système hospitalier comparable à celui de l'automne dernier.

Le risque sanitaire, découlant de cette urgence de santé publique, est donc, une nouvelle fois, clairement établi. Il se doublera d'un risque économique et social accru car, comme vous le savez, les mesures de restrictions prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie ont tendance à fortement accroître les inégalités.

Compte tenu de cette urgence, nous ne pouvons, à ce stade, qu'adopter une stratégie de contention de la circulation virale à son niveau le plus faible possible. L'abandon de l'espoir d'éradiquer pleinement la covid-19 dans l'immédiat ne doit pas nous faire perdre celui de transformer cette prochaine vague en « vaguelette ». Il est tout à fait possible d'éviter une nouvelle saturation de notre système hospitalier ainsi que l'instauration de nouvelles mesures de restriction non-pharmaceutiques. Mais il nous faut agir dès maintenant.

À ce jour, 34 millions de personnes sont entrées dans la vaccination et ont reçu au moins une dose de vaccin. Il faut impérativement que ce chiffre progresse de 10 millions de personnes d'ici la rentrée. Ceci implique que nous vaccinions de façon beaucoup plus importante en juillet et en août. Des actions volontaristes doivent se substituer à de simples appels à la vaccination.

À mon sens, le temps des « vaccinodromes » est révolu. Ces structures se sont montrées remarquablement utiles pour les populations volontaires, mais il faut désormais adapter une démarche plus incitative, que je qualifierais d'« aller vers ». Il nous faut maintenant cibler les personnes les plus éloignées de la vaccination, comme celles résidant dans les déserts médicaux ou dans les quartiers défavorisés.

Se pose ensuite une autre question, celle des tranches d'âge. La vaccination n'étant pas ouverte aux enfants âgés de moins de 12 ans, les adolescents âgés de 12 à 18 ans doivent faire l'objet d'une attention particulière. Outre les actions volontaristes qui doivent être déployées dès cet été, il est absolument urgent d'équiper dès maintenant les collèges et les lycées afin que le plus d'adolescents possible puissent y être vaccinés à la rentrée. Pour ce qui est des adultes, l'étude nous montre que la vaccination des plus de 60 ans atteint un niveau satisfaisant. En revanche, ces personnes restent très exposées au risque d'infection, très largement imputable aux adultes de moins de 60 ans.

C'est pour cette catégorie particulière (18-59 ans) que l'obligation vaccinale se pose. L'ambition exprimée par le Gouvernement d'une vaccination obligatoire pour les professionnels de santé nous paraît tout à fait légitime, mais malheureusement très insuffisante. De la même façon que la vaccination obligatoire des enseignants ne limiterait qu'à la marge la circulation du virus en milieu scolaire, il serait faux de croire que celle des soignants suffirait à endiguer la vague à venir.

Aussi, nous préconisons l'ouverture d'un débat sur la vaccination obligatoire - dont je rappelle qu'elle ne doit pas être un tabou - de la classe d'âge intermédiaire, c'est à dire des personnes entre 18 et 59 ans. Pour ne pas reproduire les erreurs que nous avions déplorées à l'issue de la première vague, ce débat nécessite que soient saisis en urgence le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et la Conférence nationale de santé (CNS), afin que l'avis de ces deux organismes compétents en matière de santé publique et de démocratie sanitaire puisse asseoir la légitimité des décisions à venir. La saisine du HCSP étant une prérogative des commissions compétentes de chaque assemblée, j'ai fait part à Catherine Deroche de cette intention, et j'adresserai pour ma part un courrier au Premier ministre afin qu'il saisisse la CNS. Ces avis, qui pourront être rendus dans les toutes prochaines semaines, éclaireront utilement les pouvoirs publics dans la marche à suivre dès cet été.

Par ailleurs, nous souhaitons vivement que la stratégie « tester-tracer-isoler » soit réactivée de façon efficace, afin de neutraliser les chaînes de transmission. Compte tenu du nombre de cas positifs enregistrés chaque jour, peu élevé par rapport il y a encore quelques semaines, cela est tout à fait possible

Concernant les moins de 12 ans, non éligibles à la vaccination mais qui constituent un facteur important de circulation du virus, nous nous appuyons sur un volet de l'étude qui nous a été livrée pour conclure à l'efficacité du dépistage itératif hebdomadaire, par une méthode simple et non invasive - le test salivaire. Il serait ainsi possible d'éviter des fermetures de classe et de poursuivre cette heureuse spécificité française de ne pas avoir transigé sur l'assiduité scolaire des élèves. Le ministère de l'éducation nationale devrait, durant l'été, prendre les mesures nécessaires pour que ce dépistage soit largement déployé, en complément de mesures garantissant la qualité de l'air.

Je répète que c'est à toutes ces conditions que nous pourrons éviter le scénario que j'ai tout à l'heure évoqué, qui verrait le retour de mesures restrictives de type « couvre-feu », et dont l'effet délétère sur toutes les dimensions de notre vie économique et notre vie sociale n'est plus à démontrer.

Mme Catherine Deroche. - Je partage les conclusions que vient de nous présenter notre collègue Bernard Jomier. Son diagnostic et ses préconisations rejoignent celles que nous avons entendues, hier, en commission des affaires sociales, de la bouche du professeur Didier Pittet, président de la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques.

La pandémie a imposé de prendre des décisions dans l'urgence. Pour autant, comme nous l'avions déjà relevé dans le rapport de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, le Gouvernement doit non seulement en appeler au sens des responsabilités des Français mais aussi les consulter. Il est donc judicieux, comme vous l'avez souligné, de mettre en oeuvre une meilleure démocratie sanitaire.

La mission autorise la publication de la communication du rapporteur sous la forme d'un rapport d'information.

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