EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 16 juin 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial, sur l'attractivité du métier d'enseignant en mathématiques.
M. Claude Raynal , président . - Nous écoutons ce matin la communication de notre rapporteur spécial de la mission « enseignement scolaire », M. Gérard Longuet, qui nous présente les conclusions de son contrôle budgétaire sur l'attractivité du métier d'enseignant en mathématiques.
M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - La question de l'attractivité du métier d'enseignant en mathématiques est un sujet passionnant, qui concerne notre commission des finances et non seulement la commission des affaires culturelles, car la dégradation du niveau en mathématiques est susceptible d'entraîner des dépenses supplémentaires de plusieurs milliards d'euros pour notre pays.
La dégradation du niveau en mathématiques est nette. En CP, 46 % seulement des élèves ont un niveau satisfaisant s'agissant de la résolution des problèmes, selon les chiffres de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). En CM2, près de 60 % des élèves ont un niveau insatisfaisant. Cela ne s'arrange pas en sixième, car un quart des élèves ont des difficultés en mathématiques. En 2017, plus de neuf élèves sur dix ont un niveau inférieur ou égal au niveau médian de 1987. Cette baisse est comparable à la perte d'une année scolaire en trente ans ! La France se situe en mathématiques à l'avant-dernière place dans les classements de l'OCDE, juste devant le Chili. On peut discuter de la pertinence des enquêtes internationales, mais toutes concordent, il faut donc s'interroger. La France a eu une élite en mathématiques, mais actuellement seulement 2 % des élèves atteignent un niveau avancé, quand ils sont, en moyenne, 11 % dans les pays de l'OCDE, et 50 % en Asie.
Le corps des enseignants connaît aussi des problèmes de recrutements : les postes non pourvus aux concours sont nombreux. Le taux de couverture - le rapport entre le nombre d'admis et le nombre de postes ouverts - était de 58,6 % au Capes, en 2014, et il était de 65 % à l'agrégation en 2016. Le taux est remonté depuis à plus de 80 %. Mais pour quel niveau ? Le taux de réussite au Capes de mathématiques était de 43,8 % en 2017, alors qu'il était inférieur à 30 % dans toutes les autres disciplines. On peut se demander s'il ne s'agit pas de pallier un manque de candidats. En effet, le vivier de candidats est trop étroit, car les jeunes ne s'orientent plus vers des études scientifiques. En 2018, seuls 30 % des élèves en classe de terminale scientifique se sont dirigés vers des carrières scientifiques dans l'enseignement supérieur. L'éducation nationale a donc dû avoir recours à des contractuels, le taux de recours à ces derniers passant de 2,8 % à 6,7 % en mathématiques. En parallèle, dans l'enseignement primaire, les professeurs des écoles ont de plus en plus des profils littéraires, et sont moins à l'aise en mathématiques.
Les revalorisations budgétaires engagées restent modestes : un enseignant de moins de trente ans gagne 20 % de plus que le Smic, alors que l'on peut gagner davantage dans le secteur informatique, par exemple, avec une licence de mathématiques. Or les pays qui réussissent rémunèrent bien leurs professeurs. En parité de pouvoir d'achat (PPA), l'Allemagne paie ainsi ses professeurs deux fois mieux que la France ; la rémunération des professeurs espagnols est supérieure de 30 %, etc.
Le problème budgétaire est donc évident. La mise en oeuvre des mesures inspirées par le rapport dit « Villani-Torossian » paru en 2018 n'a pas suffi à le résorber. Dans le primaire, on a mis en place des professeurs référents de mathématiques afin de développer la formation continue des professeurs des écoles et favoriser le travail collaboratif entre pairs ; dans le secondaire, on crée des laboratoires de mathématiques appelés « labomaths ». Enfin, la commission des programmes s'efforce de publier des manuels modernes.
Mais le vrai problème est d'ordre budgétaire : est-il possible de procéder à une revalorisation sectorielle des rémunérations des 60 000 enseignants de mathématiques ? L'engagement budgétaire serait considérable. Certes, la baisse de la natalité, et donc des effectifs des classes d'âge, sera source d'économies à long terme pour l'éducation nationale. Cette dernière disposerait aussi d'un autre levier d'action en rationalisant son offre scolaire qui est trop dispersée et pas toujours adaptée, notamment dans le secondaire. Mais peut-on revaloriser les professeurs de mathématiques sans revaloriser tous les professeurs ? Sans doute que non. Il serait pourtant important de cibler les moyens sur les disciplines en tension, où les besoins sont criants.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le niveau s'est dégradé en trente ans. Je suis inquiet en constatant que le décrochage en mathématiques commence dès l'école primaire. Comment corriger cela ? Il est essentiel d'intervenir tôt si l'on veut assurer l'égalité des chances.
M. Jean-Claude Requier . - J'étais professeur d'histoire-géographie, une discipline où les débouchés sont moins nombreux, si ce n'est dans l'enseignement. On a toujours manqué de professeurs de mathématiques. Les meilleurs élèves deviennent ingénieurs ou s'orientent vers d'autres carrières, car ils sont mieux payés ailleurs. Il faut trouver le moyen d'attirer les meilleurs élèves vers l'enseignement. L'écart de rémunération que vous avez évoqué avec l'Allemagne ou l'Espagne concerne-t-il seulement les professeurs de mathématiques ou bien tous les enseignants ? Il semble difficile de mettre en place une rémunération différenciée.
M. Albéric de Montgolfier . - Le problème est connu, mais on continue à régresser. En dépit des enquêtes internationales, la situation ne s'améliore pas. Ne faut-il pas se poser la question de la méthode d'enseignement ? Ouvrez un manuel de mathématiques : on n'y comprend rien, les problèmes sont rédigés de manière complexe, c'est de la littérature ! On intellectualise trop. À l'inverse, les manuels fondés sur la méthode dite de Singapour sont très clairs et intuitifs. La question salariale est une donnée du problème, mais il faut également s'interroger sur nos méthodes pédagogiques.
M. Bernard Delcros . - Le nombre de contractuels augmente : est-ce par manque de titulaires, ou s'agit-il d'une volonté politique de remplacer des titulaires par des contractuels ? En tout cas, cela ne contribue pas à un enseignement de qualité. En outre, l'enseignement a-t-il su s'adapter aux nouveaux outils numériques, comme les tablettes par exemple ? Enfin, quel serait, selon vous, le niveau de rémunération qui rendrait le métier plus attractif ?
M. Marc Laménie . - Vous formulez onze recommandations. Ce sujet concerne à la fois la commission des finances et la commission de la culture. Quel est le rôle des inspecteurs généraux de l'éducation nationale ?
Mme Christine Lavarde . - La méthode de Singapour est, en effet, très claire. Le niveau en mathématiques a-t-il des effets sur la croissance de la France ? De même, la France, qui compte de nombreux lauréats de la médaille Fields, arrivera-t-elle à conserver sa place d'excellence si le niveau moyen baisse ?
M. Didier Rambaud . - Fils de professeur de mathématiques, je suis un petit peu dubitatif sur la solution proposée : ce n'est pas en revalorisant les salaires que l'on résoudra le problème. Quid des autres professeurs ? Pourquoi ne pas revaloriser les professeurs dans les quartiers sensibles ? Ils le mériteraient aussi. Par ailleurs, si à la sortie du CP, 54 % des élèves ont un niveau insuffisant, cela montre que c'est là qu'il faut agir.
M. Roger Karoutchi . - Ce rapport est révélateur de la baisse du niveau général : le niveau baisse en mathématiques, mais 40 % des élèves en sixième ont des difficultés en lecture, sans parler de l'orthographe, de la maîtrise du français, de l'histoire, etc. Les rapports PISA ne sont pas bons, dans tous les secteurs. Les lacunes sont telles que c'est bien d'une réforme globale de l'éducation dont on a besoin !
Ensuite comment pourrait-on différencier les rémunérations des enseignants par matière ? Tous auront passés le Capes ou l'agrégation, et sont des fonctionnaires d'État. De plus, on connaît le syndicalisme et corporatisme dans l'éducation nationale. Il faut restaurer le niveau global.
M. Jean-Marie Mizzon . - Un de mes amis qui était professeur de mathématiques continue à exercer dans une école d'ingénieurs, à 70 ans. L'école le supplie de continuer, faute de remplaçant... Dans le privé, une telle tension se traduirait par une hausse de salaire. Ne faut-il par craindre que le privé ou les pays voisins, qui paient mieux, ne prennent nos meilleurs professeurs ? Une différenciation salariale en faveur des professeurs de mathématiques est-elle pratiquée dans les autres pays ? Les mathématiques exigent de la rigueur, de la précision et beaucoup d'efforts, valeurs qui ne sont plus guère partagées.
M. Christian Bilhac . - Notre rapporteur nous a dressé un tableau noir de la situation, mais en regardant les cahiers de ma petite-fille, j'ai constaté que je ne comprenais pas les nouvelles méthodes. Il est naturel que la commission des finances aborde le volet financier. Oui, il y a un problème de rémunération, mais le problème est aussi sociétal : il faut rendre aux enseignants le rôle social, l'autorité dont ils jouissaient dans notre société il y a quelques années. Le mal est profond.
M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Le problème se pose en effet dès l'école primaire. Le plan « mathématiques » mis en place en 2019 vise aussi le premier degré. Il faut changer les méthodes. La méthode de Singapour commence à gagner du terrain, y compris dans l'éducation nationale. De nouvelles éditions seront publiées pour aider les parents à soutenir leurs enfants. Il faut remédier à cette tendance fâcheuse en France, comme si on voulait que les parents n'y comprennent rien, pour les tenir à l'écart... La situation évolue. Les manuels deviennent plus pratiques. On remet aussi l'accent sur les fondamentaux, la répétition des tables de multiplication, le calcul mental. Cela répond aussi à la question sur le numérique : on ne peut en tirer profit que si l'on maîtrise les fondamentaux.
Un assentiment général se dessine en faveur d'une pédagogie plus simple, avec des manuels plus accessibles, pour que les enseignants du primaire se sentent aussi plus à l'aise. Une licence consacrée à la formation des professeurs des écoles, avec une option mathématiques, a été créée pour améliorer le niveau des enseignants et pour qu'ils puissent enseigner cette discipline avec confiance. Mais l'éducation est un lent paquebot : une mesure prend des années avant de produire ses effets. L'effort est engagé, laissons-lui le temps de produire ses effets.
Peut-on mener une politique salariale différenciée ? Sans doute non. Toutefois, les débouchés en mathématiques dans le secteur privé sont plus élevés qu'en histoire. À niveau de formation égale, les professeurs touchent 25 % de moins que dans le privé. Cela n'incite pas les élèves à se tourner vers l'enseignement. Je suis favorable à une rémunération différenciée, mais je crois qu'il est impossible de la mettre en place.
La méthode d'enseignement doit revenir à la simplicité et cesser de se fixer comme objectif de rompre avec les parents. Ces derniers ne sont pas inutiles à la réussite scolaire des enfants, contrairement à ce que croient certains pédagogues, heureusement minoritaires. Ils peuvent être utiles, encore faut-il parler le même langage ! Les parents et le corps enseignant doivent être solidaires.
Tous les ministres ont voulu réduire le nombre de contractuels, mais ceux-ci constituent une soupape de gestion. La part des contractuels est passée de 5,8 % à 8,8 % dans toutes les disciplines, et de 2,8 % à 6,7 % en mathématiques. Cette hausse n'est pas le fruit d'une volonté, mais plutôt d'une incapacité à recruter et d'un problème profond.
Les tablettes et le numérique ne profitent qu'à ceux qui maîtrisent déjà les bases et leurs tables d'opérations, sinon cela relève du magique.
La baisse du niveau moyen commence à avoir des effets sur l'élite. Nos mathématiciens d'aujourd'hui bénéficient de l'excellence d'hier : en 2017, seul 1 % des élèves atteignent le niveau atteint par les 10 % des élèves les plus performants il y a trente ans. Dans l'OCDE, 25 % des élèves en moyenne sont dans le premier quart de niveau, mais seulement 13 % en France.
Didier Rambaud a raison, le primaire est le maillon faible. Cela vaut pour toutes les matières, mais la dégradation est encore plus nette pour les mathématiques. Il faut donc mettre l'accent sur la formation permanente des enseignants.
Roger Karoutchi a exprimé son constat désabusé sur la capacité du système à se réformer. C'est une nécessité. La baisse des effectifs à l'avenir devrait donner des marges de manoeuvre à l'éducation nationale. Il est aussi possible de rationaliser l'offre d'enseignement pour dégager des moyens.
La concurrence du privé est réelle, même si les salaires sont identiques dans l'enseignement privé sous contrat. Les professeurs peuvent donner des cours dans le privé, et l'on constate que l'offre d'enseignement privé explose. Certes, cela peut creuser les inégalités. La nature ayant horreur du vide, dès qu'une faiblesse apparaît dans le public, une offre dans le privé apparaît pour la pallier.
Mon but était de poser les termes du problème et de voir quel effort budgétaire pourrait être accompli dans une discipline fondamentale pour les sciences et notre pays. Il faut privilégier les carrières scientifiques et faire en sorte que les matières scientifiques ne soient pas seulement un élément de sélection dans les cursus.
M. Claude Raynal , président . - Il ne suffit pas en effet de former des mathématiciens, il faut aussi les inciter à devenir professeurs.
La commission a autorisé la publication de la communication du rapporteur spécial sous la forme d'un rapport d'information.