II. LES DONNÉES GÉNÉRALES DE LA SESSION 2019-2020
A. UNE FORTE BAISSE DU TAUX GLOBAL D'APPLICATION LIÉE À LA CRISE SANITAIRE
1. Un taux d'application globalement en forte baisse
43 lois ont été adoptées au cours de la session 2019-2020 , dont 15 (35 %) étaient d'application directe et 28 nécessitaient des mesures d'application. Le nombre de lois totalement applicables (10, soit 23 % des textes) est supérieur à celui des lois rendues non applicables du fait du manque de mesures réglementaires (six, soit 14 % des textes). Ces chiffres marquent un progrès par rapport à la session 2018-2019 , dans la mesure où seules 12 % des lois étaient totalement applicables au 31 mars 2020.
Par ailleurs, si 28 % des lois sont partiellement mises en application, aucune ne pâtit d'un taux d'application inférieur à 10 %, et seulement deux sont appliquées à moins de 50 %.
À l'échelle de la XVème législature, trop de lois demeurent partiellement mises en application (41, soit 30 %). Le pourcentage de celles qui ne sont pas mises en application (8 %) a même augmenté par rapport à l'an dernier (6 %).
Quantitativement, c'est le taux global d'application des lois qui est le plus parlant à l'échelle d'une session. Celui-ci est en forte baisse pour la session 2019-2020, avec 62 % seulement 17 ( * ) , contre 72 % pour l'année précédente. 483 mesures d'application ont été prises, et 290 restent à prendre. Si l'on exclut les mesures dont le législateur a autorisé une entrée en vigueur différée , dites « mesures d'application différées » ou « mesures différées », le taux d'application atteint 69 %.
Ce taux global cache des différences suivant les différentes commissions et selon la nature des textes.
Les textes relevant de la compétence de la commission des affaires sociales ont pâti de la mobilisation des agents des ministères sociaux sur la gestion de la crise sanitaire, avec un taux d'application au 31 mars 2021 de 49 % (53 % hors mesures différées). Ceux qui relevaient de la commission du développement durable regroupaient de très nombreuses mesures d'application , rendant plus difficile l'adoption de l'ensemble d'entre elles. La contribution des services ministériels à de nouveaux chantiers législatifs est aussi à l'origine de lenteurs dans la publication des textes d'application de lois antérieures. Le taux d'application des lois relevant de cette commission est, là aussi, très faible, avec 54 % (64 % hors mesures différées). La Secrétaire générale du Gouvernement a d'ailleurs rappelé que 75 % des 113 mesures considérées comme restant à prendre par le Secrétariat général du Gouvernement sont concentrées sur quatre lois : la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020, la « LOM » du 24 décembre 2019, la loi « AGEC » du 10 février 2020, et la loi Énergie-Climat du 8 novembre 2019. Les trois premières relèvent de la commission des affaires sociales (LFSS) et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (LOM et AGEC). En ce qui concerne la loi AGEC, comme l'a souligné sa rapporteure Mme Marta de Cidrac, le ministère de la transition écologique s'était engagé, à l'occasion du comité interministériel de l'application des lois de septembre 2020, à publier l'ensemble des décrets avant la fin de l'année 2020, s'agissant des mesures déjà actives ou qui devaient l'être prochainement 18 ( * ) .
En revanche, les textes relevant de la commission des finances ont été mieux appliqués, de même que ceux relevant de la commission des lois et de celle de la culture . Pour la première, il s'agissait souvent de mesures urgentes pour répondre à la crise économique entraînée par la pandémie. Ainsi, une majorité des textes d'application des deux premières lois de finances rectificatives pour 2020 a été prise dans les trois mois. La baisse du taux d'application des lois relevant de la commission des finances, passé de 88 % à 76 % entre la session 2018-2019 et la session 2019-2020, est imputable au grand nombre de mesures différées cette année ainsi qu'au fort volume d'arrêtés non pris 19 ( * ) . Le taux d'application des textes relevant de la commission des lois, soit 23 lois promulguées (53 % de l'ensemble des lois promulguées), est identique. Celui des textes, moins nombreux, relevant de la commission de la culture est très comparable (75 %).
Par ailleurs, le taux d'application des lois issues de projets de loi est plus élevé que celui des textes qui résultent de l'adoption de propositions de loi. Le Secrétariat général du Gouvernement estime à près de 20 points l'écart entre ces deux catégories. La commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques pâtissent particulièrement de ce phénomène. En effet, aucun des textes réglementaires prévus par trois 20 ( * ) des quatre lois issues de propositions de loi relevant de la compétence de la première n'a été pris. Il en est de même pour la seule loi émanant d'une proposition de loi relevant de la compétence de la seconde 21 ( * ) . Comme l'a pour sa part relevé la commission des lois, les deux seules lois 22 ( * ) d'initiative parlementaire relevant de sa compétence et restées inapplicables émanent paradoxalement de propositions de lois déposées par des députés de la majorité gouvernementale.
À l'échelle de la XVème législature, le taux global d'application des lois atteint 78 % 23 ( * ) .
2. La crise sanitaire, facteur principal de dégradation
Lors de son audition, la Secrétaire générale du Gouvernement a présenté les quatre grandes raisons qui, selon elle, pouvaient expliquer les carences dans la prise des mesures d'application des lois cette année.
La crise sanitaire constitue la première d'entre elles et expliquerait à ses yeux l'essentiel voire la totalité de la diminution du taux d'application des lois par rapport à la session précédente. D'une part, les agents publics participant à la chaîne normative ont subi des conditions de travail dégradées, ce qui a été à l'origine d'une « perturbation de l'élaboration des textes d'application. » D'autre part, la situation d'urgence liée à la pandémie a suscité un besoin d'adopter de nombreux textes pour y faire face . La conjonction de ces deux facteurs a érodé la capacité de l'exécutif à s'acquitter de ses obligations.
Au-delà des retards dans la prise des textes d'application des lois adoptées définitivement, la crise sanitaire a également interrompu l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle. M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a ainsi regretté « l'abandon en cours de route d'un texte qui comportait une réforme globale de l'organisation et de la gouvernance de l'audiovisuel public. » 24 ( * )
Le Secrétariat général du Gouvernement impute également le retard pris dans la parution de certains textes d'application à deux procédures européennes qui peuvent retarder l'application des lois. D'une part, les notifications adressées à la Commission européenne sur le fondement de la directive (UE) 2015/1535 25 ( * ) génèrent un délai supplémentaire de trois mois de statu quo pendant lesquels la France ne peut adopter définitivement le texte d'application ou, en cas d'avis circonstancié, un délai de six mois . Ces délais peuvent être mal anticipés : lors de l'audition de la Secrétaire générale du gouvernement, Mme Catherine Di Folco, s'exprimant au nom de la commission des lois, s'est ainsi étonnée de ce que le projet de décret prévu à l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, concernant l'accès des mineurs aux sites pornographiques, n'ait été notifié à la Commission européenne que le 2 avril 2021, et a appelé à « plus de célérité lorsqu'on doit passer par cette étape obligée. » D'autre part, lorsque la France adresse une notification à la Commission européenne dans le cadre de la procédure des aides d'État, celle-ci n'est pas enfermée dans un quelconque délai pour répondre . La Secrétaire générale du Gouvernement a toutefois rappelé que l'exécutif engageait des procédures de pré-notification pour pallier ce problème et elle a souligné les efforts produits par le Secrétariat général aux Affaires européennes pour accélérer cette réponse, en collaboration avec la Direction générale de la concurrence (DG COMP) de la Commission européenne.
Afin d'améliorer l'information relative aux mesures non publiées, car dépendantes d'une réponse préalable de la Commission européenne, la commission des finances recommande ainsi d'insérer au sein du rapport remis en application de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 un état des lieux des demandes introduites auprès de la Commission européenne en matière d'aides d'État.
Troisièmement, des contraintes opérationnelles pourraient faire obstacle à la prise d'un décret d'application ou d'une ordonnance, qu'elles soient dues à une méconnaissance de la situation du terrain , ou à des enjeux plus politiques . Les discussions préalables à la création des conseils régionaux académiques de l'éducation nationale sur le fondement de l'habilitation prévue à l'article 55 de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance en constituent un exemple. La réduction significative du nombre de membres de ces instances en raison de leur substitution à des instances départementales freinerait les négociations et retarderait la publication de l'ordonnance correspondante.
Dans cette catégorie, figurent également les textes peu ou pas applicables du fait de la volonté du Gouvernement. Ainsi, après que le Conseil constitutionnel avait censuré des dispositions de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « EGalim ») relatives à l'étiquetage, les parlementaires ont, avec le plein soutien du Gouvernement et son engagement à publier dès que possible les décrets d'application, adopté la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires . Or celle-ci est quasi-inapplicable , en raison non seulement de la notification préalable à la Commission européenne des mesures réglementaires attendues, mais aussi, semble-t-il, du fait de l'appréciation du Gouvernement selon laquelle les dispositions de certains articles ne seraient pas du domaine de la loi, sans que jamais il n'ait soulevé cette objection lors de l'examen de ce texte. Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, estime ainsi que « si le texte de la Constitution le permet, cette pratique méconnaît son esprit et justifie une inaction incomprise. » 26 ( * )
Enfin, des difficultés d'ordre juridique apparaîtraient après la promulgation de la loi, rendant parfois nécessaire la prise de textes complémentaires qui retardent son application. La base légale d'un décret peut, par exemple, devoir être complétée pour entrer en conformité avec une norme supérieure. Le Sénat, toutefois, ne saurait se satisfaire de cette justification, car c'est précisément la loi qu'applique le décret qui constitue sa base légale. Ce n'est en particulier pas au Gouvernement ou au Conseil d'État de décider, à l'occasion de l'édiction du décret qui en fait application, qu'une loi n'est pas conforme à la Constitution. C'est la prérogative du seul Conseil constitutionnel, dans le cadre de procédures prévues par la Constitution.
* 17 Calculé sur la base des seules mesures attendues, il serait même inférieur à 60 % puisque sur les 723 mesures réglementaires attendues, seules 433 ont été prises. La comptabilisation des 50 mesures réglementaires d'application prises sans avoir pour autant été prévues par la loi permet d'atteindre le taux de 62 % (483 sur 773).
* 18 Compte rendu de la réunion de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du 5 mai 2021 .
* 19 Pour les textes relevant de la commission des finances, le taux d'application est de 93 % pour les décrets, mais de seulement 60 % pour les arrêtés.
* 20 Loi n° 2020-220 du 6 mars 2020 visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap ; loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer ; loi n° 2020-938 du 30 juillet 2020 permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19.
* 21 Loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.
* 22 Loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent ; loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à encadrer les appels frauduleux.
* 23 Ce chiffre ne désigne pas une moyenne des taux d'application annuels, mais le rapport entre les textes règlementaires pris en application des lois adoptées depuis le 21 juin 2017, et la somme de ceux qui ont été pris et de ceux qui restent à prendre.
* 24 Compte rendu de la réunion de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du 5 mai 2021 .
* 25 Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information
* 26 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires économiques du 5 mai 2021 .