II. ADAPTER SANS EXONÉRER, DIFFÉRENCIER POUR ENCOURAGER, RENFORCER LA MIXITÉ SOCIALE
Le bilan de la loi SRU est donc positif en termes de production de logement social et de répartition de celui-ci sur le territoire national, mais se traduit par un relatif échec en termes de mixité sociale.
En revanche, trop uniforme et idéologique, la loi reste difficile à appliquer d'autant que, dans de nombreuses communes, nonobstant la bonne volonté des maires, elle fixe un quota de logements sociaux qui est mathématiquement impossible à atteindre dans les délais impartis.
Cela a été souligné, près de 70 % des maires qui se sont exprimés dans le cadre de la consultation organisée par le Sénat jugent « utile » la loi SRU, alors que plus de 40 % d'entre eux sont carencés. Mais ils sont 73 % à la juger « inefficace » et 82 % pensent que les objectifs sont irréalistes .
Dans ces conditions, sauf à prendre le risque d'un rejet massif de la loi SRU et peut-être demain d'un rejet judiciaire, comme l'a bien perçu le Gouvernement, il est nécessaire de la pérenniser et de l'adapter. C'est notamment l'objectif des articles 15 à 22 du projet de loi « 4 D » qui vient d'être déposé sur le bureau du Sénat et qui sera débattu début juillet.
Vos rapporteurs proposent de saisir cette occasion pour rechercher un compromis afin de faire de la loi SRU un objectif mieux accepté. Il pourrait s'articuler autour de trois principes :
• Adapter sans exonérer,
• Différencier pour encourager,
• Renforcer les outils en faveur de la mixité sociale .
Projet de loi « 4 D »
Le titre III du projet de loi contient plusieurs dispositions de réforme de l'article 55 de la loi SRU et des attributions de logements sociaux qui seront évoquées dans la suite du rapport. En voici les éléments principaux d'après l'exposé des motifs :
La loi SRU est pérennisée au-delà de 2025. Le projet de loi institue un rythme de rattrapage de référence, applicable à toutes les communes, de 33 % du nombre de logements sociaux locatifs manquants, celui-ci étant automatiquement augmenté dès lors que le taux de logement social de la commune se rapproche de l'objectif afin d'éviter une décélération de la production. Par ailleurs, pour tenir compte des difficultés objectives rencontrées par certaines communes pour l'atteinte de leurs objectifs, une adaptation temporaire du rythme de rattrapage est prévue, dans une logique de contractualisation d'objectifs et de moyens, au travers de la signature d'un contrat de mixité sociale entre la commune, l'EPCI et l'État (article 17) .
L'article 18 inscrit dans la loi les contrats de mixité sociale, en définit le contenu et les objectifs ainsi que la procédure d'élaboration et d'adoption , en cas d'abaissement des objectifs triennaux de rattrapage. En particulier, et afin d'assurer une homogénéité dans l'application de ces dispositions, un avis préalable de la Commission nationale SRU est nécessaire en amont de la signature de ces contrats.
L'article 19 prévoit que la mise en oeuvre des engagements du contrat de mixité sociale constitue un des éléments à prendre en compte dans la procédure de carence. Il renforce également les sanctions financières applicables aux communes carencées par l'instauration de taux de majorations « plancher ».
Par ailleurs, le projet de loi vise à adapter les exemptions en substituant au critère de desserte insuffisante par les transports en commun un critère d'isolement et en élargissant à tous les territoires l'application du critère de faible tension sur la demande de logement social (article 15).
Enfin, pour renforcer les dispositifs de mixité sociale dans le logement social et l'accès au logement des travailleurs des secteurs essentiels, l'article 22 conforte le rôle des EPCI dans la définition des objectifs de mixité sociale dans le cadre des attributions de logements sociaux et leur confère également la faculté de faciliter l'accès au logement pour des personnes exerçant une activité professionnelle essentielle à la vie du territoire.
A. CONSERVER L'OBJECTIF, STABILISER LE DISPOSITIF
On l'a vu, malgré des débats et des modifications incessantes, la structure de la loi SRU a conservé une certaine stabilité. Certains évoquent un « effet de cliquet », peut-être ses principes sont-ils tout simplement plus largement partagés. Mais à l'approche d'une nouvelle réforme et alors que certains pourraient avoir la tentation de remettre en cause la loi SRU ou de remettre en discussion des points finalement débattus depuis le début des années 1990, vos rapporteurs plaident pour une stabilité du dispositif. Il s'agit à la fois de tirer parti de l'apaisement du sujet, mais aussi de favoriser la lisibilité de la loi en évitant une complexification croissante.
1. Conserver l'objectif de construction de logements sociaux à 20 ou 25 %
C'est tout d'abord l'objectif global de construction de logements sociaux qu'il convient de conserver, car les besoins en logement sont criants et l'utilité de la loi SRU est admise.
a) Le besoin de logements et de logements sociaux est toujours aussi important
Les chiffres 2020 de la construction sont réellement alarmants ! De l'ordre de 90 000 logements sociaux ont été agréés. Il y en avait plus de 120 000 en 2016. Tous secteurs confondus, fin février 2021, on comptait 73 500 logements neufs autorisés de moins que l'an passé.
Parallèlement, le mal-logement n'a jamais été aussi important dans notre pays. Selon le 26 e rapport sur l'état du mal-logement en France (2021) de la Fondation Abbé Pierre, il frapperait plus de 14 millions d'habitants, privés de logements personnels ou vivant dans des conditions difficiles ou de fragilité. On sait par ailleurs qu'il y a plus de 2 millions de demandes de logements sociaux pour 450 000 attributions annuelles. Enfin, la population française croît et les évolutions sociales favorisent la décohabitation.
Vos rapporteurs veulent souligner que la demande de logements est donc soutenue, que la « crise du logement » dans de nombreux territoires n'est pas une lubie. Construire plus et mieux n'est pas une option ; c'est une absolue nécessité !
b) Une loi pour soutenir la production homogène de logements sociaux dont l'utilité est largement reconnue
Bien que le quota de 20 ou 25 % n'ait pas été défini en fonction d'une analyse empirique ou avec la volonté de l'adapter aux différentes communes, avec le recul des années, il a été admis bon gré mal gré par la majorité des élus.
Le remettre en cause aujourd'hui en revenant soit à 20 % soit à 15 % rouvrirait un débat passionné alors qu'il n'est pas nécessairement pertinent . Tout objectif national a une part d'arbitraire même s'il était plus bas. Dans un certain nombre de cas et notamment pour les communes les plus éloignées de l'objectif cela ne modifierait pas leur statut par rapport à la loi, même si l'objectif était un peu plus proche.
Ensuite, dès lors que le Gouvernement a indiqué vouloir revenir à un rattrapage glissant et différencié, il devrait être possible de tenir compte des situations particulières , des difficultés locales et d'un rythme réaliste de rattrapage de maires engagés quel que soit leur point de départ. La question serait différente s'il fallait définir un parcours par étape où une date serait fixée pour atteindre un certain taux de logements sociaux au plan national.
Par ailleurs, la plupart reconnaissent l'utilité d'énoncer l'objectif et d'exercer une certaine pression pour l'atteindre. Cela permet de définir des stratégies pluriannuelles . Beaucoup d'élus en charge de ces questions le voient aussi comme un adjuvant par rapport à des collègues moins sensibilisés. Ian Brossat, adjoint au maire de Paris chargé du logement, indiquait ainsi à vos rapporteurs que c'était un appui important pour lui dans les arbitrages budgétaires à obtenir, car faire du logement social dans une ville, où le foncier est rare et cher, coûte évidemment beaucoup d'argent que l'on pourrait légitimement vouloir flécher vers d'autres urgences.
c) Un objectif calculé par rapport au nombre de résidences principales
L'objectif de la loi SRU est calculé en rapportant le nombre de logements sociaux au nombre de résidences principales dans les communes concernées.
Ce mode de calcul suscite de réels reproches des élus. On peut les regrouper en deux groupes :
• Des élus voudraient que le taux de logements sociaux ne soit calculé que sur les logements récents : les nouveaux logements, les logements construits depuis l'entrée en vigueur de la loi ou encore par rapport à une date historique déterminée. Ce faisant, ils mettent légitimement l'accent sur la transformation des structures sociales et urbanistiques que peut provoquer la loi SRU et sur les difficultés concrètes que cela soulève. Pour autant, ce serait dénaturer la loi SRU que de retenir un tel mode de calcul, car elle implique effectivement une rupture dans spécialisation des espaces résidentiels qui a présidé en France à l'aménagement du territoire pendant plusieurs décennies pour aller vers plus d'homogénéité et de mixité . Mais les maires n'en sont pas les responsables et on doit beaucoup plus les accompagner que les pénaliser ;
• D'autres élus voudraient que la base de calcul soit fixe, soit que le rattrapage soit calculé par rapport au nombre de résidences principales au moment du vote de la loi, soit que les nouveaux logements sociaux n'entrent pas dans le décompte des résidences principales . Ces demandent pointent, quant à elles, le caractère dynamique du rattrapage. Le numérateur et le dénominateur bougent en même temps et mécaniquement lorsque l'on a construit quatre ou cinq logements sociaux de plus, on doit en construire un cinquième ou un sixième... Cela peut avoir un aspect décourageant ! C'est particulièrement sensible dans les communes dont le potentiel de croissance démographique est important. C'est d'autant plus sensible également que la commune est éloignée de l'objectif et fait l'objet d'un fort intérêt des promoteurs que le maire n'est pas forcément outillé pour maîtriser. On retrouve ce cas dans plusieurs communes de la région parisienne. Certains maires nouvellement élus et avec une réelle bonne volonté sont démunis. Mais là aussi, ce serait dénaturer la loi SRU que figer le rattrapage . On recréerait de nouveaux déséquilibres. En revanche, il est nécessaire de donner aux maires des objectifs et des rendez-vous temporels réalistes pour ne pas provoquer une « fatigue de la loi SRU ». Cela ne veut pas dire manquer d'ambition.
Patrick Delebarre, maire de Bondues, Nord, 15 % de logements sociaux : « L'objectif en % est un grave handicap, car il conduit à construire toujours plus : plus je construis, plus je dois construire sans en voir le bout !... il est en fait, décourageant ! À peine je livre 200 logements dont 100 logements sociaux : je dois en construire 50 de plus ! ! ! Toujours plus !... l'objectif national en % est aberrant. Ce n'est pas la volonté de nos habitants. Ce n'est pas compatible avec les lois écologiques de non-artificialisation et non-étalement urbain !
Il faudrait avec intelligence fixer un objectif en nombre et catégories de LLS, adapté à la fois à chaque commune et équilibré à l'échelle de l'intercommunalité, en tenant compte : du potentiel foncier réel de chaque commune, de son potentiel de services disponibles et à offrir au regard des besoins des locataires (transport, travail, services...), des demandes de localisation géographique exprimées par les demandeurs de logements dans leur dossier.
Pourquoi vouloir à toutes fins avoir une règle en % commune à toutes les communes de France alors qu'elles n'ont pas toutes les mêmes caractéristiques et répondent à des attentes différentes de nos concitoyens ?
Une métropole devrait être capable de proposer un PLH équilibré et efficace pour répondre à son propre objectif de création de LLS tenant compte des éléments ci-dessus. Oui à l'intercommunalisation de l'objectif décliné ensuite en nombre de logements par commune dans le PLH par contractualisation, le tout contrôlé par le préfet. Non à la centralisation des permis de construire ».
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Yvan Femel, maire de Noiseau, Val-de-Marne, 15 % de LLS : « Afin de concevoir une réelle mixité sociale, les opérations ne doivent pas comporter plus de 30 % de logements sociaux. Or pour les communes carencées respecter ce taux entraîne automatiquement une non-atteinte des 25 % en 2025. À titre d'exemple pour ma commune en ayant déjà 15 % de logements sociaux (il m'en manque 210), en respectant la mixité sociale il faudrait que je construise plus de 2 000 logements pour une commune qui en compte 1 980. Résultat pour tenir l'objectif l'État nous contraint à augmenter le taux de logements sociaux par opération, refaire de futures zones ANRU ! »
2. Stabiliser les grandes lignes du dispositif originel
Au-delà de l'objectif global d'un taux de logements sociaux à atteindre, ce sont les principaux outils de la loi qu'il convient de stabiliser.
a) Maintien des triennats
Beaucoup de maires ont fait observer qu'une période de trois ans était trop courte au regard de la durée des opérations d'urbanisme . Une période de cinq à six ans est souvent présentée comme mieux adaptée. Du côté des services de l'État, certains s'interrogent sur la rapidité avec laquelle le moment du bilan revient compte tenu de sa lourdeur et du grand nombre de réunions qu'il implique.
Cette demande ne fait cependant pas l'unanimité et il se dessine plutôt une majorité pour maintenir un examen triennal de l'atteinte des objectifs de la loi SRU.
Bien que le temps de la loi ne soit pas identique au temps électoral, un examen tous les trois ans peut donner lieu à environ deux bilans par mandat municipal. Cela a du sens en termes d'action locale et de contrôle démocratique .
D'autres notent que pour les communes carencées, cela rallongerait d'autant la durée de la sanction et qu'il est pertinent d'ouvrir la possibilité d'en sortir au plus vite. C'est enfin une manière de maintenir une certaine pression sur les communes qui accusent du retard ou, au contraire, qui sont sur le point d'atteindre l'objectif.
b) Retour à un rattrapage glissant
Toutes les communes ne pouvant pas atteindre l'objectif de 20 ou 25 % en 2025, deux options se présentent : la définition d'une nouvelle date, à laquelle toutes les communes devraient remplir leur obligation, ou le retour au dispositif d'origine, c'est-à-dire un rattrapage progressif et glissant d'un triennat à l'autre.
Vos rapporteurs ont interrogé les maires sur leur préférence entre ces deux options. Ils ont opté très majoritairement pour un rattrapage glissant :
Faut-il redéfinir une date pour atteindre les
objectifs
ou définir un rattrapage glissant ?
En effet, comme l'avait montré le rapport de la Commission nationale SRU, définir une nouvelle date, même éloignée, risquait de reproduire les difficultés de l'actuel dispositif, c'est-à-dire le cumul progressif du nombre de logements à construire jusqu'à l'absurdité comme le dénoncent nombre de maires aujourd'hui alors qu'on aborde les deux derniers triennats prévus par la loi.
Opter pour un rattrapage glissant est donc la seule solution pragmatique. Mais ce pragmatisme, s'il doit permettre un rattrapage différencié tenant compte des difficultés objectives des communes, ne doit pas conduire à faire disparaître toute ambition en faisant des 20 ou 25 % un objectif simplement idéal que l'on n'atteindrait jamais.
La recherche de cet équilibre est l'un des principaux enjeux de la réforme de l'article 55 dans le cadre du projet de loi « 4 D ». Les débats parlementaires devront permettre d'y parvenir .
c) Un objectif en stock, mais décliné en flux annuel
De fait, le caractère plus ou moins différencié du rattrapage dépend beaucoup de la manière dont sera décliné l'objectif triennal.
Comme le montrent de nombreuses contributions de maires, beaucoup plaident en faveur d'un rattrapage en flux voire un rattrapage en volume fixé à l'avance.
Ces demandes recoupent pour une large part les débats sur la manière de calculer l'objectif lui-même. Adopter un rattrapage en flux, ce serait ne plus chercher à décompter que les constructions nouvelles , indépendamment des améliorations-acquisitions ou des nouveaux conventionnements dans le parc privé. Ce serait bien souvent modifier profondément la loi en renvoyant loin dans le futur la possibilité d'atteindre l'objectif .
Le souhait d'adopter un rattrapage en volume déterminé à l'avance révèle deux phénomènes : une absence de contractualisation avec les préfets qui conduit à l'incompréhension des maires qui, bien qu'ils aient augmenté leur effort en logements sociaux, sont sanctionnés, et une certaine difficulté à maîtriser la dynamique démographique dans certaines communes, d'où l'impression d'une fuite en avant.
Vos rapporteurs souhaitent donc le maintien de l'objectif de rattrapage par rapport à l'ensemble des résidences principales, soit en stock, mais comme cela peut se faire déjà à travers des objectifs triennaux réalistes fondés sur les flux de logements nouveaux et sur des volumes de logements à réaliser au regard de politiques ou de programmes urbains mis en oeuvre par les communes.
d) Maintien des objectifs communaux
Un autre point débattu est celui de savoir s'il faut ou non déplacer les objectifs de taux de logements sociaux des communes au niveau des intercommunalités et/ou définir des objectifs au niveau des arrondissements ou de secteurs dans les plus grandes villes.
(1) Des objectifs intercommunaux ?
Les rapports de la Commission nationale SRU et de la Cour des comptes traitent de cette question.
Le principal constat est qu'entre l'adoption de la loi SRU et aujourd'hui, les intercommunalités ont pris une importance grandissante et plus particulièrement en termes d'urbanisme et d'habitat. Certaines sont délégataires des aides à la pierre et plusieurs mettent en oeuvre des politiques très actives en la matière.
Vos rapporteurs ont pu constater lors de leur déplacement à Valenciennes qu'une métropole pouvait avoir une politique structurante et un rôle très actif pour dynamiser la production de logements sociaux et travailler à la mixité sociale. Des aides spécifiques et différenciées sont ainsi mises en place pour accompagner les communes déficitaires ou en limite d'atteinte de leur objectif, ici de 20 % de logements sociaux.
Dès lors faudrait-il faire basculer l'objectif de la loi SRU au niveau intercommunal ?
Cette idée est dans son principe largement soutenue par les maires. La consultation a permis de recueillir de nombreux témoignages en ce sens.
Pour autant, les maires ne souhaitent pas se départir de leurs prérogatives en matière d'urbanisme . Vos rapporteurs avaient interrogé les maires en liant intercommunalisation des objectifs et transfert des permis de construire. Ils ont été deux tiers à désapprouver une telle évolution.
Faut-il intercommunaliser les objectifs et transférer
les compétences d'urbanisme (permis de construire notamment)
et les
attributions de logements sociaux
à l'établissement public de
coopération intercommunale (EPCI) ?
Comme a pu le faire observer Mme Emmanuelle Wargon à vos rapporteurs, il est difficile de transférer l'obligation de réaliser des logements sociaux aux intercommunalités, voire le paiement des pénalités, tout en laissant le pouvoir de décision, à travers le permis de construire, aux communes. Cette séparation pourrait conduire au final au non-respect de la loi .
Par ailleurs, les taux de 20 ou 25 % ne sont pas adaptés aux intercommunalités . Leur simple transfert conduirait à exonérer un grand nombre de communes de toute obligation puisque, souvent, une ville, par son histoire, concentre les logements sociaux, tandis que d'autres, pour les mêmes raisons n'en ont pas ou peu. La loi SRU a justement pour objectif de désagréger ces espaces urbains. Là aussi, cela viderait la loi SRU de l'essentiel de son contenu . Il conviendrait donc de définir un nouveau taux plus ambitieux, mais lequel ? Avec quel impact ? On le voit bien, ce serait rouvrir « la boîte de Pandore » alors que le sujet n'est pas préparé et qu'au final, pour maintenir le même niveau d'ambition, il n'est pas certain que l'on parvienne à une application plus souple de la loi.
Rodolphe Thomas, maire d'Hérouville-Saint-Clair, Calvados, 62 % de LLS : « Il serait pertinent qu'à l'échelle d'une intercommunalité, la participation des communes en termes de créations de logements sociaux soit équitablement répartie et proportionnée dès lors que les objectifs de l'article 55 sont remplis par une commune. Il faudrait que les créations de logements sociaux ne soient pas concentrées uniquement dans les grands centres urbains, mais qu'elles soient réparties dans les communes plus rurales d'une agglomération, pour éviter de faire uniquement peser l'obligation de la loi sur les mêmes communes. »
(2) Des objectifs infracommunaux ?
De l'autre côté du spectre, plusieurs acteurs du monde du logement souhaitent que soient adoptés des objectifs infracommunaux, au niveau des arrondissements ou de secteurs dans les plus grandes villes. Louis Besson, Ian Brossat ou la Fondation Abbé Pierre font des propositions en ce sens.
De fait, les très grandes villes comme Paris, Lyon ou Marseille se trouvent dans la situation des intercommunalités. Elles sont composées de quartiers avec de fortes proportions de logements sociaux et d'autres où ils sont quasi absents.
Le cas de Paris est très significatif puisque depuis vingt ans la mairie mène une politique active en faveur du logement social. Le taux de logements sociaux est passé de 13,4 % en 2001 à 21,4 % en 2021. Mais, pour autant, le nombre de logements sociaux reste faible dans les quartiers centraux et de l'ouest de la capitale. Au-delà des oppositions locales parfois vives, cette situation fait ressortir les difficultés réelles de certaines communes pour atteindre les objectifs de la loi SRU. En effet, la politique de la ville de Paris a utilisé tous les outils possibles : la construction neuve et les opérations mixtes, le conventionnement du parc privé des bailleurs sociaux, des opérations d'acquisition-amélioration et de lutte contre le logement indigne et le rachat d'immeubles à des investisseurs institutionnels à un moment où ils étaient vendeurs. Ces mesures ont été particulièrement efficaces dans le nord-est de la capitale et en périphérie, mais là où le foncier est le plus précieux, seules - ou presque - des opérations par voie de préemption sont possibles. Elles sont rares et très chères et donc peu nombreuses. Il sera désormais très difficile de faire progresser le taux parisien.
Source : Commission nationale SRU, rapport janvier 2021
C'est la raison pour laquelle la proposition est faite de fixer dans la loi un taux plancher dans chaque arrondissement à hauteur de 10, 15 ou 20 %. Il aurait pour but de contraindre ces secteurs à accroître l'effort en matière de logement social. Certains souhaiteraient descendre encore à un niveau inférieur pour assurer la mixité sociale la plus fine possible.
Fixer un objectif infracommunal aurait aussi une certaine forme de justice. Plusieurs villes limitrophes de l'est ou de l'ouest de la capitale se plaignent d'être carencées alors même qu'elles sont souvent plus petites ou de même taille que plusieurs arrondissements parisiens. Elles n'ont pas moins de logements sociaux et se trouvent prises dans des contraintes urbaines similaires.
Pour autant, vos rapporteurs n'ont pas retenu cette proposition qui ne fait pas l'unanimité, car elles souhaitent privilégier une certaine stabilité et simplification de la loi. Elles souhaitent aussi laisser une réelle possibilité de différenciation aux communes et au niveau départemental. En dehors de ces cas spécifiques, les travaux de recherche montrent actuellement une réelle homogénéisation de la production de logements sociaux sur l'ensemble du territoire sans que les communes n'aient créé de quartiers réservés pour en préserver d'autres. Une règle de portée générale n'est donc pas vraiment nécessaire. Les municipalités concernées peuvent parfaitement se fixer elles-mêmes l'objectif. Enfin et surtout, ce n'est pas par une nouvelle loi que l'on parviendra à modifier dans la longue durée l'équilibre de ces quartiers pour faire une plus grande place au logement abordable, car il s'agit de zones très denses, entièrement urbanisées, avec un foncier très cher, sans habitat indigne, avec peu de parc conventionnable, souvent peu de foncier public également et où donc la seule voie pour faire progresser la part de logement social est la préemption et le transfert d'immeubles privés vers le parc social. Or, on le sait, non seulement c'est la voie la plus onéreuse pour faire du logement social, mais c'est aussi la plus lente .
Pour vos rapporteurs, il ne peut s'agir de baisser les bras, mais s'imaginer que l'on multipliera demain par deux, trois, quatre ou cinq le taux de logement social dans certains arrondissements huppés parce qu'on l'aura inscrit dans la loi, c'est se payer de mots !
e) Stabilité législative de l'inventaire des logements, mais différenciation locale pour éviter les effets de bord négatifs
L'histoire de la loi SRU est ponctuée de multiples modifications législatives visant à introduire ou à retirer tel ou tel type de logements, parfois en descendant dans un grand niveau de détail.
Certains souhaitent étendre la liste, d'autres souhaiteraient la restreindre. Thierry Repentin a par exemple fait part de ses réserves à propos de la comptabilisation des logements en usufruit locatif social (ULS) qui, selon lui, présentent plus d'intérêt fiscal et patrimonial pour les détenteurs que social pour les maires et les bailleurs, compte tenu du caractère précaire (9 à 15 ans) de la vocation sociale des logements.
Néanmoins, il soulignait surtout l'impact marginal des nouvelles catégories de logement par rapport aux logements sociaux traditionnels. Cela relativise l'importance des débats sur le sujet au niveau national dès lors que l'on ne modifie pas les critères essentiels :
A contrario , il y a une réelle demande des maires pour prendre en compte un plus grand nombre de types de logements. Elle est parfois liée à des réticences vis-à-vis du logement social en lui-même. Le logement moins social ou en accession à la propriété est préféré par rapport au logement social le plus accessible. Il y a aussi des demandes locales et le besoin d'éviter les effets de bord négatifs de la loi SRU sur certains projets.
Faut-il modifier la liste des logements éligibles ?
(1) Le logement locatif intermédiaire
Les maires qui ont participé à la consultation plébiscitent une modification de la liste des logements éligibles et une prise en compte du logement intermédiaire .
Faut-il ajouter un objectif de logement
intermédiaire
à celui des logements sociaux ?
Pour autant, faut-il y donner une suite favorable et à nouveau modifier la loi ? En réalité, depuis les débats sur l'application de la LOV dans les années 1990, le logement intermédiaire a finalement toujours été exclu de la loi SRU. Cela s'explique par le fait que les plafonds de ce type de logements sont nettement plus élevés que les logements sociaux. Ce serait modifier la nature même de la loi SRU que de les y introduire à nouveau.
Il faut d'ailleurs noter que parmi les acteurs du secteur, GECINA ou CDC Habitat ne sont pas demandeurs d'une telle mesure. Ils font plutôt remarquer la difficulté aujourd'hui d'obtenir des permis de construire pour ce type de programme, car le logement intermédiaire bénéficie d'une exonération de taxe foncière dont beaucoup de maires ne veulent plus. Ils estiment qu'une obligation apparemment favorable au logement intermédiaire aurait en fait un effet négatif.
En revanche, vos rapporteurs observent que le logement intermédiaire est une vraie réponse au besoin de logements abordables dans les territoires tendus . Il convient donc de le promouvoir . Il peut aussi présenter un aspect pédagogique là où il n'y a pas beaucoup de logements sociaux. Il peut enfin compléter l'offre ou apporter de la mixité là où il n'y a rien entre le marché libre et le social ou dans les communes où il y a trop de logement social ou de logements privés dégradés. Mais vos rapporteurs pensent que cela ne passe pas nécessairement par une insertion dans le taux SRU .
(2) L'accession à la propriété
Certains maires souhaiteraient une meilleure prise en compte des logements en accession sociale à la propriété. Très largement intégrés dans les années 1990 dans le cadre de la LOV, leur réintégration dans le quota SRU a été progressive et très débattue.
Aujourd'hui sont pris en compte les baux réels solidaires, les logements financés par un prêt social location-accession (PSLA) pendant cinq ans et les logements HLM vendus à leurs locataires pendant dix ans.
Cet équilibre sans doute imparfait a permis d'atteindre un compromis à l'occasion de la loi ELAN. Il convient de le préserver. Vos rapporteurs ne sont pas favorables à une nouvelle modification de la liste des logements sociaux décomptés sur ce point .
(3) Les demandes locales
Les maires formulent d'autres demandes inspirées de leur situation locale . Deux cas ressortent principalement : les anciens logements miniers ou équivalents et les logements de fonction des militaires ou des fonctionnaires.
• Les anciens logements miniers ou ouvriers
Dans plusieurs régions anciennement ouvrières, des communes ont sur leur territoire un important habitat ouvrier ou minier qui souvent a été vendu à leurs occupants lors de la fermeture de l'activité industrielle. C'est dans la plupart des cas aujourd'hui un habitat social de fait en raison des très faibles revenus de leurs habitants, parfois un habitat dégradé, voire indigne et livré à des marchands de sommeil. Or, parce qu'il est privé, cet habitat n'est pas pris en compte dans le quota SRU, il peut même se trouver dans des villes déficitaires qui ont pourtant un parc social de fait important ! Ces communes, si elles ne bénéficient pas de la DSU, sont soumises à un prélèvement qui est loin de leur apporter les solutions dont elles ont besoin.
Quelle solution apporter ? À la suite de leurs auditions, vos rapporteurs n'ont pas identifié de solution qui s'impose. Leur décompte dans le quota SRU pose le problème de leur dénombrement et ouvrirait la voie à une identification du logement social par son occupant et non par son statut ce qui, là aussi, dénaturerait la loi. Une identification via la pauvreté des habitants des communes ou du fait de l'appartenance de la commune à un programme comme l'Engagement pour la rénovation du bassin minier (ERBM) dans le Nord-Pas-de-Calais pourrait être une solution pour amener à une exonération du prélèvement .
Vincent Hagenbach, maire de Richwiller, Haut-Rhin, 16 % de LLS : « Lorsqu'une commune atteint les 3 500 habitants, ne pas lui demander de rattraper ce qui n'a pas été réalisé (rétroactivité de l'application de la loi...), mais pourquoi pas appliquer 25 % à la place de 20 % sur tous les nouveaux programmes ; ne pas appliquer les 20 % sur les logements sociaux eux-mêmes sans quoi il s'agit d'un rattrapage sans fin (ex dans ma commune actuellement manque de 97 LLS or construction en cours de 71 donc logiquement il devrait en manquer 26, mais non, car il faut en reconstruire 20 % sur 71 soit 14 de plus, plus 3 pour les 20 % de ces 14... ! ! ! L'application des 20 % doit se faire en fonction du nombre de logements privés et non en fonction du nombre total de logements LLS compris - ne pas passer au stade intercommunal pour l'application de la loi sans ou uniquement avec des garde-fous +++ sans quoi ceux qui n'ont pas fait de LLS jusqu'à maintenant continueront de ne pas en faire. Accepter d'autres portes d'entrée que le bailleur social, comme le prix de location au m 2 ce qui permettrait probablement d'avoir un regard plus marqué sur les marchands de sommeil avec une application forte du droit de louer. Tenir compte des anciennes cités minières dont les logements ont été vendus avant l'existence de la loi SRU en 2001 ex. les mines de potasse d'Alsace : 280 logements d'ouvriers dans ma commune et seuls 23 sont comptabilisés, car rachetés par un bailleur social dans les années 1990 ; or comme vous pouvez vous en douter, une population modeste, voire très modeste, occupe ces logements avec bien souvent des loyers inférieurs à ceux des LLS... ! »
• Les logements de fonction des militaires et des fonctionnaires
Le second cas est celui des logements de fonction des militaires et des fonctionnaires. Le sujet est porté par le maire de Versailles, ville qui est dotée de plus 20 % de logements sociaux contrairement à certaines caricatures. C'est aussi une ville où le nombre des logements sociaux a progressé de 21,5 % depuis 2008 contre seulement 4,9 % pour l'ensemble des résidences principales. Plusieurs autres maires ont fait des demandes similaires. François Demazières, maire de Versailles, fait à juste titre observer qu'un grand nombre de militaires sont logés en caserne sur le territoire de sa commune dans des conditions très similaires à des logements sociaux ce qui pèse sur le calcul du taux SRU sans qu'il n'ait aucun levier d'action. Sur le plateau de Satory, on compte 1 400 logements de gendarmes. Par ailleurs, 600 autres logements sont situés en ville. La SNI a refusé de les conventionner. Par ailleurs s'ajoutent à ces casernes les logements des 300 gardiens du château.
Deux solutions sont proposées, soit les prendre en compte dans les logements sociaux, soit les ôter du total des résidences principales, ce qui permettrait, sans fausser les objectifs de la loi SRU, de neutraliser leur effet sur le reste de la politique de la commune.
(4) Les effets de bord négatifs
Enfin, des maires et des acteurs du logement ont rapporté à vos rapporteurs l'effet négatif que constitue la non-prise en compte certains types d'hébergement dans la loi. Sont le plus souvent évoqués les centres d'hébergement d'urgence pour les sans-abri et certaines aires d'accueil pour gens du voyage. Mais on pourrait y ajouter certains centres médico-sociaux où les hébergements d'urgence pour femmes victimes de violences.
Bien entendu, il ne s'agit pas de logement social malgré leur finalité sociale marquée, mais comme l'a souligné la Cour des comptes dans son rapport, les maires, le plus souvent réticents à les accueillir, le sont encore plus dès lors qu'ils n'entrent pas dans le quota SRU.
Dès lors, faut-il les prendre en compte dans le quota pour faciliter la collaboration des communes ?
Vos rapporteurs estiment que la meilleure réponse à ces demandes serait leur prise en compte dans les futurs contrats de mixité sociale plutôt que de chercher à traiter tous les cas particuliers dans la loi . Dans le cadre de la différenciation et de la déconcentration des décisions, ne serait-il pas pertinent, sur la base de principes fixés par la loi, de laisser le préfet juge de l'ensemble des éléments qu'il doit prendre en compte pour estimer l'engagement d'une commune en faveur du logement abordable et de la mixité sociale ?
Si une telle évolution paraissait trop audacieuse pour recueillir un accord suffisant, il faudrait sans doute consentir à modifier la liste des logements éligibles à la marge dans la loi , comme cela s'est déjà fait par le passé, pour éviter certains effets de bord négatifs de la liste actuelle.
3. Respecter les principes constitutionnels : non-automaticité et proportionnalité des sanctions
Depuis l'adoption de la loi SRU en 2000, compte tenu des débats qu'elle a suscités et de ses nombreuses modifications, le Conseil constitutionnel a eu plusieurs occasions de se prononcer sur la conformité de la loi à la Constitution. Par ailleurs, il a été saisi par voie de questions préalables de constitutionnalité (QPC).
Parmi cette jurisprudence, on peut retenir deux principales décisions : celle du 7 décembre 2000 sur la loi initiale et celle du 26 janvier 2017 sur la loi relative à l'égalité et la citoyenneté .
a) La décision du 7 décembre 2000
Par sa décision du 7 décembre 2000, le Conseil a admis le principe des nouvelles obligations faites aux communes par le législateur qu'il n'a estimé contraire ni à la libre administration des collectivités territoriales, ni au principe d'égalité, ni au droit de propriété.
Mais il a censuré les dispositions qui visaient à rendre automatique la déclaration de carence et forfaitaire la sanction financière dès lors que la commune déficitaire n'avait pas respecté ses obligations triennales . En effet, il a estimé que, en ne prenant pas en compte la nature ou la valeur des raisons ayant motivé ce retard dans l'atteinte des objectifs, le législateur avait institué une sanction incompatible avec l'article 72 de la Constitution, car « si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, c'est à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée ».
Le Gouvernement de l'époque en a d'ailleurs tiré les conséquences et a finalement fait adopter un texte rectificatif laissant au préfet une très large latitude pour décréter la carence, prononcer des sanctions et fixer les pénalités majorées .
b) La décision du 26 janvier 2017
La seconde décision est celle du 26 janvier 2017 sur la LEC, où en application de cette jurisprudence il a censuré la disposition qui conduisait à supprimer la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) aux communes carencées. Cette disposition s'appliquait sans proportionnalité par rapport au nombre de logements manquants, sans plafonnement, alors que selon le Conseil, un plafonnement est une des garanties concourant à la préservation des ressources des communes et ainsi au respect du principe de libre administration. Cette disposition censurée conduisait enfin la commune à tomber sous le coup d'un prélèvement voire d'une pénalité sur ses ressources, n'en étant plus exonérée en raison de la perception de la DSU.
Au total, l'absence de plafonnement et de proportionnalité , l'importance de la DSU dans les ressources des communes et la soumission des communes au prélèvement et aux pénalités, alors qu'il s'agissait de communes confrontées à une insuffisance de ressources et supportant des charges élevées, conduisaient selon le Conseil à entraver leur libre administration et ainsi à méconnaître l'article 72 de la Constitution.
Vos rapporteurs souhaitent donc rappeler que toute évolution législative devra respecter ces principes de non-automaticité et de proportionnalité des sanctions. À ce stade, ils ne leur apparaissent pas suffisamment garantis par l'article 14 quinquies du projet de loi qui prévoit que « en cas de carence constatée au titre de deux périodes triennales consécutives, le taux de majoration du prélèvement ne peut être inférieur à 100 % ».