D. MAIS N'A PAS PERMIS DE RÉDUIRE LA SÉGRÉGATION SOCIALE
En revanche, la loi SRU n'a pas permis de réduire la ségrégation sociale et donc d'améliorer la mixité.
1. La loi SRU n'a pas permis de réduire la ségrégation
France Stratégie s'est intéressée aux 20 % des ménages les plus pauvres des aires urbaines étudiées et a cherché à savoir si leur répartition était plus homogène. Entre 2012 et 2018, l'indice de ségrégation est resté stable autour de 31 % 15 ( * ) .
En utilisant un autre critère, la proportion de ces ménages qui habitent dans un quartier où ils sont surreprésentés, les auteurs observent le même résultat. En 2018 comme en 2012, 8 % des ménages appartenant aux 20 % les plus pauvres vivent dans des quartiers où ils représentent plus de 40 % des ménages. Ils sont 48 % dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, là aussi stable sur la période étudiée.
Enfin, la part des ménages modestes au sein des communes déficitaires au regard de la loi SRU est elle aussi stable autour de 15,5 % entre 2012 et 2018.
Selon leurs travaux, à l'échelle des 55 unités urbaines étudiées, la baisse constatée de dix points de l'indice de ségrégation du logement social n'a conduit qu'à un point de baisse de celui des ménages du premier quintile de revenu.
Sur ce sujet aussi, les travaux de Kevin Beaubrun et Tristan-Pierre Maury viennent confirmer ces résultats tout en donnant un éclairage complémentaire et un peu différent.
S'ils avaient pu montrer une meilleure répartition du logement social, ils montrent que la ségrégation selon le revenu a progressé et plus particulièrement entre les 20 % les plus pauvres et le reste de la population .
Ainsi, entre 1999 et 2015, la ségrégation de l'ensemble des quintiles de la population française selon le revenu a progressé de 2 % à l'échelle communale et de 3 % à l'échelle cadastrale. Mais la ségrégation spatiale des 20 % les plus pauvres a progressé beaucoup plus vite : + 9 % à l'échelle des communes et + 10 % à celle des sections cadastrales. L'évolution est encore plus forte si on s'intéresse aux 10 % les moins riches pour lesquels la ségrégation progresserait de l'ordre de 20 %. En revanche, une meilleure mixité entre classes moyennes et classes supérieures est relevée.
Par ailleurs au sein du parc social, la pauvreté s'est concentrée . Le premier quintile représentait 35,73 % des ménages vivant en HLM en 1999, ils sont 44,27 % en 2015. En revanche, ils sont moins présents dans le parc privé (- 1 point sur la période à 15,69 % en 2015).
2. Les explications principales : nature universelle du logement social en France et politiques de construction et d'attribution
Les chercheurs de France Stratégie évoquent plusieurs pistes d'explication qui montrent les limites de la loi SRU dans son approche de la mixité sociale à travers le logement social :
• 60 % des ménages du premier quintile sont locataires du parc privé ou propriétaires . L'évolution du parc social les impacte donc marginalement ;
• Les quartiers où se trouvent beaucoup de logements sociaux se sont paupérisés , contrebalançant la diffusion des logements sociaux. Ils constatent que dans plusieurs zones où il y a plus de 80 % de logements sociaux, la part des ménages du premier quintile a augmenté de deux points ;
• Dans les quartiers où sont construits les nouveaux logements sociaux, on assisterait à un phénomène de substitution entre parc privé et social au profit des ménages modestes qui s'y trouvaient déjà ;
• Le type de ménages accédant aux nouveaux logements sociaux serait lié aux quartiers où ces logements sont créés. Ils sont souvent plus aisés dans les villes plus riches ;
• Ces deux phénomènes s'expliqueraient par les loyers plus élevés des logements sociaux les plus récents qu'ils soient en PLS ou non et par une forme de « préférence communale » dans les attributions ce que confirment les travaux de sociologie.
Les travaux de Kevin Beaubrun et Tristan-Pierre Maury ouvrent des perspectives complémentaires, la moindre ségrégation entre classes moyennes et classes supérieures pourrait résulter d'une préférence des communes les plus aisées pour les logements les moins sociaux, jusqu'à pour quelques-unes d'entre elles atteindre 100 % de la production. Mais ces quelques communes n'expliqueraient pas un phénomène aussi large, il est également très probable que la hausse des coûts du foncier et le caractère mixte des opérations contraignent, pour équilibrer financièrement les opérations, à privilégier les PLUS et PLS par rapport aux PLAI . Alors qu'ils représentaient un pourcentage faible des opérations avant l'an 2000, ils sont devenus incontournables.
Ce diagnostic est plutôt confirmé si l'on regarde les populations vivant dans les HLM selon leur date de construction, les HLM les plus anciens ayant les loyers les moins chers et se situant dans les quartiers HLM datant d'avant la loi SRU. Les ménages vivants dans les HLM datant d'avant 1999 sont plus pauvres et vivent dans des quartiers à la fois plus denses en HLM et où il y a plus de ménages pauvres .
3. Aller au-delà du logement pour lutter contre la ségrégation
Ces résultats particulièrement décevants en matière de mixité sociale sont soulignés par les chercheurs. Thomas Kirszbaum, chercheur en sociologie qui coordonnait la partie scientifique du colloque sur les 20 ans de la loi SRU, affirmait : « L'article 55 n'a en rien permis de répondre à l'enjeu pour lequel il a été inventé : celui de la concentration de la pauvreté et des minorités ethniques dans les quartiers concernés par la politique de la ville » 16 ( * ) .
Ce constat ouvre deux pistes un peu différentes, mais complémentaires, l'une est celle des travaux de sociologie s'inspirant notamment de l'expérience américaine, l'autre est celle proposée par l'Institut Montaigne dans son rapport Les quartiers pauvres ont un avenir .
Comme cela a déjà été évoqué, les travaux de sociologie ont plutôt montré qu'il était très difficile de résorber la distance sociale par la proximité spatiale et donc contribué à démythifier la mixité sociale. Ils pointent le fait que le désir d'entre-soi, quoique différemment exprimé, existe aussi bien dans les quartiers bourgeois que dans les quartiers pauvres. L'expérience de la rénovation urbaine a mis en évidence le fait que leurs habitants souhaitaient plutôt rester dans leur commune et à proximité de leur quartier où se trouvent toutes leurs relations et solidarités de proximité.
En « fétichisant » le quota de logements sociaux, la loi SRU et le débat politique adoptent vraisemblablement une vision trop figée de la mixité sociale et en tout cas trop liée au bâti et à la typologie des logements. Le quota devient un objectif plutôt qu'un moyen , ce qu'a pu souligner un autre sociologue, Fabien Desage.
Il faudrait au contraire adopter une vision dynamique de la ségrégation et par exemple s'intéresser au déverrouillage des parcours résidentiels des populations et plus particulièrement celles qui s'inscrivent dans un parcours ascendant . Ce serait plus particulièrement vrai pour les minorités ethniques. Certains ont pu pointer le tabou de l'immigration dans la loi SRU alors que les ménages qui en sont issus font partie des populations pauvres vivant dans les quartiers populaires des grandes métropoles et que l'idée même de quota est issue des questions posées par leur accueil dans ces grands ensembles. Thomas Kirszbaum, qui collabore avec l'université du Minnesota, souligne cette différence frappante avec les États-Unis où, volontairement ou suite à des actions en justice, des programmes actifs de mixité résidentielle ont été mis en place ainsi que pour accompagner des démarches émancipatrices.
L'Institut Montaigne a abordé la question sous un angle plus géographique sous la direction de l'auteur du rapport, Hakim el Karoui 17 ( * ) . Il s'est intéressé aux quartiers pauvres des grandes métropoles qui se distinguent fortement dans leurs problématiques des quartiers prioritaires des villes moyennes ou des zones en déprise économique. Dans les métropoles, les quartiers pauvres ont connu des évolutions majeures depuis le début des années 1980 avec notamment une concentration exceptionnelle de populations d'immigration récente. Ces quartiers et leurs populations ne doivent pas être regardés de manière statique, mais de manière dynamique. Ce sont des sas d'arrivée et d'intégration à l'économie des métropoles. Ce sont également d'importants producteurs de richesse. Du fait de leur jeunesse, ces quartiers bénéficient beaucoup moins que d'autres des transferts sociaux au profit des populations plus âgées en raison du poids des retraites et des remboursements médicaux. Ils sont même contributeurs nets en termes de transferts sociaux comme le département de Seine-Saint-Denis contrairement aux idées reçues.
Pour Hakim el Karoui, sans négliger l'outil central que constitue le logement et sans nier l'impact transformateur de l'ANRU, il est néanmoins nécessaire de sortir du « tout bâtiment » et du « tout logement » dans les politiques en faveur de la mixité . À l'instar de Thomas Kirszbaum qui rappelait l'enjeu initial de la loi SRU, il souligne que la moitié des djihadistes français ayant rejoint Daech sont issus des QPV de seulement 48 communes. Au-delà de « l'ANRU des bâtiments », il est pour lui nécessaire d'inventer une « ANRU des habitants ». Les moyens à mobiliser ne sont pas insurmontables, la politique de la ville, pourtant souvent décriée, coûte 800 € par an et par habitant. Il est possible d'être plus efficace et de consacrer des moyens appropriés à une question devenue essentielle pour la société française .
* 15 L'indice de ségrégation correspond à la part ici des logements sociaux qu'il faudrait « déplacer » d'un quartier à l'autre pour que leur part parmi les logements soit la même dans tous les quartiers de l'unité urbaine.
* 16 La Gazette des communes, 16 mars 2021.
* 17 Institut Montaigne, Les quartiers pauvres ont un avenir , 2020, op.cit.