INTRODUCTION

Peu de lois en France acquièrent le statut particulier d'avoir été l'occasion de profondes controverses idéologiques et de batailles juridiques, de susciter des débats passionnés, d'être des marqueurs du clivage politique, voire de diviser au sein des familles et en même temps d'être désormais une sorte d'acquis, car ses objectifs, le logement et la mixité sociale sont de plus en plus partagés.

L'article 55 de la loi SRU, qui impose un pourcentage minimum de logements sociaux dans près de deux mille communes de France a ce privilège. Il a d'ailleurs pris une telle importance qu'il a éclipsé les autres dispositions de la loi n o 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Il est communément désigné sous le vocable de « loi SRU » à lui seul.

20 ans après son adoption en 2000 , le débat est moins vif, mais pas complètement apaisé. Il est temps d'en dresser un bilan, car ses dispositions auraient dû prendre fin du fait de leur succès. Ne devait-on pas atteindre 20 % de logements sociaux en 2022 puis 25 % en 2025 ? Las, tel ne sera pas le cas, la loi devrait être prorogée sans limite de durée à l'occasion du projet de loi de déconcentration, décentralisation, différenciation et décomplexification , dit « 4D », entrant ainsi durablement dans notre droit.

Nous sommes donc à une charnière, celle où une loi de mission se transforme en principe stable d'organisation du territoire et de la vie collective.

À ce moment important, la commission des affaires économiques du Sénat a décidé d'en réaliser une évaluation pour proposer des adaptations et assouplissements .

Les analyses et les propositions formulées s'inscrivent à la suite de celles de la Commission nationale SRU présidée par Thierry Repentin 1 ( * ) , et celles de la Cour des comptes saisie par la commission des finances du Sénat 2 ( * ) .

Outre le travail traditionnel de documentation, d'audition et de visites de terrain, les rapporteurs ont souhaité s'appuyer sur une large consultation des maires via le portail dédié du site internet du Sénat . Elle a été réalisée du 15 mars au 15 avril 2021 . Quelque trois cents maires y ont répondu auxquels s'ajoutent ceux également fort nombreux qui ont écrit directement aux rapporteurs. Au total, ce sont près de 400 maires qui ont participé sur environ 2 000 communes concernées par la loi SRU et 1 000 communes déficitaires .

Les rapporteurs leur adressent leurs plus vifs remerciements pour avoir pris le temps de contribuer au travail du Sénat et assurer ainsi des remontées de terrain pragmatiques loin des clichés dans lesquels certains voudraient enfermer les maires et leurs communes dès lors qu'ils n'atteignent pas encore les objectifs fixés.

Plus d'une centaine de maires ont contribué plus longuement en faisant part de leurs réflexions, des difficultés rencontrées et de leurs propositions. L'ensemble de ces contributions forme une sorte de « cahier de doléances de la loi SRU ». Même si elles n'en approuvent pas l'intégralité, vos rapporteurs ont souhaité les restituer largement et, autant que possible, in extenso. L es maires méritent d'être écoutés et qu'on entende leur part de vérité . La loi a atteint l'âge adulte, il serait donc temps d'arrêter d'infantiliser les maires !

Le résultat peut-être le plus important de la consultation est sans doute que près de 70 % des maires qui se sont exprimés jugent « utile » la loi SRU, alors que pourtant plus de 70 % ont un déficit en logements sociaux. Mais, dans le même temps, ils sont 73 % à la juger « inefficace » et 82 % pensent que les objectifs sont irréalistes .

C'est tout l'objet de ce rapport que de trouver les moyens de construire un pont entre les deux rives de cette réalité .

*

Les rapporteurs ont retenu une démarche en deux temps . Elles ont tout d'abord voulu effectuer une évaluation dépassionnée de loi SRU, sans en faire un totem intouchable ou à abattre, ni y voir un tabou. Elles ont voulu en mesurer les avancées et les manques .

Elles proposent ensuite d'adapter la loi sans exonérer les communes de leurs responsabilités, de différencier sa mise en oeuvre afin d'en faciliter l'acceptation et l'application . Elles souhaitent également renforcer le volet mixité sociale de la loi .

Ces propositions sont faites dans un esprit pragmatique afin de trouver un équilibre, un compromis, afin que la loi SRU, dans ses objectifs de diffusion du logement social et de mixité, comme dans ses déclinaisons, apparaisse de plus en plus comme un objectif mieux accepté .

Focus sur la consultation des maires

Les quelque 300 communes ayant répondu sont aux deux tiers soumises au taux de 25 % et 12,4 % d'entre elles sont exemptées.

Plus de 50 % des communes sont entrées dans les dispositifs dès 2000 ou 2001 et plus des trois quarts depuis 2013. Logiquement, elles ne sont donc que 15,6 % à bénéficier de triennats supplémentaires pour réaliser leurs objectifs. 92 % n'ont pas connu d'entrée-sortie du dispositif et 83 % aucune variation de l'objectif en dehors du passage de 15 à 20 % et de 20 à 25 %.

Bénéficiez-vous de périodes triennales au-delà de 2025 ?

77 % des communes qui ont répondu sont déficitaires, mais 17,6 % avaient atteint leur objectif dès l'origine et 5,5 % y sont parvenues grâce à un rattrapage.

Si la très grande majorité des communes mentionnent un déficit quantitatif, 4 % indiquent également un déficit à titre qualitatif par excès de PLS ou insuffisance de PLAI.

La commune a atteint ses objectifs :

La commune est déficitaire :

Parmi les communes déficitaires ayant répondu, 42,4 % sont carencées , soit une surreprésentation assez importante de cette catégorie qui est vraisemblablement plus motivée pour s'exprimer.

32 % des communes sont exonérées du prélèvement en raison de leur déficit en logements sociaux. 55 % d'entre elles bénéficient de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et disposent déjà d'un volume significatif de logements sociaux, et 45 % sont exonérées pour trois ans, car elles viennent d'entrer dans le dispositif.

I. 20 ANS, LE TEMPS D'UNE ÉVALUATION DÉPASSIONNÉE ?

20 ans après son adoption, il semble possible de procéder à une évaluation dépassionnée de la loi autour de quatre points :

• Son contenu idéologique reste clivant,

• Son acceptation et son application restent difficiles même si son objectif général, la construction homogène de logements sociaux, est de moins en moins contesté,

• Des résultats probants ont été obtenus en matière de production de logements sociaux sur tout le territoire,

• Les résultats sont décevants en matière de mixité sociale.

A. UN SUJET TOUJOURS ÉPIDERMIQUE

Les débats autour de la loi SRU ont été clivants et certains des principes qui la sous-tendent continuent de dessiner deux France. Par ailleurs, son contenu pour partie plus idéologique ou incantatoire que pragmatique nuit à la crédibilité et au caractère réellement atteignable des objectifs énoncés.

1. Un référentiel politique qui reste clivant

La promotion du logement social afin qu'il représente une proportion significative des logements des communes continue de diviser. Elle paraît opposer une matrice dite de gauche à un référentiel dit de droite. Sans rouvrir un débat qui a pu être difficile, il ne serait pas conforme à la réalité de l'escamoter.

a) Collectif, public et locataire, contre individuel, privé et propriétaire

Promouvoir le logement social, ce serait promouvoir un habitat à propriété publique financé par l'impôt et corrigeant des insuffisances du marché libre, au détriment de la propriété et de l'initiative privée.

Le logement social est également représentatif d'un logement collectif à la dimension uniformisante ou embrigadante qui s'opposerait au logement individuel porteur d'autonomie et de liberté.

Le logement social est un logement locatif qui s'opposerait à l'aspiration de chacun à devenir propriétaire et, a fortiori , d'un logement individuel.

Ces grandes divisions restent bien présentes et on les retrouve dans les remontées des maires. Certains d'ailleurs dans un moment d'emportement ont pu, devant vos rapporteurs, qualifier cette loi de « soviétique ».

On sait cependant que la réalité et les pratiques dépassent ces clivages. En France, le logement social a été largement promu par les entreprises pour leurs salariés notamment à travers le 1 % logement, créé en 1943 par le patronat du Nord et devenu aujourd'hui le groupe Action Logement. Ce modèle forgé après-guerre explique d'ailleurs qu'environ 70 % des Français soient éligibles. La France a adopté un modèle dit « universel » du logement social et non « résiduel » qui ne viserait à loger que les personnes les plus en difficulté comme dans d'autres pays.

L'articulation entre logement social et accession à la propriété s'envisage plus en termes de parcours résidentiel et de mobilité au sein du parc social dans ses différentes composantes. Le phénomène des copropriétés dégradées est, en outre, venu apporter un bémol à la vision trop large de l'accession à la propriété si les ménages n'en ont pas les moyens.

Jean-Luc Tronco, maire d'Escalquens, Haute-Garonne, 19 % de logements locatifs sociaux (LLS) : « La politique du quota est toujours artificielle, injuste et déconnectée des réalités locales et porteuses de nombreux effets pervers : effets de seuil, effets d'aubaine, etc. En outre, cette loi véhicule une politique sociale idéologique selon laquelle il faut offrir des logements bon marché en location à toujours plus de monde. Il s'ensuit un appauvrissement qualitatif des logements, le maintien de la population dans une forme de dépendance vis-à-vis de l'État. Je propose plutôt de permettre l'accession à la propriété au plus grand nombre ou d'augmenter le pouvoir d'achat des familles. »

Isabelle Pargade, maire d'Hasparren, Pyrénées-Atlantiques, 7 % de LLS : « Augmenter les ratios d'opérations en Bail Réel Solidaire (au-delà de 30 %) pour permettre 60 à 70 %. Le modèle d'accession sociale est bien plus pertinent que celui en location sociale, notamment en zone rurbaine ou une identité agricole subsiste. Ce modèle est de nature à répondre à une demande locale, bien plus que de la location. Par ailleurs, il semblerait pertinent de territorialiser l'attribution des logements locatifs, afin, là aussi, de prioriser la demande locale. »

Christian Siman, maire de La Crau, Var, 8 % de LLS : « Le taux de réalisation de 25 % n'est ni réaliste ni souhaitable. Un logement social ne rapporte pas d'argent aux communes, mais consomme des services (écoles, crèches, stades...). Une partie des populations éligibles nécessite un accompagnement important. Par ailleurs, exiger qu'un quart de la population soit locataire de son logement n'est pas forcément très pertinent. Le dispositif de la loi SRU devrait au contraire privilégier l'accession sociale : les PSLA et BRS devraient être encouragés. Les objectifs devraient être recentrés sur les flux et non sur le stock de logements en tenant compte des besoins propres à chaque ville. »

b) Surveiller et punir

Pour beaucoup de ses détracteurs, la loi SRU a eu aussi un aspect punitif marqué. Il fallait faire payer les communes riches et les obliger à accueillir des logements sociaux qu'elles auraient jusque-là rejetés.

Cette approche a été ressentie comme une violence et bien souvent comme une injustice tant, dans notre pays, le paysage urbain est plus le résultat d'une histoire industrielle et des décisions passées d'aménagement de l'État que le résultat des volontés des maires des années 1990 ou 2000 pour ou contre le logement social. Au-delà de la bonne ou mauvaise volonté, c'est l'histoire, la géographie, les grands aménagements qui pèsent sur le profil d'une commune. Certaines connaissent une concentration de logements sociaux, d'autres en ont très peu, les unes et les autres ont pour des raisons différentes beaucoup de difficultés à orchestrer un changement profond et progressif. D'autres communes, pas nécessairement pauvres, ont depuis l'origine un partage plus équilibré.

Olivier Guirou, maire de La Fare-les-Olivier, Bouches-du-Rhône, 9 % de LLS : « L'État a été responsable du logement social dans les communes jusqu'à la loi SRU. Dans ma commune il n'a réalisé aucun logement social et "tout d'un coup", quand ce sont les communes qui en ont eu la compétence, il a dit "vous avez trop de retard (à cause de qui ?), vous devez payer". On a vraiment l'impression que ces pénalités ne servent qu'à équilibrer les comptes de la DDTM. Alors qu'à La Fare-les-Oliviers on a une grande volonté depuis 15 ans de faire du logement social (300 logements sociaux réalisés). À tel point qu'on oblige les opérateurs, grâce à notre règlement du PLU, à faire 50 % de logement social dans chaque opération. De plus, cette obligation de faire du logement implique de nouvelles crèches, de nouvelles écoles, du périscolaire supplémentaire, de nouvelles routes  etc., avec une aide de l'État (Dotation de soutien à l'investissement local - DSIL) insignifiante. Enfin comment notre commune pourrait-elle rattraper l'incurie de l'État en construisant 800 logements sociaux d'un coup pour un village de 9 000 habitants ? Merci pour votre questionnaire. »

Brigitte Bochaton, maire de Jacob-Bellecombette, Savoie, 37 % de LLS : « IL FAUT ARRÊTER DE STIGMATISER LES MAIRES ET SURTOUT ÉVITER DE FAIRE UN COPIER-COLLER AVEC PARIS ET LA RÉGION PARISIENNE ! ! ! Le logement social en province c'est du véritable logement social il se fait régulièrement en sachant qu'une construction c'est long surtout lorsqu'il y a des recours. Mais il est inutile de PUNIR les maires qui prennent souvent la suite d'un héritage très lourd qu'ils vont devoir assumer. Il serait bien aussi que les techniciens de l'État comprennent que CONSTRUIRE cela prend du temps... Par exemple, pour construire une ZAC de 250 logements il faut parfois plus de 10 ans. C'est ce que j'ai vécu, alors il serait bien que nos administratifs et élus qui ne vont pas sur le terrain se disent qu'entre les calculs savants et les statistiques qu'ils produisent il y a celles et ceux qui chaque jour travaillent sur un chantier pour construire... mais que "Paris ne s'est pas fait en un jour"... la preuve ! ! ! À Paris le logement social c'est tout une histoire qui ne concerne malheureusement pas la province. Ne pas l'oublier Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs ! Éviter de produire encore des lois compliquées, les lois s'entassent et ne servent à rien ! Passons de l'abstrait au concret c'est ça l'urgence d'aujourd'hui ! Merci »

c) « Name & Shame » versus « Reward Policy »

À ces marqueurs politiques traditionnels est venue s'ajouter la pratique plus récente et importée d'outre-Atlantique du « Name & Shame », c'est-à-dire de livrer des noms à la réprobation générale pour les couvrir de honte.

Cette méthode remise au goût du jour par les activistes de gauche est aujourd'hui largement diffusée et beaucoup l'estiment à la fois morale et efficace.

Ainsi, les villes déficitaires qui ne remplissent pas leurs objectifs fixés par la loi SRU sont-elles livrées à la vindicte médiatique, stigmatisées via des listes publiques ou du fait de leur carencement.

Cette situation est très mal vécue par les maires d'autant qu'ils ne sont bien souvent pas à même de faire valoir leurs arguments. Il n'est pas certain non plus que la méthode soit pleinement efficace puisque bien souvent ils disposent d'un fort soutien de leur population et qu'elle ne fait pas émerger de projets de logements sociaux là où il n'y a, par exemple, pas de foncier disponible.

Parfois même, et vos rapporteurs en ont rencontré plusieurs exemples, les maires sont montrés du doigt et punis alors qu'ils n'ont jamais autant construit de logements sociaux. Caricaturer n'aide pas à dialoguer . Il faudrait au contraire encourager les maires et reconnaître leurs efforts, avoir une véritable « reward policy » .

Yannick Fetiveau, maire de Pont-Saint-Martin, Loire-Atlantique : « - Une diminution des objectifs pour des communes SRU isolées dans leur EPCI. Les objectifs sont inatteignables et engendrent un aménagement non maîtrisé de la commune avec le cumul des opérations programmées avec 35 % de LLS et l'ajout des divisions parcellaires. Exemple à Pont Saint-Martin : 645 logements en 6 ans pour 276 log programmés au PLU. --> saturation des équipements publics

- Une territorialisation des objectifs en lien avec le préfet de Région à l'instar des objectifs des PLH. L'objectif LLS est alors mis en cohérence avec les objectifs du PLU, la taille de la commune, sa capacité budgétaire, son ancienneté dans l'obligation, etc...

- La prise en compte du taux d'effort = le % de LLS réalisé sur les opérations groupées, programmées en excluant la prise en compte des constructions nouvelles dans le secteur diffus (divisions parcellaires).

Exemple Pont St Martin : Obj PLU/6ans : 276 log --- Réalisés : 288 log dont 38 %de LLS (opérations groupées) + 385 log en diffus dans le cadre de la densification et des divisions parcellaires. Un taux d'effort exceptionnel, MAIS mise en carence de la commune au 1er janvier 2021. C'est kafkaïen.

- La mutualisation des logements sociaux pour des communes isolées au sein d'une EPCI présentant un PLH, soit la prise en compte des LLS des autres communes (au-delà des objectifs LLS fixés dans le SCoT) dans l'inventaire SRU de la commune isolée.

- A minima , lissage des objectifs de rattrapage sur une période beaucoup plus longue. Incohérence de la loi qui permet aux communes SRU, depuis 2015, de rattraper sur 5 périodes triennales. Pour ma commune, SRU depuis 2012, 3 périodes triennales uniquement.

- Arrêt des sanctions : Passage à une politique d'incitation et d'accompagnement.

- Prise en compte de la surface plancher et non du nombre de logements. Si je remplace les T3, T4 et T5 par des T2 et T1 bis , alors je produis plus de logements sans répondre à l'attente des familles notamment monoparentales. Une politique du chiffre inadaptée.

- Augmenter le nombre de communes SRU avec une diminution des objectifs pour chacun en périurbain. Actuellement, des communes plus éloignées de la métropole ne sont pas intégrées dans l'unité urbaine. Pour autant, elles bénéficient du train par exemple et sont donc plus enclines à accueillir de nouvelles populations sans moyen de locomotion. Quel manque d'équité dans les secteurs périurbains ! Il faut reconsidérer ce concept d'appartenance à l'unité urbaine et travailler sur la périurbanité au sens large.

Conclusion : Pour la période 2020/2022, j'ai une obligation de rattrapage de 245 LLS en trois ans pour un PLU qui prévoit 276 logements en 6 ans avec de surcroît sans doute une impossibilité de réaliser un lotissement de 150 logements avec 35 % de LLS au regard de l'inventaire biodiversité et ZH en cours. Si nous ajoutons le ZAN, autant lancer "un TGV à grande vitesse face à un mur". Cette loi dont nous épousons les fondements doit être révisée. Il y a urgence pour nos territoires. Décongestionnons, décentralisons, expérimentons ! Les maires de bonne volonté ne sont pas accompagnés. Au contraire, ils sont mis en carence avec des pénalités supplémentaires et une perte de droits (gestion des DIA et attribution des LLS). Quant à la sanction supplémentaire de 30 % de mixité sur les opérations de plus de 10 logements lors de la mise en carence, elle contribue à l'augmentation du prix de sortie des appartements lors de la vente. Cette sanction n'est pas égalitaire, elle exclut les CSP intermédiaires notamment avec un coût du foncier en très forte évolution dans les communes périurbaines (+ 20 %). L'aménagement du territoire s'inscrit sur de la programmation dans le temps. La temporalité des périodes triennales est incompatible. Il faut sur des petites communes entre 3 et 5 ans pour sortir une opération. Il est impossible de rattraper l'histoire d'une commune en 9 années d'autant que l'on comptabilise l'ensemble des constructions nouvelles en diffus. En multipliant par 2,5 le nombre de LLS en six ans, nous progressons très peu avec la multiplication des résidences principales nouvelles en diffus. L'objectif des 25 % est totalement inapproprié pour des communes isolées à fort potentiel foncier dans les villages notamment. Je suis à la disposition de votre commission d'évaluation pour apporter toute mon analyse de cette situation que je qualifie de "kafkaïenne". Ma commune est un cas d'école. »

2. Un contenu plus idéologique et déclaratoire que pragmatique

20 ans après son adoption, la loi SRU paraît victime du décalage entre son caractère déclaratoire et la possibilité effective d'atteindre les objectifs fixés.

a) Le logement social, un instrument central, mais partiel

La loi SRU avait pour objectif d'apporter une solution aux problèmes sociaux créés par la concentration de la pauvreté dans certaines zones ou quartiers. Dans ce but, elle visait à la dispersion des populations qui posent des difficultés. Les diluer voire les dissoudre dans des environnements plus favorisés devait être le résultat de la mixité sociale souhaitée.

Son principal outil est le logement social et l'instauration d'un objectif quasi uniforme sur tout le territoire de logements sociaux dans les communes autour des grandes villes, d'abord de 15 à 20 % puis, à partir de 2013, de 20 à 25 %. La répartition homogène du logement social est censée corriger sa concentration excessive dans certaines zones et son insuffisante disponibilité dans d'autres.

Mais l'outil est en réalité trop grossier pour parvenir à ces fins. C'est caricaturer le logement social que de l'assimiler à la fois à la pauvreté et aux problèmes sociaux ou de sécurité alors que 70 % de la population est éligible. Dans bien des communes pauvres, les locataires du parc privé sont plus fragiles que ceux du parc public. Construire ou détruire des logements sociaux, déplacer des populations ne suffit pas à régler les difficultés rencontrées même si c'est un adjuvant puissant comme l'a montré la politique de rénovation urbaine.

b) Un objectif de 25 % en 2025 plus incantatoire qu'objectif

La loi SRU souffre également d'avoir fixé un objectif sans fondement autre que politique, voire idéologique ou purement déclaratoire. En 2000, la loi fixait un objectif de 20 % de logements sociaux en 2022, en 2013, la majorité de l'époque retenait 25 % en 2025... Pourquoi pas 30 % en 2030 voire au-delà ?

Lors du colloque sur les 20 ans de la loi SRU 3 ( * ) , Louis Besson, ministre du logement au moment de l'adoption de la loi, soulignait lui-même que la fixation de l'objectif avait été essentiellement politique. Le chiffre de 20 % a été retenu, car il correspondait alors à la moyenne nationale. L'idée était donc d'amener toutes les grandes villes au moins à ce niveau moyen. Ce chiffre ne repose donc ni sur une analyse des besoins en logements sociaux, ni sur celle des besoins en répartition des logements sociaux excédentaires dans certaines zones géographiques et encore moins sur une analyse sociologique qui identifierait un taux de mixité sociale idéal ou souhaitable.

Ce chiffre de 20 % a été admis, car il est en fait l'héritage de dispositifs antérieurs et a été perçu comme une donnée acquise. Dès la fin des années 1970, l'État cherche à résoudre les problèmes sociaux posés par les grands ensembles et à répartir les ménages défavorisés. C'est l'un des objectifs des programmes Habitat et vie sociale (HVS) et de la circulaire du 3 mars 1977 en matière de politique d'attribution. Au début des années 1980, la loi Deferre confie cette mission aux programmes locaux de l'habitat (PLH) et aux chartes intercommunales sur une base volontaire.

C'est déjà Louis Besson qui va, en 1990, franchir une étape importante en agissant sur les attributions (loi du 31 mai 1990) et, avec la loi d'orientation sur la ville, dite « LOV », du 31 juillet 1991 , en inscrivant dans les textes la nécessité d'un rattrapage de production de logements sociaux dans les communes qui en avaient le moins. C'est à ce moment qu'est fixé l'objectif de 20 % de logements sociaux parmi les résidences principales des communes de plus de 3 500 habitants situées dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants et non couvertes par un PLH.

Mais les recherches montrent aussi que cette idée de quota ou de seuil proviendrait des politiques de peuplement des grands ensembles où, dans les années 1970, les pouvoirs publics ont notamment voulu limiter la présence de familles d'Afrique du Nord à 15 ou 20 % des logements 4 ( * ) , politique qui aurait été ensuite poursuivie dans les attributions des bailleurs sociaux.

c) Le mythe de la mixité sociale passée

La loi SRU présuppose également que la mixité sociale soit un bien en soi et qu'il faille retrouver une mixité sociale qui aurait disparu.

Les exemples les plus souvent cités sont les villes du XIX e siècle telles qu'elles sont représentées dans les grands romans sociaux d'Émile Zola ou Balzac... À ces auteurs s'attache l'idée d'une mixité sociale verticale dans le Paris de l'époque où les classes privilégiées habitent au 1 er , « l'étage noble », puis les autres des plus aisés au plus pauvres en montant les étages jusque sous les toits. On retrouve cette image dans Le Père Goriot et la description de la pension Vauquier. Elle est aussi présente dans des romans historiques. Alexandre Dumas ne conclut-il pas Vingt ans après par cette phrase de d'Artagnan : « Madeleine, dit le Gascon, donnez-moi l'appartement du premier ; je suis obligé de représenter, maintenant que je suis capitaine des mousquetaires. Mais gardez-moi toujours la chambre du cinquième ; on ne sait ce qui peut arriver ».

Cette mixité verticale de la ville du XIX e siècle et des siècles antérieurs est le résultat des nécessités, notamment l'absence de transports rapides et donc l'impossibilité de spécialiser les espaces ou de séparer certaines populations.

Pour autant, en faire une généralité c'est sans doute en faire un mythe, car comme le relevait l'économiste Bernard Coloos dans son livre 15 Questions de politique du logement , cette mixité « historique » n'était pas si naturelle. Au début de son chapitre sur les quotas de logements sociaux, il cite une lettre de François Miron à Henri IV sur l'aménagement de l'île de la Cité à Paris : « C'est une malheureuse idée de bâtir des quartiers à l'usage exclusif d'artisans et d'ouvriers... Il ne faut pas que les petits soyent d'un côté et les gros et dodus de l'autre ». De fait, dans l'organisation de Paris, les quartiers pauvres et les quartiers riches ont également un substrat historique marqué, souvent toujours actuel et en tout cas visible dans l'architecture.

Mais à plus grande échelle, c'est la révolution industrielle et l'exode rural vers des régions qui se spécialisent dans l'exploitation du charbon, de l'acier ou les filatures qui conduit à dessiner un habitat ouvrier particulier et spécialisé qu'il soit social ou privé. L'effort de reconstruction dans les grandes villes viendra amplifier cette segmentation.

Par ailleurs, vivre dans les mêmes lieux n'est pas nécessairement synonyme de « vivre ensemble » ou de mixité. Dans son essai intitulé L'impasse de la métropolisation 5 ( * ) , l'historien Pierre Vermeren qui dénonce la scission spatiale des métropoles et de leurs élites par rapport au reste du pays, jette un regard sans affect sur la réalité de cette vie en commun : « La France du XIX e siècle qui s'est prolongée par certains aspects jusqu'aux années 1970, selon les régions et les milieux, était un pays dans lequel les élites étaient dispersées dans le peuple : elles vivaient non pas comme le peuple, mais avec le peuple, par un contact quotidien ».

d) Une mixité sociale toujours heureuse ?

La loi SRU porte également l'idée que la mixité serait essentiellement source de bienfaits et devrait être recherchée pour elle-même . La cohabitation dans le même quartier, dans la même résidence dans le cadre de programmes mixtes de logements libres et sociaux, voire dans la même cage d'escalier, devrait être organisée, car elle permettrait aux uns et aux autres de s'ouvrir à de nouvelles réalités ou des résoudre les difficultés.

Plusieurs sociologues ont au contraire souligné les limites de cette vision et ont mis en avant des conflits de cohabitation à travers des études de cas anciennes comme plus récentes. Si les habitants les plus aisés peuvent avoir un sentiment de déclassement, le souhait d'entre soi n'est pas forcément moins fort chez les habitants moins favorisés. Lors du colloque sur les 20 ans de la loi SRU, le chercheur Thomas Kirszbaum avait rappelé ce consensus disciplinaire depuis les travaux, publiés en 1970, de Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire sur la difficulté de résorber les distances sociales à travers la proximité spatiale .

Les travaux sociologiques, notamment anglo-saxons, tendraient plutôt à montrer que la mixité ne fonctionne que lorsqu'elle est limitée en termes de catégories de revenus. Les classes les plus ouvertes à la mixité sont les classes moyennes et les classes populaires en mobilité ascendante. A contrario , si les différences sont trop accentuées, il n'y a plus d'interaction voire des conflits.


* 1 Rapport à la ministre du logement du 27 janvier 2021.

* 2 L'application de l'article 55 de la loi SRU , février 2021.

* 3 Journée d'études du comité ministériel d'histoire , avec le soutien de l'Union sociale pour l'habitat, vendredi 22 janvier 2021 : « L'article 55 de la loi SRU, 20 ans après. Rééquilibrer l'offre de logement entre les territoires, ambitions et controverses ».

* 4 Fatiha Belmessous, « Du "seuil de tolérance" à la "mixité sociale" : répartition et mise à l'écart des immigrés dans l'agglomération lyonnaise (1970-2000) », Belgeo : Revue Belge de Géographie, National Committee of Geography of Belgium, Société Royale Belge de Géographie, 2014.

* 5 Gallimard, collection Le débat, Paris, 2021, 108 p.

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