• EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 mai 2021, la commission a approuvé le rapport de Mme Dominique Estrosi Sassone et Mme Valérie Létard sur l'évaluation de l'article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU).
Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, fruit d'un long travail, le rapport d'information de Mmes Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard sur l'évaluation de la loi dite SRU du 13 décembre 2000 vient à point dans notre agenda. Comme vous le savez, le Gouvernement entend lier l'évolution de ce texte au projet de loi « 4D » (différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification). Notre commission examinera celui-ci au mois de juillet 2021, concomitamment à la discussion, en hémicycle, du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et pour le renforcement de la résilience face à ses effets (projet de loi « Climat »). Le document que nos deux rapporteurs nous soumettent aujourd'hui nous permet donc de nous y préparer.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Il nous semble important que la commission des affaires économiques ait anticipé les débats à venir sur le projet de loi « 4D ». Nous serons prêts à y apporter des contributions qui servent nos élus et les spécificités de leurs territoires.
La loi SRU demeure un sujet délicat pour les maires. Elle suscite toujours beaucoup de débats. L'objectif que son article 55 fixe à quelque 2 000 communes des agglomérations françaises les plus importantes, et dont la population excède 3 500 habitants ou 1 500 habitants pour celles qui se situent dans l'aire urbaine de Paris, de comprendre 20 % en 2022, puis 25 % en 2025, de logements sociaux parmi leurs résidences principales, se révèle difficile à atteindre.
Un millier de communes restent déficitaires par rapport à cet objectif. Un peu moins de 300 d'entre elles sont même carencées et supportent en conséquence de lourdes sanctions. Ces seuls éléments justifiaient une évaluation. J'ajouterai que nous nous trouvons aujourd'hui à un moment charnière. Votée en décembre 2000, la loi SRU a vingt ans et le Gouvernement s'apprête à la réformer.
Le projet de loi « 4D » apporte plusieurs évolutions notables. Le Gouvernement entend supprimer les dates butoirs de 2022 et 2025. Désireux de pérenniser le dispositif de la loi SRU, il leur substitue un rattrapage glissant, différencié et contractualisé. Il prévoit un contrat de mixité sociale que signeront le maire et le préfet. En contrepartie, le projet de loi renforce les sanctions contre les communes.
La Cour des comptes, à la demande de nos collègues de la commission des finances, et la commission nationale SRU, à celle du Gouvernement, ont déjà remis un rapport au début de l'année 2021. Il ne s'agissait pas pour nous de présenter un rapport supplémentaire. Nous avons plutôt cherché, au plus proche du terrain, à relayer l'expérience des maires dans l'application de l'article 55 de la loi SRU.
Notre travail repose sur près de trente auditions et trois déplacements, dans le Nord, les Yvelines et les Alpes-Maritimes. Il s'enrichit de la contribution de près de 300 maires à la consultation organisée sur le site en ligne du Sénat. D'autres élus nous ont directement jointes ou se sont adressés à des collègues sénateurs qui s'en sont fait les interprètes.
Deux résultats fondamentaux ressortent de ces échanges et de cette consultation. D'une part, 70 % des maires considèrent que la loi SRU est utile. Nous voyons ici combien l'état d'esprit a changé en vingt ans. D'autre part, dans la même proportion, ils jugent la loi d'une application difficile, inefficace ou irréaliste. Tout l'objet de notre rapport consiste à établir un lien entre ces résultats d'apparence contradictoires.
Nous avons souhaité conduire une évaluation dépassionnée, mais également sans tabou, de la loi SRU. L'évaluation aborde deux aspects. Elle porte d'abord un regard rétrospectif sur les vingt années d'application de la loi, avant de procéder à l'examen des résultats obtenus. Elle aboutit à la formulation de 25 propositions, afin que l'objectif, assurément vertueux, de la loi soit mieux accepté.
Avec vingt ans de recul, quel regard pouvons-nous porter sur la loi SRU, notamment à travers les travaux de recherche universitaires qui s'y sont intéressés ?
La loi SRU représente une loi de rupture par rapport à plusieurs décennies de politiques d'urbanisation de notre pays. L'industrialisation, l'exode rural puis les grands projets que l'État a engagés après-guerre, et jusque dans les années 1970, ont dessiné des espaces spécialisés où le logement social restait concentré. La loi SRU en a exigé la répartition homogène sur le territoire. Le rattrapage demeure cependant long et vingt ans n'y suffisent pas. Il suppose en effet une transformation des communes.
Une commune déficitaire ne correspond pas nécessairement à une commune réfractaire. Souvent, elle rencontre plus de difficultés que d'autres dans la réalisation du rattrapage qui lui incombe. Ici, un double constat rend compte des difficultés d'application de la loi SRU.
En premier lieu, la définition de l'objectif manque de pragmatisme. Toutes les communes doivent atteindre le même seuil. Initialement de 20 %, celui-ci est passé en 2013 à 25 % avec une échéance à 2025. L'ajout de cinq points à obtenir en seulement trois ans relève d'emblée de la gageure. Des modèles mathématiques le démontrent : nombre de communes ne pourront pas atteindre cet objectif à moyen terme en construisant massivement des logements sociaux.
En second lieu, les difficultés d'application de la loi SRU transcendent les couleurs politiques et les moyens financiers des communes. Les chercheurs identifient parmi les maires rétifs un tiers d'élus de gauche, deux tiers de droite ; 50 à 60 % des maires qui se conforment aux prescriptions de la loi seraient de droite. Souvent, les communes les plus en retard dans son application s'avèrent aussi les plus pauvres. Il nous faut donc abandonner les idées reçues. Fréquemment, les difficultés des communes se révèlent purement objectives.
Parmi ces difficultés, les maires sont unanimes pour dénoncer une application de la loi trop verticale, uniforme et aveugle. Elle ne s'adapte qu'insuffisamment aux spécificités locales. Pour certaines communes, la carence en logements sociaux entraîne des conséquences des plus fâcheuses ; mais les sanctions qu'elles subissent ne prennent nullement en considération le retrait d'un bailleur ou un refus de permis de construire que l'État oppose.
Depuis l'engagement des débats ? dès 1991 avec la loi d'orientation sur la ville qui contenait déjà l'objectif d'un taux de 20 % de logements sociaux ?, et en dépit d'une forme d'instabilité des règles en vigueur, un compromis semble néanmoins devoir se dessiner.
Il intéresse notamment l'inventaire des logements sociaux. La presse s'alarmait de l'éventuelle intention du Sénat d'ajouter les logements intermédiaires dans le quota de ces logements. Sans négliger l'importance des logements intermédiaires qui répondent aux besoins de certains de nos concitoyens, notre chambre a plutôt favorisé l'accession sociale à la propriété par le prêt social de location-accession (PSLA) et le bail réel solidaire (BRS) dans le décompte des logements sociaux. La loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) de 2018 l'a finalement consacrée.
Mme Valérie Létard . - J'aborderai à présent les résultats de la loi SRU. A-t-elle atteint ses objectifs ? Trois constats s'imposent.
La loi SRU a tout d'abord permis de produire plus de logements sociaux. La moitié des 1,8 million de ces logements construits en France depuis vingt ans l'ont été dans les communes déficitaires. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, les objectifs triennaux n'ont cessé de croître et ont toujours été dépassés. De 62 000 nouveaux logements pour la période 2002-2004, l'objectif est passé à 196 000 logements au cours des années 2017-2019.
La loi SRU a ensuite favorisé une répartition plus homogène des logements sociaux entre les communes, mais également à l'intérieur des communes elles-mêmes. Plusieurs études attestent d'un phénomène que les chercheurs qualifient de « déségrégation ». Son importance est d'autant plus forte que la concentration des logements sociaux prévalait auparavant.
Cependant, si les économistes constatent un effet significatif de la loi dans l'essor du logement social en France, il convient de le replacer dans la conjoncture dans laquelle il s'est inscrit. La production d'habitations à loyer modéré (HLM) se trouvait à un point bas à la fin des années 1990. De plus, la crise de 2008 a marqué un tournant. Nombre de maires ont alors pris conscience du besoin en logements sociaux de leur population, avec de surcroît une hausse du prix de l'immobilier. La vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) a commencé à se développer pour les HLM. Cette méthode permet au bailleur social d'acheter de 30 à 40 % du programme d'un promoteur privé. Elle concerne actuellement environ la moitié des logements sociaux produits.
Enfin, la loi SRU a manifestement échoué dans la promotion de la mixité sociale qu'elle se donnait pour finalité. Non seulement elle n'a pas réduit la ségrégation des 20 % des ménages les moins aisés, mais les travaux de recherche récents montrent qu'elle n'a pas empêché une augmentation de celle des 10 % des ménages les plus pauvres. Il importe d'en comprendre les raisons.
La première tient au modèle universel du logement social en France. Ce logement reste accessible à 70 % des Français. Créer des logements sociaux ne revient pas uniquement à loger les plus pauvres. De plus, 60 % des ménages modestes vivent dans le parc privé comme locataires ou propriétaires. On constate également une paupérisation des quartiers qui comportent de nombreux logements sociaux.
Quant aux nouveaux logements, ils s'accompagnent de loyers plus onéreux en raison d'un équilibre économique plus difficile à atteindre. De plus, le jeu des attributions de proximité intervient. La création de logements sociaux dans une zone favorisée bénéficie d'abord, mécaniquement, à une population déjà présente.
Les travaux de recherche de l'Institut Montaigne indiquent qu'il faudrait, à côté des politiques du logement et de rénovation urbaine, mener des politiques plus volontaristes en faveur de la mixité sociale et de la mobilité résidentielle ascendante. Les aspects humains s'ajoutent aux considérations d'urbanisme.
En nous appuyant sur cette évaluation et sur ces résultats, nous formulons 25 propositions. Elles se déclinent autour de quatre axes : conserver l'objectif et l'économie générale de la loi SRU, adapter sans exonérer et différencier pour encourager, renforcer le volet mixité sociale de la loi et lever les obstacles au logement social.
Au titre du premier axe, nous suggérons de conserver la structure de la loi SRU dont l'utilité est reconnue. Sans recueillir l'unanimité, les objectifs de la loi sont désormais mieux compris. Il nous a semblé souhaitable de privilégier une certaine stabilité. Il s'agit de maintenir un objectif de 20 ou 25 % de logements sociaux parmi les résidences principales des communes. Ne créons pas d'objectif supplémentaire, par exemple un objectif infra-communal dans les principales communes, afin de ne pas complexifier le dispositif. Ne transférons non plus cet objectif au niveau de l'intercommunalité, ce qui le viderait de son sens.
Nous proposons un rattrapage glissant, réaliste et sans date butoir. Nous ne pensons pas possible de retenir un rattrapage en flux, c'est-à-dire ne reposant que sur les constructions neuves, sans dénaturer la loi. Il convient de conserver un rattrapage en stock, mais en définissant un flux annuel sur la base d'un contrat.
Nous souhaitons également stabiliser l'inventaire des logements pris en compte, sous réserve d'ajustements locaux et à la marge.
Enfin, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous rejetons toute sanction automatique et non proportionnée.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Nos propositions s'articulent autour d'un deuxième principe. Nous entendons que le contrat de mixité sociale et le couple maire-préfet deviennent la clé d'une application différenciée et partenariale de la loi.
Nous demandons la généralisation du contrat de mixité sociale, de même que son extension aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ainsi qu'à d'autres parties prenantes, tels que les architectes des bâtiments de France (ABF) ou les bailleurs sociaux.
Nous nous prononçons en faveur d'une procédure où le dernier mot revient au préfet, et que l'administration centrale ne pourra plus le déjuger. Le préfet doit être en mesure d'adapter le rythme de rattrapage aux particularités locales, en tenant compte d'autres politiques nationales, notamment celles du « zéro artificialisation nette », de la prévention des risques, des grands équipements, ou de la nécessité d'autres types de logements, dont ceux en faveur des femmes victimes de violences ou des mineurs isolés.
Le cadre contractuel doit également permettre de mieux intégrer les situations spécifiques, comme celles des communes nouvelles. De plus, il s'agit de ne pas léser une équipe municipale arrivant aux affaires. Elle ne saurait porter la responsabilité des défaillances des équipes qui l'ont précédée. Fondamentalement, il importe qu'une commune qui respecte le contrat de mixité sociale conclu entre son maire et le préfet ne s'expose pas au risque d'un arrêté de carence.
Nous proposons de supprimer l'ensemble des sanctions qui semblent inefficaces et contre-productives. La Cour des comptes les a identifiées. La reprise par l'État des droits de préemption ou des permis de construire en apporte un exemple. Elle se révèle aussi peu utilisée qu'elle est inopérante. Les préfets ne disposent du reste pas des moyens de l'exercer. De même, interdire la production de logements intermédiaires dans une commune carencée en sanctionne d'abord les habitants qui perdent une chance d'accéder à un logement à un prix abordable. La reprise des attributions par l'État représente une forme de double peine tant pour les maires que pour leurs administrés : les efforts de la commune ne bénéficient plus à ses habitants. Une sanction de cette nature se situe à l'exact opposé de ce qui favoriserait l'acceptabilité du dispositif.
Différencier et encourager constituent des enjeux essentiels. Accordons notre confiance aux territoires. Nous promouvons l'expérimentation d'une mutualisation intercommunale, tout en maintenant la fixation des objectifs au niveau communal. Récemment, avec l'accord de l'État, un exemple a concerné la ville de Poitiers et son agglomération. Il pourrait faire l'objet d'une large diffusion auprès des EPCI. Notre collègue M. Marc-Philippe Daubresse avait proposé une expérimentation qui a été soumise à tellement de conditions qu'elle n'a pas pu être utilisée. Il convient ensuite d'adapter les règles d'exemptions pour qu'elles soient mieux comprises et plus stables. Nous proposons également de transformer les sanctions financières en capacité d'action. Appauvrir les communes n'est pas une solution. Nous pensons qu'il est possible d'élargir les dépenses déductibles des pénalités pour mieux prendre en compte les investissements en faveur du logement social. Par ailleurs, plutôt que d'être versées au niveau national, les pénalités pourraient être consignées et capitalisées au niveau des communes pour permettre de monter sur place des opérations de logement social. Enfin, nous souhaitons tenir compte d'une importante évolution du paysage de la loi. Aujourd'hui, beaucoup de communes rurales sont concernées. Il serait logique que celles qui sont éligibles à la DSR soient exemptées dans les mêmes conditions que celles qui sont éligibles à la DSU.
Enfin, il nous paraît essentiel de territorialiser les attributions de logement pour permettre l'appropriation du logement social par la population. Nous pensons que majorer le quota d'attribution des maires bâtisseurs de logements sociaux produirait un puissant effet incitatif.
Mme Valérie Létard . - Nous proposons également d'affermir le volet mixité sociale de la loi SRU.
À cet égard, la première mesure majeure consisterait à inscrire dans la loi un objectif maximal de 40 % de logements très sociaux. Cela introduirait de la mixité dans les territoires les plus défavorisés.
Nous conseillons ensuite de surpondérer, dans le décompte des logements sociaux, les logements financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI). Nous valoriserions ainsi mieux l'effort que les communes accomplissent au moment de la construction de logements et dans l'accompagnement de leurs habitants. À ce jour, un logement financé par le prêt locatif social (PLS) compte autant qu'un logement PLAI, ce qui n'est guère incitatif.
Il nous semble aussi nécessaire de travailler à réduire les effets du surloyer dans les territoires pauvres, tout en assurant une rotation plus rapide des logements sociaux dans les communes aisées.
Enfin, les dépenses en faveur de la mixité sociale par l'éducation, le sport ou la santé, pourraient venir en déduction du prélèvement SRU.
J'en viens au quatrième axe. Il faut lever les obstacles à la construction de logements sociaux.
Tout d'abord, l'application stricte de la loi SRU par le Gouvernement ne saurait masquer qu'il mène depuis 2017 une politique qui affaiblit le logement social, par exemple à travers la réduction de loyer de solidarité (RLS).
Nous demandons ensuite, pour les communes, une compensation intégrale de l'exonération de taxe foncière dont le logement social bénéficie. Aujourd'hui, la compensation n'atteint plus que 3,2 %. Or, comment agir sans une dynamique de recettes ?
Intervenir en faveur du logement social signifie également compenser aux bailleurs les surcoûts de construction que la réglementation environnementale « RE2020 » leur impose. Dans un premier temps au moins, ces surcoûts dépasseront certainement 10 %.
Il convient encore d'éviter que le logement social pâtisse du « zéro artificialisation nette ». La lutte contre l'artificialisation des sols pourrait en effet se traduire par l'abandon de 100 000 logements.
Par ailleurs, nous appelons à une révision du zonage du subventionnement et des loyers du parc social. Il s'agit d'assurer l'équilibre économique des opérations partout où le foncier se révèle toujours davantage onéreux. En l'état, la carte des zones 1, 2 et 3 date pour l'essentiel de 1978.
Enfin, nous voulons encourager l'implication des citoyens en facilitant le conventionnement des logements privés et la reconnaissance des associations locales qui assurent de l'intermédiation locative. Nous avançons l'idée d'un bail social de long terme dans les communes déficitaires. À l'exemple du bail rural de long terme, il permettrait, contre un conventionnement de 18 ou 25 ans, de bénéficier d'avantages significatifs en matière d'impôt sur la fortune immobilière (IFI) ou de droits de succession.
Madame la présidente, mes chers collègues, voici donc les principaux résultats et propositions de notre travail d'évaluation de la loi SRU. Nous sommes en définitive convaincues de la nécessité de chercher un équilibre entre deux objectifs.
D'une part, il s'agit de préserver les principales dispositions de la loi SRU. Elles restent à même de favoriser la production de logements sociaux, ainsi que la mixité sociale. D'autre part, il paraît indispensable d'adapter profondément cette loi en écoutant les maires et à l'aune de la réalité du terrain. Rien ne serait plus contre-productif que de décourager par des sanctions inadaptées ou des objectifs irréalistes des maires qui font montre de volonté dans l'application de la loi.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Je précise que vous trouverez dans ce rapport la transcription exhaustive des auditions de maires que nous avons conduites.
Mme Sophie Primas . - Merci mesdames pour ce travail. J'engage nos collègues à le partager largement avec les élus de nos territoires. J'ouvre à présent la discussion.
Mme Patricia Schillinger . - Si je souscris à certaines des observations des élus que le document rapporte, je tiens à rappeler le rôle majeur de l'article 55 de la loi SRU dans l'accélération du développement de l'offre de logement social. Entre 2017 et 2019, ce sont plus de 210 000 logements sociaux qui ont été construits. Sur un plan national, plus de la moitié des nouveaux logements sociaux s'édifient dans des communes soumises à la loi SRU.
Par ailleurs, je tiens à souligner que la crise sanitaire et économique que nous connaissons renforce la nécessité d'agir en faveur de la garantie pour chacun d'accéder à un logement abordable. Répétons que plus de 70 % des Français restent éligibles au logement social.
J'entends les reproches qui s'adressent à certains aspects trop rigides de la loi SRU et les tensions que son dispositif génère. Cependant, ni les uns ni les autres ne sauraient prendre le pas sur la dimension d'intérêt supérieur du logement social et de la mission de service public à laquelle les communes participent.
Je conçois que des communes se sentent prises en étau entre les exigences de la loi SRU et diverses contraintes d'ordre urbain, foncier ou autre. À ce sujet, je me suis entretenue avec madame la ministre en charge du logement. Je lui ai indiqué qu'il était indispensable d'encourager et d'aider les communes qui éprouvent des difficultés dans la réalisation des objectifs qui leur reviennent.
J'ai précisé qu'il serait judicieux de prendre en compte le fait intercommunal, en raison de son amplification considérable depuis la promulgation de la loi SRU.
Issue de concertations avec les associations d'élus, la dernière version du projet de loi « 4D » intègre ces différents paramètres. Elle parvient à établir un équilibre entre obligation et adaptation locale.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) salue le travail que la mission a réalisé. Il préfère néanmoins s'abstenir, afin d'aborder sereinement l'examen du projet de loi « 4D » et la question de la prolongation du dispositif de la loi SRU.
M. Franck Montaugé . - Une expression essentielle me paraît absente d'un travail par ailleurs dense et riche. Il s'agit de celle de la politique de peuplement.
Vous ne vous prononcez pas en faveur de transferts d'objectifs quantitatifs au sein des intercommunalités. Il me semblerait néanmoins intéressant d'utiliser les outils de planification à disposition des territoires : les schémas de cohérence territoriale (SCoT), que prolongent les plans locaux d'urbanismes communaux (PLU) et intercommunaux (PLUi). Le cadre juridique nous permet de fonder une programmation aussi précise qu'équilibrée. Les premières, voire deuxièmes, couronnes de nos agglomérations doivent participer pleinement aux objectifs que la loi SRU assigne aux communes.
Il me souvient qu'un système statistique de carroyage avait prévalu lors de l'élaboration de la loi du 21 février 2014 sur la programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Il s'appuyait sur le revenu moyen des habitants. Je m'interroge sur son réemploi possible pour la révision, que vous appelez de vos voeux, du zonage entrant dans le calcul des aides personnelles au logement et la détermination des plafonds de loyer du logement social.
Enfin, je partage avec vous l'idée selon laquelle le logement ne ressortit pas uniquement à des considérations qui relèvent de l'urbanisme. Il implique des dimensions sociales et culturelles. Dans le mouvement qui tend à plus de mixité sociale et spatiale, les programmes du type des contrats de ville gagneraient à mieux les intégrer, en accompagnant les populations sur les aspects éducatif, social et sécuritaire.
Mme Viviane Artigalas . - Comme à l'accoutumée, les représentants du groupe Socialiste, écologique et républicain ne prendront pas part au vote. Le rapport n'en atteste pas moins du travail en profondeur que le Sénat effectue sur tous les sujets et, spécialement, sur ceux du logement et de la politique de la ville. Il mériterait que nous lui consacrions plus de temps.
Équilibré, il permet d'envisager un renouveau de la loi SRU. Il nous apporte des éléments de réflexion dans la perspective des discussions à venir sur le projet de loi « 4D ». Parmi ses propositions, mon groupe retient plus particulièrement la pondération des PLAI et l'intermédiation locative.
M. Jean-Marc Boyer . - Vous évoquez un engagement entre les maires et les préfets qui inclut la problématique de la lutte contre l'artificialisation des sols. Vous nous indiquez que cette lutte est susceptible d'entraîner la perte de 100 000 logements. Nous constatons que la loi climat tend à son tour à limiter significativement les zones à urbaniser, notamment en périphérie des métropoles. Ces données ne laissent pas d'inquiéter les élus. Quelle articulation concevez-vous entre la préoccupation de ménager une forme de mixité sociale, grâce aux logements sociaux, et la limitation des zones à urbaniser ?
M. Pierre Louault . - Nous observons que les territoires particulièrement ruraux ne bénéficient pas du logement social. Les opérateurs du secteur ne veulent supporter la charge de construire et d'administrer dans ces territoires un nombre restreint de logements. Je pense qu'il faudrait inscrire dans la loi, non une obligation, mais un droit au logement social pour de tels territoires, afin que ceux qui souhaitent y vivre le puissent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Sans doute, une difficulté d'ordre économique se pose-t-elle fondamentalement ici.
M. Alain Chatillon . - Je salue à mon tour un rapport remarquable. Nous ne manquerons pas de nous y référer dans nos échanges avec les élus.
J'insisterai sur le problème qui existe entre le rural et l'urbain. Je pense qu'il nous faut instamment retrouver un équilibre entre les territoires ruraux, dont les bourgs-centres, et les métropoles. En Occitanie par exemple, nous assistons à une telle expansion démographique de Toulouse qu'elle en gêne le développement des autres communes. Dans le même temps, SCoT et PLUi ne sont pas respectés. Faute de parvenir à ce rééquilibrage, nous étoufferons celles des communes rurales qui conservent une capacité d'accueil de populations nouvelles.
Je remarque en outre la contradiction qui prévaut entre les attitudes respectives des directions départementales des territoires (DDT) et des ABF d'un côté, des préfets de l'autre. Si les premiers refusent le débat, les seconds s'efforcent de l'ouvrir. Il est temps que l'autorité des préfets s'affirme sur les questions dont nous traitons et que les responsables des intercommunalités puissent s'y fier, sans redouter l'attente de longs arbitrages.
M. Henri Cabanel . - Je m'associe aux félicitations sur la qualité du travail dont nous avons pris connaissance. J'insisterai sur l'excellence de la méthode qu'il a retenue, qui met en avant l'enquête de terrain et la rencontre avec les élus locaux. Elle devrait s'imposer dans le processus législatif car elle contribuerait à expliquer aux maires les enjeux qui s'expriment à travers une loi.
Après l'écoute des propositions du rapport, un constat domine : toute obligation que Paris impose trop unilatéralement aux territoires, sans considération de leurs spécificités, demeure d'une application délicate. Un exemple tiré de mon département de l'Hérault l'illustre. Une commune du littoral, Valras-Plage, ne dispose plus d'espace constructible. Elle ne peut guère que reconstruire quand l'occasion s'en présente. Or, malgré ses contraintes particulières, elle se voit chaque année sanctionnée au motif qu'elle ne respecte pas l'objectif de 20 % de logements sociaux de la loi SRU. À l'évidence, quand les maires s'efforcent de respecter la loi, il importe de ne pas leur appliquer des sanctions systématiques, éloignées de leur réalité quotidienne.
Mme Sylviane Noël . - Je suis sensible à l'état des lieux que nos deux rapporteurs dressent en rappelant que la plupart des élus, quand ils ne respectent pas les obligations de la loi SRU, le doivent à des contraintes indépendantes de leur volonté, telles que des recours judiciaires ou le désistement de bailleurs. Je les remercie pour le pragmatisme de leurs propositions.
Je souhaite en ajouter plusieurs. Elles proviennent de mes échanges avec les élus de mon département, la Haute-Savoie. L'intercommunalisation de l'objectif de la loi SRU permettrait que des communes de plus de 3 500 habitants ne supportent pas seules une charge qui concerne de fait un territoire plus vaste que le leur. Il conviendrait de reconsidérer le mode actuel de dénombrement arithmétique des logements sociaux. En ce qu'il inclut les nouvelles constructions, il n'autorise jamais aucune certitude quant au fait de remplir l'objectif que la loi détermine. Il me semblerait également opportun d'intégrer les terrains familiaux destinés aux gens du voyage dans les quotas de la loi SRU.
M. Joël Labbé . - Le groupe Écologiste - solidarité et territoire ne participera pas au vote. Toutefois, je reconnais dans le rapport un travail de fond.
La question du logement social ne saurait s'examiner sous un angle exclusivement comptable. Il nous faut imaginer d'autres mécanismes. Je le dis après avoir été maire d'une commune bien involontairement en carence.
Certes complexe, un sujet reste peu abordé, celui de l'habitat léger ou « réversible ». Des personnes, notamment de jeunes ménages, recourent à ce type d'habitat. Il mériterait que nous lui consacrions une part de notre réflexion car il offre peut-être une première forme de réponse, plus immédiatement accessible, au problème du logement.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ces logements nécessitent, me semble-t-il, un conventionnement avec les bailleurs sociaux plus qu'un travail sur la loi elle-même.
Mme Martine Berthet . - J'aimerais aborder la question des secteurs touristiques. Le coût élevé des terrains y obère la possibilité de construire des logements sociaux. Or, le besoin en existe, non seulement pour accueillir les travailleurs saisonniers, mais surtout afin de permettre aux populations locales d'y demeurer. Quelles mesures permettraient de réserver une place à l'habitat local ? Des maires de stations de montagne évoquent la solution d'identifier en ce sens certaines zones dans leur PLU.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je propose à nos deux rapporteurs de vous répondre.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Vous avez bien compris le but que nous poursuivions, notre volonté de compromis et d'équilibre. Nous entendions nous garder de toute caricature. Il ne s'agit nullement de supprimer la loi SRU. Cependant, force est de constater que des maires expriment leur découragement quand, malgré leurs efforts d'adaptation, on les désigne à l'opprobre publique et qu'ils encourent des sanctions aux conséquences toujours plus lourdes pour leurs communes. Nous risquons d'obtenir l'effet inverse à celui recherché, en les dissuadant de continuer à bâtir.
Soulignons aussi un problème d'acceptabilité du logement social par les populations. Les maires ne peuvent plus guère se dispenser d'aller à leur rencontre et de leur expliquer le sens des programmes de construction. Ces derniers prennent ainsi de plus en plus de temps à se concrétiser.
Sur la question du zonage relatif au subventionnement et aux loyers des logements sociaux, je citerai l'exemple de Saint-Vallier-de-Thiey, une commune des Alpes-Maritimes, dans l'arrière-pays grassois. Elle dénombre plus de 3 500 habitants. Son maire nous a exposé que les plafonds prévus pour la zone 3 ne permettent pas l'équilibre des opérations de logement sur son territoire. Ignorant le prix de l'immobilier, le zonage y constitue de fait un frein au développement du logement social et au respect des prescriptions de l'article 55 de la loi SRU. L'élu réclame des mesures incitatives, ou des mesures contraignantes à l'égard des bailleurs dans la zone 3, ou encore une révision du zonage de sa commune, afin d'intégrer le bassin d'emploi auquel elle appartient.
Nous nous sommes interrogées sur la pertinence de considérer l'unité de logement dans la réalisation des objectifs de la loi SRU. De prime abord, du fait des services et équipements qu'ils imposent à la commune de prévoir, les logements sociaux familiaux justifieraient une comptabilisation différente par rapport aux logements plus petits. L'écueil tient cependant à la difficulté de mettre en oeuvre cette solution. Nous lui avons par conséquent préféré celle de la pondération des PLAI. La construction financée par un PLAI doit compter davantage que la construction financée par un PLS, voire un prêt locatif à usage social (PLUS).
Quant à l'intermédiation locative, nous en reconnaissons l'importance. Construire des logements sociaux ou améliorer le bâti existant n'exclut pas le conventionnement du parc privé. Nous ne mobilisons encore qu'insuffisamment cette possibilité qui passe par l'incitation des bailleurs. Le logement privé conventionné peut entrer dans le quota des logements sociaux et le conventionnement apparaît comme l'une des solutions au problème de la vacance de logements dans les centres-bourgs.
S'agissant de l'articulation entre mixité sociale et limitation des zones à urbaniser, elle reposera sur le contrat de mixité sociale. Dans le rapport puis, ultérieurement, dans le projet de loi « 4D », nous entendons lui conférer une base légale. Celle-ci mettra en avant le couple maire-préfet, le mieux à même d'adapter les objectifs de l'article 55 de la loi SRU aux spécificités des différents territoires. En tant que de besoin, le contrat intégrera les critères et contraintes du « zéro artificialisation nette » ou ceux du plan de prévention des risques.
Enfin, nous approfondirons la question du rôle des intercommunalités. Certains élus nous ont expliqué qu'ils les regardaient comme une solution, mais non à brève échéance. Une première expérimentation n'avait pas abouti à une consécration par la loi ELAN. L'expérience récente du Grand Poitiers que j'évoquais a reçu l'assentiment de l'État en dehors de tout cadre légal. La Cour des comptes la mentionne. Elle offre un bon exemple de contractualisation et de solidarité territoriale à l'échelle de l'intercommunalité.
Dans ce cas précis, la communauté urbaine respecte globalement l'objectif de 20 % de logements sociaux. La ville de Poitiers en compte 32 %. En revanche, dix communes de son agglomération n'atteignent pas l'objectif. L'intercommunalité a démontré qu'elles ne pouvaient y parvenir. Elle a demandé leur exemption en avril 2019. L'État l'a acceptée à la fin de la même année. Parallèlement, l'intercommunalité a présenté pour chacune de ses communes, y compris celles qui ne sont pas assujetties à la loi, des objectifs précis, tant quantitatifs que qualitatifs. Le document que la communauté urbaine du Grand Poitiers et l'État ont signé prévoit que l'objectif de la loi SRU sera atteint, non en 2025, mais en 2035.
À l'aune de cet exemple, nous souhaitons inscrire dans la loi la possibilité d'expérimenter la mutualisation des obligations issues de la loi SRU au niveau intercommunal. Nous avons noté que le Premier ministre lui avait apporté son soutien de principe dans son discours lors du comité interministériel à la ville, tenu à Grigny le 29 janvier 2021.
Mme Valérie Létard . - Nous avons fait l'objet de nombreuses sollicitations sur l'intercommunalisation des objectifs. Celle-ci encourt néanmoins un rejet si elle se borne, par le jeu de la mutualisation, à soustraire certaines communes de leurs obligations et à ne plus engager de nouveaux programmes de logements sociaux. Outre qu'elle contrarierait alors la dynamique que l'article 55 de la loi SRU a engagée, elle engendrerait une forme d'iniquité entre les communes qui bénéficient de l'appui d'un ensemble plus large qui atteint les objectifs de la loi SRU et celles qui ne peuvent s'en prévaloir.
La mutualisation offre un moyen de partager des objectifs qui, pour des raisons parfaitement justifiées, restent inatteignables à certaines communes. Il faut que la démarche vienne des EPCI, sans leur être imposée, avec l'accord de l'ensemble des collectivités parties prenantes. Le contrat de mixité sociale en fixera les contours. Il permettra à l'État de porter un regard vigilant sur ces pratiques.
Nous constatons que les sujets entrent en résonance les uns avec les autres. Nous ne pouvons continuer de les traiter séparément. La nature, la typologie, des logements que nous construisons dans un quartier, dans une ville, déterminent leur peuplement, partant leur mixité. L'intercommunalité paraît offrir un niveau approprié pour se saisir d'une problématique d'ordre global. La discussion sur le projet de loi « 4D » nous donnera l'occasion de nous y intéresser plus avant.
Au cours de l'élaboration du rapport, nous avons à maintes reprises rencontré le problème des injonctions contradictoires. Le « zéro artificialisation nette » qui requiert la restitution de zones à urbaniser se heurte de front à l'exigence de construction de logements sociaux qui, au contraire, demande de libérer du foncier. Nous nous interrogeons sur l'opportunité d'introduire une certaine souplesse dans le premier au regard de la seconde. Elle pourrait conduire, sinon à des exonérations, du moins à des annulations de consommation foncière.
Par ailleurs, à la lumière de ma propre expérience, j'invite à la prudence quant à la méthode du carroyage. Dans le département du Nord, elle a abouti à la complète omission de la particularité historique d'un bâti horizontal plutôt que vertical, celui des anciennes cités ouvrières et minières. En raison de leur densité insuffisante, elle a sorti de la politique de la ville les quartiers et communes qui y connaissent pourtant le plus de difficultés sociales et dont l'habitat s'avère le plus dégradé. Nous devrons donc veiller aux conséquences sur certains types d'habitat du choix des outils de définition des zonages.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Je conclurai sur le problème des contraintes d'urbanisme inhérentes aux communes touristiques. Notre collègue, M. François Calvet, a mis en évidence la situation intenable qui concerne nombre de communes touristiques de son département des Pyrénées-Orientales. Au Barcarès par exemple, la population passe de 6 000 à plus de 100 000 habitants en haute saison. Plus de 80 % des logements sont des résidences secondaires. Or, la crise sanitaire provoque dans ces communes une transformation aussi massive qu'imprévue des résidences secondaires en résidences principales. Au Canet-en-Roussillon, le phénomène toucherait 20 % des résidences secondaires. Il y entraîne une chute marquée de la part des logements sociaux, sans que les communes disposent d'une quelconque maîtrise d'un urbanisme que l'État a voulu et encouragé. Concret, actuel, ce témoignage fournit une nouvelle illustration des contraintes spécifiques auxquelles les communes se confrontent et que la loi SRU n'a pas prévues.
Mme Sophie Primas , présidente . - Au terme de nos échanges, je note l'attention que nous portons à la contractualisation. Nous veillerons à ce que celle-ci ne s'en tienne pas à une simple apparence.
La commission adopte le rapport d'information.