QUATRIÈME PARTIE -
TOUT « PLAN B » DEVRA S'INSCRIRE
DANS UN VÉRITABLE PROJET DE TERRITOIRE
SOUTENU PAR L'ÉTAT, UN PARTENAIRE PRIVÉ
ET LES ACTEURS LOCAUX

À l'issue de l'étude menée par la commission des affaires économiques sur les conditions de la cession envisagée, les garanties instaurées et la pertinence du projet industriel, le rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri apparaît peu convaincant. L'issue incertaine d'un processus d'autorisation européenne pour l'instant au point mort et l'inquiétude de la plupart des parties prenantes à l'opération suggère qu' il est temps de sortir du marasme politique pour dessiner les contours d'un projet alternatif pour le développement du site de Saint-Nazaire.

Plutôt qu'une énième prolongation de l'accord signé avec Fincantieri, ou pis, qu'une autre reprise organisée dans la précipitation, l'abandon du projet de cession permettrait d'organiser un nouveau tour de table réunissant toutes les parties intéressées , locales comme étrangères, privées comme publiques, afin de construire le modèle d'actionnariat le plus abouti pour cet actif industriel stratégique. Loin de marquer la fin des Chantiers de l'Atlantique, une telle décision ouvrirait au contraire de nouvelles possibilités pour l'avenir du site français.

Il est de la responsabilité de l'État français d'encourager un tel dialogue et de garantir une mise à l'étude sérieuse de toutes les alternatives. Cette démarche doit être initiée dès aujourd'hui, sans attendre la décision de la Commission européenne ou une éventuelle réponse de Fincantieri. Cela démontrerait la capacité des pouvoirs publics à anticiper sans précipitation, et à accompagner l'avenir des acteurs industriels structurants pour le territoire. Pourtant, l'APE indiquait en mars dernier à la commission que « le temps n'est pas à l'étude ou à la définition d'un scénario alternatif » .

Sans prétendre livrer une solution clefs en main, qui ne pourra émaner que d'un véritable tour de table, la commission des affaires économiques du Sénat s'est attelée à déterminer les principales caractéristiques d'un modèle d'actionnariat abouti. D'abord, marquant la reconnaissance de la prise en compte du caractère stratégique des Chantiers, la présence de l'État au capital devra être maintenue , étant également stabilisatrice pour la performance économique de l'entreprise. Ensuite, l'actionnariat des Chantiers devra reposer sur un projet industriel fort, fondé sur une stratégie de développement bien identifiée . Enfin, il est impératif de mieux inclure les acteurs locaux, privés comme publics : la participation des entreprises locales pourrait être accrue, et les collectivités territoriales pourraient réaliser un effort d'investissement à la hauteur de l'importance économique des chantiers navals pour le territoire.

I. LE MAINTIEN D'UNE PRÉSENCE PUBLIQUE QUI REFLÈTE LES ENJEUX DE SOUVERAINETÉ ET JOUE UN RÔLE STABILISATEUR

A. DE VÉRITABLES GARANTIES POUR LA PÉRENNITÉ DU SITE ET DE SES COMPÉTENCES

1. Un véritable pouvoir d'opposition de l'État

Constante depuis 2008, la présence de l'État français au capital des Chantiers ne devrait pas être remise en cause. Dans l'accord de rachat par Fincantieri signé en 2017, tout comme celui conclu en février 2018, il est prévu que l'APE conserve au moins 33,34 % du capital.

Dans les sociétés anonymes, telles que les Chantiers de l'Atlantique, les décisions des assemblées générales extraordinaires sont prises à la majorité des deux tiers 45 ( * ) , permettant ainsi aux actionnaires minoritaires représentant au moins un tiers des voix plus une de bloquer des résolutions pouvant par exemple porter sur les statuts de la société ou sur les évolutions du capital.

La minorité de blocage dont dispose l'État français au capital de STX France, puis des Chantiers de l'Atlantique depuis 2008 lui confère ce type de prérogatives permettant de s'opposer à des décisions jugées préjudiciables à cette entreprise stratégique. Ce sont d'ailleurs celles-ci qui avaient motivé la décision de l'État français d'entrer au capital de STX France par augmentation de capital, envoyant un signal au nouvel actionnaire majoritaire sud-coréen.

La commission des affaires économiques estime qu'une participation publique de l'État constituant une minorité de blocage, qu'elle soit détenue par l'Agence des participations de l'État (APE), Bpifrance ou encore la Caisse des dépôts et consignations, est source de protection pour les actifs stratégiques des Chantiers, de stabilité pour leur performance économique, et de réassurance pour les autres actionnaires des Chantiers. Elle est donc indispensable à tout tour de table.

Si l'actionnariat public ne doit pas être systématiquement regardé comme l'outil miracle de la stratégie industrielle , l'État stratège doit néanmoins savoir reconnaître les situations dans lesquelles une participation publique représente un véritable atout pour la sécurité économique et la protection des actifs de la Nation.

Comme la commission l'a relevé précédemment, les Chantiers de l'Atlantique sont un actif stratégique pour la Nation. Ils représentent un maillon indispensable de l'industrie de défense , permettant à la France de construire ses propres grands navires militaires tels que les porte-avions.

D'ailleurs, la Cour des comptes, dans son rapport de 2017 sur l'État actionnaire suggère, dans le cas des « infrastructures essentielles » non financées par l'État, de recourir à une telle « participation assortie de droits de minoritaire » afin de garantir la protection des intérêts publics 46 ( * ) .

2. Une telle participation publique est conforme au cadre fixé par le droit européen

Si l'argument de la conformité au droit européen est parfois évoqué pour justifier de la nécessité de réduire, voire de supprimer la présence de l'État au capital des Chantiers de l'Atlantique, il n'apparaît pas que celle-ci lui soit contraire.

Les moyens d'action de l'État vis-à-vis des entreprises privées sont encadrés par le droit européen relatif aux aides d'État. Cela inclut notamment l'intervention des États et autres pouvoirs publics, comme les collectivités territoriales, au capital d'entreprises privées. Comme le relevait M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, « les institutions de l'Union européenne, attentives à ce que ni la propriété des entreprises https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/les-entreprises-publiques - _ftn16 , ni les droits qui leur sont accordés, ne faussent la concurrence, ont soumis les entreprises publiques au droit des pratiques anticoncurrentielles, au contrôle des concentrations et au droit des aides d'État. Le droit de l'Union européenne a ainsi conduit à une banalisation du régime juridique des entreprises publiques et à leur soumission à des contraintes particulièrement strictes » 47 ( * ) .

Ainsi, en tant qu'actionnaire majoritaire, un État verrait ses moyens d'actions limités : une injection de capital ou une couverture de pertes d'exploitations, par exemple, seraient considérées comme des aides d'État pouvant être sanctionnées par la Commission européenne. Par exemple, la Cour de justice de l'Union européenne a récemment jugé qu'une « garantie implicite et illimitée de l'État » était assimilable à une aide d'État au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Cependant, plusieurs objectifs de politique publique peuvent justifier une telle présence publique 48 ( * ) au capital d'une entreprise privée :

- Assurer un haut niveau de contrôle des entreprises et des secteurs stratégiques, particulièrement sensibles du point de vue de la souveraineté ;

- Garantir la satisfaction des besoins fondamentaux du pays, notamment en termes d'infrastructures ;

- Accompagner la création, la consolidation et l'expansion internationale des entreprises relevant des filières déterminantes pour la croissance économique nationale ;

- Intervenir ponctuellement au capital d'entreprises dont la défaillance présenterait des conséquences systémiques sur l'économie.

Le cas spécifique des Chantiers de l'Atlantique s'inscrit bien dans ces objectifs, puisqu'ils représentent un actif stratégique pour la construction de navires militaires, disposent d'infrastructures uniques à ce titre, font preuve d'un positionnement de leader sur un marché hautement concurrentiel, et sont le moteur économique de tout un territoire.

3. Les États sont aujourd'hui actionnaires de la plupart des leaders européens de la construction navale

Une observation du paysage européen de la construction navale confirme cette analyse. Le capital de la plupart des leaders européens de la construction navale est aujourd'hui, au moins en partie, détenu par l'État.

Par exemple, Naval Group, principal constructeur français de navires militaires et l'un des premiers groupes mondiaux du naval de défense, est détenu à 62,49 % par l'État français. Tout comme les Chantiers de l'Atlantique, leur activité représente un maillon stratégique de la souveraineté française. Leur diversification sur de nouveaux segments, tels que les énergies et infrastructures marines ou la construction de centrales électriques ne fait pas obstacle à la présence de l'État au capital.

Le parallélisme est tout aussi frappant dans le cas de Fincantieri. Le groupe italien, concurrent des Chantiers de l'Atlantique et de Naval Group, actif à la fois dans le secteur militaire et dans le secteur civil, est également détenu à majorité par un acteur public. Fintecna, société détenue à 100 % par la Caisse des dépôts italienne et chargée de gérer les participations publiques de l'État italien, possède ainsi 72,51 % du capital de Fincantieri. À la différence de la France, l'Italie a en effet choisi de pérenniser la présence publique au capital de ses chantiers navals civils.

Il est donc évident qu'aucun obstacle juridique dicté par le droit européen ne s'oppose à la pérennisation d'une présence significative de l'État au capital des Chantiers de l'Atlantique , qui pourrait d'ailleurs tout à fait être complétée par une présence d'autres acteurs publics français, notamment locaux.


* 45 Article 225-96 du code du commerce.

* 46 « L'État actionnaire », rapport public thématique de la Cour des comptes, janvier 2017.

* 47 https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/les-entreprises-publiques

* 48 https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/les-entreprises-publiques

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