III. PROPOSITIONS DE RÉVISION DES ARTICLES 73 ET 74 DE LA CONSTITUTION
Dans le prolongement des travaux du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, une proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales a été déposée par les rapporteurs, MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel, dont l'article 6 relatif aux outre-mer répond au principe de la réunion des dispositions des articles 73 et 74 de la Constitution, adopté par le groupe de travail.
Par ailleurs, à l'occasion de la table ronde organisée par la délégation le 23 juillet, des contributions sont venues nourrir la réflexion sur la nouvelle rédaction de ces articles.
Il s'agit d'une proposition rédactionnelle de M. Didier Maus, ancien conseiller d'État, président émérite de l'Association française de droit constitutionnel et de deux réflexions et propositions rédactionnelles de M. Stéphane Diémert, figurant ci-après.
Dès sa création, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a fait le choix de respecter les prérogatives des commissions en se gardant de toute intervention dans le processus législatif. Les aspects constitutionnels abordés dans le présent rapport constituent donc une exception liée à la nature même du sujet et une opportunité d'approfondissement des enjeux institutionnels et statutaires des outre-mer offerte par le travail de réflexion initié par le président du Sénat.
Pour ces raisons, il ne sera pas proposé aux membres de la délégation d'adopter une rédaction en particulier mais, comme il est d'usage en ce qui concerne les recommandations formulées par les rapporteurs, de les considérer comme étant à disposition des sénateurs comme du Gouvernement avec l'autorisation de leurs auteurs. C'est également dans cet esprit de neutralité que le président de la délégation ne s'est pas associé à la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales.
1. Proposition de loi constitutionnelle du Sénat n° 682 (2019-2020) pour le plein exercice des libertés locales
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
pour le
plein
exercice des
libertés locales
,
présentée
par
MM. Philippe Bas et Jean-Marie
Bockel, et plusieurs de leurs collègues
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Près de quarante ans après les lois Deferre, près de vingt ans après « l'organisation décentralisée de la République » voulue par Jacques Chirac, la libre administration et l'autonomie des collectivités territoriales ne doivent plus être simplement des mots mais traduire une réalité.
Le temps de la gouvernance verticale, de la suradministration et de l'hypercentralisation du pouvoir est révolu. S'il nous fallait une nouvelle preuve de l'inefficacité et du déséquilibre du modèle français de relations entre l'État et les territoires, la crise sanitaire que nous avons traversée nous l'a fourni. La réactivité des collectivités territoriales a suppléé aux défaillances d'un État mal préparé et qui, souvent, n'a pu répondre rapidement aux urgences du moment.
Les Français et leurs élus réclament plus de souplesse, moins de normes, moins de contraintes et une politique adaptée à la réalité de chaque territoire. Seule une véritable décentralisation peut répondre à cette aspiration. Seul un nouvel élan des libertés locales peut permettre de retrouver la confiance indispensable au fonctionnement normal d'une démocratie.
Il est temps de tirer les leçons de l'expérience et de franchir une étape décisive qui consacrerait la pleine reconnaissance des responsabilités locales. C'est un enjeu majeur pour restaurer la confiance, essentielle en ces temps où l'abstention se renforce, et pour donner une nouvelle énergie à notre pays en opérant un rééquilibrage profond entre l'État et les collectivités territoriales.
Il ne s'agit pas de proposer un nouveau « big bang » territorial, mais de provoquer des changements majeurs dans les comportements. Les capacités d'initiative de nos concitoyens et de leurs élus, dans les territoires, sont immenses. Encore faut-il leur permettre de s'exprimer. C'est pourquoi la décentralisation est essentielle. Elle doit devenir la matrice d'un renouveau profond de l'action publique pour redresser notre pays.
Pour ce faire, il est proposé un ensemble de mesures, déclinées en trois textes : une proposition de loi constitutionnelle, une proposition de loi organique, et une proposition de loi ordinaire.
Traduisant les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, présentées le 2 juillet dernier à la suite du rapport de MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel, co-rapporteurs du groupe de travail présidé par le président du Sénat 43 ( * ) , ces textes visent à faire prendre corps, enfin, à l'organisation décentralisée de notre République, en donnant sa pleine mesure à la libre administration des collectivités territoriales pour permettre une plus grande efficacité de l'action publique.
La démocratie territoriale et les libertés locales sont indissociables de la République française, une et indivisible. Dans un pays fracturé, divisé, il faut absolument faire le pari de la liberté et de la confiance dans l'action locale.
*
La présente proposition de loi constitutionnelle comporte six articles destinés à consacrer la place des collectivités territoriales dans l'organisation de notre pays et à accroître leurs marges de manoeuvre dans le respect de l'unité de la République.
(...)
L'article 6 tend à réunir les articles 73 et 74 de la Constitution. Cela permettrait aux territoires ultramarins qui le souhaitent de bénéficier d'un statut sur-mesure, permettant de déterminer avec souplesse la part de spécialité législative et celle d'identité législative s'appliquant sur leur territoire. Cette réunion permettra à nos outre-mer de disposer d'un cadre au sein duquel pourraient davantage s'épanouir leurs aspirations d'organisation locale, dans le respect du principe d'unité de la République.
TEXTE
Article 6
I. - Au troisième alinéa de l'article 13 de la Constitution, après les mots :
« régies par », sont insérés les mots : « le II de ».
II. - À la première phrase du premier alinéa de l'article 72 de la Constitution, après les mots : « régies par », sont insérés les mots : « le II de ».
III. - Après le mot : « régis », la fin du deuxième alinéa de l'article 72-3 de la Constitution est ainsi rédigée : « par les articles 73 et 74 de la Constitution. »
IV. - À la première phrase du premier alinéa de l'article 72-4 de la Constitution, les références : « par les articles 73 et 74 » sont remplacées par les références : « par les II et III de l'article 74 ».
V. - Les articles 73 et 74 de la Constitution sont ainsi rédigés :
« Art. 73 . - Dans l'ensemble des collectivités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 72-3, et sous réserve des compétences déjà exercées par ces collectivités, l'État est compétent en matière de nationalité, de droits civiques, de garanties des libertés publiques, d'état et de capacité des personnes, d'organisation de la justice, de droit pénal, de procédure pénale, de politique étrangère, de défense, de sécurité et d'ordre publics, de monnaie, de crédit et des changes, ainsi que de droit électoral. Cette énumération peut être précisée et complétée par une loi organique.
« Art. 74 . - I. - Chaque collectivité mentionnée au deuxième alinéa de l'article 72-3 peut disposer d'un statut qui tient compte de ses intérêts propres au sein de la République.
« Le statut de la collectivité est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante, qui fixe :
« - les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ;
« - les compétences de cette collectivité ; sous réserve de celles déjà exercées par elle, le transfert de compétences de l'État ne peut porter sur les matières mentionnées à l'article 73, précisées et complétées, le cas échéant, par la loi organique ;
« - les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité et le régime électoral de son assemblée délibérante ;
« - les conditions dans lesquelles ses institutions sont consultées sur les projets et propositions de loi ainsi que les projets d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions particulières à la collectivité, de même que sur la ratification ou l'approbation d'engagements internationaux conclus dans les matières relevant de sa compétence.
« La loi organique peut également déterminer, lorsque la collectivité est dotée de l'autonomie, les conditions dans lesquelles :
« - le conseil d'État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi ;
« - l'assemblée délibérante peut modifier une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur du statut de la collectivité, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétence de cette collectivité ;
« - des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;
« - la collectivité peut participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences qu'il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques.
« Les autres modalités de l'organisation particulière de la collectivité sont définies et modifiées par la loi après consultation de son assemblée délibérante.
« II. - En l'absence de statut, les lois et règlements sont applicables de plein droit dans la collectivité. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de cette collectivité.
« Ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité dans les matières où s'exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, selon le cas, par la loi ou par le règlement.
« Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de ses spécificités, la collectivité régie par le présent II peut être habilitée, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elle-même les règles applicables sur son territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. Ces règles ne peuvent porter sur les matières mentionnées à l'article 73, le cas échéant précisées et complétées par la loi organique.
« La disposition prévue au troisième alinéa du présent II n'est pas applicable au département et à la région de La Réunion.
« Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent II sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.
« La création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. ».
VI. - Au premier alinéa de l'article 74-1, les mots : « visées à l'article 74 » sont remplacés par les mots : « régies par le I de l'article 74 ».
I. 2. Contribution de M. Didier Maus, ancien conseiller d'État, président émérite de l'Association française de droit constitutionnel
3. Contribution de M. Stéphane Diémert, président assesseur à la Cour administrative d'appel de Paris, ancien conseiller pour les affaires juridiques et institutionnelles de deux ministres de l'outre-mer (2002-2006)
* 43 Rapport disponible à l'adresse suivante :
https:// www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2020/2020- Documents_pdf/Rapport_GT_Decentralisation_.pdf