N° 621

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1)
sur
l'ancrage territorial de la sécurité intérieure ,

Rapport d'étape

Par Mme Corinne FÉRET et M. Rémy POINTEREAU,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean-Marie Bockel , président ; MM. Mathieu Darnaud, Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Marc Daunis, François Grosdidier, Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Alain Richard, Pascal Savoldelli , vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Bernard Delcros, Christian Manable , secrétaires ; MM. François Calvet, Michel Dagbert, Philippe Dallier, Mmes Frédérique Espagnac, Corinne Féret, Françoise Gatel, M. Hervé Gillé, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean-François Husson, Dominique de Legge, Jean-Claude Luche, Jean Louis Masson, Franck Montaugé, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Philippe Pemezec, Rémy Pointereau, Mmes Sonia de la Provôté, Patricia Schillinger, Catherine Troendlé, MM. Raymond Vall, Jean-Pierre Vial.

AVANT-PROPOS

Il y a deux ans, le mouvement des « gilets jaunes » mettait en lumière le sentiment d'inégalité territoriale vécu durement par une partie de nos concitoyens d'une « France périphérique », pour reprendre l'expression désormais consacrée. Si ce sentiment de fracture revêt plusieurs aspects 1 ( * ) , la sécurité figurait au rang des préoccupations majeures, comme l'a montré le Grand débat national 2 ( * ) qui a suivi.

Depuis maintenant six ans, les collectivités territoriales ont connu d'importants changements 3 ( * ) sous l'effet des lois de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM, 2014) et portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe, 2015). À ces changements s'est ajoutée la baisse des dotations de l'État, laquelle a pesé lourdement sur les finances locales. Parallèlement, après la crise financière de 2008 et face à l'augmentation de la dette publique, l'État a cherché à se désengager des territoires 4 ( * ) . La réforme de l'administration territoriale de l'État (Réate), issue de la révision générale des politiques publiques (RGPP), a conduit à une régionalisation croissante des services de l'État et à la fragilisation de ses services départementaux : entre 2011 et 2018, les effectifs des directions départementales interministérielles ont par exemple diminué de 25 %. Ce mouvement de repli s'est aussi traduit par la réforme de la carte judiciaire et celle de la carte militaire, la fermeture de maternités ou d'hôpitaux de proximité et la suppression de centres des finances publiques ou de sous-préfectures.

Confrontées à ce contexte, aux exigences de la population réclamant davantage de proximité et à celles des élus locaux soucieux de lutter contre la délinquance, prévenir la radicalisation islamiste ou, plus récemment, veiller à l'application et au respect des consignes de sécurité liées à l'épidémie de Covid-19, les forces de sécurité ont cherché à maintenir leur ancrage territorial. À cet égard, l'engagement des personnels qui les composent mérite aussi d'être salué.

Les récents évènements qui se sont déroulés aux États-Unis à la suite de l'affaire George Floyd ont eu une résonance mondiale et la France n'y a pas échappé. Le débat s'est focalisé sur le thème des « violences policières ». Si ce sujet n'est pas au coeur du présent rapport, il ne peut lui être étranger dans la mesure où l'ancrage territorial de la sécurité repose aussi sur des relations confiantes et harmonieuses entre population et forces de l'ordre. Toutefois ce rapport d'étape n'abordera pas à chaud ces derniers évènements. Par ailleurs, compte tenu de la crise liée à l'épidémie de Covid-19, il n'a pas été matériellement possible d'organiser des missions à la rencontre des personnels de la sécurité. Il appartiendra donc à notre délégation, après le renouvellement sénatorial de septembre 2020, de programmer un nouveau cycle d'auditions 5 ( * ) et de compléter ses investigations par des déplacements sur le terrain. Elle pourra, à cette occasion, se saisir de la question des relations avec la population, en coordination avec les commissions permanentes 6 ( * ) .

Toutefois, il importe dès à présent de dire que la « violence physique légitime 7 ( * ) », conduite dans le cadre de la répression de la délinquance ne doit certainement pas être placée au même plan que la violence commise par des délinquants. Les débordements commis par quelques individus au sein de nos forces de l'ordre ne sauraient discréditer l'ensemble d'une profession. Les policiers et les gendarmes sont, en effet, en première ligne pour défendre nos libertés et notre sécurité. Aucun appel à « désarmer » la police ne peut se justifier dans notre État de droit. Car sans police, « l'homme est un loup pour l'homme », selon la formule de Thomas Hobbes dans Le Léviathan . Comme le souligne le Président du Sénat : « Face à la crise d'autorité que nous vivons, ne doutons pas que, sans police, la République n'a plus d'État de droit ».

Les récents évènements qui se sont produits à Dijon, en juin dernier, où des bandes de délinquants se sont livrées à des affrontements urbains et des expéditions punitives sans précédent en témoignent. Ces violences intercommunautaires, sur fond de trafic de drogue, démontrent un délitement de l'État et un affaiblissement de ses institutions républicaines. Nos concitoyens qui vivent dans ces quartiers dits « de reconquête républicaine », sont les premiers à réclamer le rétablissement de l'ordre républicain. Ils doivent être entendus. Ce sont eux qui subissent au quotidien les trafics, les incivilités, les raids motorisés ou encore la radicalisation. Ils ne comprennent pas, à juste titre, une forme d'angélisme ou de tolérance des pouvoirs publics lorsqu'il s'agit de lutter contre les gangs installés dans les banlieues françaises, alors qu'une extrême dureté est déployée pour réprimer des mouvements sociaux, à l'image des manifestations des gilets jaunes ou du personnel soignant. Dans ce contexte, il convient de souligner que nos forces de police sont les seules garantes de notre sécurité et donc de nos libertés. Aussi ces récents évènements de guérilla urbaine doivent-ils être analysés à l'aune des dynamiques qui traversent la société française en profondeur : réécriture raciale du passé, mouvements identitaires, communautarisme, indigénisme, séparatisme. Le Sénat ne peut que s'inquiéter et combattre le spectre de « libanisation » de la société française, qui peut demain nous conduire tout droit vers la guerre civile.

Notre délégation a pris note des annonces du ministre de l'Intérieur le 8 juin dernier ainsi que du discours du Premier ministre le 9 juin. Le Président de la République lui-même a reconnu « qu'il ne faut céder ni aux amalgames réducteurs ni au soutien coupable ». Respect, confiance et exigence doivent être les maîtres-mots à l'égard de nos forces de l'ordre. Hélas, ces dernières années, une réalité s'est imposée : les conflits entre la population et les forces de l'ordre ont augmenté de façon significative, sur fond de grogne sociale. Depuis 2018, les manifestations des gilets jaunes, suivies de celles contre la réforme des retraites, se sont accompagnées d'affrontements brutaux avec les forces de l'ordre, causant de nombreux blessés de part et d'autre et de spectaculaires dégradations. Désormais, pour de nombreux citoyens, la police est devenue un « ennemi ».

Ce contexte global devait être rappelé pour expliquer le choix de la délégation de se saisir du sujet de « l'ancrage territorial de la sécurité intérieure ». L'actualité montre plus que jamais sa pertinence. La question des relations de confiance entre nos forces de police et la population, les liens de la police et de la gendarmerie avec les élus locaux, la coopération avec les polices municipales, la lutte contre la délinquance, ou encore la prévention et la lutte contre la radicalisation islamiste, toutes ces questions méritent d'être abordées de façon sereine, dépassionnée, et sous l'angle des territoires.

À ce stade, la délégation considère que la réussite de cet ancrage dépend d'abord d'une présence suffisante des forces sur le terrain, au premier rang desquelles la police et la gendarmerie (I). Sur ce point, une implantation équilibrée sur le territoire et une formation adaptée des personnels conditionnent la qualité de cet ancrage (A). L'autre condition tient à la capacité des forces de sécurité à nouer des relations privilégiées et de confiance avec la population mais aussi avec les élus locaux (B).

La réussite de cet ancrage dépend ensuite des moyens dédiés à l'anticipation et à la réaction de nos forces de police sur le terrain (II). Sur ce point, les capacités sont conditionnées par la qualité du renseignement territorial et la réactivité des services pour répondre aux menaces (A). Mais le chaînage de la sécurité intérieure repose aussi sur d'autres maillons qui conditionnent sa solidité, en particulier l'institution judiciaire, la seule à même d'apporter une réponse pénale (B).

Le présent rapport constitue donc un travail préparatoire destiné à dresser les premiers éléments de constat, reposant notamment sur les auditions 8 ( * ) déjà réalisées : Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, Frédéric Rose, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, et Éric Morvan, directeur général de la police nationale.

I. DISPOSER D'UNE PRÉSENCE PHYSIQUE SUR LE TERRAIN ET DE RELATIONS PRIVILÉGIÉES AVEC LA POPULATION ET LES ÉLUS LOCAUX

La sécurité s'inscrit dans une territorialisation de l'action publique faisant intervenir des acteurs variés, dans des périmètres qui se superposent. Cet empilement d'interventions, parfois difficile à appréhender pour nos concitoyens, est le miroir d'une architecture institutionnelle où, sur le terrain, des forces « centrales » côtoient des forces « déconcentrées » et « décentralisées », ce qui peut nécessiter une coordination ou, au moins, un dialogue entre les acteurs.

À ce stade, notre délégation constate que la vocation de l'« ancrage territorial » de nos forces de sécurité est de répondre à des besoins de sécurité variés, et repose sur une double relation : d'une part avec la population, exigeant des relations de confiance avec sa police et, d'autre part avec les élus, en première ligne face aux demandes de nos concitoyens en matière de sécurité.

A. L'ANCRAGE TERRITORIAL DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE NÉCESSITE UNE IMPLANTATION SUR LE TERRITOIRE ET DES COMPÉTENCES ADAPTÉES

« Le monde change, et dans notre domaine, la territorialisation de la délinquance et de la criminalité ont volé en éclat ». Ce constat de l'ancien directeur de la police nationale Éric Morvan témoigne de l'importance de garantir à nos concitoyens une sécurité globale et continue. Gendarmerie nationale, police nationale et police municipale travaillent aujourd'hui de concert au sein d'un dispositif de sécurité intérieure global assurant un véritable « continuum de sécurité ».

Dans le contexte spécifique d'une délinquance désormais plus violente, de manifestations plus difficiles à encadrer et d'une menace terroriste plus diffuse, la mobilisation des forces de sécurité s'est intensifiée sur le terrain. La lutte contre le terrorisme, en particulier, est devenue indissociable de toutes les initiatives susceptibles d'être prises dans le champ de la sécurité.

1. Le prérequis d'une présence physique sur le territoire, effective et équilibrée, pour lutter contre toutes les formes d'atteinte à la sécurité

Ainsi que le relèvent Virginie Malochet et Frédéric Ocqueteau 9 ( * ) , de plus en plus d'élus et de responsables administratifs « préconisent de s'émanciper des frontières administratives établies pour raisonner davantage sur les territoires vécus. À cet effet, ils convoquent à nouveaux frais l'idée de `'bassin de vie'' ou, plus précisément ici, de `'bassin de délinquance'' . La question des périmètres de référence de ces « territoires de sécurité » est incontournable dans l'appréhension des politiques de sécurité, de même que celle du maillage territorial proprement dit de nos forces, face à des « phénomènes illégaux sans frontières (trafics en tout genre, terrorisme, etc.) ».

a) Police et gendarmerie : des forces complémentaires déployées pour assurer une présence effective et équilibrée

En 2018, les forces de sécurité intérieure comprenaient 251 512 personnels 10 ( * ) : 150 700 policiers nationaux et 100 812 gendarmes. À ce stade, la délégation retient plusieurs objectifs qui pourront être l'objet de recommandations dans le rapport définitif : l'amélioration des moyens de la police et de la gendarmerie, le renforcement de leur coopération et de leurs échanges, la suppression des doublons, ou encore le meilleur partage d'informations, de données et d'outils.

(1) La gendarmerie : un maillage territorial à préserver

Lors de son audition, le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) Christian Rodriguez déplorait que « l'ancrage et l'enracinement [aient] été perdus de vue » alors même que « ces notions font partie de l'ADN originel de la gendarmerie ». Selon lui, ces valeurs « se sont étiolées à la faveur d'accumulations de priorités et de difficultés à les trier ».

L'une des questions essentielles intéressant les territoires concerne bien sûr l'articulation et la délimitation des compétences territoriales entre la gendarmerie et la police. Ce seuil n'est cependant pas toujours respecté 11 ( * ) . Ce double critère en vigueur est en réalité lié au concept de police d'État, qui n'oppose pas la police à la gendarmerie mais les pouvoirs du préfet à ceux du maire, et donc la police d'État à la police municipale.

À cette opposition s'ajoute une ambiguïté dans le principe de répartition territoriale. Le DGGN précise sur ce point : « Le modèle de la gendarmerie fonctionne en zone urbaine tandis que le modèle policier ne fonctionnerait pas en zone rurale, en raison de l'hypercentralisation et de l'hyperdensité des effectifs. De fait, entre 60 % et 70 % des gendarmes travaillent en zone urbaine ». Une définition précise de ce que recouvre la notion de « zone urbaine » et de « zone rurale » ne serait donc pas, selon lui, suffisante. Christian Rodriguez considère plutôt qu'il serait possible d'évaluer la nécessité pour la police de densifier sa présence dans certains territoires, puis d'attribuer à la gendarmerie les zones que la police ne peut pas couvrir. En procédant ainsi, « le seuil s'élèverait à 80 000 habitants, car la police devrait sur-administrer les zones les plus sensibles ». À ce stade, notre délégation s'interroge sur la pertinence de ces seuils et envisage l'opportunité d'un assouplissement sans remettre en cause les besoins de chaque territoire.

Les communes nouvelles, dès lors qu'elles dépassent le seuil, sont automatiquement placées en zone police, automaticité qui peut poser des difficultés dans la mesure où des milliers de personnes passent ainsi en zone police, alors qu'une densification de la présence policière n'est pas prévue dans toutes les zones concernées. La suppression de cette automaticité permettrait de redonner le pouvoir de décision au préfet et aux élus.

Le général Rodriguez estime en particulier que le schéma de répartition des compétences en Île-de-France, pouvant découler sur la mise en place d'immenses zones de police dans toute la grande couronne, n'est pas nécessairement atteignable voire souhaitable, en raison de la coprésence de zones très vertes et très urbaines. Il relève que le modèle de la gendarmerie fonctionne en zone urbaine et que les gendarmes sont très polyvalents en raison de la petite taille des unités.

Sur le sujet des redéploiements police-gendarmerie, Éric Morvan, alors DGPN, souligne : « Nombre de théories consistent à dire que des départements à dominante rurale devraient basculer entièrement sous le ressort de la gendarmerie nationale ; citons par exemple les départements de l'Ariège, du Cantal, de la Creuse, ou encore de la Lozère. Je n'y suis pas favorable, et ce projet n'est actuellement pas envisageable étant donné que le chef-lieu du département doit être en zone police d'État. De plus, je suis assez attaché à la présence de la police nationale dans chacun des départements français » . Il ajoute « Au-delà du symbole, il est intéressant pour la police nationale d'avoir une sorte de ``siège social'' dans chacun des départements. Nous avons en effet des services de police qui ont une compétence nationale (DGSI et CRS, par exemple) et qui peuvent avoir à tout moment besoin de se projeter dans un département en particulier »

Le sujet des mutualisations doit cependant être abordé avec prudence. Il ne faudrait pas, en effet, qu'elles se traduisent par une diminution de la présence territoriale. La gendarmerie expérimente depuis quelques mois seulement un « Dispositif de gestion des évènements » (DGE) qui consiste en une mutualisation des patrouilles au niveau d'une compagnie ou d'un groupement. À ce stade, les retours sont jugés positifs car ce dispositif de mutualisation des militaires (dans le cadre de la fonction « intervention » seulement) permettrait d'économiser de la ressource et donc de dégager du temps pour les missions de sécurité du quotidien. Il conviendra de réaliser, dans le cadre du rapport définitif, un premier bilan à douze mois du déploiement de ce dispositif afin de s'assurer qu'il ne se traduit ni par une plus faible connaissance du terrain par les personnels, ni par des délais d'intervention rallongés.

Sur cette question de l'ancrage territorial, le directeur général ne manque d'ailleurs pas de souligner que la gendarmerie a su maintenir une présence territoriale sous contrainte budgétaire : « Nous travaillons en premier lieu à nous mettre en capacité de régénérer le maillage dans une dimension qualitative ».

Sur le terrain, la gendarmerie dispose de brigades composées de 6 gendarmes le plus souvent, ce qui permet de s'assurer d'une capacité d'intervention permanente. Mais dans certains territoires, ces forces ne comptent pas plus de trois interventions urgentes dans l'année. Pour autant, la brigade à 6 doit être équipée en véhicules et en locaux. Les gendarmes exercent donc des missions annexes qui ne produisent aucun contact et peu de sécurité pour la population. Plutôt que la brigade à 6, la gendarmerie souhaite expérimenter sur certains territoires une présence de 3 gendarmes en poste en permanence pour assurer la présence auprès de la population. Sur ce point, le général Rodriguez indique : « la gendarmerie contractualiserait avec ces gendarmes dans la mesure où des aménagements sur le sujet des astreintes et des quartiers libres seront nécessaires 12 ( * ) ». Ces gendarmes auraient pour unique tâche d'être au contact de la population. En cas d'intervention d'urgence, ils seraient mobilisés, comme les y oblige leur statut de militaire. En contrepartie, s'ils souhaitent changer de poste au bout de quatre ou cinq ans, il leur serait permis d'aller sur le territoire de leur choix. Il conviendra d'interroger les représentants des élus locaux sur un tel schéma d'organisation territorial de la gendarmerie afin de ne pas remettre en cause le maillage.

Il rappelle aussi que « certains réservistes sont d'anciens gendarmes qui disposent de leur tenue chez eux et qui, bien qu'ils n'aient plus leur arme, ont souvent conservé des réflexes d'agents de métiers de la sécurité ». Il serait donc envisageable que les réservistes puissent conserver leurs armes chez eux, protégées par des dispositifs antivol. En cas d'intervention urgente, ils pourraient être appelés par l'unité de gendarmerie concernée pour se rendre à la mairie de la commune, d'abord pour sécuriser la zone, prendre les premières mesures et assurer une présence. Cette mesure présenterait l'avantage d'être peu coûteuse, et de nombreux réservistes se porteraient sans nul doute volontaires puisqu'un tel dispositif conforterait le lien qu'ils ont souhaité conserver avec la gendarmerie.

La question de la régénération du maillage de la gendarmerie a également été soulevée. Pour le général Rodriguez, celle-ci implique de « garantir une présence plus effective et une intervention plus rapide des gendarmes ». Elle implique aussi de « renforcer la relation avec la population, et en premier lieu avec les élus ». À ce stade, la question de la distribution des effectifs de gendarmes sur les territoires, tantôt surdotés, tantôt sous-dotés, doit être posée. Il conviendra de procéder à une évaluation critique car, comme le souligne le DGGN : « En Corse, la délinquance est faible : les incidents les plus fréquents n'incombent pas à la brigade territoriale mais à la section de recherches ou à la police judiciaire et à la police nationale. Le nombre élevé de gendarmes en Corse se justifie donc en été mais pas en hiver. Dans ce type de territoire, nous pouvons retirer des effectifs sans porter atteinte à notre action auprès de la population afin de les affecter dans des départements sous-dotés ».

Le ratio théorique est actuellement d'un gendarme pour 1 000 habitants et d'un gendarme pour 800 habitants dans les territoires plus urbanisés. Pour affiner sa connaissance du besoin en effectifs, la gendarmerie a créé l'outil « Ratio », qui prend en compte la population, le nombre d'interventions et le niveau d'urbanisation. Cet outil doit être perfectionné « pour prendre en compte les évolutions démographiques dans les départements soumis aux effets saisonniers 13 ( * ) », prévient le général Rodriguez.

Sur d'autres sujets, des réflexions sont en cours, par exemple s'agissant de l'attractivité des régions où la gendarmerie recrute peu. C'est le cas des Hauts-de-France et, singulièrement, de l'ancienne région Picardie. La gendarmerie envisage l'option de la contractualisation 14 ( * ) , qui consiste à donner la possibilité aux gendarmes revenus d'Outre-mer d'y repartir à l'issue de seulement quatre ou cinq ans passés dans un territoire peu demandé.

Autre exemple cité par le DGGN : « des expérimentations visant à décloisonner ». La DGGN regroupe ainsi les unités qui se trouvent sur un même site pour éviter la suradministration et favoriser le développement de meilleurs réflexes de fonctionnement en commun. Par exemple, la compétence des motards, difficile et coûteuse à obtenir, peut venir servir l'ensemble des missions de la gendarmerie sans se limiter, désormais, à la verbalisation des voitures.

La DGGN cherche enfin à effacer les frontières départementales en recourant aux détachements d'appui interdépartementaux. Ils consistent à rendre les gendarmes d'un département compétents pour intervenir sur un évènement survenu dans un autre département mais proche de la frontière. La gendarmerie mutualise en outre l'action des centres opérationnels au sein des départements où l'activité est faible. Le DGGN résume bien l'esprit des expérimentations menées : « En somme, nous cherchons à réduire le nombre de gendarmes qui ne sont pas sur le terrain, au profit de la proximité et de la rapidité d'intervention ».

(2) La police nationale : un ancrage territorial à renforcer

À côté de la gendarmerie, la police nationale cherche, elle aussi, à se doter d'un ancrage territorial plus efficient, qui s'articule bien avec celui de la gendarmerie. Ainsi, pour l'ancien DGPN, la question de « l'ancrage » soulève inévitablement le débat de la « répartition des rôles » entre les différents acteurs. Des « règles claires doivent être posées afin de tirer le meilleur des policiers et des gendarmes et de gagner en efficacité ». Il évoque l'articulation des compétences entre la préfecture de police et la police nationale 15 ( * ) . À ce stade, notre délégation identifie justement des risques de rivalité entre ces deux administrations. Il semble nécessaire de clarifier et d'améliorer l'efficacité de leur organisation collective pour éviter tout phénomène restreignant la police nationale à des missions de police très spécialisées, comme la police aux frontières ou la lutte contre la criminalité organisée. Sur ce point, Éric Morvan suggère que : « la Direction centrale de la police judiciaire puisse par exemple avoir une vision exhaustive sur l'état de la menace en France, et non une vision partielle », ou encore que « les problèmes d'immigration illégale à Paris ne commencent pas à la barrière de Saint-Arnoult ».

Pour exercer pleinement ses missions et offrir un ancrage territorial efficace, la police nationale doit aussi repenser les rythmes de travail de ses agents. Il conviendra d'interroger les syndicats de police sur ce point, dans le cadre du prochain cycle d'auditions. Éric Morvan suggère ici quelques pistes de réflexion qui permettraient de recentrer les effectifs de la police sur leur coeur de métier : « Certains rythmes sont plus consommateurs que d'autres et nous devons mettre en place des cycles nous permettant de fonctionner efficacement, dans le respect du droit du travail et de la réglementation européenne. Des décisions passées ont autorisé des cycles horaires très consommateurs de personnel et dont j'ai pris la décision de stopper la généralisation au profit d'autres cycles plus vertueux que nous expérimentons ». Notre délégation demandera au ministère de l'Intérieur d'établir une évaluation de cette redéfinition des rythmes horaires.

S'agissant du sujet récurrent de la définition des missions elles-mêmes de la police nationale, là encore, l'ancien DGPN relève : « Certains des problèmes que nous rencontrons sont liés au fait que la police nationale continue de prendre en charge des missions qui ne sont pas les siennes : par exemple, des forces de police ou de gendarmerie effectuent encore beaucoup de transfèrement entre les maisons d'arrêt et les palais de justice, ou encore surveillent la chambre d'un détenu hospitalisé. Cette question des tâches indues ou périphériques mérite donc d'être posée ». Il va de soi que toute redéfinition des missions de la police nationale devrait intervenir dans une vision d'ensemble des périmètres et des missions de la gendarmerie. Éric Morvan n'élude pas ce sujet : « Il y a un risque à ce que la police et la gendarmerie exercent des missions identiques. Par exemple, il aurait été logique que la police prenne en charge l'aire urbaine d'Annecy. Or, cela n'a pas été possible. Nous avons bien senti qu'une telle décision aurait provoqué des crispations entre gendarmerie et police. Nous devons donc tirer le meilleur de chacune des forces, et la gendarmerie dispose de nombreux atouts sans qu'il lui soit nécessaire de ressembler à la police. Je pense en particulier à sa force en matière de mobilité ».

L'ancrage territorial de la police nationale concerne aussi la question de l'installation des policiers à proximité de leur lieu de travail. Or, sur ce point, la ville n'est pas toujours facile d'accès et de vie quotidienne pour les policiers. Éric Morvan confirme que le logement des policiers constitue « un véritable sujet d'attention » et précise : « Nous ne logeons pas de policiers mais nous favorisons leur logement. Si la région parisienne est en tension, nous éprouvons également beaucoup de difficultés pour trouver des volontaires pour s'installer à Nice ou à Annecy, des secteurs devenus peu attractifs en raison du coût de la vie et notamment du logement ».

Ces difficultés personnelles, notamment de logement, rencontrées par les policiers ne doivent pas être sous-estimées car elles peuvent se répercuter au sein des commissariats. La situation est particulièrement complexe, par exemple en région parisienne, où la police fait face à une politique de réservation dans les programmes neufs auprès des bailleurs sociaux. De nombreuses réservations arrivent actuellement à échéance par vagues importantes, et les budgets hors masse salariale dont la DGPN dispose ne lui permettent pas de les remplacer. Ce contexte et les difficultés évoquées font donc de l'accompagnement social des policiers un sujet de tension non négligeable. Le logement peut, à l'inverse, être un levier de fidélisation des personnels, ce qui fait dire à Éric Morvan qu'il faut « nous interroger sur la manière dont le ministère de l'Intérieur pourrait aider les policiers à devenir propriétaires de leur logement ».

À ce stade, il est possible de réfléchir à des partenariats, par exemple entre les communes et les offices publics d'habitations à loyer modéré ou des organismes équivalents, qui pourraient permettre de contribuer pleinement à la politique d'attractivité auprès des policiers dans certains territoires. Notre délégation pourra envisager des recommandations en la matière.

Enfin, l'ancrage territorial s'entend de la relation des autorités de police avec les autorités locales. Il s'agit d'un axe de priorité important, désormais revendiqué par la police nationale. Éric Morvan confirme : « Nous nous inscrivons désormais dans ce que nous nommons le continuum de la sécurité (ou chaîne continue et solidaire) dans un partenariat très fort avec les élus ». C'est le cas, par exemple, pour la prévention de la radicalisation, ou encore la sécurité du quotidien, sujets qui font l'objet d'approfondissements dans le présent rapport.

b) Des besoins de sécurité variés répondant à des menaces protéiformes

La sécurité repose sur trois piliers : l'action de voie publique (préventive, dissuasive ou répressive), le renseignement (qu'il soit criminel ou qu'il concerne les services de renseignement) et l'investigation judiciaire (autrement dit la mise en forme des itinéraires délinquants pour les présenter en juge). Ces trois piliers ont pour but de lutter sur le terrain contre des menaces protéiformes : la délinquance, le terrorisme ou encore la radicalisation.

(1) Le périmètre de la délinquance repose sur des données statistiques

Devant la délégation, Éric Morvan affirmait : « La police nationale évalue depuis très longtemps son action au moyen de données encore largement quantitatives (état de la délinquance, atteintes aux biens, aux personnes, délinquance économique et financière, etc.). Nous sommes équipés sur ces sujets [...] un service statistique ministériel a été créé en 2014 ». Or, mesurer la délinquance peut s'avérer délicat. Il convient en effet de définir au préalable le périmètre de la délinquance, les indicateurs pertinents et d'en recenser les sources disponibles 16 ( * ) .


Les chiffres de la délinquance

En janvier 2020, le ministère de l'Intérieur rendait publics les derniers chiffres de la délinquance sur l'année 2019. Il en ressort qu'après une année 2018 marquée au niveau national par une hausse sensible du nombre des violences sexuelles enregistrées (+19%), l'année 2019 a également révélé une augmentation très nette de ces violences (+12%), même si l'ampleur a été moindre. L'année 2019 a également affiché une forte progression des escroqueries (+11%), alors que la tendance à la hausse était moins marquée en 2018 et 2017. Le nombre d'homicides a aussi nettement augmenté en 2019 (970 victimes) alors qu'il était stable depuis deux ans. Comme en 2018, les coups et blessures volontaires sur personnes âgées de 15 ans ou plus enregistrent une forte hausse en 2019 (+8%). Cela résulte notamment de l'augmentation des violences intrafamiliales recensées 17 ( * ) . La progression a été plus modérée pour les vols sans violence contre des personnes (+3%) voire très légère pour les vols dans les véhicules (+1%). Les vols avec armes et les cambriolages de logement sont demeurés stables en 2019, alors que ces deux indicateurs étaient en nette baisse l'année précédente. En revanche, la baisse a été assez significative pour les vols d'accessoires sur véhicules (-5%), confirmant la tendance de ces dernières années. Enfin, la baisse a été plus légère pour les vols violents sans arme (-2%), les vols de véhicule (-1%) et les destructions et dégradations volontaires (-1%).

Des analyses territoriales ont complété ce bilan 2019, démontrant l'absence d'homogénéité sur l'ensemble du territoire, des évolutions observées au niveau national. Ces données quantitatives soulignent donc que les chiffres évoluent d'une année à l'autre, mais surtout que la délinquance elle-même évolue. Un caractère protéiforme qui conduit par exemple à englober dans les statistiques les atteintes aux personnes comme celles sur les biens. De la petite délinquance urbaine qui gêne la tranquillité publique et le quotidien des habitants de certains quartiers (trafics de stupéfiants, incivilités) aux actes délictueux relevant de qualifications pénales spécifiques, ou encore des faits donnant lieu à l'engagement de poursuites pénales et qui aboutissent à une condamnation, en passant par les faits qui donnent lieu à des investigations mais n'aboutissent pas nécessairement à une réponse pénale (le fameux « chiffre noir »), la notion de délinquance englobe donc une grande variété de comportements dont la comptabilisation ne peut découler que de leur constat. Le « fait constaté » devient ainsi l'élément essentiel, la métrique unique de la mesure statistique de la délinquance.

Les chiffres de la délinquance doivent donc être analysés avec précaution. À ce stade, notre délégation ne dispose pas de données territorialisées de la délinquance. Elle envisage donc, dans le cadre du rapport définitif, d'interroger le ministère de l'Intérieur sur ces chiffres par région, département et commune, et de croiser ces chiffres avec l'évolution des effectifs de police et de gendarmerie dans ces territoires. Le but est de mesurer l'impact ou non de l'évolution du maillage sur les chiffres de la délinquance.

À cet égard, le général Rodriguez (DGGN) souligne l'importance du recueil et du traitement de données pour mesurer la réalité de la délinquance dans les territoires : « Les traitements de données, les inventions, les algorithmes et les collaborations doivent améliorer nos performances et notre capacité à être en contact avec les élus. Nous sommes également soumis à l'obligation de rendre compte aux élus, d'accepter la critique et l'échec d'une expérimentation ». Il apparaît indispensable que les élus locaux soient bien informés par les services de l'État des chiffres et de l'évolution de la délinquance sur leur territoire. L'objectif est évidemment de mieux en percevoir les enjeux et de lutter plus efficacement contre la progression de celle-ci.

(2) Le terrorisme : un enjeu désormais incontournable pour les collectivités territoriales

Ces dernières années, en plus de la délinquance, une autre menace pour la sécurité s'est imposée comme un enjeu incontournable de la sécurité à tous les niveaux de l'État : le terrorisme. Le Sénat a d'ailleurs largement contribué à la prise en compte législative du risque terroriste en renforçant l'arsenal juridique 18 ( * ) . Le cadre pénal s'est par exemple enrichi de la possibilité de surveiller les données de connexion (internet, géolocalisation, factures détaillées de téléphone) à but préventif ; la possibilité de poursuivre les actes de terrorisme commis par des ressortissants français à l'étranger et les personnes ayant participé à des camps d'entraînement terroriste à l'étranger ; l'interdiction du territoire aux personnes suspectées d'être candidates au djihad ; ou encore la création du délit « d'entreprise terroriste individuelle ».

Malgré ce cadre législatif renforcé, le terrorisme a continué à endeuiller notre pays en 2015, obligeant les pouvoirs publics à décréter l'état d'urgence 19 ( * ) . C'est dans ce cadre que les préfets ont vu leurs pouvoirs renforcés 20 ( * ) . C'est dans ce contexte également que la loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions a été promulguée le 20 novembre 2015 21 ( * ) , durcissant encore la réponse sécuritaire 22 ( * ) . À peine quatre mois plus tard, le 22 mars 2016, était promulguée la loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, les atteintes à la sécurité publique et actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs 23 ( * ) . Puis, le 3 juin 2016, la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale était promulguée 24 ( * ) . Alors que l'état d'urgence devait prendre fin le 26 juillet 2016, l'attentat du 14 juillet à Nice a conduit à une prorogation de l'état d'urgence de six mois par la loi du 21 juillet 2016 25 ( * ) . La loi du 19 décembre 2016 a également prorogé l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 2017.

Le législateur s'est aussi attaché à renforcer la sécurité juridique des interventions des forces de l'ordre. La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a ainsi mis en place un cadre d'usage des armes unifié pour les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires, ainsi qu'une protection renforcée de l'identité des forces de sécurité. L'état d'urgence a de nouveau été prorogé par la loi du 11 juillet 2017 jusqu'au 1 er novembre 2017, texte qui a notamment rendu possibles des mesures d'interdiction de séjour.

Puis la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est venue sceller la fin de l'application de plusieurs mesures de l'état d'urgence, telles que la possibilité de fermer des salles de spectacles, des débits de boissons, des lieux de réunion, ou encore l'interdiction de manifester. Ce texte a également prévu des mesures de lutte contre la radicalisation et pérennisé le régime permettant la consultation des données du fichier des passagers du transport aérien ( Passenger Name Record ou PNR). Enfin, il a étendu les possibilités de contrôle dans les zones frontalières.

Toutefois, le 29 mars 2018, après avoir été saisi de quatre questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a apporté quelques réserves d'interprétation aux mesures administratives de lutte contre le terrorisme. Face à la crainte de voir se généraliser des contrôles au faciès dans les périmètres de protection (créés sur le modèle des zones de protection ou de sécurité de l'état d'urgence), les juges ont rappelé que ces vérifications devaient exclure « toute discrimination ». En matière de mesures individuelles de contrôle et de surveillance, ils ont aussi exigé le strict respect du droit à mener une vie familiale normale, et que l'interdiction ne puisse excéder une durée cumulée de douze mois.

Si le législateur est donc constamment intervenu, au cours des cinq dernières années, pour tenter de lutter contre le terrorisme, c'est parce que sa forme contemporaine a profondément évolué. En même temps que la législation, c'est l'organisation même des différents services qui a profondément évolué ces dernières années. Les attentats de 2015 ont en effet permis de révéler une défaillance : s'il existait de nombreux services de renseignements civils et militaires effectuant chacun un travail remarquable, les informations n'étaient pas partagées. La DGSI a donc dû assumer un rôle de chef de file dans la lutte antiterroriste au niveau national. C'est donc vers elle que toutes les informations convergent désormais et, comme l'a souligné l'ancien DGPN : « ce chef de filât est désormais totalement formalisé ».

Le terrorisme a également eu un impact sur l'activité des services de sécurité sur la voie publique. Après les attentats de 2015, les CRS par exemple ont été presque exclusivement affectés à des missions de sécurisation. Dans les mois qui ont suivi, ils ont été chargés de garder les lieux de culte et les grands organes de presse et de télévision. L'impact du terrorisme sur les services de police a également été profond lorsque les attentats ont concerné les policiers eux-mêmes, qu'ils soient municipaux ou nationaux 26 ( * ) . Ces tragiques évènements ont obligé notre police à revoir un certain nombre de ses doctrines internes, notamment sur la question de la protection et de l'armement des personnels. La délégation avait, à cet égard, bien accueilli la possibilité pour les maires d'armer leur police municipale avec un quota de 4 000 armes.

Du côté de la gendarmerie nationale, son schéma national d'intervention en matière de terrorisme « fonctionne plutôt bien », selon les mots du général Rodriguez, qui assure que « la gendarmerie est capable d'intervenir rapidement dans de pareilles hypothèses ». Cette montée en puissance rapide est rendue possible par l'implantation territoriale des unités de gendarmerie et son organisation interne. Cependant, les différentes forces de la gendarmerie disposant de compétences rares, une progression n'est possible que lorsque chacune des forces fait appel aux compétences des autres. Dans cette perspective, le général Rodriguez a indiqué que dans le cadre du Livre blanc sur la sécurité intérieure, « la DGPN et la gendarmerie avaient cherché à alimenter la réflexion relative à la gestion de crise » et qu'elles entendaient y inscrire « la nécessité pour les différentes instances de se renforcer mutuellement ; peut-être mettrons-nous en place une entité commune d'anticipation et de planification ? ».

En définitive, les nombreux actes terroristes perpétrés depuis 2015 n'ont pas été sans effets sur le positionnement et l'étendue des champs opérationnels de la police et de la gendarmerie. La radicalisation mobilise, elle aussi, nos forces de sécurité intérieure en les invitant à se réinventer.

(3) La radicalisation : un phénomène complexe nécessitant un travail partenarial entre l'État et les collectivités territoriales

La radicalisation islamiste sur le sol national est aujourd'hui une réalité dans de nombreux territoires. L'État a d'ailleurs appelé à plusieurs reprises les collectivités territoriales à participer à la prévention de ce phénomène. Pour autant, nombre d'élus locaux s'interrogent encore sur les mesures à prendre et sur les modalités du partenariat qui peut être engagé avec les services de l'État. La délégation s'en était d'ailleurs préoccupé dès 2017 à l'occasion du rapport Les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation 27 ( * ) dont les recommandations devaient justement permettre aux collectivités territoriales de jouer pleinement leur rôle en matière de prévention de la radicalisation 28 ( * ) .

Trois ans plus tard, la délégation ne peut que réitérer son constat : les collectivités doivent être envisagées comme des acteurs à part entière de la prévention et de la lutte contre la radicalisation. De façon plus générale, et comme les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur « la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre », présidée par notre collègue Nathalie Delattre, l'ont montré, les collectivités territoriales peuvent, avec l'État, déployer des actions pour contrer le « séparatisme islamiste » à l'oeuvre dans certains territoires.

Depuis une dizaine d'années, particulièrement dans les communes, les élus locaux sont en effet directement confrontés à une multiplication de demandes communautaristes ou religieuses inacceptables 29 ( * ) ainsi qu'à des tentatives de personnes radicalisées de contrôler certaines structures de sociabilité (maisons de la jeunesse et de la culture, associations sportives, éducatives...). À ce stade, sans préjuger du rapport de la commission d'enquête, la délégation ne peut que recommander de poursuivre l'effort de formation des élus locaux aux enjeux de l'islamisme et de la radicalisation. En 2017 la consultation sénatoriale avait en effet révélé que 60 % d'entre eux « estimaient ne pas disposer de tous les éléments d'information nécessaires pour saisir le phénomène de radicalisation ».

La politique de prévention de la radicalisation, initialement concentrée dans les mains du préfet est aujourd'hui davantage mise en oeuvre en « co-production de sécurité » avec les collectivités territoriales dont l'expérience n'est plus contestée. À cet égard, il conviendra, dans le cadre du rapport définitif, d'évaluer l'efficacité des contrats locaux de sécurité et des comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) mis en place dans les années 1990. Jusqu'à présent ces instances ont conduit les collectivités à s'impliquer dans la prévention de la radicalisation, ont permis l'instauration d'une relation de confiance et d'un partage d'informations entre les acteurs concernés (préfets, élus locaux, police, justice, école, associations...). Ce partenariat s'est pour l'instant traduit par la mise en place d'un dispositif souple et adaptable aux besoins du terrain grâce à un certain nombre d'outils à chaque niveau de collectivité 30 ( * ) .

Si l'implication des collectivités territoriales dans la prévention de la radicalisation 31 ( * ) est donc plutôt récente, elles bénéficient toutefois de l'expérience acquise au cours de vingt années de partenariat avec l'État dans le domaine connexe de la prévention de la délinquance. La délégation n'avait d'ailleurs pas manqué de recommander la mise en place d'un protocole national d'évaluation des initiatives locales. En effet, il était apparu nécessaire d'engager une réflexion sur les modalités de diffusion des initiatives locales les plus pertinentes ou les plus prometteuses.

Au niveau des territoires, la lutte contre la radicalisation passe bien-sûr par le déploiement de dispositifs de prévention. À cet égard, les collectivités ont un rôle à jouer pour assurer une prévention primaire, consistant à agir sur de nombreux facteurs socio-économiques (éducation, emploi, logement, loisirs, etc.) qui peuvent être décisifs. Elles peuvent aussi mettre en place des dispositifs de prévention secondaire dirigés vers des groupes ou des populations présentant un risque particulier de radicalisation ou des personnes en voie de radicalisation. Enfin, les collectivités peuvent participer, mais dans un cadre précis et en partenariat avec les autorités de l'État, à des programmes de prévention tertiaire, destinés à des personnes déjà radicalisées et/ou ayant commis des actes violents 32 ( * ) .

Il est ressorti de plusieurs auditions le besoin de protéger davantage les élus locaux des pressions vécues sur le terrain et de clarifier les rôles respectifs de l'État et des collectivités territoriales. La délégation souhaite par exemple évaluer la possibilité d'un transfert de la compétence des permis de construire des lieux de culte des maires vers les préfets. Le SG-CIPDR admet lui-même que « le transfert au préfet des permis de construire des lieux de culte pourrait effectivement constituer une piste de réflexion intéressante. Certes, le préfet appliquera aussi les règles d'urbanisme, mais il subira probablement moins de pression que le maire ».

Enfin, la question de la radicalisation a conduit à une tentative de mise en cohérence des actions de renseignement territorial ces dernières années, de la part des différentes forces de sécurité. Le général Rodriguez souligne sur ce point que « des structures obligeant chaque force à partager l'information et à collaborer ont été créées » et que « les différentes forces - DGSI, renseignement territorial et gendarmerie - se partagent les personnes à surveiller. Ainsi, nous suivons 600 personnes, à l'aide de toutes les techniques que les différentes lois nous permettent de mettre en oeuvre. Je signe régulièrement des demandes d'écoutes administratives et de poses de balise ». Il conviendra donc d'en mesurer l'efficacité au niveau local dans le cadre du rapport définitif.

2. La condition supplémentaire de disposer de forces de sécurité bien formées, ayant une stratégie bien définie
a) La qualité de l'ancrage territorial de la sécurité repose sur la préparation des forces à être sur le terrain : formation, équipements, moyens

La montée en puissance des compétences de nos forces de sécurité est indispensable. Il s'agit d'un impératif, à la fois pour s'adapter en permanence à l'évolution de la délinquance elle-même, et en même temps pour permettre aux forces de sécurité intérieure d'apporter des réponses adaptées aux besoins de nos concitoyens tout en assurant leur sécurité. Il est donc essentiel que les personnels mis en situation d'être déployés sur le terrain et au contact de la population soient bien formés.

Après 2015, le volume de formation initiative en école est passé de 12 à 10 mois pour les policiers. Aujourd'hui la formation totale atteint donc 16 mois dont 6 mois de stage sur le terrain. Une situation que le ministre de l'Intérieur a dit « vouloir changer ». Le ministère travaille actuellement à un allongement à 24 mois, incluant davantage de formation continue, et pas seulement des cycles de formations en école. L'objectif du ministère est d'inverser la répartition et de prévoir 8 mois de formation en école et 16 mois de stage sur le terrain en formation continue. La délégation prend bonne note d'une telle annonce 33 ( * ) et sera attentive aux arbitrages qui seront rendus en septembre prochain par le ministre.

Pour renforcer l'ancrage territorial de la sécurité, la délégation juge qu'il convient également de réfléchir à inclure, dans la formation de nos forces de l'ordre, des modules consacrés à la relation avec les collectivités territoriales. Il s'agirait de renforcer la compréhension, très précieuse, par les agents, de l'environnement administratif, juridique et politique des collectivités territoriales. Des éléments d'ordre institutionnel méritent en effet d'être mieux connus des policiers et des gendarmes pour qu'ils puissent interagir dans les meilleures conditions avec les élus locaux.

L'actualité a également montré toute la pertinence de la question de la formation des personnels, dans le cadre du débat sur les techniques d'interpellation 34 ( * ) . Évidemment, la formation des agents qui exercent les missions de sécurité est au coeur de cette problématique. En l'espèce, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a annoncé avoir demandé à l'actuel DGPN de lui faire des propositions, d'ici à septembre prochain, sur la formation des forces de police afin de renforcer les modules de formation spécifique à l'intervention sur la voie publique. Il a également annoncé devant le Sénat le 25 juin dernier vouloir généraliser les dispositifs des caméras piétons 35 ( * ) afin « d'améliorer la relation avec les usagers », et « lutter contre l'asymétrie d'information avec les images parfois biaisées diffusées par les médias ». Notre délégation accordera une attention toute particulière aux moyens consacrés à nos forces de sécurité : rémunération, équipements, et bien sûr formation.

Elle constate à ce stade, une difficulté éprouvée tant par les forces de police que celles de la gendarmerie, ayant trait à la question des moyens matériels : véhicules, armes, uniformes, protections, etc. Il en va ici de l'image même de l'État régalien. Comment celui-ci peut-il imposer l'autorité s'il est en haillons ? Or, dans de nombreux territoires, les agents se plaignent de locaux vétustes, d'uniformes vieillissants, d'armes obsolètes, de véhicules dépassés, etc. Tout cela face à des criminels qui, eux, sont « montés en gamme », utilisant, par exemple, des armes de guerre ou des berlines ultra puissantes. Une asymétrie des moyens s'est installée dangereusement pour nos forces de sécurité. Les casseurs qui infiltrent les mouvements sociaux depuis une dizaine d'années le prouvent également car eux aussi ont perfectionné leurs équipements (casques, protections, etc.) pour affronter les forces de l'ordre.

S'agissant enfin de la question de l'affectation des agents, on observe, si l'on se concentre seulement sur les gardiens de la paix fraîchement recrutés, des difficultés tenant au fait qu'une partie d'entre eux se retrouvent affectés dans des quartiers dits difficiles que les agents plus expérimentés cherchent rapidement à quitter. Ainsi même en ayant une bonne formation initiale les jeunes gardiens de la paix peuvent se retrouver avec très peu d'expérience de terrain dans des quartiers sensibles.

Ce problème d'affectation des jeunes gardiens de la paix viendrait en partie du système de recrutement de la police nationale reposant sur un vivier principalement issu des autres régions et très faiblement issu de la région parisienne. En effet, si l'on prend l'exemple de l'Île-de-France, seulement 10 % des recrues dans les écoles de police sont issues de la région parisienne, qui représente 25 % des emplois dans la police. Or, 90 à 95 % des postes à pourvoir en sortie d'école sont situés en Île-de-France. Avec une conséquence logique : « Paris et sa banlieue se retrouvent dotés de policiers originaires, pour l'écrasante majorité d'entre eux, de province. Ceux-ci cherchent en général à repartir dans leur région d'origine au plus tôt. Dès qu'ils y parviennent, ils sont en toute logique remplacés par de nouvelles sorties d'école qui, de même, ne pensent qu'à une chose : se faire muter 36 ( * ) ». Avec un turn-over très important, les gardiens de la paix présents dans ces quartiers ont alors logiquement une très faible connaissance du territoire. Cette situation interroge, et il conviendrait d'initier une réflexion avec le ministre de l'Intérieur sur la possibilité d'un encadrement d'agents avec plus d'expérience dans ces quartiers.

b) La définition d'une « Stratégie nationale de prévention de la délinquance »

Depuis le début des années 1980 de nombreux dispositifs partenariaux destinés à encourager les interactions entre une multiplicité d'acteurs ont été déployés 37 ( * ) . Ces dispositifs ont répondu aux mêmes objectifs : permettre aux acteurs concernés par les enjeux de sécurité de dialoguer et de définir, ensemble, des actions communes ; favoriser une meilleure (re)connaissance des différents acteurs concernés (judiciaires, sociaux, municipaux, policiers, gendarmes) ; rassembler et mieux articuler les forces et les compétences. La « Stratégie nationale de prévention de la délinquance », dont l'objectif est l'amélioration durable de la sécurité et de la tranquillité publiques dans tous les domaines de la vie quotidienne va dans ce sens. Elle se situe au carrefour des champs éducatif, social, de l'insertion professionnelle, de la sécurité et de la justice.

Créé en 2006 à la suite des violences urbaines de 2005, c'est le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation (CIPDR), dont le champ d'action est large, qui décline cette politique publique qui recouvre selon les mots du préfet Frédéric Rose, secrétaire général (SG) : « la prévention de la délinquance, la prévention de la radicalisation, la lutte contre l'islamisme et le communautarisme ainsi que la lutte contre les dérives sectaires 38 ( * ) ». Par ailleurs, le SG-CIPDR vient tout juste de se doter d'un pôle consacré au « communautarisme et au repli communautaire », après avoir déjà vu son champ élargi à la lutte contre la radicalisation en 2016.

Le premier plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes n'a été adopté que le 23 avril 2014, témoignant d'une prise de conscience sans doute tardive de la part des pouvoirs publics. En six ans, il a fallu construire une politique publique nouvelle et inventer des façons différentes de travailler, pour assurer la sécurité des Français face à la menace terroriste. Plusieurs plans se sont succédé, dont le dernier « plan national de prévention de la radicalisation » a été présenté par le Premier ministre en février 2018. La délégation avait d'ailleurs été associée à son élaboration, à la suite d'un travail partenarial mené avec le SG-CIPDR en 2017.

Comme l'indique lui-même son secrétaire général, le préfet Frédéric Rose : « En matière de conception des politiques publiques, le SG-CIPDR appuie le Gouvernement et propose l'élaboration et la construction de politiques publiques en matière de prévention de la délinquance, de la radicalisation, des dérives sectaires et de lutte contre l'islamisme ». Sa deuxième mission est « une mission d'animation. Mais le SG-CIPDR est aussi un outil d'appui aux territoires et, grâce à une cellule d'appui, à l'animation des réseaux territoriaux ». Au-delà de la prévention dite « primaire » à caractère éducatif et social et s'adressant à de larges publics, la stratégie précédente 39 ( * ) , qui s'est arrêtée en avril 2017, proposait des approches individualisées. Elle se traduisait aussi par des actions ciblées de prévention « secondaire », tournées vers des jeunes exposés à un premier passage à l'acte délinquant, et « tertiaire » de prévention de la récidive.

Le préfet Frédéric Rose souligne : « lors de la réunion du CIPDR, le 11 avril 2019 à Strasbourg, sous la présidence du Premier ministre, ce dernier avait souhaité que le travail avec les élus soit encore davantage renforcé, et que la stratégie nationale de prévention de la délinquance soit axée sur le terrain et les acteurs locaux ». Le Premier ministre avait effectivement annoncé le lancement de plusieurs expérimentations avec des collectivités locales - Lille, Dijon, Toulouse et Strasbourg - sur des actions partenariales, afin de mieux identifier les compétences des métropoles et des municipalités. Ces actions ont duré une partie de l'été et ont été synthétisées dans la nouvelle Stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024, rendue publique en mars dernier et qui a associé les élus locaux.

Notre délégation sera attentive à l'application au niveau local de cette nouvelle Stratégie nationale. Elle relève, à ce stade, qu'elle s'appuie sur un précédent dispositif mis en place depuis 2018 dans 15 quartiers prioritaires, dont le chef de l'État a dressé un premier bilan devant les maires et dont les jalons avaient déjà été posés lors d'un grand séminaire sur « la lutte contre l'islamisme et le communautarisme » organisé au ministère de l'Intérieur le 28 novembre 2019. À cette occasion, le ministre avait adressé aux 125 préfets présents une circulaire leur demandant de « placer la lutte contre le communautarisme et le repli communautaire au coeur de leur action et d'accentuer les contrôles susceptibles d'aboutir à des fermetures administratives ». Les procureurs ont également reçu des instructions en ce sens.


La Stratégie nationale 2020-2024 se présente sous la forme d'un document opérationnel s'articulant autour de quatre priorités d'action déclinant 40 propositions

- La première priorité concerne les jeunes, avec l'idée de commencer la prévention le plus tôt possible car les chiffres de la délinquance montrent un rajeunissement, dans certains territoires, de l'âge des délinquants 40 ( * ) . Partant du constat qu'« il existe des manifestations à un jeune âge qui nécessitent de développer une capacité d'intervention plus précoce », la Stratégie nationale préconise d'agir plus tôt et d'aller plus loin dans la prévention auprès des jeunes. Afin d'identifier sans stigmatiser les jeunes exposés à la délinquance et aux différentes formes de délinquance, le CIPDR propose de définir les situations de vulnérabilité pour aider les acteurs locaux à identifier et à prendre en charge les jeunes concernés et de sensibiliser les acteurs aux situations qui exigent une intervention précoce auprès des publics de moins de 12 ans. Le maire ou le président de l'EPCI seraient chargés, avec les coordonnateurs de CLSPD ou de CISPD du pilotage de cet axe de stratégie, en collaboration étroite avec l'Éducation nationale, l'institution judiciaire et les services de l'État.

De façon plus générale, la Stratégie préconise d'améliorer l'échange d'informations sur les jeunes dans le cadre des CLSPD, en systématisant une réunion spécifique et régulière entre la gendarmerie et/ou la police nationale et la police municipale, les représentants municipaux des services de tranquillité publique, les directeurs d'écoles et chefs d'établissements. Une partie de cette réunion peut aborder des problématiques générales, ou qui concernent les écoles primaires, puis une seconde partie des problématiques plus spécifiques aux collèges et lycées. Le CLSPD pourrait ainsi impulser la création de groupes opérationnels permettant le recueil d'informations confidentielles concernant, par exemple, le traitement du décrochage scolaire et l'accompagnement des familles dans cette problématique, les alternatives aux exclusions temporaires et les mesures de responsabilisation. Il s'agirait, en somme, d'offrir un cadre sécurisé où l'intervention auprès des familles pourrait compléter le traitement.

- La deuxième priorité de cette stratégie concerne les personnes dites « vulnérables », parmi lesquelles les victimes. La Stratégie nationale préconise ici plusieurs mesures visant à faciliter leur identification, à adapter les modalités d'intervention, à développer une prise en charge globale des victimes et à encourager les processus d'apaisement. Une des actions les plus symboliques est le renforcement des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries. Il s'agit des personnes qui, à côté du dépôt de plainte, accompagnent les victimes -et parfois les auteurs - pour le suivi social, ou la réorientation vers des acteurs de la prévention ou de la prise en charge des victimes.

Il existe aujourd'hui 291 intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries, un chiffre qui reste relativement modeste eu égard aux besoins et rapporté au nombre de départements. Dans le cadre de cette nouvelle Stratégie, le CIPDR a souhaité mettre l'accent sur le recrutement des intervenants sociaux et nourrit l'ambition d'en recruter 80 en 2020 et 80 en 2021. Sauf que les modes de financement sont partagés entre l'État, au moins pour le démarrage, et les collectivités territoriales. Le CIPDR a donc demandé aux préfets de consulter l'ensemble des acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités territoriales, pour accélérer la désignation des acteurs sociaux, et pouvoir travailler conjointement à la montée en puissance de ce dispositif.

Interrogé par la délégation, le SG-CIPDR indique que « l'État finance à hauteur de 3 millions d'euros par an les intervenants sociaux via le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ». Il ajoute qu'en 2020 « 4 millions d'euros seront consacrés à la création de 80 postes supplémentaires. Leur financement par l'État est modulé en fonction des besoins des territoires ; il varie entre 50 % et 80 % du coût d'un poste ». Les nouveaux intervenants sociaux seront également installés auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et au sein des centres communaux d'action sociale (CCAS). Ils seront répartis selon les priorités de chaque territoire, en fonction des difficultés de financement constatées et du faible nombre d'intervenants sociaux existants. Selon Fréderic Rose « nous faisons du sur-mesure, en lien avec les préfets. L'essentiel est que les intervenants soient in fine installés dans les différents commissariats et brigades ». Les référents existent toujours dans la police comme dans la gendarmerie mais quand certains sont très souvent en contact avec eux, d'autres élus ne les rencontrent hélas pas suffisamment.


Face à ces critiques le SG-CIPDR indique souhaiter qu'il « existe toujours un point de contact avec les élus, sur un rythme hebdomadaire ou mensuel selon les territoires. Dans les zones de gendarmerie, nous avons prôné un rythme mensuel, mais chaque territoire s'organise finalement en fonction de ses besoins ».

- Le troisième axe de cette nouvelle Stratégie nationale concerne « le rapport à la population ». Notre délégation ne peut que réaffirmer son souhait qu'en matière de sécurité, les liens entre la police, la gendarmerie et la population soient renforcés. Pour Frédéric Rose : « la stratégie comporte des mesures visant à préserver le sentiment de sécurité dans l'espace public ». Cette stratégie s'est notamment traduite par la mise en oeuvre de la police de sécurité du quotidien (PSQ) et par la tenue d'assises territoriales de la sécurité intérieure, préalables à la rédaction du Livre Blanc. Le ministère estime que tous les acteurs de la société, avec leurs compétences propres, doivent être mobilisés pour renforcer ce lien.

À cet égard, la délégation prend bonne note de la création récente, des « groupes de partenariat opérationnel » (GPO) dont l'objectif est précisément d'associer les habitants, les élus, les bailleurs sociaux, non pas dans des grand-messes inutiles, mais dans des réunions où les problèmes sont discutés immeuble par immeuble, cage d'escalier par cage d'escalier 41 ( * ) . Il s'agit là d'un outil concret pour endiguer le sentiment d'insécurité.

La Stratégie rappelle en outre qu'assurer la tranquillité publique de la population repose sur la mise en place d'un « schéma local de tranquillité publique, de dimension communale ou intercommunale ». Elle préconise de le généraliser dans le cadre d'actions préventives infra-judiciaires pilotées au sein d'un groupe opérationnel du CLSPD / CISPD en cas de problèmes récurrents dans les structures sportives, imputables notamment à des mineurs. Elle mentionne à ce titre le dispositif « Espace Réparation », connu dans certaines collectivités territoriales, qui constitue une alternative aux poursuites pénales, associant notamment un club sportif (exemple : club de football amateur), le procureur de la République et le maire.

- Enfin, le dernier axe de la Stratégie concerne « la gouvernance locale ». Les rôles sont en principe clairement établis : le préfet de département est chargé du pilotage, les maires, les métropoles ou les agglomérations exercent un rôle complémentaire. Le maire est l'autorité de police de proximité ; l'agglomération ou la métropole constituent des puissances de coordination, d'appui et d'ingénierie. Tous poursuivent, ensemble, deux buts : le continuum et le partage de compétences. La Stratégie nationale 2020-2024 s'oriente ainsi clairement vers une gouvernance rénovée avec une nouvelle dynamique au niveau départemental. Elle propose en outre de mieux articuler le rôle du maire et du président d'intercommunalité dans leur soutien à la stratégie de prévention de la délinquance. Dans l'esprit de ces préconisations, les préfets ne doivent pas hésiter à communiquer aux maires les informations dont ils disposent et les relations entre l'État et les élus ne doivent plus être empreintes de suspicion.

Parmi les mesures préconisées, figurent notamment la réaffirmation, grâce au conseil départemental de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CDPDR), d'un pilotage de cette politique publique par le préfet, et le développement du plan départemental de prévention de la délinquance qui aurait, lui, pour but de décliner la stratégie nationale à l'échelon du département. La Stratégie nationale préconise, en parallèle, un renforcement de la coopération et de la mutualisation des moyens entre les communes de moins de 10 000 habitants afin de conforter les maires dans le pilotage de la politique de prévention de la délinquance (à travers, par exemple, le rappel à l'ordre ou la transaction par le maire) 42 ( * ) .

La délégation relève in fine que, d'une façon générale, la nouvelle Stratégie nationale s'insère dans la continuité opérationnelle de la police de sécurité du quotidien (PSQ) déployée depuis 2017 et destinée à nouer des relations de confiance avec la population. Elle s'étonne que le volet relatif à la lutte contre les violences faites aux femmes n'ait pas été retenu comme une priorité de la nouvelle stratégie, alors que la précédente stratégie en avait fait un axe prioritaire.


* 1 Notamment l'accès aux services publics, l'offre de transports et mobilité, l'accès aux soins, la couverture numérique, etc.

* 2 Le Grand Débat National, la loi du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique ont largement contribué à rénover les modalités et les priorités d'interventions de l'État vis-à-vis des collectivités territoriales.

* 3 Création de grandes régions, émergence des métropoles, évolution des périmètres des intercommunalités, redéfinition des compétences exercées par chaque échelon.

* 4 Révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 à 2012, Modernisation de l'action publique (MAP) entre 2012 et 2017 et programme Action publique engagé jusqu'en juin 2022.

* 5 Il pourra être envisagé notamment les auditions suivantes : le nouveau directeur général de la police nationale, les associations d'élus locaux, les syndicats de police, les représentants du ministère de la Justice.

* 6 La délégation s'appuiera notamment sur le travail réalisé par la commission des Lois dans le cadre de la mission d'information en cours relative aux moyens d'action et aux méthodes d'intervention de la police et de la gendarmerie.

* 7 Selon la formule de Max Weber.

* 8 Le 27 février dernier, la délégation s'était également rendue au siège de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), à Issy-les-Moulineaux, notamment pour prendre connaissance du bilan de l'expérience des brigades territoriales de contact ainsi que des nouveaux outils numériques utilisés par la gendarmerie.

* 9 Virginie Malochet et Frédéric Ocqueteau, « Gouverner la sécurité publique », Revue Gouvernement et action publique, 2020.

* 10 À leurs côtés exerçaient, à la même date, 22 780 policiers municipaux, tandis que 174 750 personnels étaient salariés par des sociétés de sécurité privée, sans oublier les militaires de l'opération Sentinelle. Ce sont au total plus de 450 000 personnes qui sont mobilisées pour assurer au quotidien, chacun dans son rôle et ses compétences, la sécurité de nos concitoyens. Les polices municipales, qui constituent un relais non négligeable dans le maintien de l'ordre public, seront développées dans la seconde partie du présent rapport.

* 11 Par exemple, la commune de Saint-Denis, au nord de La Réunion, compte plus de 147 000 habitants mais reste placée sous la responsabilité de la gendarmerie, au même titre que Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, qui compte plus de 42 000 habitants.

* 12 Il leur sera par exemple demandé de rester quatre ans en poste et de répondre aux attentes de la population : aller à leur rencontre en s'aidant des outils permettant de remplir des tâches en mobilité ; assurer une permanence à la mairie au besoin ; se rendre sur le marché des communes, etc.

* 13 Chaque année par exemple, pendant quatre mois, l'équivalent d'une ville de 40 000 habitants se retrouve sur l'aire d'autoroute de Montélimar. Or, seuls les gendarmes chargés de la sécurité routière prennent en charge cet afflux. L'organisation de la gendarmerie pourrait donc être rendue plus efficiente sur ce point.

* 14 Ce dispositif a déjà été expérimenté et a été bien accueilli, malgré les réserves des gestionnaires qui craignent d'être soumis à des contraintes.

* 15 La Direction générale de la police nationale (DGPN) est une direction d'administration centrale, alors que la Préfecture de police est une administration territoriale.

* 16 Historiquement issue de données du système judiciaire, la statistique de la délinquance est aujourd'hui essentiellement produite à partir de données administratives de la police et de la gendarmerie nationales combinées à des enquêtes de victimation. Mais d'autres sources administratives, comme les informations saisies sur des plateformes de signalement en ligne ou les données d'autres administrations, couplées avec des données d'enquêtes, permettent aussi au ministère de l'Intérieur d'améliorer la précision de ses connaissances en matière de délinquance.

* 17 Hors violences intrafamiliales, l'augmentation des coups et blessures volontaires est limitée à +4% (contre +6% en 2018).

* 18 Loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ; loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ; loi sur le renseignement du 24 juillet 2015.

* 19 Le 14 novembre 2015.

* 20 Ils ont par exemple été autorisés à restreindre les déplacements, interdire le séjour dans certaines parties du territoire à toute personne susceptible de créer un trouble à l'ordre public, interdire certaines réunions publiques, fermer des lieux de réunion, ou encore assigner à résidence des personnes dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public.

* 21 Le texte prévoyait de prolonger l'état d'urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.

* 22 Modification et élargissement du dispositif d'assignation à résidence ; autorisation des perquisitions administratives dans tous les lieux (lieux publics, lieux privés qui ne sont pas des domiciles, véhicules) ; dissolution en Conseil des ministres des associations ou groupements de fait qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public, dans des conditions spécifiques à l'état d'urgence, compte tenu notamment du rôle de soutien logistique ou de recrutement que peuvent jouer ces structures.

* 23 Pour mieux prévenir les actes terroristes, le texte autorisait notamment les agents des réseaux de transports publics à procéder à des palpations de sécurité, des fouilles de bagages et des inspections visuelles de façon générale et aléatoire.

* 24 Cette loi a considérablement renforcé l'efficacité de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en donnant aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens d'investigation (les perquisitions de nuit dans des domiciles en matière de terrorisme) ; la possibilité pour nos forces de sécurité intérieure, en cas de risque d'atteinte à la vie, d'utiliser les dispositifs techniques de proximité pour capter directement les données de connexion nécessaires à l'identification d'un équipement terminal ou du numéro d'abonnement de son utilisateur (IMSI catcher ). Ce texte a également renforcé les contrôles d'accès aux lieux accueillant de grands évènements (dans le contexte de l'Euro 2016) et durci les conditions d'acquisition et de détention d'armes. Il a enfin créé une incrimination spécifique pour le trafic de biens culturels en provenance de théâtres d'opérations de groupements terroristes.

* 25 Celle-ci durcit les peines infligées pour les infractions criminelles d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et exclut les personnes condamnées pour des faits liés au terrorisme du régime de crédit de réduction de peine. La loi rend également possible la fermeture des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une incitation à la haine ou à la violence. Les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique peuvent être interdits dès lors que l'autorité administrative justifie ne pas être en mesure d'en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose.

* 26 Ce fut notamment le cas lors des meurtres de Clarissa Jean-Philippe, le 8 janvier 2015 à Montrouge, ou encore lors de l'assassinat du couple de policiers Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, le 13 juin 2016 à Magnanville.

* 27 Les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation, Rapport d'information n° 483 (2016-2017) de Jean-Marie Bockel et Luc Carvounas, le 29 mars 2017.

* 28 Parmi les individus inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, les éléments concrets de radicalisation les plus fréquemment relevés par les élus locaux sont les comportements de rupture avec l'environnement (notamment l'école ou la famille) ainsi que des attitudes hostiles à l'égard de certaines catégories de population (femmes, élus...) et vis-à-vis des institutions républicaines.

* 29 Aménagements d'horaires ou d'usages dans les services publics (accueil, piscine...).

* 30 Les communes s'impliquent, par exemple dans la cohésion sociale en développant des actions en matière culturelle ou sportive ou encore en s'appuyant sur les centres communaux d'action sociale. Les départements sont eux aussi concernés à travers leurs compétences en matière de solidarité (protection maternelle et infantile ou aide sociale à l'enfance par exemple) qui leur permettent d'être associés à la détection des signaux faibles de radicalisation. Ils sont également présents dans l'accompagnement des familles, et des personnes radicalisées, en partenariat avec la cellule départementale de suivi placée auprès du préfet.

* 31 Leurs initiatives locales incluent des actions de sensibilisation et de formation des agents locaux et des partenaires associatifs, des dispositifs de détection de signaux faibles et d'identification des individus concernés ainsi qu'une prise en charge concrète des personnes suivies.

* 32 Ces personnes sont généralement suivies et accompagnées par l'autorité judiciaire mais la collectivité peut, par exemple, fournir des locaux, mettre en place des financements ou offrir des débouchés pour des périodes de formation sur le terrain.

* 33 Audition de Christophe Castaner par la Mission d'information de la Commission des lois le 25 juin 2020.

* 34 Technique d'étranglement, prise arrière, pistolets à impulsion électrique, etc.

* 35 La police dispose de 11 000 caméras piétons en 2020 contre 2 000 seulement en 2016.

* 36 Mathieu Zagrodzki « Police, prévention et implantation territoriale : une comparaison franco-américaine », Informations sociales, vol. 161, no. 5, 2010, pp. 108-116.

* 37 Des Conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) de 1983 aux Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) actuels, en passant par les Contrats locaux de sécurité (CLS) initiés en 1997.

* 38 En effet, depuis le 1 er janvier 2020, le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) accueille un pôle consacré aux dérives sectaires, qui doit pallier la suppression de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Plusieurs membres de notre délégation, ont recommandé, à juste titre, le rétablissement de la Miviludes dans la cadre du rapport de la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste (7 juillet 2020).

* 39 La précédente Stratégie (2013-2017) comprenait trois programmes d'actions : un programme à l'intention des jeunes exposés à la délinquance ; un programme pour mieux prévenir les violences faites aux femmes, les violences intrafamiliales et mieux aider les victimes ; un programme pour améliorer la tranquillité publique.

* 40 En 2017, par exemple, 27 % des auteurs de violences sexuelles étaient mineurs et 10 % étaient âgés de moins de 13 ans ; 33 % des auteurs de vols de véhicules étaient mineurs, et 1 % étaient âgés de moins de 13 ans ; 24 % des auteurs de vols sans violence contre les personnes étaient mineurs, et 3 % étaient âgés de moins de 13 ans ; enfin, 25 % des auteurs de cambriolage de logements étaient mineurs et 2 % étaient âgés de moins de 13 ans.

* 41 Avec des votes tous les quinze jours, et la tenue d'un tableau de bord de suivi notamment.

* 42 Cf . Stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024 .

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