C. DES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES MOBILISÉES MAIS ENTRAVÉES FINANCIÈREMENT
Les collectivités territoriales se trouvent de fait en première ligne face à la double crise sanitaire et économique mais les effets sur les finances locales les privent de marges de manoeuvre si leurs efforts de sont pas fortement accompagnés par l'État dans la durée.
1. Vers une crise majeure des finances locales outre-mer
a) Une fiscalité indirecte fortement impactée par la crise
Face à l'effondrement de la croissance, l'AMF chiffre pour l'ensemble des collectivités françaises à environ 2,7 milliards d'euros dès 2020 la baisse de ressources de fiscalité, laquelle se poursuivrait à hauteur de « 900 millions d'euros par an en 2021 et en 2022 », la contribution économique territoriale, les taxes additionnelle aux droits de mutations, octroi de mer, taxe de séjour, versement mobilité, ... ayant été impactés directement par les effets de la crise 44 ( * ) .
Si les économies réalisées en raison de la fermeture des services s'élèvent à « 500 millions d'euros environ » cette année, l'association souligne que les dépenses supplémentaires engagées pour répondre aux besoins des habitants et soutenir le tissu économique local (achats de maques, de gel et de matériels, développement du portage de repas...) représenteraient « un milliard d'euros ».
Plus encore que les collectivités de l'Hexagone, les recettes des départements et régions d'outre-mer (DROM) se caractérisent par le poids de la fiscalité indirecte .
Ainsi, la baisse des recettes d'octroi de mer ou encore celle des taxes sur le carburant et sur le transport aérien et maritime devraient conduire les DROM à perdre entre 120 et 240 millions d'euros de recettes fiscales entre 2019 et 2020, selon les estimations du sénateur de la Guyane, Georges Patient 45 ( * ) .
Dès lors, il convient de réadapter les plans de convergence et de transformation établis entre l'État et les territoires d'outre-mer aux nouvelles réalités imposées par cette crise.
Proposition n° 12 : Réviser en tant que de besoin les contrats de convergence et de transformation établis entre l'État et les outre-mer pour en faire des outils clés pour la relance des économies. |
L'octroi de mer, qui représente entre 34 % et 45 % des ressources fiscales des régions ultramarines, et entre 40 à 52 % des ressources fiscales des communes des DROM , est impacté à double titre.
Du fait de la réduction des importations, l'assiette de l'octroi de mer se restreint. En outre, le report de paiement d'octroi de mer décidé dans certains territoires pour soutenir les entreprises conduit également à réduire les recettes.
Ces difficultés interviennent alors même que la situation des finances locales était, pour nombre de collectivités ultramarines, déjà dégradée. Ainsi, sur les 129 communes des DROM, 84 sont inscrites au réseau d'alerte des finances locales et 46 ont des délais de paiement supérieurs à 30 jours.
b) Un soutien massif incontournable
Parallèlement, les collectivités doivent également faire face à une augmentation de leurs dépenses , comme l'a rappelé le président de l'AMF . Les régions ont ainsi dû abonder le volet 2 du fonds de solidarité nationale. Face à l'urgence et à la gravité de la situation crée par la crise du Covid-19, elles ont dû faire face à des dépenses sanitaires imprévues, d'information et mis en place leurs propres fonds d'urgence territoriaux.
Des mesures de soutien exceptionnel pour compenser les pertes prévisionnelles de recettes pour les collectivités ultramarines sont donc nécessaires, afin de leur permettre de maintenir leur capacité d'investissement et de soutien à l'économie. Le Gouvernement a pris la mesure de ce défi en prévoyant un plan de soutien de 4,5 milliards d'euros dont 2,7 milliards pour les départements.
Outre les différents mécanismes de prêts déjà cités de la part des grandes institutions financières publiques, l'aide directe de l'État et le recours à la solidarité nationale sont incontournables.
Par lettre en date 16 juin au président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, le Premier ministre a indiqué que le Gouvernement partageait pleinement cette préoccupation qui veille à éviter toute rupture de trésorerie pour les collectivités. La nomination d'un parlementaire en mission, M. Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, sur les conséquences de la crise sur les finances des collectivités outre-mer en témoigne.
Le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020 46 ( * ) , apporte des précisions sur la mise en oeuvre du plan d'urgence pour les collectivités les plus affectées par la crise. Une dotation est instituée pour compenser aux régions de Guadeloupe et de La Réunion, ainsi qu'aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et au département de Mayotte, la perte en 2020 de deux de leurs recettes (octroi de mer régional et taxe spéciale de consommation). Un premier acompte leur serait versé au cours de l'été et le solde au cours du premier semestre 2021. Le coût de ce dispositif ciblé sur les outre-mer est estimé à 60 millions d'euros.
Pour la délégation, les réponses devront être adaptées à l'urgence et non au statut.
Proposition n° 13 : Garantir l'application du plan de soutien exceptionnel de l'État aux collectivités ultramarines pour compenser leurs pertes de recettes. |
Les élus locaux restent particulièrement préoccupés par la durée de la crise. Les inquiétudes portent surtout sur l'exercice 2021, voire 2022, si la reprise n'est pas au rendez-vous en septembre. Nombre d'entre eux réclament un Plan de relance similaire à celui de 2009 . Dans ce cadre, le président de l'AMF rappelle que ce plan de relance de 2009 « avait permis de maintenir une hausse de 12 % de l'investissement du bloc communal sur l'ensemble du mandat ».
Les collectivités locales, qui réalisent 70 % des investissements publics, jouent un rôle fondamental pour le secteur BTP. La commande publique risque donc de se raréfier encore, compte tenu de la crise des finances locales.
Pour soutenir l'investissement des collectivités locales, l'activation d'un dispositif assoupli de préfinancement du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), déjà utilisé lors de la crise de 2008, est souhaitable.
Ce dispositif permettrait de solliciter auprès du préfet un acompte exceptionnel du montant prévisionnel du FCTVA. Une instruction gouvernementale en date du 5 mai 2020 recommande aux préfets de mettre en place ce dispositif avec des conditions assouplies. Mais il reste à veiller à ce que les règles d'attribution ne soient effectivement pas trop contraignantes . L'instruction précise que cet outil est mobilisable du fait de « la prise en charge d'un niveau de dépenses exceptionnelles (en fonctionnement et en investissement) » par les collectivités, « voire du fait de moindres recettes ». Prévu pour durer jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, ce dispositif assoupli pourrait être prolongé au-delà du 10 juillet.
Par ailleurs, le gouvernement a annoncé que l'AFD expérimenterait à Mayotte à partir du deuxième trimestre 2020 un dispositif de prêt de préfinancement du FCTVA pour les communes leur permettant d'amorcer plus facilement leurs projets d'investissement. Cette expérimentation se réalisera avec le soutien financier du ministère des outre-mer. Une extension aux autres territoires serait envisagée en 2021 si les résultats de l'expérience mahoraise sont concluants. Un tel dispositif assoupli de préfinancement du FCTVA mériterait d'être étendu à l'ensemble des collectivités d'outre-mer.
Des aides complémentaires pour assurer le déploiement de ce dispositif seront nécessaires.
Proposition n° 14 : Étendre le dispositif de préfinancement du FCTVA, expérimenté à Mayotte, à l'ensemble des collectivités ultramarines. Le troisième projet de loi de finances rectificatives pour l'année 2020 (PLFR3) Le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) pour l'année 2020 débloque 45 milliards d'euros supplémentaires pour soutenir les secteurs les plus fragilisés par la crise sanitaire alors qu'une chute de 11 % du PIB et la perte de 800 000 emplois sont envisagées. Le texte prévoit notamment une prolongation des dispositifs d'urgence pour les salariés et les entreprises à hauteur : •De 31 milliards d'euros pour l'activité partielle •De 8 milliards d'euros pour le fonds de solidarité dédié aux très petites entreprises. Il tient également compte tient également compte des différents plans de soutien d'urgence pour les secteurs les plus touchés par la crise pour une enveloppe globale de 43,5 milliards d'euros répartie de la manière suivante : •Plan tourisme à 18 milliards d'euros •Plan de soutien au secteur automobile à 8 milliards d'euros •Plan de soutien au secteur aéronautique à 15 milliards d'euros •Plan en faveur du secteur des startups et entreprises technologiques à 1,2 milliard d'euros •Plan en faveur du secteur culturel à 1,3 milliard d'euros. Face aux estimations du Gouvernement d'une diminution des recettes d'environ 7,5 milliards d'euros en 2020, le PLFR 3 propose 4,5 milliards d'euros pour l'ensemble des collectivités, dont une hausse de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) d'un milliard d'euros supplémentaire en 2020, pour engager la relance dans les territoires. Pour les collectivités d'outre-mer, « très dépendantes de la fiscalité indirecte », le Gouvernement entend, à titre exceptionnel, compenser la baisse du produit en 2020 de l'octroi de mer régional et de la taxe spéciale de consommation par référence au niveau moyen enregistré sur la période 2017-2019, dès lors que ces recettes sont spécifiques aux régions ultramarines. Une première estimation permettra de verser un premier acompte au cours de l'été. Le solde qui ne pourra être calculé qu'une fois constatés les chiffres définitifs de l'exercice sera versé au cours du premier semestre 2021. Une dotation supplémentaire est également créée à hauteur de 60 millions d'euros. Elle concerne les régions de Guadeloupe et de La Réunion, les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique ainsi que le département de Mayotte . De plus, « à l'instar du dispositif adopté pour la Nouvelle-Calédonie, la garantie de l'État sera octroyée à un prêt de l'Agence française de développement (AFD) destiné à la Polynésie française, à hauteur de 240 millions d'euros ». Source : FEDOM (12 juin 2020) |
2. L'engagement des collectivités territoriales d'outre-mer
a) Des plans d'aide territoriaux complémentaires pour être au plus proches des besoins
Au-delà des aides de l'État, il faut souligner la forte mobilisation des collectivités ultramarines qui se sont impliquées très vite dans le soutien aux entreprises locales.
Considérant les limites du Fonds national et les spécificités de leurs territoires, les régions d'outre-mer ont très vite mis en place des dispositifs d'aides complémentaires (fonds régionaux de solidarité), accessibles sous forme de plateformes numériques d'information aux entreprises.
En outre, des dispositifs, en lien avec des organismes financiers comme la Banque publique d'investissement (Bpifrance), sont désormais proposés. Le dispositif de prêts Rebond par exemple, géré par Bpifrance et permettant aux TPE et PME de bénéficier de prêts à taux 0, a été rapidement proposé dans les DOM, de même que des fonds de garantie régionale, en partenariat avec Bpifrance.
À titre d'exemple, la région Réunion a réuni dès le 19 mars un comité de gestion de crise et mis en place un Plan de soutien exceptionnel, évalué à plus de 50 millions d'euros, avec quatre volets : participation de la région au Fonds de Solidarité Nationale (FSN), création d'un Fonds de Solidarité Réunionnaise (FSR), renforcement du Fonds de garantie à la trésorerie de Bpifrance et création d'un Fonds de Rebond région - Bpifrance.
La région Guadeloupe a pour sa part mis en place un Fonds régional d'urgence, un Fonds de soutien à l'agriculture et de la pêche doté 600 000 euros, un prêt rebond géré par BpiFrance et un fonds régional de garantie (FRG) pour les prêts bancaires contractés par les entreprises guadeloupéennes.
En Guyane, un fonds destiné à l'ensemble des artisans, indépendants, PME du territoire a été créé par la CTG et les 4 EPCI. Comme dans la quasi-totalité collectivités, une plateforme a été mise en place à destination des entreprises pour formuler leurs demandes d'accompagnement 47 ( * ) .
Mais cet engagement ne pourra se développer dans la durée que si les collectivités concernées disposent des moyens financiers et humains nécessaires à son maintien. Comme cela a été rappelé, Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, et M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD), ont lancé l'initiative le 25 mai 2020 une initiative dénommée « Outre-mer en commun » qui doit répondre à ce défi avec des niveaux d'endettement préoccupants.
b) Vers plus d'autonomie sanitaire pour les territoires ultramarins
La crise a aussi montré la nécessité de plus d'autonomie sanitaire pour les territoires.
Les collectivités ultramarines figurent dans le dispositif d'urgence sanitaire y compris celles de l'article 74 de la Constitution qui disposent de la compétence santé. La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 incorpore dans son champ d'application non seulement les départements et régions d'outre-mer mais également les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution ainsi que la Nouvelle-Calédonie. En effet, tout comme les entreprises de métropole et des départements et régions des outre-mer, celles situées à Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Polynésie Française et Nouvelle-Calédonie ont été contraintes de fermer pour éviter la propagation du Covid-19.
Il faut saluer le fait que l'initiative « Outre-mer en commun » renforce, avec l'aide de l'AFD, les capacités sanitaires en les réseaux de surveillance épidémiologique et de réponse à l'épidémie à l'échelon régional et apporter un appui rapide aux systèmes de santé ultramarins, avec plusieurs outils. L'AFD doit aussi contribuer au plan de réforme et de relance des investissements (notamment en faveur des hôpitaux ultramarins) annoncé par le Gouvernement.
L'autonomie sanitaire qui est un objectif souhaitable au regard de l'expérience récente ne pourra se faire que par des productions locales ou au moins par grande région de produits stratégiques. Les outre-mer ont des atouts en ce sens (présence de grands organismes de recherche et d'équipements de pointe en avance sur leur environnement immédiat) mais seule une approche stratégique avec notamment l'aide fiscale à l'investissement pourra permettre de structurer des filières.
Il semble également utile d'inciter à l'installation de nouveaux acteurs , aussi bien des groupes privés (cliniques, par exemple) que des praticiens (infirmiers, médecins de ville...). Le recours aux médecins étrangers et notamment cubains a été rapidement rendu possible par voie règlementaire.
Dans le domaine de la santé, comme le préconise la FEDOM, les outre-mer doivent jouer un rôle d'antenne régionale . Il y a quelques années, il était question de faire du CHU de La Réunion une université médicale. Ces exemples pourraient être multipliés. Elle plaide aussi pour l'adaptation du crédit d'impôt innovation : « Si demain, une grande entreprise pharmaceutique veut s'installer outre-mer, la règle de 50 % de crédit d'impôt doit lui être appliquée véritablement. Nous proposerons ce type de différenciations positives en outre-mer lorsque nous discuterons avec le Gouvernement de l'adaptabilité des outils » 48 ( * ) .
Enfin, le développement de la télémédecine et de l'e-santé , bien que nécessitant des investissements, semble nécessaire, particulièrement pour des territoires comme Mayotte ou Saint-Martin. Ceux-ci étant sous-équipés sur le plan hospitalier envoient leurs patients les plus graves vers leurs voisins (respectivement La Réunion et la Guadeloupe) au risque que lors d'une crise comme celle-ci on assiste à une saturation en chaîne des territoires.
Proposition n° 15 : Renforcer l'autonomie sanitaire des territoires avec une approche stratégique régionale. |
* 44 Maire Info du 29 juin 2020.
* 45 Communiqué de presse du 27 avril 2020 du sénateur Georges Patient et rapport conjoint avec Jean-René Cazeneuve : « Soutenir les communes des départements et régions d'outre-mer, pour un accompagnement en responsabilité » (décembre 2019). https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/12/rapport_-_soutenir_les_communes_des_departements_et_regions_doutre-mer_-_17.12.19.pdf
* 46 Projet de loi de finances rectificative pour 2020, n° 3074, déposé le mercredi 10 juin 2020 à l'Assemblée nationale.
* 47 https://fondsdurgence-guyane.fr/)
* 48 Audition FEDOM du 16 avril 2020.