PREMIÈRE PARTIE
L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE : UN CADRE
LÉGAL
QUI OFFRE DES CAPACITÉS D'ACTION RAPIDES,
MAIS DONT
LA MISE EN oeUVRE APPELLE
ENCORE DES AJUSTEMENTS
La mission de suivi s'est attachée à suivre attentivement les mesures prescrites par l'ensemble des autorités publiques - Gouvernement, autorités préfectorales et autorités locales - depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire, qui sont pour certaines fortement attentatoires aux libertés publiques et individuelles.
Grâce à la mise à disposition, par le Gouvernement, d'une plateforme numérique recensant l'ensemble des arrêtés préfectoraux, elle a pu disposer d'une information exhaustive lui permettant d'exercer correctement son contrôle. Elle s'est également vu communiquer chaque semaine par les services du Premier ministre une synthèse de l'ensemble des mesures prescrites et, ainsi qu'elle l'avait requis, des contentieux formés contre celles-ci.
Parallèlement à ce travail de contrôle, Jacqueline Eustache-Brinio et Jean-Pierre Sueur, co-rapporteurs, ont orienté leurs travaux sur le dispositif mis en place par le ministère de l'intérieur pour surveiller le respect des mesures de confinement. Bien que mobilisées sur d'autres fronts, les forces de sécurité intérieures ont en effet été fortement engagées sur cette mission, à laquelle il a été donné un caractère prioritaire depuis la mi-mars.
Sans formuler, à ce stade de leurs travaux, de conclusions définitives, les co-rapporteurs sont en mesure d'effectuer une première série de constats.
I. ÉVOLUTION ET DÉCLINAISONS TERRITORIALES DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE
A. UN CADRE RÉGLEMENTAIRE COMPLÉTÉ ET PROLONGÉ
Depuis le 1 er avril 2020, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, déjà plusieurs fois complétés au cours des jours qui ont suivi sa mise en oeuvre, a été modifié à six reprises.
Outre la prolongation, jusqu'au 11 mai 2020 3 ( * ) , des mesures de confinement, les modifications et mesures nouvelles introduites par ces six décrets peuvent être classées en trois catégories.
Certaines d'entre elles ont, en premier lieu, eu pour objet d'apporter des solutions aux difficultés d'approvisionnement de certains médicaments , conformément aux dispositions du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. A ainsi été autorisé le recours, en milieu hospitalier, aux médicaments à usage vétérinaire de même visée thérapeutique, de même dosage et de même voie d'administration que ceux normalement utilisés 4 ( * ) . Des modalités simplifiées d'importation des médicaments par l'agence nationale de santé publique (Santé publique France) ont également été mises en oeuvre 5 ( * ) et les achats de certains médicaments ont été centralisés au niveau de l'État, afin de garantir leur disponibilité 6 ( * ) . Le plafonnement des prix des solutions hydroalcooliques a été modifié à la baisse 7 ( * ) . Enfin, les préfets se sont vus reconnaître un pouvoir spécifique de réquisition des laboratoires autres que ceux de biologie médicale afin de maximiser les capacités de réalisation de tests du covid-19 8 ( * ) .
Il a, en second lieu, été procédé à une adaptation des mesures applicables aux collectivités d'outre-mer. En complément des mesures de réglementation des arrivées par voie aérienne et maritime, il a ainsi été donné compétence aux représentants de l'État dans ces collectivités pour placer en quarantaine toute personne entrant sur leur territoire, quel que soit le moyen de transport employé 9 ( * ) . Par ailleurs, en Polynésie française, en Nouvelle Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon 10 ( * ) , afin de permettre un déconfinement anticipé, le représentant de l'État s'est vu reconnaître la possibilité de prescrire lui-même, en fonction des circonstances locales, les mesures d'interdiction des trajets et des déplacements ainsi que de limitation des rassemblements.
En troisième et dernier lieu, plusieurs ajustements du droit funéraire ont été réalisés en vue de garantir le bon fonctionnement du service public des pompes funèbres, dans des conditions de sécurité sanitaire adéquates 11 ( * ) . À cette fin, la pratique des soins mortuaires a été interdite pendant la durée d'application de l'état d'urgence sanitaire pour tous les décès, quelle qu'en soit la cause, et la mise en bière immédiate des personnes décédées du covid-19 rendue obligatoire. Il a par ailleurs été conféré aux préfets un pouvoir de réquisition de tout opérateur participant aux services extérieurs de pompes funèbres.
Outre le fait qu'elle reflète l'implication forte des services de l'État dans la lutte contre la propagation de l'épidémie, comme la commission des lois l'avait souligné à l'occasion de son premier rapport 12 ( * ) , cette évolution régulière du cadre réglementaire témoigne de la souplesse offerte au Gouvernement par le nouveau régime de l'état d'urgence sanitaire pour apporter des réponses rapides à l'évolution de la situation sanitaire.
Ceci étant, si l'essentiel des mesures prescrites respecte le cadre posé par le législateur, certaines présentent néanmoins un lien plus distant avec les catégories d'actes autorisés énumérées à l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. Tel est notamment le cas des dispositions interdisant de manière générale et absolue la pratique des soins funéraires, qui n'entrent pas directement dans le champ des dispositions de l'état d'urgence sanitaire . Sans qu'il soit ici question de remettre en cause la pertinence de cette mesure, la commission observe qu'il eût été préférable, s'agissant de dispositions touchant à la fois à l'exercice d'une activité professionnelle et à la liberté des funérailles, qu'elles bénéficient d'une base législative expresse.
* 3 Décret n° 2020-423 du 14 avril 2020.
* 4 Décret n° 2020-394 du 2 avril 2020.
* 5 Décret n° 2020-447 du 18 avril 2020.
* 6 Décret n° 2020-466 du 23 avril 2020.
* 7 Décret n° 2020-477 du 25 avril 2020.
* 8 Décret n° 2020-400 du 5 avril 2020.
* 9 Décret n° 2020-433 du 16 avril 2020.
* 10 Décret n° 2020-477 du 25 avril 2020.
* 11 Décret n° 2020-384 du 1er avril 2020.
* 12 « 10 premiers jours d'état d'urgence sanitaire : premiers constats - Analyse des décrets et ordonnances (justice, intérieur, collectivités territoriales, fonction publique) ».