SECONDE PARTIE :
LES
ADAPTATIONS DÉCIDÉES
PAR LE GOUVERNEMENT PAR LES 16
ORDONNANCES RELEVANT DE LA COMMISSION DES LOIS
I. LES MESURES DESTINÉES À ASSURER LA CONTINUITÉ DE L'ACTION PUBLIQUE ET DES SERVICES PUBLICS
A. L'ORGANISATION ET LE DÉROULEMENT DES PROCÉDURES DEVANT LES JURIDICTIONS
> Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété
I. Dispositions relatives aux juridictions judiciaires
L'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété comporte 21 articles relatifs à la prorogation de certains délais et mesures ( A ), à l'adaptation de l'organisation et de la procédure judiciaire ( B ), ainsi que des dispositions spécifiques applicables en matière d'assistance éducative ( C ).
Elle est prise en application de deux habilitations de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 permettant au Gouvernement de prendre toute mesure législative prorogeant les délais arrivés à échéance pendant la crise 26 ( * ) et adaptant l'organisation et la procédure juridictionnelles 27 ( * ) .
La durée des mesures prévues dans le cadre de l'ordonnance est strictement encadrée. L'ordonnance prévoit en effet que ses dispositions entrent en vigueur le 12 mars 2020 et les fait perdurer un mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire (article 1 er ). Ce choix du Gouvernement n'est pas strictement conforme à l'habilitation conférée par le législateur, qui n'avait notamment pas prévu explicitement une application rétroactive aux procédures juridictionnelles intervenue avant la date de son entrée en vigueur, le 24 mars 2020 . Ce faisant, l'ordonnance a pour effet de « régulariser » certaines audiences qui, compte tenu de la première vague épidémique, n'auraient pas pu se tenir dans les conditions prévues par les textes applicables.
A) L'application du moratoire sur les délais et mesures prévu par l'ordonnance n° 2020-306 et ses exceptions
L'ordonnance prévoit tout d'abord que le moratoire sur les délais , prévu par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période s'applique aux procédures de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale (article 1 er ). Ce moratoire proroge, de manière générale, le terme des délais échus entre le 12 mars 2020 et la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire : ils sont prorogés à compter de cette date pour la durée totale qui leur était légalement impartie, dans la limite de deux mois. Il en va ainsi par exemple des délais de recours, des délais légalement impartis pour accomplir une procédure ou des délais prescrits au juge pour statuer 28 ( * ) .
Plusieurs matières échappent toutefois à ce moratoire de manière justifiée : les recours devant le juge des libertés et de la détention et en appel de ses décisions 29 ( * ) , les juridictions pour enfants - qui font l'objet de mesures spécifiques - et la saisie immobilière 30 ( * ) (article 2).
L'ordonnance proroge également de plein droit pour une durée de deux mois à compter de la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire, la validité des mesures de protection juridique des majeurs et des ordonnances de protection de victimes de violences conjugales arrivées à leur terme pendant la période « juridiquement protégée » 31 ( * ) (article 12). Le juge pourra toujours y mettre fin avant ou en modifier le terme, ce qui est primordial pour la garantie des droits des personnes concernées .
Le Gouvernement a fait le choix de ne pas considérer les ordonnances de protection comme des sanctions, qui auraient à ce titre été exclues du champ de l'habilitation. Pourtant, dans une certaine mesure, les ordonnances de protection comportent bien des obligations ayant la nature de sanctions pour le défendeur, même si le Conseil constitutionnel n'a jamais eu à se prononcer sur la question.
B) L'aménagement de l'organisation et de la procédure judiciaire
L'ordonnance prévoit ensuite une série de dérogations au droit commun de l'organisation et de la procédure judiciaire hors juridictions pénales , dont deux suscitent des réserves.
Pour pallier l' incapacité d'une juridiction du premier degré de fonctionner , le premier président d'une cour d'appel pourra transférer le traitement de son contentieux vers une autre juridiction de même nature et du même ressort . Cette disposition semble théorique à ce stade , car les juridictions doivent traiter les contentieux essentiels non différables 32 ( * ) et aucune n'a été signalée comme totalement empêchée. Si elle était mise en pratique, il faudra veiller à éviter de surcharger certaines juridictions . Comme l'indique la circulaire de la garde des Sceaux du 26 mars 2020 33 ( * ) , en cas de transfert de contentieux, les procédures en cours devront, à la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire, « être de nouveau transférées à leur juridiction d'origine, seule compétente territorialement pour traiter ces procédures après cessation des effets juridiques de l'ordonnance du premier président ».
Plusieurs des mesures visant à adapter la procédure civile relèvent du pouvoir réglementaire et ne posent pas de difficulté majeure , bien qu'il s'agisse d'un mode de justice dégradé, il s'agit de :
- l' information des parties du renvoi d'une affaire, du report d'audience (article 4) ou d'une décision (article 10) par tout moyen ;
- la simplification des modalités d'échanges des parties par tout moyen dès lors que le juge peut s'assurer du respect du principe du contradictoire (article 6) ;
- l' extension des cas dans lesquels la décision est rendue par défaut lorsque le défendeur ne comparaît pas, ce qui lui permet de faire opposition, c'est-à-dire de faire rejuger l'affaire devant la même juridiction (article 4) ;
- ou de la remise des prestations de serment devant une juridiction par écrit (article 11).
D'autres mesures sont plus substantielles.
Le président de la juridiction pourra décider que celle-ci statuera à juge unique en première instance et en appel dès lors que l'audience de plaidoirie, la clôture de l'instruction ou la décision de statuer selon la procédure sans audience aura été décidée entre le 12 mars 2020 et le mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire (article 5). Cette mesure de fond remet en cause le principe de collégialité fixé à l'article L. 212-1 du code de l'organisation judiciaire, auquel il ne peut dans le droit commun être dérogé pour les matières disciplinaires ou relatives à l'état des personnes. Compte tenu de la situation exceptionnelle de crise, cette disposition, qui ne devrait en aucun cas être prolongée , peut paraître temporairement acceptable mais seulement en cas de tension avérée dans l'effectif de magistrats, de greffiers et d'agents disponibles dans la juridiction du fait de la crise sanitaire .
Des dispositions spécifiques sont également prévues pour les conseils de prud'hommes qui statueront en formation restreinte et pour les tribunaux de commerce dont le président pourra décider, dans toutes les affaires, que l'audience est tenue par l'un des membres de la formation de jugement. Dans le contexte économique actuel, il importe tout particulièrement de maintenir la continuité de l'activité des juridictions commerciales pour faire face aux difficultés des entreprises, en dépit du gel de la situation des débiteurs à la date du 12 mars 2020 et de l'allongement des délais applicables aux procédures collectives décidés par l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 34 ( * ) .
Le président de la juridiction pourra aussi restreindre la publicité des débats, voire y renoncer, en cas d'impossibilité de garantir la protection de la santé des personnes (article 6), sous réserve de la présence de journalistes. Les dispositions proposées ne posent pas de difficulté sur le fond car la présence de journalistes, même en chambre du conseil, permet de préserver dans une certaine mesure le caractère public de l'audience. Ces dispositions semblent en outre conformes à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel qui permet au législateur d'apporter au principe constitutionnel de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives des « limitations liées à des exigences constitutionnelles, justifiées par l'intérêt général ou tenant à la nature de l'instance ou aux spécificités de la procédure, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » 35 ( * ) .
Deux mesures, dont l'une excède le champ de l'habilitation, suscitent davantage de réserves .
L'ordonnance ouvre, d'une part, la possibilité de tenir des audiences par visioconférence ou, à défaut, par tout moyen de communication électronique y compris téléphonique, en première instance comme en appel, sur décision du juge insusceptible de recours (article 7). Cette possibilité concerne tous les contentieux, même ceux où la représentation par avocat n'est pas obligatoire. Les garanties prévues semblent toutefois en deçà des exigences du Conseil constitutionnel pour assurer le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense et le droit à un procès équitable 36 ( * ) . Ainsi, la présence de l'avocat et, le cas échéant de l'interprète, n'est pas requise auprès du client, le lieu de la visioconférence pour l'intéressé n'est pas déterminé et l'accès à l'intégralité du dossier par l'intéressé n'est pas formellement garanti, même si le juge doit s'assurer des droits de la défense et du caractère contradictoire des débats. Outre l'éventuel risque juridique que fait peser cette disposition sur une procédure 37 ( * ) , il n'est pas évident que les moyens techniques numériques dont dispose la justice permettent l' organisation satisfaisante de ce type d'audience dans des délais aussi brefs .
L'ordonnance autorise également le juge ou le président de la formation de jugement à statuer sans audience selon une procédure écrite lorsque les parties sont représentées ou assistées par un avocat (article 8). Les parties ne pourront s'y opposer lorsque la procédure est urgente 38 ( * ) . Cette disposition est combinée à la possibilité pour la juridiction statuant en référé de rejeter une demande irrecevable ou qui n'en remplit pas les conditions par ordonnance non contradictoire (article 9).
La suppression pure et simple de l'audience excède stricto sensu le champ de l'habilitation car il s'agissait d'« adapter » la tenue de l'audience et non de la supprimer. Si la tenue de l'audience en matière civile, n'a pas, contrairement au pénal, valeur constitutionnelle, il semble que le respect des droits de la défense et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme suppose l'accord des parties, même pour les procédures urgentes . En tout état de cause, la circulaire de la garde des Sceaux du 26 mars 2020 précitée recommande de recourir à cette procédure destinée à « faciliter la continuité de l'activité des juridictions pendant l'état d'urgence sanitaire » avec prudence en matière familiale en raison de « l'importance de l'oralité » dans ce contentieux, parmi lequel celui des ordonnances de protection.
Il importe que ces dérogations soient utilisées par les juridictions de manière exceptionnelle, proportionnée et en fonction de la nécessité de chaque affaire afin d'éviter les situations les plus attentatoires aux droits du justiciable. S'agissant des vidéo-audiences, rien ne semble s'opposer à ce que les garanties requises par la jurisprudence du Conseil constitutionnel soient mises en oeuvre en respectant les gestes barrières. Une instruction de la Chancellerie en ce sens paraît nécessaire afin d'éviter tout risque de nullité de procédure ou de contentieux devant la Cour européenne des droits de l'homme.
C. Des dispositions spécifiques aux juridictions pour enfants et relatives à l'assistance éducative
L'ordonnance comporte en outre des dispositions spécifiques applicables aux juridictions pour enfants en matière d'assistance éducative.
L'ordonnance proroge certains délais d'organisation d'audiences, de rendu de décision ou encore d'aménagement des modalités de convocation et de notification des décisions (articles 16, 17 et 21). Ces mesures relèvent du domaine réglementaire et ne posent pas de difficultés .
Elle permet aussi au juge des enfants de prendre des décisions sans audition des parties et sur décision motivée pour :
- lever une mesure d'assistance éducative ou une mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial (article 13) 39 ( * ) ;
- renouveler, avec l'accord écrit des parents, pour une durée de neuf mois ou d'un an, une mesure d'assistance éducative (article 14) et une interdiction de sortie de territoire dans les mêmes conditions (article 15) ;
- dire qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure d'assistance éducative, une mesure judiciaire d'investigation, d'expertise, ou une mesure d'accompagnement éducatif en milieu ouvert pour une durée qui ne peut excéder six mois (article 18).
Comme pour les autres contentieux, la suppression de l'audition des parties pose problème en matière d'exercice du contradictoire, surtout s'il s'agit de renouveler une mesure d'assistance éducative pour une durée pouvant aller jusqu'à un an . L' accord des parents requis dans cette hypothèse constitue toutefois une garantie importante .
Le juge des enfants peut aussi suspendre ou modifier les droits de visite et d'hébergement , sans audience et par décision motivée , si l'intérêt de l'enfant qui fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative l'exige, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire (article 19). Le service ou la personne à qui l'enfant est confié maintient les liens entre ce dernier et sa famille par tout moyen, y compris un moyen de télécommunication audiovisuelle. À l'exception des autres mesures de la présente ordonnance qui pourront perdurer un mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire, ces dispositions sont à juste titre strictement limitées à la seule période de l'état d'urgence sanitaire . À son issue, le droit antérieurement fixé reprendra effet sauf si le juge estime nécessaire de poursuivre ces mesures, auquel cas il organisera une audience.
La possibilité pour le juge des enfants de tenir des audiences civiles en ayant recours à un moyen de communication audiovisuelle (article 20) présente les mêmes griefs que pour les autres contentieux (voir supra ).
II. Dispositions relatives au renouvellement de plein droit des contrats de syndic de copropriété 40 ( * )
L'habilitation accordée au Gouvernement dans le cadre de la loi du 23 mars 2020 lui permet d'adapter le droit de la copropriété des immeubles bâtis « pour tenir compte, notamment pour la désignation des syndics, de l'impossibilité ou des difficultés de réunion des assemblées générales de copropriétaires » 41 ( * ).
La mesure adoptée à l'article 22 de l'ordonnance est ciblée : elle vise à régler la situation des syndics de copropriété dont le contrat cesse ou a cessé pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Ne sont donc pas concernées les copropriétés dont les assemblées générales ont désigné avant la publication de l'ordonnance un syndic dont le contrat prend effet à compter du 12 mars 2020.
Le contrat de syndic est renouvelé de plein droit par l'effet de l'ordonnance - avec un effet rétroactif lorsqu'il est déjà arrivé à son terme - dans les mêmes termes et pour une durée limitée . Ce contrat renouvelé prend fin à la prise d'effet du nouveau contrat de syndic qui doit intervenir au plus tard dans les six mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire .
Cette disposition déroge aux dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, qui fixent une durée déterminée maximum de trois ans aux contrats de syndic 42 ( * ) , ainsi qu'aux articles 1102 et 1214 du code civil, qui posent respectivement les principes de la liberté contractuelle et de la durée indéterminée du contrat en cas de renouvellement d'un contrat à durée déterminée.
Il s'agit d'une « mesure utile de bon sens » comme l'a relevé le rapporteur de la commission des lois lors de l'examen de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 43 ( * ) . L'atteinte à la liberté contractuelle est limitée dans le temps et proportionnée au but d'intérêt général qui est de maintenir le bon fonctionnement des copropriétés le temps de l'état d'urgence sanitaire.
> Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif
L'habilitation accordée au Gouvernement dans le cadre de la loi du 23 mars 2020 lui permet d'adapter les procédures devant les juridictions de l'ordre administratif « aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances » 44 ( * ) . Cette habilitation - commune aux juridictions de l'ordre judiciaire - vise « les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement [...] ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d'organisation du contradictoire devant les juridictions ».
L'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 qui la met en oeuvre comporte 19 articles relatifs à l'organisation et au fonctionnement des juridictions (I) et aux délais de procédure et de jugement (II).
Ces dispositions sont applicables à l'ensemble des juridictions de l'ordre administratif sauf lorsqu'elles en disposent autrement (article 1) . Sont ainsi en principe concernés le Conseil d'État, les 8 cours administratives d'appel, les 42 tribunaux administratifs et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), ainsi que la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) et les juridictions financières.
Bien que l'article 11 de la loi d'urgence permette au Gouvernement d'adopter de manière exceptionnelle ses ordonnances sans procéder aux consultations obligatoires prévues par une disposition législative ou réglementaire, le projet d'ordonnance a malgré tout été soumis pour avis au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, réuni sous forme dématérialisée, et communiqué aux organisations syndicales de magistrats administratifs (Union syndicale des magistrats administratifs et Syndicat de la juridiction administrative) la semaine précédant la publication.
I. Dérogations aux règles régissant l'organisation et au fonctionnement des juridictions (Titre I)
Ces dérogations portent tant sur des dispositions législatives que réglementaires et sont valables pour la période allant du 12 mars 2020 jusqu'à la cessation de l'état d'urgence sanitaire, permettant ainsi de valider avec un effet rétroactif certaines pratiques qui auraient pu avoir lieu depuis le 12 mars 2020 (article 2) . Les dérogations apportées ont donc un champ temporel plus circonscrit que celui retenu par d'autres ordonnances, qui prévoient pour certaines que leurs mesures s'étendent jusqu'à un mois, voire deux mois, après la cessation de l'état d'urgence sanitaire.
La rédaction des dérogations est ici moins précise, et donc moins protectrice qu'en matière de procédures devant les juridictions judiciaires pénales et non pénales.
- Des mesures permettent de faciliter la constitution des formations de jugement pour faire face aux éventuelles vacances liées à l'épidémie de Covid-19, étant toutefois rappelé que seules les audiences présentant un caractère d'urgence sont maintenues par les juridictions (essentiellement, les procédures de référé).
L'article 3 autorise les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel à mutualiser leurs magistrats pour compléter leurs formations collégiales - magistrats honoraires compris -, alors qu'en temps habituel, seules les formations des tribunaux administratifs peuvent être complétées par des magistrats en provenance d'un autre tribunal administratif, ou, sur ordonnance du vice-président du Conseil d'État, d'une autre juridiction administrative 45 ( * ) .
L'article 4 élargit les catégories de magistrats administratifs susceptibles de statuer par ordonnance dans le cadre de l'article R. 222-1 du code de justice administrative 46 ( * ) en y intégrant les magistrats ayant un simple grade de conseiller présentant une ancienneté minimale de deux ans, alors que le grade de premier conseiller est requis en temps normal.
- D'autres mesures ont pour but de faciliter la conduite et le déroulement des instances.
L'article 5 permet aux juridictions administratives de communiquer les pièces, actes et avis aux parties par tout moyen, sans toutefois que ceux-ci soient précisés - et notamment la possibilité d'imposer aux parties l'utilisation de l'application Télérecours déployée par les juridictions administratives depuis 2014 47 ( * ) - et sans rappeler le nécessaire respect du contradictoire 48 ( * ) .
L'article 6 autorise les présidents de formation de
jugement à limiter, voire supprimer la publicité des audiences.
La rédaction de cette dérogation est moins protectrice que celle
mise en oeuvre auprès des juridictions judiciaires
49
(
*
)
qui précise les
circonstances permettant de justifier un
huis-clos
- «
impossibilité de garantir les
conditions nécessaires à la protection de la santé des
personnes présentes à l'audience
» - et
prévoit la présence de journalistes, ce qui permet d'assurer une
publicité des débats de manière différée.
Ces garanties auraient été bienvenues au regard de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel qui admet la possibilité
d'apporter au principe constitutionnel de publicité des audiences devant
les juridictions administratives des «
limitations liées
à des exigences constitutionnelles, justifiées par
l'intérêt général ou tenant à la nature de
l'instance ou aux spécificités de la
procédure »
50
(
*
)
,
à la condition
« qu'il
n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de
l'objectif poursuivi
».
L'article 7 de l'ordonnance autorise les juridictions administratives à tenir des audiences par visioconférence ou, en cas d'impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen et sur décision du juge insusceptible de recours, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique. Le juge est alors tenu de vérifier le bon déroulement des échanges entre les parties et de veiller au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats. Les vidéo-audiences sont déjà utilisées par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) dans des salles d'audience situées à Lyon et Nancy, et en outre-mer 51 ( * ) , ou par les tribunaux administratifs dans le cadre de certains recours exercés en matière de droit des étrangers 52 ( * ) . Leur recours, dans un cadre limité, a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 septembre 2018 53 ( * ) qui a veillé au respect du droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable. Au regard de cette décision, qui n'a certes pas été rendue dans le cadre de la situation sanitaire que nous connaissons, l'article 7 de l'ordonnance ne semble pas accorder suffisamment de garanties (en particulier, la présence physique de l'avocat au côté du justiciable, une salle d'audience spécialement aménagée et ouverte au public, la copie de l'intégralité du dossier mise à la disposition de l'intéressé). Rien ne semble s'opposer à ce que ces garanties soient mises en oeuvre en respectant les gestes barrières. Une instruction de la Chancellerie en ce sens paraît nécessaire afin d'éviter tout risque de nullité de procédure ou de contentieux devant la Cour européenne des droits de l'homme.
L'article 8 permet au président de la formation de jugement de dispenser dans toutes les matières le rapporteur public - sur sa proposition - d'exposer des conclusions lors de l'audience. Il s'agit de la généralisation d'une faculté qui existe déjà dans certains contentieux (permis de conduire ou prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale par exemple) 54 ( * ) . Le président pourra toujours apprécier au cas par cas si l'intervention du rapporteur public, chargé d'exposer publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent, est nécessaire.
Les articles 9 et 10 autorisent, dans deux hypothèses, les magistrats à statuer sans audience, ce qui semble aller bien au-delà de l'habilitation accordée par le Parlement qui consiste à « adapter » les règles relatives à la tenue de l'audience. Il s'agit des requêtes présentées en référé (article 9) et des demandes de sursis à exécution dans le cadre d'une procédure d'appel (article 10).
S'agissant des référés, il s'agit d'une extension d'une faculté déjà accordée au juge lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée 55 ( * ) . Le juge des référés, auquel il revient de motiver sa décision de ne pas tenir audience, doit alors informer les parties de l'absence d'audience et fixer la date à partir de laquelle l'instruction écrite sera close. L'article 9 précise que les décisions de référé-liberté rendues sans audience dans le cadre de cette dérogation restent susceptibles d'appel devant le Conseil d'État dans les quinze jours de leur notification en application de l'alinéa 2 de l'article L. 523-1 du code de la justice administrative.
Pendant la période d'état d'urgence sanitaire, la suppression d'audiences sans l'accord des parties est particulièrement sensible en matière de référé-liberté : les mesures restrictives de libertés fondamentales sont nombreuses et doivent en effet pouvoir être contestées dans le plus grand respect des droits de la défense et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Il importe que ces dérogations soient utilisées par les juridictions de manière exceptionnelle, proportionnée et en fonction de la nécessité de chaque affaire afin d'éviter les situations les plus attentatoires aux droits du justiciable.
- Les dernières mesures visent à faciliter le travail des magistrats et des greffiers quant aux suites des audiences de jugement en leur permettant de rendre publiques les décisions, non plus par prononcé en audience publique, mais par mise à disposition au greffe de la juridiction (article 11) ou en autorisant la signature de la minute des décisions par le seul président de la formation de jugement ( article 12) . L'article 13 assouplit les règles de notification en autorisant la notification de la décision au seul avocat de la partie qu'il représente. La prorogation des délais de recours pendant la période d'urgence sanitaire limite les risques de cette dernière mesure, en cas de perte de contact entre un avocat et son client.
L'article 14 dispense les juridictions de l'obligation de prononcer à l'audience les jugements relatifs aux mesures d'éloignement prises à l'encontre des étrangers placés en centre de rétention, ce qui devrait permettre d'éviter d'avoir à les maintenir dans les locaux du tribunal ou de la cour le temps du délibéré.
II. Dispositions particulières relatives aux délais de procédure et de jugement (Titre II)
L'article 15 de l'ordonnance rend expressément applicables devant les juridictions administratives les assouplissements (interruption des délais et adaptation des procédures) instaurés par l'ordonnance n° 2020-306 du même jour. Il permet ainsi la prorogation du terme de tous les délais de procédure échus pendant la période juridiquement protégée (entre le 12 mars 2020 et un mois après de la cessation de l'état d'urgence sanitaire).
L'article 15 de l'ordonnance liste également une série de dérogations à cette prorogation, applicables au contentieux des étrangers et en matière électorale.
Ces dérogations concernent tout d'abord le droit des étrangers :
- soit pour prévoir une prorogation plus limitée des délais de recours ; à ce titre, voient le point de départ des délais de recours reporté au lendemain de la cessation de l'état d'urgence sanitaire (sans bénéficier des délais supplémentaires accordés par application de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 précitée) les recours contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) non assorties de placement en rétention, contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou contre les décisions de transfert « Dublin », ainsi que les demandes d'aide juridictionnelle devant la CNDA ;
- soit pour exclure toute prorogation de délai ; à ce titre, les délais applicables aux recours contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire français et les recours formés par les étrangers placés en rétention, notamment contre les obligations de quitter le territoire français, ne font l'objet d'aucune adaptation (ces délais de recours, très brefs - 48 heures -, sont donc maintenus pendant la période d'urgence sanitaire) ;
La conformité de cette disposition dérogatoire aux normes constitutionnelles et conventionnelles est incertaine, et un contentieux est probable, l'absence des associations d'aide aux étrangers dans les lieux de rétention depuis le déclenchement de l'épidémie risquant, selon elles, de ne pas garantir, dans les circonstances actuelles, un droit effectif au recours pour les personnes retenues.
En matière électorale, l'article 15 étend le délai de recours contre les élections municipales acquises dès le premier tour de scrutin, répondant ainsi à une interrogation soulevée pendant les débats parlementaires.
Habituellement, les recours doivent être déposés dans les cinq jours qui suivent le scrutin lorsqu'ils sont formés par les électeurs et dans un délai de quinze jours lorsqu'ils sont formés par le préfet (article R. 119 du code électoral). En raison de la situation sanitaire, l'ordonnance permet aux électeurs et au préfet de déposer leur recours jusqu'à cinq jours après la date de prise de fonction des candidats élus dès le premier tour. Cette date sera fixée par décret, aussitôt que la situation sanitaire le permettra au regard de l'analyse du comité de scientifiques.
L'article 16 reporte les mesures de clôture d'instruction dont le terme était prévu entre le 12 mars 2020 et la fin de l'état d'urgence sanitaire jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la fin de cette période, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge.
Durant cette même période, l'article 17 reporte le point de départ des délais impartis au juge pour statuer au premier jour du deuxième mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire. Deux dérogations sont prévues, là encore en matière de droit des étrangers et de droit électoral :
- les délais pour statuer en matière de recours contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire français ou de recours formés par les étrangers placés en rétention, notamment contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF), sont maintenus malgré leur brièveté (respectivement 72 et 96 heures) ;
- le tribunal administratif devra statuer sur tous les recours contre les résultats des élections municipales générales avant le dernier jour du quatrième mois suivant le deuxième tour de l'élection municipale. Si le second tour a lieu le 21 juin 2020, le tribunal aura jusqu'au 31 octobre 2020 pour se prononcer, y compris si la requête porte sur le premier tour. Ce délai est donc plus long que celui habituellement prévu par l'article R. 120 du code électoral (trois mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe du tribunal).
Conformément à l'article L. 118-2 du code électoral, le tribunal devra sursoir à statuer en cas de saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui disposera pour se prononcer de trois mois à compter du délai limite pour le dépôt des comptes de campagne 56 ( * ) .
Le report du délai pour déposer un recours, d'une part, et l'allongement des délais de jugement, d'autre part, peuvent être de nature à fragiliser la situation des conseillers municipaux élus dès le premier tour de scrutin, en laissant planer une certaine incertitude sur le mandat.
L'article 18 rend applicable l'ordonnance dans les îles Wallis et Futuna.
* 26 I, 2° b) de l'article 11 de la loi.
* 27 I, 2° c) du même article.
* 28 Ces délais relèvent principalement du domaine réglementaire en matière civile.
* 29 Sont notamment concernés le droit des étrangers et l'hospitalisation sans consentement de personnes atteintes de troubles mentaux.
* 30 En cette matière les délais sont suspendus - et non prorogés - pour la période allant du 12 mars 2020 à l'expiration d'un délai d'un mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire. Leur cours reprendra donc à l'expiration de cette période pour le temps qui restait à courir.
* 31 Entre le 12 mars 2020 et la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire.
* 32 En matière civile, il s'agit du référé, du traitement des contentieux civils ayant un caractère d'urgence et de la protection des personnes vulnérables (circulaire de la garde des Sceaux du 14 mars 2020 relative à l'adaptation de l'activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie Covid-19).
* 33 Circulaire de présentation de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété du 26 mars 2020. Elle est consultable à l'adresse suivante :
http://www.justice.gouv.fr/bo/2020/20200327/JUSC2008609C.pdf
* 34 Voir ci-après, le commentaire de l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale.
* 35 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, considérant 102.
* 36 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 sur la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, considérants 27 et 29.
* 37 Tant qu'une ordonnance n'est pas ratifiée, ses dispositions ont valeur réglementaire et sont contestables devant le juge administratif.
* 38 En référé, dans la procédure accélérée au fond et lorsque le juge a un délai déterminé pour statuer (juge des libertés et de la détention, ordonnances de protection, contentieux des funérailles etc. ).
* 39 À défaut d'application de ces dispositions, les mesures qui arrivent à leur terme entre le 12 mars 2020 et le mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire sont prorogées de plein droit d'un mois maximum.
* 40 Cet article ne semble pas avoir fait l'objet de consultation préalable du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), comme l'y autorise le II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
* 41 Article 11, I 2° j).
* 42 NB : L'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis, applicable au 1 er juin 2020, maintient la durée déterminée des contrats de syndic, mais ne fait plus référence à une mise en concurrence tous les trois ans (futur article 18 VI.).
* 43 Rapport n° 381 (2019-2020) de M. Philippe BAS, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 mars 2020.
* 44 Article 11, I 2° c).
* 45 Articles L. 221-2 et L. 221-2-1 du code de la justice administrative.
* 46 Désistements, requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, requêtes manifestement irrecevables, requêtes relevant d'une série, etc.
* 47 Le recours à cette application n'est pour l'heure obligatoire que pour les parties ayant recours à un avocat et les administrations autres que les communes de moins de 3 500 habitants.
* 48 L'ordonnance n°2020-304 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale précise dans son article 6 « dès lors que le juge peut s'assurer du respect du contradictoire ».
* 49 Article 7 de l'ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 et article 6 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.
* 50 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, considérant 102.
* 51 Article L. 733-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 52 Articles L. 213-9 (refus d'entrée sur le territoire) ou L. 512-1 (recours exercé par un étranger placé en rétention ou faisant l'objet d'une décision d'assignation à résidence) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 53 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 sur la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
* 54 Article R. 732-1-1 du code de la justice administrative.
* 55 Article L. 522-3 du code de la justice administrative.
* 56 Le délai limite pour le dépôt des comptes de campagne étant fixé au 10 juillet 2020 pour les candidats présents uniquement au premier tour et au 11 septembre 2020 pour les candidats présents au second tour.