II. VERS LA FIN DE LA CRISE SANITAIRE : DES ENJEUX QUI SE CONFONDENT AVEC LES SUITES DU GRENELLE
Au terme de la période inédite du confinement et de la sortie du confinement, notre pays a retrouvé inchangées les insuffisances de sa politique publique de lutte contre les violences, comme si le temps s'était figé au lendemain du Grenelle de lutte contre les violences conjugales , dont certaines mesures attendent encore une mise en oeuvre effective.
Laurence Cohen, co-rapporteure, a plus particulièrement évoqué, le 7 juillet 2020, la question des centres spécialisés dans la prise en charge du psycho-traumatisme, « clé de l'accompagnement des victimes de violences ». La nécessité du développement de ces structures est une conclusion récurrente des travaux de la délégation sur les violences . La création de dix centres pluridisciplinaires spécialisés dans le psycho-trauma avait été annoncée par le Président de la République le 25 novembre 2017. Deux ans plus tard, le financement de « structures dédiées à la prise en charge sanitaire, psychologique et sociale des femmes victimes de violences » faisait partie des conclusions du Grenelle : le document publié à cette occasion 42 ( * ) souligne l'intérêt décisif, pour les victimes, d'une « prise en charge médico-sociale adaptée, comprenant à la fois un accueil ouvert, la délivrance de soins et un accompagnement psycho-social ». Il renvoie à la pérennisation des « initiatives existantes » et au « développement de nouvelles structures soutenu, pour couvrir l'ensemble du territoire national, par le biais d'un financement dédié ». Il conviendra donc de suivre avec vigilance la mise en oeuvre concrète de ces annonces.
Indépendamment de celles-ci, la délégation a plus particulièrement centré son propos, dans ce rapport, sur les aspects judiciaires des enjeux de l'« après-confinement » : nécessité de rattraper le retard accumulé par l'institution judiciaire du fait de la crise sanitaire et poursuite de l'application des orientations définies lors du Grenelle .
A. LE RATTRAPAGE DE L'ACTIVITÉ JUDICIAIRE INTERROMPUE PENDANT LE CONFINEMENT : UN DÉFI
1. Une baisse d'activité problématique
À la demande d'Annick Billon, présidente, François Molins a précisé, le 11 juin 2020, les mesures prises par l'institution judiciaire pour rattraper les retards accumulés pendant le confinement. Il a ainsi précisé que les plans de continuation d'activité s'étaient traduits par une baisse d'activité considérable , d'environ deux tiers « dans le meilleur des cas, jusqu'à 90 % parfois ».
Ces retards impliquent :
- de reconvoquer les auteurs de violences conjugales qui avaient reçu des convocations par officier de police judiciaire (COPJ) et dont l'audience avait été annulée : « les procureurs travaillent d'arrache-pied pour fixer des priorités dans les ré-audiencements », a-t-il précisé ;
- de procéder à l'enregistrement des procédures dont le traitement a été interrompu du fait du confinement : François Molins a espéré que « l'enregistrement des procédures liées aux violences conjugale n'en pâtira pas », ces procédures devant selon lui « se traiter par téléphone, en temps réel ». Il a estimé qu'un travail rigoureux de vérification devrait être mené dans les parquets « pour s'assurer que des procédures n'ont pas été oubliées ».
À ce phénomène de rattrapage du retard accumulé par les institutions depuis la mi-mars s'ajoute celui de l'augmentation sensible des plaintes, qui pourraient être une conséquence à retardement des violences qui, subies pendant le confinement , n'ont pas été signalées par les victimes faute de moyens pour joindre une structure adaptée.
2. Des effets différés à anticiper
On peut craindre en outre des effets différés du confinement en termes de volume d'affaires.
Édouard Durand faisait ainsi observer lors de son audition qu'à la date du 20 mai 2020, les effets de l'augmentation substantielle des appels au 119 et la hausse du nombre d'interventions à domicile de la police et de la gendarmerie constatés pendant le confinement ne se faisaient pas sentir (ou pas encore) dans son cabinet de juge des enfants. Ce constat semble confirmer la possibilité d'un « effet retard » qui pourrait être difficile à absorber.
Ernestine Ronai a pour sa part relevé, le 20 mai 2020, une baisse du nombre de plaintes résultant du confinement : « en Seine-Saint-Denis, au début du confinement, on constatait 23 % de plaintes en moins par rapport à la même date de 2019 et 8 % de moins à la fin du confinement » ; « cette baisse du nombre des plaintes a été constatée partout sur le territoire français », a-t-elle observé.
Ce fléchissement est confirmé par les associations (la chute serait d'environ 20 % à cause du confinement), qui ont exprimé la crainte d'une « déferlante » après le confinement 43 ( * ) , a fortiori parce que cet afflux se cumulera avec les effets différés de « cinq mois d'activité très ralentie des tribunaux », comme l'a fait observer Maître Steyer le 4 mai 2020, se référant aux conséquences des grèves des transports et des avocats.
3. La question des violences sexuelles commises pendant le confinement : des conséquences à plus long terme
Il est probable que cet effet différé concernera la révélation des violences sexuelles commises pendant le confinement : selon Françoise Brié, de la Fédération nationale Solidarité Femmes , qui gère le 3919, « On sait qu'il y a eu des violences sexuelles, en plus des violences physiques et psychologiques, et on craint qu'il y ait eu des grossesses non désirées » 44 ( * ) . Pour Maître Durrieu-Diebolt, qui assiste régulièrement des victimes de violences sexuelles, les violences sexuelles commises pendant le confinement concernent principalement des agressions intrafamiliales : viols conjugaux et enfants victimes d'un frère ou de leur père. En effet, « Les circonstances limitent les agresseurs potentiels à la famille réduite ».
Ce constat aura des effets dans la durée, car « dans ces situations les victimes révèlent très rarement les faits immédiatement après qu'ils ont été commis. Il s'agit de violences commises dans la contrainte morale, sans bruit, sans coup ». Maître Durrieu-Diebolt a fait valoir, le 7 mai 2020, qu'elle n'avait pas encore été saisie de tels faits en urgence : « il faut du temps aux victimes pour se décider à les révéler » ; « La loi du silence, qui pèse sur les victimes, femmes et enfants, sert les agresseurs ! », a-t-elle conclu.
Les victimes de violences sexuelles commises au sein de la famille ne révélant que rarement les faits en temps réel et remettant dans la plupart des cas le dépôt de plainte à plus tard, on peut craindre, s'agissant des violences liées au confinement, un « risque réel de déperdition des preuves », les constatations matérielles n'ayant pas pu être effectuées.
La délégation s'interroge donc sur le risque d'une augmentation sensible du nombre de plaintes pour violences conjugales et pour violences sexuelles pendant les mois à venir, qui s'ajoutera à toutes les procédures interrompues à cause du confinement, ce qui suppose un suivi statistique régulier et rigoureux des violences et des suites judiciaires qui leur seront apportées.
* 42 Clôture du Grenelle contre les violences conjugales : 30 mesures pour combattre le fléau des violences faites aux femmes, prévenir les violences, protéger les femmes et leurs enfants, partout et à tout moment ; Dossier de presse, 25 novembre 2019.
* 43 Les violences conjugales ont-elles augmenté ? L'effroyable réalité du confinement (Journal des femmes, 18 mai 2020).
* 44 Témoignage rapporté par le Journal des femmes , « Les violences conjugales ont-elles augmenté ? L'effroyable réalité du déconfinement », 18 mai 2020.