II. L'ADHÉSION : UNE EXIGENCE DU TRAITÉ DE LISBONNE, QUI S'EST TOUTEFOIS HEURTÉE À DE SÉRIEUSES DIFFICULTÉS JURIDIQUES

Tirant les conséquences de l'avis 2/94 du 28 mars 1996, le traité de Lisbonne a expressément prévu l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme. L'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule ainsi que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ». Le paragraphe 3 précise que « les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux ».

Cet article 6, paragraphe 2, fait l'objet du protocole n° 8 annexé aux traités, qui fixe des conditions à cette adhésion . L'article 1 er du protocole dispose ainsi que « l'accord relatif à l'adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales [...] doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union, notamment en ce qui concerne : a) les modalités particulières de l'éventuelle participation de l'Union aux instances de contrôle de la Convention européenne ; b) les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union, selon le cas ». Son article 2 indique notamment que cet accord « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ». De même, la situation particulière des États membres à l'égard de la CEDH doit être prise en compte, par exemple s'ils ont émis des réserves. L'article 3 ajoute qu'aucune disposition de l'accord d'adhésion ne doit affecter l'article 344 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), selon lequel les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci.

A. UN PROJET D'ACCORD D'ADHÉSION À L'ISSUE DE LONGUES NÉGOCIATIONS

Sur le fondement des dispositions du traité de Lisbonne, le Conseil, le 4 juin 2010, a adressé à la Commission européenne des directives de négociation en vue de la conclusion d'un accord d'adhésion 13 ( * ) . Cette décision :

- autorise l'ouverture de négociations en vue de l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH avec les parties contractantes à celle-ci ;

- désigne la Commission en tant que négociateur de l'Union ;

- nomme le groupe FREMP 14 ( * ) comme comité spécial prévu par l'article 218, paragraphe 4, du TFUE et demande à la Commission de rendre compte régulièrement à ce groupe et de lui transmettre sans délai tous les documents de négociation ;

- souligne la situation particulière résultant du fait que tous les États membres sont également parties contractantes à la Convention et appelle au respect du principe de coopération loyale.

Enfin, une annexe à la décision du Conseil comportait les directives de négociation proprement dites.

Au niveau du Conseil de l'Europe, le Comité des ministres a adopté, le 26 mai 2010, un mandat occasionnel chargeant le Comité directeur pour les droits de l'Homme (CDDH) d'élaborer, en coopération avec l'Union européenne, un instrument juridique établissant les modalités d'adhésion de l'Union à la CEDH. En conformité avec ce mandat, le CDDH a décidé, lors de sa 70 e réunion, du 15 au 18 juin 2010, de confier l'élaboration de l'accord d'adhésion à un groupe informel, le CDDH-UE, de 14 membres (7 provenant d'États membres de l'Union européenne et 7 provenant d'États tiers).

Des rencontres régulières entre les deux juridictions, Cour de justice de l'Union européenne et Cour européenne des droits de l'Homme, ont également été prévues 15 ( * ) .

Huit réunions de travail des négociateurs se sont tenues entre juillet 2010 et juin 2011. Le CDDH-UE a alors mis au point un projet d'accord d'adhésion et l'a soumis aux Hautes Parties Contractantes et à l'Union européenne pour examen.

Lors de la réunion du COREPER du 6 octobre 2011, de nombreuses délégations ont accepté le projet d'accord d'adhésion, mais les délégations française et britannique ont émis des réserves sur le contenu de ce texte , concernant en particulier : la juridiction de la Cour de Strasbourg relative aux violations alléguées liées à des actes adoptés par l'Union dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), le champ d'application du mécanisme de codéfendeur ( cf . infra ), la portée de l'implication préalable de la CJUE, les conditions dans lesquelles l'Union et ses États membres peuvent exercer leur droit de vote au sein du Comité des ministres du Conseil de l'Europe lorsque ce dernier doit contrôler l'exécution d'un arrêt rendu à l'encontre de l'Union, seule ou en tant que codéfendeur.

Lors de ses réunions des 12 au 14 octobre 2011, le CDDH a pris note du fait que l'Union n'était pas en mesure d'approuver le projet d'accord et a fait rapport en conséquence au Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui en a pris note.

Les discussions ont repris au sein du groupe FREMP pour trouver des solutions permettant de prendre en compte les préoccupations des délégations ayant exprimé des réserves sur le projet d'accord. Sur la base de ces travaux, le Conseil a complété ses directives de négociation lors de sa réunion des 26 et 27 avril 2012, permettant ainsi de reprendre les négociations avec le Conseil de l'Europe.

De son côté, le 13 juin 2012, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a donné un nouveau mandat au CDDH en vue de poursuivre les négociations avec l'Union européenne au sein d'un groupe ad hoc « 47+1 ».

Le 5 avril 2013, les négociateurs sont parvenus à un projet d'accord d'adhésion de l'Union européenne à la CEDH, ainsi qu'aux protocoles n° 1 , qui garantit le droit au respect de ses biens, à l'instruction et à des élections libres, et n° 6 , qui prévoit l'abolition de la peine de mort en temps de paix, seuls protocoles ratifiés par l'ensemble des États membres . Néanmoins, le représentant de l'Union européenne a indiqué que la signature de l'accord d'adhésion par l'Union était soumise à une série d'étapes politiques et procédurales internes à l'Union, dont une demande d'avis de la CJUE 16 ( * ) et une décision du Conseil à l'unanimité autorisant la signature de l'accord d'adhésion.

Le 4 juillet 2013, la Commission a demandé l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité du projet d'accord d'adhésion avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités. Par ailleurs, le Conseil, le Parlement européen et 24 États membres, dont la France, sont intervenus dans cette procédure pour soutenir l'exigence de compatibilité. Ces prises de position ne peuvent porter que sur les conditions de l'adhésion de l'Union à la CEDH, et non sur le principe de l'adhésion, qui fait désormais partie du droit de l'Union.

Le contenu du projet d'accord d'adhésion de 2013

Les instruments permettant l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'Homme consistent en plusieurs documents formant un ensemble :

- un projet d'accord sur l'adhésion proprement dit ;

- un projet de déclaration de l'Union européenne à faire au moment de la signature de l'accord d'adhésion, concernant le mécanisme du codéfendeur et la possibilité pour les Parties contractantes autres que les États membres de l'Union de déposer des observations dans une procédure dans laquelle la CJUE examine la compatibilité avec la CEDH d'une disposition du droit de l'Union ;

- un projet de règle à ajouter aux Règles du Comité des ministres du Conseil de l'Europe pour la surveillance de l'exécution des arrêts et des termes des règlements amiables dans les affaires auxquelles l'Union est partie ;

- un projet de modèle de mémorandum d'accord entre l'Union européenne et un État non-membre de l'Union ;

- un projet de rapport explicatif à l'accord d'adhésion.

Le projet d'accord d'adhésion de 2013 se composait de douze articles :

- article 1 er : portée de l'adhésion et amendements à l'article 59 de la Convention : il a été convenu que l'entrée en vigueur de l'accord d'adhésion aurait comme effet à la fois d'amender la CEDH et d'inclure l'Union parmi ses Parties, sans que cette dernière n'ait à déposer un instrument d'adhésion à la Convention. La même disposition devrait s'appliquer à l'adhésion de l'Union au Protocole additionnel et au Protocole n° 6 à la Convention (à noter que l'adhésion ultérieure de l'Union à d'autres protocoles de la CEDH nécessiterait le dépôt d'instruments d'adhésion séparés) ;

- article 2 : réserves à la Convention et à ses protocoles : dans la mesure où l'Union devrait adhérer à la CEDH, dans la mesure du possible, sur un pied d'égalité avec les autres Hautes Parties contractantes, les conditions applicables à ces dernières concernant les réserves et dérogations en vertu de la Convention devraient aussi s'appliquer à l'Union. Pour des raisons de sécurité juridique, il est toutefois convenu d'inclure dans l'accord d'adhésion une disposition autorisant l'Union à formuler des réserves dans les mêmes conditions que toute autre Haute Partie contractante ;

- article 3 : mécanisme de codéfendeur : un nouveau mécanisme a été introduit afin de permettre à l'Union de devenir codéfendeur dans une procédure contre un ou plusieurs de ses États membres et, de manière similaire, de permettre aux États membres de devenir codéfendeurs dans une procédure contre l'Union ;

- article 4 : affaires entre les parties : une fois que l'Union sera partie à la CEDH, tous les États parties à la Convention pourront présenter une affaire contre l'Union, et inversement . À noter que le projet d'accord de 2013 ne réglait pas la question de savoir si le droit de l'Union autorisait la soumission à la Cour de Strasbourg de litiges concernant des questions du droit de l'Union entre les États membres de l'Union, ou entre l'Union et un de ses États membres ;

- article 5 : interprétation des articles 35 et 55 de la Convention : cet article vise à clarifier le fait que, par effet nécessaire de l'adhésion de l'Union à la Convention, les procédures devant la CJUE ne doivent pas être interprétées comme constituant des procédures internationales d'enquête ou de règlement, dont la saisine rendrait une requête irrecevable conformément à l'article 35 de la Convention. Au sujet de l'article 55 de la Convention, qui exclut d'autres modes de règlement des différends concernant l'interprétation ou l'application de la Convention, les parties conviennent que, pour ce qui concerne les États membres de l'Union, les procédures devant la CJUE ne constituent pas un « mode de règlement des différends » au sens prévu par l'article 55 de la Convention . Ainsi, ce dernier n'interdit pas l'application de la règle prévue par l'article 344 du TFUE ;

- article 6 : élection des juges : il est convenu qu'une délégation du Parlement européen aura le droit de participer, avec droit de vote, aux séances de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe lorsque celle-ci exerce ses fonctions relatives à l'élection des juges. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'amender la Convention pour permettre l'élection d'un juge au titre de l'Union ;

- article 7 : participation de l'Union européenne aux réunions du Comité des ministres du Conseil de l'Europe : la Convention attribue explicitement au Comité des ministres du Conseil de l'Europe un certain nombre de fonctions, dont la surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour et des termes des règlements amiables. Après l'adhésion, l'Union aura le droit de participer, avec droit de vote, aux réunions du Comité des ministres lorsqu'il prendra des décisions conformément à ces dispositions. Par ailleurs, cet article régit aussi les modalités de la participation de l'Union au Comité des ministres du Conseil de l'Europe dans le cadre des fonctions non prévues explicitement par la CEDH, de la surveillance des obligations dans les affaires où l'Union est défendeur ou codéfendeur et de la surveillance des obligations dans des affaires contre une Haute Partie contractante autre que l'Union ;

- article 8 : participation de l'Union européenne aux dépenses liées à la Convention : aux termes de l'article 50 de la Convention, les frais de fonctionnement de la Cour sont à la charge du Conseil de l'Europe. À la suite de son adhésion à la Convention, l'Union devrait contribuer aux dépenses de l'ensemble du système de la Convention avec les autres Hautes Parties contractantes ;

- article 9 : relations avec d'autres accords : un certain nombre d'autres conventions et accords du Conseil de l'Europe sont strictement liés au système de la Convention, même s'il s'agit de traités autonomes. Pour cette raison, il est nécessaire de s'assurer que l'Union, en tant que partie à la Convention, respecte les dispositions pertinentes de ces instruments et qu'elle est, aux fins de leur application, traitée comme si elle était partie à ces instruments ;

- article 10 : signature et entrée en vigueur ;

- article 11 : réserves : il est convenu qu'aucune réserve n'est admise à ces dispositions. Cela est sans préjudice de la possibilité, pour l'Union, de formuler des réserves à la Convention ;

- article 12 : notifications.


* 13 Ces négociations se sont déroulées selon la procédure prévue à l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

* 14 Groupe de travail du Conseil sur les droits fondamentaux, les droits des citoyens et la libre circulation des personnes.

* 15 Le 17 janvier 2011, les présidents des deux juridictions européennes ont présenté une communication commune résumant le résultat des discussions entre celles-ci et fournissant une référence et des orientations pour les négociations.

* 16 Comme l'article 218, paragraphe 11, du TFUE en prévoit la possibilité.

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