B. PERMETTRE AUX ENTREPRISES DE TROUVER RAPIDEMENT LES COMPÉTENCES DONT ELLES ONT BESOIN

1. Pôle emploi : accélérer et professionnaliser la dynamique en cours sur le terrain
a) Un passif lourd à effacer dans la mémoire de nombreux employeurs
(1) Un engagement récent en direction des entreprises

Le rôle de Pôle emploi ayant été largement décrié par les chefs d'entreprises rencontrés sur le terrain, MM. Michel Cannevet et Guy-Dominique Kennel ont souhaité enquêter pour vérifier le bien-fondé des critiques et évaluer l'ampleur des changements nécessaires.

Cette démarche visait également à comprendre comment avaient été tirées les leçons du rapport 43 ( * ) de la Cour des comptes de 2015, peu amène envers l'institution. Ainsi la Cour concluait : « En outre, face à des acteurs de plus en plus nombreux et dynamiques sur internet, Pôle emploi abandonne tout objectif quantitatif de collecte des offres d'emploi ; la prospection ne doit plus être menée que pour les demandeurs d'emploi faisant l'objet d'un accompagnement, en particulier ceux qui sont le plus en difficulté. Pôle emploi s'expose de ce fait à un double risque : celui de ne plus apparaître comme un interlocuteur au contact des entreprises, et celui de perdre sa crédibilité en présentant des candidats particulièrement éloignés des profils souhaités par les employeur s . » Cette analyse correspond exactement aux expériences partagées par les chefs d'entreprise qui expliquaient ne plus passer par l'établissement public pour trouver les bons candidats.

La recommandation de 2015 était claire : « La Cour considère, au terme de ses travaux, que la qualité et la plus-value des services de Pôle emploi doivent reposer sur la connaissance concrète des acteurs du marché du travail : les conseils qu'il donne et les services qu'il propose à l'ensemble des demandeurs d'emploi doivent impérativement reposer sur une connaissance approfondie des besoins des entreprises, et réciproquement . Cette qualité du service public est une exigence qui découle de la mission de Pôle emploi, telle qu'elle est aujourd'hui fixée par la loi. En définitive, la Cour partage l'objectif de mieux différencier les services en faveur des demandeurs d'emploi et des entreprises . »

Dans la convention tripartite 2015-2018 entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi, parmi les priorités assignées à l'établissement, figuraient l'amélioration du fonctionnement du marché travail en répondant pleinement aux besoins des entreprises, et l'amélioration de la relation avec les entreprises. Une évaluation 44 ( * ) a été menée conjointement par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en novembre 2018. Les progrès réalisés sont salués dans ce rapport qui encourage l'établissement à poursuivre ses efforts.

Est ainsi soulignée la spécialisation de certains conseillers au sein d'équipes dédiées à la relation avec les entreprises. 4 500 conseillers étaient ainsi dédiés fin 2019 à cette tâche qui consiste, selon Pôle emploi, à « réaliser un accompagnement sur-mesure des entreprises qui recrutent , à travers des conseils pour la rédaction de l'offre, des informations sur le marché du travail local, une présélection des candidatures les plus pertinentes, des actions d'adaptation au poste et un soutien tout au long du processus de recrutement ». 1 000 conseillers supplémentaires doivent être recrutés en 2020 « afin de garantir que chaque offre qui n'a pas été pourvue dans les 30 jours fasse l'objet d'une proposition de solution par le conseiller de Pôle emploi, avec une contractualisation sur le délai de mise en oeuvre ». L'esprit « pro-entreprises » est donc bien là, mais la difficulté est qu'il ne profite qu'à très peu d'entreprises.

(2) Une dynamique encore largement méconnue des dirigeants d'entreprise

En auditionnant Pôle emploi dès le début des travaux et en se rendant sur le terrain dans une agence de Lille, les rapporteurs ont découvert une institution en mouvement, avec une impulsion ressentie au niveau de la direction générale, en phase de « ruissellement » vers les agences du terrain . Comme dans toute organisation de grande taille (940 agences de proximité et « points relais », 54 000 collaborateurs), il semble exister un décalage entre la stratégie et les directives de la direction d'une part, et la mise en oeuvre auprès des publics ciblés (en l'occurrence les entreprises) d'autre part.

L'un des premiers griefs cités par les employeurs correspond à la mauvaise compréhension des besoins des entreprises et à l'inefficacité des services proposés en comparaison avec ce que proposent des concurrents présents sur Internet. Pourtant il existe une offre en ligne assez développée et « agile », qui semble démontrer que ces nouveaux outils sont totalement inconnus de bon nombre de chefs d'entreprise, dont le jugement négatif est souvent resté « bloqué » sur une mauvaise expérience passée .

C'est d'ailleurs ce que montre un sondage de chefs d'entreprise organisé en décembre 2019 par OpinionWay pour CCI France. Seulement 15 % des chefs d'entreprise ont eu recours à l'établissement public pour recruter dans les deux dernières années. Ce chiffre s'élève à 25 % dans le secteur de l'industrie contre 13 % dans celui des services, et en majorité dans les entreprises de 10 salariés et plus (60 %- contre 13 % dans les TPE). Seuls 49 % jugent que la qualité des services de Pôle emploi est satisfaisante, mais dans le même temps on note qu'ils sont une infime minorité à connaître les nouvelles offres de services en direction des entreprises : entre 9 et 19 % seulement, selon le dispositif créé pour faciliter le recrutement . Le sentiment généralisé de l'incompétence de Pôle emploi semble donc s'appuyer au moins en partie sur une mauvaise expérience intervenue dans un contexte bien différent de celui d'aujourd'hui.

Car force est de constater que les besoins en recrutement des entreprises, potentiels ou avérés, sont portés à la connaissance des demandeurs d'emploi. Rappelons qu'en 2018, 2,9 millions d'offres ont été enregistrées pour 3,4 millions de postes. Environ la moitié des offres sont confiées directement à Pôle emploi, l'autre moitié étant transmises par des sites partenaires. 400 000 entreprises font confiance chaque année à Pôle emploi (470 000 en 2019), 64 % d'entre elles estimant que leurs besoins ont été bien compris. L'agrégation des offres émanant d'autres canaux est une excellente dynamique, mais il paraît regrettable que Pôle emploi suscite une telle défiance auprès de nombreux dirigeants. Pourtant de nombreux (trop nombreux ?) services sont proposés.

Plus de 300 services 45 ( * ) en ligne réunis sur l'Emploi Store 46 ( * ) (accessible depuis le site pole-emploi.fr). La Bonne Boîte permet d'accéder au « marché caché » en trouvant les entreprises qui recrutent près de chez soi pour leur envoyer une candidature spontanée ; La Bonne Alternance propose l'équivalent pour trouver les entreprises recrutant régulièrement en alternance ; Maintenant ! permet d'être mis directement en relation avec un employeur pour trouver un emploi sans CV ; B.A-BA Entretien vise à préparer le mieux possible son entretien de recrutement.

La spécialisation des services en ligne en direction des entreprises apparaît clairement dans un schéma réalisé récemment par la Cour des comptes dans un rapport 47 ( * ) de février 2020 « Les services numériques de Pôle emploi : une transformation stratégique, des défis importants » :

PRINCIPAUX SERVICES NUMÉRIQUES PROPOSÉS PAR PÔLE EMPLOI

Source : Cour des comptes

Par ailleurs, les modalités de gestion des offres d'emploi proposées aux entreprises permettent un recrutement « en autonomie » 48 ( * ) . Ainsi, comme le note la Cour des comptes dans le rapport précité de février 2020, « Contrairement aux demandeurs d'emploi, contraints de recourir aux services de Pôle emploi notamment pour l'inscription et l'actualisation mensuelle, les entreprises n'ont aucune obligation de faire appel à ses services . Pôle emploi est ainsi concurrencé sur cette mission par d'autres prestataires de service en ligne spécialisés dans le recrutement (les « Job boards »). »

L'autonomie est bien réelle puisque non seulement l'employeur peut contacter directement les demandeurs intéressés par une offre, mais il peut également consulter tous les profils en ligne sans condition de dépôt d'offre et contacter les personnes ayant préalablement donné leur accord pour faire figurer leurs coordonnées, ainsi que le rappelle le schéma ci-dessous. Ceci est d'autant plus intéressant pour un dirigeant d'entreprise qu'il existe tout de même 5,1 millions de profils en ligne. Mais il est aussi d'autant plus regrettable que ce service soit insuffisamment porté à la connaissance des entreprises .

source : Pôle emploi

D'autres dispositifs sont proposés par Pôle emploi, qui permettent de sécuriser un recrutement et de compléter la formation de candidats pouvant être intéressés mais ne disposant pas encore de toutes les compétences requises. Ces dispositifs sont particulièrement utiles pour les apprentis ou les bénéficiaires d'un contrat de professionnalisation , avec par exemple :

- l'immersion en entreprise via la période de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP) 49 ( * ) pour découvrir un métier ou un secteur d'activité ou confirmer un projet professionnel ;

- l'obtention de la certification CléA 50 ( * ) pour valider ou revoir certains savoirs de base ;

- une formation d'adaptation préalable , soit en AFPR (action de formation préalable au recrutement), soit en POEI (préparation opérationnelle à l'emploi individuelle). Les rares employeurs rencontrés sur le terrain et ayant eu recours à ces formations en étaient extrêmement satisfaits.

Ces dispositifs sont particulièrement bien adaptés à l'approche pragmatique des dirigeants d'entreprise qui ont besoin de compétences souvent acquises sur le terrain ou de compétences comportementales, particulièrement délicates à valider chez certains demandeurs d'emploi. En 2019, 200 000 immersions professionnelles ont été organisées, ainsi que 86 000 AFPR et POEI.

Cette offre globale de services (en partie détaillés en annexe) démontre une dynamique positive en direction des entreprises. D'ailleurs dans le sondage OpinionWay précité, parmi les dirigeants ayant eu recours aux services de Pôle emploi, une majorité reconnaît la plus grande simplicité de publication des offres d'emploi et la pertinence du nouvel accompagnement sur-mesure.

Comment, au regard de cette dynamique en cours, faire de Pôle emploi un outil plus efficace au regard des attentes des entreprises ?

Tout d'abord, la quantité de services offerts peut rendre complexe la navigation et la lecture des possibilités offertes pour de nouveaux employeurs qui décideraient de donner sa chance à l'institution. Encore faut-il que les dirigeants aient connaissance de leur existence. Il faudrait systématiser l'information de toutes les entreprises du territoire par l'envoi de mails présentant les services de Pôle emploi.

Si l'on observe le succès de Proch'Emploi, « dispositif sur-mesure créé par la Région pour faire le lien entre les demandeurs d'emploi des Hauts-de-France et les employeurs qui peinent à recruter », on peut comprendre que les entreprises attendent un contact direct avec des conseillers venant en tout premier lieu s'enquérir de leurs besoins, avant de proposer des profils. La porte d'entrée du dialogue avec les employeurs est donc axée sur les objectifs de recrutement afin de proposer une démarche sur-mesure et une rencontre physique avec des candidats. Comme l'a indiqué la directrice du dispositif, le pari de la région était de favoriser un engagement des entreprises à rencontrer des demandeurs d'emploi en contrepartie d'un service « sur-mesure » . Ancienne directrice d'Adecco, Mme Van Den Broek explique que cette méthode constitue la clé de succès des cabinets de recrutement, car « il faut que l'offre et la demande d'emploi se rencontrent physiquement ».

Proche'Emploi s'appuie sur un réseau d'ambassadeurs par métier ou secteur dans chaque bassin d'emploi, qui vont à la rencontre des TPE et PME pour étudier les besoins sur des postes ne faisant pas l'objet d'une offre chez Pôle emploi. Il existe des objectifs quantitatifs de rencontres d'entreprises par semaine, avec une évaluation basée sur un reporting .

Le changement de culture en cours chez Pôle emploi doit viser une dynamique similaire dans l'organisation des missions assignées aux collaborateurs dédiés aux relations avec les entreprises, afin que la mission de service public, rappelée par la Cour des Comptes, soit réellement mise en oeuvre. Sans un équilibre entre d'une part les actions à destination des demandeurs d'emploi et d'autre part les entreprises, Pôle emploi sera toujours une organisation critiquée malgré toutes les innovations technologiques mises en oeuvre et les services offerts en ligne.

Les rencontres sur le terrain avec les employeurs permettront également de mieux communiquer sur les outils à leur disposition, aujourd'hui totalement inconnus. C'est ce qui a souvent été entendu par les membres de la Délégation sénatoriale aux entreprises lors des déplacements sur le terrain : « Pôle emploi n'est jamais venu vers nous », ou bien « on ne m'a jamais contacté pour m'informer »... La première démarche évidente consistera à systématiser l'envoi de messages électroniques informant toutes les entreprises des services en ligne proposés sur le site de Pôle emploi.

La direction générale de Pôle emploi semble être consciente des enjeux d'une démarche plus pro-active en direction des entreprises, notamment car « l'expérience montre que la création de relations de confiance avec celles-ci permet de créer de l'emploi en déclenchant des actes de recrutement qui n'étaient pas planifiés par les employeurs ». Les données disponibles montrent que nouer cette relation de confiance permet d'accroître de 43 % le nombre d'offres en CDI reçues par Pôle emploi et de 22 % les offres en CDD . La prise de conscience doit se traduire rapidement dans les actions de tous les conseillers sur l'ensemble des territoires.

Recommandation n°17 : Simplifier la présentation des offres de services aux entreprises de Pôle emploi. Renforcer les démarches pro-actives des collaborateurs de Pôle emploi en direction des employeurs sur le terrain.

En complément de l'action de Pôle emploi , la logique de « facilitation » des recrutements appelle également une réflexion sur les autres sources de difficultés sur lesquelles il est possible d'agir.

Ainsi, par exemple, la mobilité géographique constitue un obstacle au recrutement, comme le rappelle Pôle emploi qui incite d'ailleurs l'employeur à envisager le recrutement en dehors de son bassin d'emploi lorsque ce dernier est difficile. Il existe des aides à la mobilité (aides financières, location de véhicules à un tarif extrêmement préférentiel, aide au déménagement, etc.). Cependant, lorsque l'éloignement est trop important, cela ne suffit pas toujours à motiver les candidats compétents. On peut raisonnablement penser que les contraintes familiales à l'origine de ce manque de mobilité soient parfois difficiles à régler lorsqu'on sait que 21% des enfants mineurs vivent dans une famille monoparentale et 11% dans une famille recomposée 51 ( * ) ce qui limite toute marge de manoeuvre en termes de réorganisation de la vie familiale pour des raisons professionnelles.

Or les outils pouvant aider à contourner ces obstacles ont pris une nouvelle dimension avec le confinement sanitaire lié au Covid-19. En effet, le télétravail et le management qui accompagnent les nouveaux modes d'organisation du travail apparaissent comme des solutions pour tous les métiers ne nécessitant pas une présence physique continue . Ainsi un chef d'entreprise a témoigné en ce sens : aucune des personnes compétentes pour un poste d'encadrement dans son entreprise de services numériques ne voulait quitter Paris pour venir s'installer en région. Il a réussi à contourner la difficulté avec une organisation du travail reposant sur une présence physique deux jours par semaine dans les locaux de l'entreprise à deux heures de Paris et le reste du temps en télétravail. Ce compromis, qui a nécessité de faire évoluer ce dirigeant par rapport à sa vision initiale du poste, s'est révélé très positif pour tout le monde.

Les bouleversements des modes de travail, rendus possibles avec les nouvelles technologies, ouvrent ainsi des perspectives inédites en matière de recrutement et de management. Le confinement imposé à toute la France a créé de nouvelles conditions de travail qu'il faut aujourd'hui savoir exploiter de façon organisée. Le cadre de ces nouvelles pratiques, qu'il soit juridique ou sociétal, doit évoluer pour faciliter la mise en oeuvre de solutions innovantes pour les entreprises.

Recommandation n°18 : Adapter le cadre des nouvelles pratiques professionnelles, notamment le télétravail.

b) Le numérique doit être au service d'une plus grande agilité en période de crise

Le numérique a permis à Pôle emploi de réagir dans des délais très brefs aux nouveaux besoins liés à la crise sanitaire du Covid 19. Ainsi, afin de répondre au besoin de renfort en main-d'oeuvre de certains secteurs essentiels, la plateforme de recrutement MobilisationEmploi 52 ( * ) a été lancée le 2 avril par Pôle emploi à l'initiative du ministère du Travail.

Dédiée au recueil des besoins en recrutement des secteurs prioritaires dans la lutte contre la crise sanitaire, cette plateforme met des milliers d'offres à disposition des candidats pour leur permettre de se positionner rapidement. Les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire en particulier sont associés à cette opération à travers l'ANEFA (association nationale pour l'emploi et la formation en agriculture), l'ANIA (association nationale des industries alimentaires) et la FNAB (fédération nationale d'agriculture biologique). Adecco et Manpower en sont également partenaires.

L'objectif de ce service est de simplifier l'expression du besoin de recrutement, et d'en faciliter la recherche par les candidats pour répondre aux nécessités de la nation dans les secteurs essentiels (santé, agriculture, agro-alimentaire, transports, logistique, aide à domicile, énergie, télécommunication). Les offres sont proposées aux demandeurs d'emploi, qu'ils soient inscrits ou non à Pôle emploi, ainsi qu'aux salariés en activité partielle volontaires et disponibles. 18 000 recrutements ont eu lieu via ce site entre le 2 avril et le 8 juin 2020.

Outre la plateforme, Pôle emploi mise sur l'aide à la reconversion pour les actifs qui seront touchés par la crise. Comme le rappelle la directrice générale adjointe de Pôle Emploi, « Nous disposons d'un savoir-faire en matière de reconversion, notamment en cas de reconversion après un licenciement économique. Nous avons accompagné environ 10 000 personnes dans le cadre de ce dispositif en 2019. Tous nos conseillers ont été formés au conseil en évolution professionnelle. Nous disposons de 1 000 psychologues du travail. Le Plan d'Investissement dans les Compétences nous fournit également des leviers pour financer des formations, notamment des formations de reconversion. À titre d'exemple, dès le mois de juillet, nous allons relancer notre dispositif d'activation et de dynamisation des personnes inscrites à Pôle emploi suite à l'interruption d'un contrat court. Il s'agit d'ateliers d'amélioration des techniques de recherche d'emploi, des techniques d'entretien ou de ciblage des entreprises par exemple. »

Cette réactivité montre que si la communication relative à l'expression des besoins des employeurs peut être rapide, il convient que la mise en adéquation des compétences recherchées puisse l'être à la même vitesse. Il faut déclarer l'état d'urgence pour les formation s.

2. Des formations plus courtes, des certifications plus rapides
a) La procédure de certification professionnelle doit s'accélérer

Les entreprises n'ont plus le choix pour survivre désormais : elles doivent être extrêmement réactives au marché, aux besoins et demandes des clients, aux éventuelles évolutions de normes. Pour garantir cette réactivité, elles doivent pouvoir s'appuyer sur les bonnes compétences au sein de leurs équipes, elles-mêmes « condamnées » à évoluer rapidement. Aussi les chefs d'entreprise doivent-ils pouvoir former rapidement à la fois leur employés mais également des nouvelles recrues qui, ayant un profil pertinent, n'auraient cependant pas toute les qualités requises - notamment techniques - pour un poste.

Disposer d'un système de formation rapide et pragmatique est aujourd'hui la clé pour que candidats et employeurs puissent se rencontrer au bon moment autour de compétences clairement identifiées.

Si les acteurs privés semblent faire preuve de dynamisme pour proposer des offres adaptées aux nouveaux besoins, de nombreux témoignages ont évoqué un cadre législatif et réglementaire inadapté car reposant sur un processus de reconnaissance des formations beaucoup trop lent .

Deux exemples parmi tant d'autres ont été évoqués au cours des travaux des rapporteurs. Le premier est celui de l'École européenne des métiers de l'Internet (EEMI) , dont le directeur rappelait l'importance des formations accompagnant la « montée en compétences » des jeunes pour les métiers émergents : « Malheureusement, il faut parfois attendre jusqu'à 3 ans pour qu'un titre délivré par une école privée soit reconnu . Comment proposer des cursus sur des métiers émergents en respectant ces délais légaux ? Lorsqu'un métier arrive sur le marché, nous devons d'abord attendre 2 ou 3 ans pour nous assurer de sa viabilité, puis 2 ou 3 ans encore pour mettre en place de l'alternance. Il s'agit d'un frein pour couvrir les nouveaux secteurs . »

Le second exemple est celui de l'école Cuisine Mode d'Emploi(s), fondée par le chef Thierry Marx et la maire du 20 ème arrondissement de Paris. L'école compte aujourd'hui 9 centres de formation proposant 4 filières, et a formé 700 personnes en 2019. Le concept est celui de la formation courte et gratuite, en 11 semaines dont 8 semaines en école et 3 en entreprise . Les élèves sont encouragés à passer ensuite le CAP en candidats libres et le réussissent quasiment tous. Elle permet à des personnes de 20 à 60 ans de retrouver le chemin de l'emploi après des parcours très différents, avec un taux d'insertion professionnelle de 91 % . Cette école privée, qui a immédiatement démontré son efficacité et la pertinence de son concept, a rencontré de grands obstacles pour obtenir la reconnaissance de son diplôme. Il aura fallu tout l'investissement personnel de Thierry Marx pour que soit rapidement reconnu le certificat de qualification professionnelle (CQP), inscrit au Répertoire national des Certifications Professionnelles (RNCP).

Comme le rappelle la CCI Paris Ile-de-France, « reconnues par l'État dans le cadre de leur enregistrement au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), les certifications professionnelles , comme les diplômes d'État, attestent un niveau d'études en correspondance avec le niveau de qualification enregistré . Elles garantissent la validation des compétences et des connaissances nécessaires à l'exercice d'activités professionnelles selon des critères établis par le ministère du Travail . »

M. Mikael Charbit, directeur de la certification professionnelle de France compétences, précise que la loi du 5 septembre 2018 définit deux sortes de certifications : les certifications professionnelles , enregistrées au RNCP permettant une validation des compétences et des connaissances acquises nécessaires à l'exercice d'activités professionnelles et qui sont classées par niveau de qualification et domaine d'activité (Art. L. 6113-1) ; et les certifications et habilitations, enregistrées au Répertoire spécifique (RS) , correspondent à des compétences professionnelles complémentaires aux certifications professionnelles (Art L. 6113-6). France compétences assure la tenue de ces deux répertoires.

Ainsi que le souligne le ministère du Travail, la réforme de 2018 a donc introduit une procédure d'enregistrement simplifiée pour les certifications professionnelles portant sur des métiers identifiés comme particulièrement en évolution ou en émergence. « Cette procédure permet d'assurer l'adaptation et la réactivité de l'offre de certification professionnelle aux évolutions des compétences pour ces métiers en exonérant le ministère ou l'organisme certificateur des deux premiers critères réglementaires impossibles à respecter dans le cas de métiers émergents ( adéquation des emplois occupés par rapport au métier visé par le projet de certification professionnelle et impact du projet de certification professionnelle en matière d'accès ou de retour à l'emploi, apprécié pour au moins deux promotions de titulaires et comparé à l'impact de certifications visant des métiers similaires ou proches). Les métiers particulièrement en évolution ou en émergence sont recensés chaque année dans une liste arrêtée par la Commission de la certification professionnelle établie sur proposition d'un comité scientifique. Tenant compte du caractère émergent ou en forte évolution des métiers concernés, l'enregistrement est accordé pour une durée maximale de 3 ans (contre 5 au maximum dans la procédure de droit commun) ».

« QUELLES SONT VOS OPTIONS POUR RENDRE ÉLIGIBLES DE NOUVELLES CERTIFICATIONS ?

Source : ministère du Travail - Les certifications professionnelles ouvertes à l'apprentissage

Deux options sont envisageables.

La création d'une certification en propre

La procédure d'enregistrement simplifié , telle que prévue au II de l'article L. 6113-5 du code du travail, est une possibilité, sous réserve de répondre aux conditions posées par la loi (« métiers émergents ou en forte évolution »). Cette procédure permet une inscription rapide des certifications. À défaut, il conviendra de respecter l'obligation réglementaire de justifier des données d'insertion de deux promotions de titulaires, qui vient s'ajouter au délai d'instruction de la Commission de la certification professionnelle .

Le recours à un titre professionnel du ministère du Travail

L'option consistant à former les publics ciblés (salariés ou demandeurs d'emploi) sur un titre professionnel du ministère du Travail présenterait l'avantage d'une mise en oeuvre sensiblement plus rapide. Les publics ciblés pourraient être formés dans le cadre d'un contrat d'apprentissage : • sans délais autres que ceux liés à la création d'un centre de formation d'apprentis (CFA) et à l'obtention d'un agrément auprès de la Direccte compétente pour organiser des sessions d'examen si le contrat d'apprentissage porte sur un titre professionnel existant ; • au terme d'un délai pouvant être estimé à un an si vous présentez un travail d'ingénierie de certification cohérent et exploitable pour permettre au ministère du Travail d'élaborer un nouveau titre professionnel.

Le recours à un titre professionnel du ministère du Travail présente, par ailleurs, l'avantage de vous laisser construire votre référentiel de formation dans le respect du référentiel de compétences et du référentiel d'évaluation élaborés par le ministère du Travail. »

À défaut d'une reconnaissance de métier en évolution ou émergent, qui permet un enregistrement en 1 an au plus, la procédure d'enregistrement au RNCP requiert l'analyse de l'insertion professionnelle de deux promotions, et c'est cette obligation qui entraîne des délais trop long (3,5 ans en moyenne) aux yeux de nombreux acteurs privés . Cette obligation constitue, pour France compétences, une étape essentielle dans la mesure où l'inscription au RNCP permet d'ouvrir les voies d'accès que sont l'apprentissage et la VAE (validation des acquis de l'expérience). Si l'on peut comprendre la rigueur de la procédure au regard de l'enjeu, on peut toutefois s'interroger sur plusieurs éléments : tous les métiers étant appelés à évoluer de plus en plus rapidement sous l'influence des nouvelles technologies, ne devrait-on pas, en toute logique, parvenir à une majorité d'enregistrements au Répertoire spécifique ? En période de forte tension dans certains secteurs et alors que la crise économique pénalise les entreprises françaises plus fortement que dans les autres pays, ne doit-on pas se donner les moyens de réduire ce délai de 3,5 ans ? Ne doit-on pas, comme certains le proposent, « inverser la charge de la preuve » en raccourcissant le délai d'enregistrement au RNCP quitte à prévenir que la reconnaissance sera temporaire car suivie d'une sorte de période probatoire ? Après tout, le « risque » de l'incertitude au-delà de deux promotions est pris sur les métiers émergents alors pourquoi ne pas le prendre pour les autres métiers qui vont presque tous évoluer dans les dix prochaines années ?

Certes, comme le note Mikaël Charbit, « d'autres modalités de financement existent et permettent d'amorcer le développement des certifications avant leur reconnaissance au sein du RNCP, notamment :

- les CQP non enregistrés au RNCP peuvent être préparés en contrat de professionnalisation ainsi que toutes les formations reconnues dans les conventions collectives de branche ;

- les formations peuvent être financées dans le cadre du plan de développement des compétences par les entreprises, et le sont d'autant plus facilement si elles répondent effectivement à des besoins non couverts des entreprises ;

- des formations peuvent aussi être financées dans le cadre des PRF (programme régionaux de formation), de la POEC (préparation opérationnelle à l'emploi collective), au titre des PRIC (Pactes régionaux d'investissement dans les compétences), ... »

Mais le pari qui est pris sur les métiers émergents doit aujourd'hui concerner tous les métiers et toutes les formations, compte tenu de l'enjeu économique pour la France en cette période de crise.

Recommandation n°19 : Accélérer les procédures de certification. Trouver notamment les modalités de contrôle a posteriori permettant de raccourcir le délai d'enregistrement des certifications au RNCP pour l'aligner sur celui de la procédure prévue pour les métiers en évolution ou émergents.

L'accélération des procédures pourra accompagner celle des modes de formation, qui aujourd'hui doivent être, comme Cuisine Mode d'Emploi(s), pensés sur des formats courts et compatibles avec une vie professionnelle. Comme le remarque le directeur de l'OPCO des métiers de santé, l'enjeu est aujourd'hui celui de la transformation de l'offre de formation . Le métier d'infirmier(ère) est en tension et l'on devrait pouvoir inciter les aides-soignant(e)s à se former pour répondre aux besoins, mais ils ne partiront jamais 3 ans pour se former, cela étant incompatible avec les contraintes de la vie. Il faut donc viser des formations courtes s'insérant facilement dans la vie professionnelle : des modules de 3 à 18 mois doivent être privilégiés.

b) Le compte personnel de formation : l'outil idéal pour financer rapidement la formation

Le compte personnel de formation (CPF) a remplacé le droit individuel à la formation (DIF) en application de la loi n°2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Il été modernisé par la réforme de 2018 précitée et permet à toute personne active d'au moins seize ans, dès son entrée sur le marché du travail et jusqu'à la date à laquelle elle fait valoir l'ensemble de ses droits à la retraite, d'acquérir des droits à la formation mobilisables tout au long de sa vie professionnelle.

Chaque personne dispose, sur le site officiel moncompteformation.gouv.fr , d'un espace personnel sécurisé lui permettant de s'identifier sur son CPF. Le bénéficiaire peut consulter sur ce site le crédit en euros dont il dispose, obtenir les informations sur les formations auxquelles il peut s'inscrire dans le cadre du CPF et leurs financements, et avoir accès à des services numériques en lien avec l'orientation professionnelle et la capitalisation des compétences.

Dans les formations éligibles au CPF, les bénéficiaires peuvent :

- acquérir une qualification ou un socle de connaissances et de compétences ;

- être accompagnés pour la validation des acquis de l'expérience (VAE) ;

- réaliser un bilan de compétences ;

- préparer les permis de conduire B et poids lourds ;

- créer ou reprendre une entreprise ;

- ou bien, pour les bénévoles et volontaires en service civique, acquérir les compétences nécessaires à l'exercice de leurs missions.

Depuis le 1er janvier 2019, la gestion administrative, comptable et financière du CPF est assurée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). L'établissement perçoit les ressources issues des contributions, les mobilise pour financer les formations et payer les organismes de formation. 12 000 organismes de formation sont inscrits et proposent aujourd'hui 700 000 formations dans toute la France (dont 192 000 sessions en distanciel).

Alors que seulement un million de profils avaient activés leurs CPF fin 2015, on en recensait 8,7 millions au 21 novembre 2019. Ainsi, depuis cette date,  avec l'ouverture de MonCompteFormation.gouv.fr (application et site internet rénové), plus de 1,7 million de titulaires de compte sont venus activer 53 ( * ) et consulter leurs droits CPF. Soit, à ce jour plus de 10 millions de personnes sur les 33 millions de comptes alimentés éligibles au CPF .

On peut noter que pour la période du 21 novembre 2019 au 31 décembre 2020, le Gouvernement s'est fixé  un objectif de 6 millions d'activation de comptes supplémentaires pour atteindre 16 millions de comptes actifs.

Même si le coût moyen d'une formation proposée par les organismes de formation présents sur la plateforme s'établit à environ 2 300 €, le montant moyen mobilisé par les titulaires de comptes se situe aux alentours de 1 500 € (chiffre constaté sur les 200 000 entrées en  formations réalisées à ce jour).

Les titulaires salariés disposent en moyenne entre 2 000 et 3 740 € maximum sur leurs comptes en 2020 (droits CPF et DIF cumulés). Notons que depuis la loi du 5 septembre 2018, une personne ayant travaillé à 50 % et plus en 2019, bénéficie d'une alimentation automatique de 500 € par an.

Le CPF, outil extrêmement pertinent et d'ailleurs analysé par la Commission européenne qui en a fait son thème d'étude en 2020, pourrait considérablement faciliter l'action des financeurs publics de la formation professionnelle. En effet, le droit de la commande publique constitue un handicap de poids compte tenu de la lourdeur des procédures d'achat de formations , ne permettant pas une réactivité à la hauteur des besoins décrits dans ce rapport. Or l'article L. 6323-4 du code du travail autorise des abondements du CPF en droits complémentaires pour financer une formation. La disposition précise que « ces abondements peuvent être financés notamment par :

1° Le titulaire lui-même ;

2° L'employeur, lorsque le titulaire du compte est salarié ;

3° Un opérateur de compétences ;

4° L'organisme mentionné à l'article L. 4163-14 , chargé de la gestion du compte professionnel de prévention, à la demande de la personne, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État ;

5° Les organismes chargés de la gestion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles en application de l' article L. 221-1 du code de la sécurité sociale , à la demande de la personne, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État ;

6° L'État ;

7° Les régions ;

8° Pôle emploi ;

9° L'institution mentionnée à l'article L. 5214-1 du présent code ;

10° Un fonds d'assurance-formation de non-salariés défini à l'article L. 6332-9 du présent code ou à l' article L. 718-2-1 du code rural et de la pêche maritime ;

11° Une chambre régionale de métiers et de l'artisanat ou une chambre de métiers et de l'artisanat de région ;

12° Une autre collectivité territoriale ;

13° L'établissement public chargé de la gestion de la réserve sanitaire mentionné à l' article L. 1413-1 du code de la santé publique ;

14° L'organisme gestionnaire de l'assurance chômage mentionné à l'article L. 5427-1 du présent code. »

Cela signifie que cette disposition , qui n'est pas encore utilisée par les acteurs publics mais qui fait actuellement l'objet de discussions avec la CDC, pourra permettre de flécher les financements - c'est-à-dire les abondements en droits complémentaires - vers des formations bien identifiées . Ainsi, une région qui aurait analysé les besoins spécifiques des entreprises de son territoire, pourrait ainsi utiliser cet outil pour réagir dans les meilleurs délais en termes d'offres de formations. Dans le contexte de la crise du Covid-19, qui a notamment suscité des projets de relocalisation rapide de productions, le CPF aurait pu être particulièrement utile pour offrir un outil de financement adapté à l'urgence de la situation et aux besoins pour sortir de la crise.

Les abondements en droits complémentaires constituent ainsi un outil particulièrement pertinent pour les financeurs publics de la formation professionnelle qui doivent s'en emparer et en exploiter toute les possibilités.

Recommandation n°20 : Encourager les financeurs publics de la formation professionnelle à utiliser le dispositif d'abondements en droits complémentaires du compte personnel de formation (CPF) pour flécher des formations répondant aux besoins des entreprises.


* 43 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20150702-rapport-Pole-emploi.pdf

* 44 http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2018-055-Convention_Etat_Unedic_Pole_emploi-2018M035-04.pdf

* 45 simulateurs d'entretiens, MOOC, etc.

* 46 https://www.emploi-store.fr/portail/accueil

* 47 https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-02/20200225-04-TomeII-services-numeriques-Pole-emploi_0.pdf

* 48 https://entreprise.pole-emploi.fr/depot-offre/descriptionoffre;jsessionid=zB5xu7ZHTQg
ZtFY4WG_TBBf-bNPWnV6I75j7MUolDQ0qqg44JMLH!-759266859

* 49 https://www.pole-emploi.fr/candidat/votre-projet-professionnel/definir-votre-projet-professionn/realiser-une-immersion-professio.html

* 50 https://www.certificat-clea.fr/

* 51 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4285341

* 52 https://mobilisationemploi.gouv.fr/#/accueil

* 53 L'activation du compte consiste pour un titulaire de s'identifier sur moncompteformation.gouv.fr avec son numéro de sécurité sociale afin de consulter ses droits acquis durant ses périodes d'activités professionnelles alors que l'alimentation consiste à alimenter automatiquement le compte de chacun des titulaires, notamment par le biais de la DSN (données sociales nominatives) en fonction de la quotité travaillée l'année précédente

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