C. LES DÉFIS DU RENSEIGNEMENT PÉNITENTIAIRE

La montée en puissance du renseignement pénitentiaire est le reflet d'une progression très importante, en peu de temps, de l'activité de renseignement. Celle-ci se mesure à travers plusieurs indicateurs comme le nombre d'objectifs suivis et le volume des techniques de renseignement mises en oeuvre

1. Le défi de l'exponentiel : l'augmentation du nombre des personnes suivies

La création du BCRP en 2017 est allée de pair avec une hausse très forte du nombre d'objectifs à suivre, jusqu'à 3 000 détenus, sur une population carcérale d'environ 70 000 personnes. Cette augmentation exponentielle est bien sûr liée au contexte de lutte contre le terrorisme qui a suivi la vague d'attentats de 2015 et 2016. Le renseignement pénitentiaire se trouve en première ligne dans le cadre de la mise en oeuvre du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation « Prévenir pour protéger », de février 2018.

Parmi les objectifs suivis par le renseignement pénitentiaire, il faut distinguer les détenus pour terrorisme (525 TIS au 6 janvier 2020) des détenus de droit commun suivis du fait de leur radicalisation avérée (585 RAV au 28 mai 2020). À cela s'ajoute le suivi de près d'un millier de détenus particulièrement surveillés pour risque d'évasion, de mise à mal de la sécurité pénitentiaire ou de criminalité organisée au sein des murs. Aux cibles identifiées en milieu fermé s'ajoutent également 728 individus suivis en milieu ouvert, répartis entre 454 RAV et 274 TIS.

Ramené aux effectifs du service, le nombre d'objectifs suivis par agent du renseignement pénitentiaire se révèle particulièrement élevé, si on le compare à d'autres services de renseignement ; et ce malgré les nombreux recrutements réalisés ces dernières années au sein du SNRP. *****. L'augmentation progressive du nombre des DLRP dans les établissements pénitentiaires, et leur professionnalisation ont également accru la quantité d'informations recueillies et en conséquence le travail d'analyse de renseignement.

À l'échelon des circonscriptions interrégionales comme au niveau central, chaque analyste est ainsi chargé d'un suivi pouvant aller de 70 à 120 objectifs contre une quarantaine habituellement dans les autres services de renseignement ; au-delà de ces suivis individuels, les informations à traiter augmentent continûment, l'intégration du renseignement pénitentiaire au sein de la communauté nationale du renseignement ayant démultiplié les transmissions en provenance des partenaires et l'exploitation des techniques de recueil de renseignement, désormais accessibles au SNRP, mobilise les analystes.

Cette augmentation du nombre des personnes suivies n'est pas un phénomène ponctuel mais correspond à une évolution structurelle de la menace qui doit conduire à mieux organiser et à professionnaliser le renseignement pénitentiaire.

*****. La Délégation parlementaire au renseignement a saisi la Garde des Sceaux le 20 septembre 2019 pour demander la communication du rapport de l'Inspection générale de la justice sur cette agression. Outre le fait que le rapport ne lui a pas été communiqué, la Délégation s'étonne que la chancellerie n'ait même jamais répondu à son courrier et aux nombreuses relances. Aussi, la DPR préconise une évolution législative à l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, en soumettant le Gouvernement d'une part, au respect d'un délai maximum - un mois - pour répondre à une demande de transmission d'un document par la DPR et d'autre part, en le contraignant à motiver sa décision en cas de refus.

Recommandation n° 20 : Inscrire à l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 l'obligation pour le Gouvernement de respecter le délai maximum d'un mois pour répondre à une demande de transmission d'un document par la DPR et de motiver sa décision en cas de refus.

2. Le défi des ressources humaines

La création du BCRP puis sa transformation en service à compétence nationale se sont accompagnées d'un plan massif de recrutements puisqu'en cinq ans, les effectifs du renseignement auront été multipliés par plus de dix. Il faut toutefois rappeler qu'avant même la création du « nouveau BCRP » en 2017, le plan de lutte contre le terrorisme du 21 janvier 2015 avait considérablement accru le nombre d'agents du réseau de renseignement pénitentiaire, aux niveaux central, interrégional et local. Ses effectifs ont à cette époque été renforcés de plus d'une centaine de nouveaux emplois.

L'évolution des effectifs réels se révèle être conforme aux prévisions de la loi de programmation de la justice pour la période 2018-2022, avec un effectif du SNRP qui devrait atteindre 329 postes d'ici à la fin de l'année 2020. 109 postes auront ainsi été créés entre 2018 et 2020.

Effectifs du renseignement pénitentiaire
(en ETPT réels/théoriques)

2014

2015

2016

Fin 2017

Fin 2018

Fin 2019

Echelon central

13/13

11/15

13/17

39/39

42/42

75/80

CIRP

14/14

34/42

37/42

128/128

128/128

134/137

DLRP temps plein

-

7/30

37/44

40/49

77/84

79/84

TOTAL

27/27

52/87

87/103

207/216

247/254

288/301

Source : Direction de l'administration pénitentiaire.

Les créations de postes ont majoritairement bénéficié aux CIRP, afin de renforcer les fonctions support mais aussi la capacité d'analyse, notamment à travers la prise en charge à l'échelon interrégional du traitement des sources humaines. Le nombre de postes de DLRP, au sein des établissements pénitentiaires, est également en forte progression.

Selon l'échelon territorial auquel on se trouve, il existe des différences quant au profil et au statut des personnes recrutées. La politique de recrutement associe trois cultures professionnelles distinctes : celle de l'administration pénitentiaire, celle des services partenaires et aussi une culture extérieure pour certains métiers spécifiques : informaticiens, traducteurs, spécialistes de la veille sur internet...

Plus on est proche du terrain, plus les agents de renseignement sont des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire. Au niveau des cellules interrégionales, les profils sont plus variés avec des analystes, des traducteurs et donc une proportion plus importante de personnels contractuels et/ou de fonctionnaires détachés. *****, le service ayant besoin de compétences disposant déjà d'une expertise en renseignement, ce qui nécessite, pour une structure jeune, d'aller chercher cette ressource à l'extérieur. C'est par exemple le cas actuellement avec le détachement d'un personnel de la DGSE.

La montée en puissance du renseignement pénitentiaire suppose la mise en place d'une véritable filière RH du renseignement pénitentiaire, avec l'émergence de nouveaux besoins en termes de formation, un volet indispensable à la montée en compétence des agents. Un département dédié au renseignement pénitentiaire se structure au sein de l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP) et les liens sont renforcés avec l'Académie du renseignement, signe de la pleine intégration du renseignement pénitentiaire au sein de la communauté du renseignement.

Se pose aussi la question de l'attractivité du métier d'agent du renseignement pénitentiaire. Une réflexion est en cours sur la pertinence, ou non, qu'il y aurait à instaurer un régime indemnitaire dédié à la filière du renseignement. Faut-il attribuer un logement de fonction aux DLRP ? Comment fixer un régime indemnitaire dédié au renseignement pénitentiaire sans prendre le risque de réduire la mobilité entre les services ? Faut-il et comment privilégier une approche interministérielle qui permettrait de donner du sens à certaines mutualisations au sein de la communauté du renseignement ?

Ces questions restent pour beaucoup sans réponse à ce stade mais le changement d'échelle du renseignement pénitentiaire appelle à des décisions rapides sur ces sujets.

La délégation préconise d'aller plus en avant dans cette démarche en expertisant les voies et modalités de création d'un régime indemnitaire dédié aux métiers du renseignement pénitentiaire.

Recommandation n° 21 : Expertiser la possibilité de créer un régime indemnitaire dédié aux métiers du renseignement pénitentiaire.

3. Le défi des moyens budgétaires

Le budget alloué au BCRP, puis au SNRP, est passé de 20 millions d'euros en 2017 (montant exécuté) à près de 23 millions d'euros en 2020 (dotation). Cette hausse significative s'explique par l'augmentation des effectifs du service qui ont augmenté d'environ 80 ETP depuis 2017. Hors masse salariale, le renseignement pénitentiaire dispose en 2020 d'un budget de 2,63 millions d'euros.

Budget du BCRP puis du SNRP

(en millions d'euros)

Exécuté 2017

Exécuté 2018

Exécuté 2019

Dotation 2020

Titre 2 - Dépenses de personnel

16,70

15,79

18,56

20,35

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

2,19

0,97

2,05

2,44

Titre 5 - Dépenses d'investissement

1,18

0,93

0,78

0,00

Titre 6 - Dépenses d'intervention

0,19

0,19

Total hors T2 (masse salariale)

3,37

1,90

3,03

2,63

Total

20,07

17,68

21,58

22,98

Source : Direction de l'administration pénitentiaire.

Les investissements réalisés par le SNRP concernent l'acquisition d'équipements (*****) et le déploiement du système d'information classifié nécessaire à la structuration du service.

*****

Recommandation n° 22 : *****

4. Le défi du droit

Il ressort des auditions effectuées par la Délégation parlementaire au renseignement que des évolutions pourraient être apportées aux règles juridiques qui encadrent le renseignement pénitentiaire afin de parachever sa professionnalisation.

Une première évolution pourrait consister à élargir aux agents du renseignement pénitentiaire la possibilité de recourir à une identité d'emprunt ou à une fausse qualité, comme c'est autorisé pour les agents des services du premier cercle. *****.

Recommandation n° 23 : Élargir aux agents du renseignement pénitentiaire la possibilité de recourir à une identité d'emprunt dans l'exercice de leurs missions.

Une deuxième évolution pourrait concerner l'allongement de la durée de conservation des enregistrements de téléphonie légale, actuellement fixée à 3 mois par l'article 727-1 du code de procédure pénale 73 ( * ) . En pratique, cette durée de conservation se révèle très courte au vu de la masse de données liées à la téléphonie passée légalement. L'écoute et la retranscription en temps différé des conversations passées nécessite d'importants moyens humains et beaucoup de temps. Dans ces conditions, la durée de conservation de trois mois peut avoir pour effet de rendre inopérante l'exploitation des données enregistrées. A cet allongement de la durée de conservation, il conviendrait également de développer les outils de traduction et de transcription automatique de la parole avec captation de mots clés.

Recommandation n° 24 : Allonger la durée de conservation des enregistrements de téléphonie légale (article 727-1 du code de procédure pénale) et recourir à des outils de traduction et de transcription automatique de la parole pour améliorer l'exploitation des données conservées.

Une troisième évolution pourrait concerner l'extension du nombre des techniques de renseignement auxquelles le SNRP à accès. Actuellement, les seules techniques qui lui sont interdites sont d'une part, la surveillance en temps réel des connexions électroniques d'un individu aux fins de détection du terrorisme (prévue à l'article L. 851-2 du CSI) et d'autre part, le recours à l'algorithme censé pouvoir détecter dans le flux les communications numériques de potentielles connexions en lien avec une menace terroriste. C'est sur ce second point que porte la demande du SNRP. La technique de l'algorithme a été autorisée à titre expérimental par la loi du 24 juillet 2015 pour les services du premier cercle et il appartient au législateur, au plus tard le 31 décembre 2020, de décider de pérenniser cette technique, de la supprimer ou de modifier la liste des services autorisés à l'utiliser. Au vu du rôle confié au renseignement pénitentiaire dans la lutte contre le terrorisme, et dès lors que la technique de l'algorithme vise exclusivement cette finalité, il conviendrait d'expertiser la possibilité pour le SNRP d'y recourir, le moment venu.

Recommandation n° 25 : Expertiser la possibilité pour le SNRP de recourir à la technique de l'algorithme si elle venait à être pérennisée par la loi.


* 73 Cette durée de conservation maximale de 3 mois ne concerne que les seuls enregistrements qui ne sont suivis d'aucune transmission à l'autorité judiciaire en application de l'article 40.

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