EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 20 mai 2020, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine le rapport d'information de M. Michel Forissier, Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants.
M. Michel Forissier , rapporteur . - Le rapport que nous vous présentons ce matin est le fruit de plusieurs mois de travaux, entamés en octobre dernier, et de près de quarante auditions.
La mission qui nous était confiée portait sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants. Derrière cette formulation complexe se cache une réalité qui ne l'est pas moins et si ceux qu'on a coutume d'appeler les travailleurs des plateformes sont au coeur du sujet les deux notions ne se recoupent pas totalement. Pour autant, la question des plateformes donne une acuité nouvelle à une problématique ancienne, et nos travaux se sont fortement concentrés sur ce sujet.
Ce prisme a été validé par l'actualité : pendant la période de confinement dont nous sortons, certains travailleurs de plateformes, en particulier les livreurs à deux-roues qui ont poursuivi leur activité, ont été plus visibles que jamais, ce qui a alimenté le débat sur leur fragilité économique et leur exposition aux risques.
Plusieurs remarques nous semblent devoir être faites à titre liminaire.
Premièrement, malgré un effet de loupe médiatique, il convient de ne pas exagérer l'ampleur du phénomène que nous étudions. Les travailleurs de plateformes sont visibles partout, sauf dans les statistiques. Il n'existe guère de recensement exhaustif des travailleurs utilisant des plateformes numériques, mais les différents travaux disponibles laissent penser que le nombre de travailleurs indépendants utilisant une plateforme numérique de mise en relation est compris entre 100 000 et 200 000 personnes. Encore faut-il garder à l'esprit qu'une partie importante des utilisateurs de plateformes ne cherche qu'un revenu d'appoint plus ou moins ponctuel à côté d'une activité principale, qui peut être un travail salarié ou des études.
Par ailleurs, tous les utilisateurs de plateformes de mise en relation ne sont pas économiquement dépendants. Un certain nombre d'entre eux en tirent d'ailleurs des revenus substantiels et ne voient dans le recours à une plateforme numérique qu'un moyen plus aisé d'accéder à une clientèle. Des travaux de l'Insee laissent penser que 4 % des indépendants, soit 0,5 % de la population active occupée, sont économiquement dépendants d'un intermédiaire, qu'il s'agisse ou non d'une plateforme. Il ne s'agit donc pas d'un phénomène aussi massif que son poids dans le débat public le laisserait penser.
Deuxièmement, la définition d'une plateforme comme intermédiaire de mise en relation entre un client et un travailleur indépendant recouvre une multitude de situations très différentes les unes des autres. Ce qu'on désigne comme « travailleur de plateforme » peut en réalité être aussi bien un chauffeur de voiture de transport avec chauffeur (VTC), un livreur à vélo ou un consultant en informatique. Les profils de ces travailleurs varient également fortement. Alors que les chauffeurs de VTC exercent généralement cette activité à titre principal, voire exclusif, les livreurs à vélo sont souvent des étudiants et collaborent en moyenne pendant quelques mois avec une plateforme. Dans le domaine de l'hôtellerie-restauration, l'arrivée de plateformes comme Brigad conduit certains travailleurs qui étaient en CDI à temps partiel ou qui enchaînaient les contrats courts à exercer le même métier dans d'autres conditions. La temporalité des activités dont il est question n'est pas non plus la même d'une plateforme à l'autre.
Troisièmement, si Uber ou Deliveroo sont des multinationales dont la stratégie est tournée vers la recherche de profits, il existe des plateformes de l'économie sociale et solidaire. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a ainsi créé, à titre expérimental, le statut d'entreprise d'insertion par le travail indépendant afin d'offrir une nouvelle voie d'insertion à des publics éloignés de l'emploi pour lesquels un emploi classique est inadapté.
Enfin, si le développement des plateformes numériques pose un certain nombre de problèmes, il convient de ne pas oublier les opportunités qu'elles représentent. Certains travailleurs des plateformes font partie de populations connaissant des difficultés multiples d'accès à l'emploi, du fait de leur niveau d'études ou de leur origine. Les services proposés par les plateformes peuvent en outre répondre à des besoins ou du moins avoir des effets bénéfiques pour leurs utilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers - je pense notamment à l'effet des VTC sur l'offre de transport urbain - ou d'entreprises, et notamment de restaurants dans le cas des livreurs.
Cette diversité de modèles regroupés sous une même appellation incite les pouvoirs publics à la prudence quant aux mesures qui doivent être prises. Une mesure mal calibrée pourrait ainsi avoir des effets indésirables en fragilisant le modèle de certaines plateformes qui ne posent aujourd'hui aucune difficulté particulière. Au demeurant, il convient de garder à l'esprit que si certaines plateformes internationales ont la capacité financière d'absorber de nouvelles contraintes, d'autres, et notamment des jeunes entreprises innovantes françaises, qui sont souvent plus vertueuses, n'en n'ont pas les moyens.
Les travailleurs des plateformes sont avant tout des indépendants. Il s'agit généralement de micro-entrepreneurs, même si d'autres statuts peuvent être choisis, notamment dans le cas des VTC.
Par hypothèse, ils ne relèvent donc pas du droit du travail et ne bénéficient pas des dispositions du code du travail relatives, par exemple, au salaire minimum, aux congés payés ou à l'encadrement de la rupture du contrat de travail. Depuis le début de la crise sanitaire, ils n'ont pas bénéficié de la large ouverture de l'activité partielle prévue au titre des mesures d'urgence pour faire face aux conséquences de l'épidémie du Covid-19.
En revanche, les indépendants bénéficient d'une couverture sociale que l'on ne peut pas qualifier de dérisoire, même si elle est moins complète que celle des salariés. Ils bénéficient de la même couverture que les ressortissants du régime général en matière de prise en charge des frais de santé. Les prestations de la branche famille sont également décorrélées du statut.
Pour les droits de nature plus contributive, tels que l'assurance vieillesse ou les prestations en espèces, les droits acquis sont généralement plus faibles en raison d'un effort contributif moins élevé.
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Ces droits sont encore plus limités s'agissant des micro-entrepreneurs qui ne cotisent pour leur retraite que dans la mesure où ils réalisent un chiffre d'affaires, alors que les entrepreneurs individuels classiques sont soumis à une cotisation minimale leur permettant de valider au moins trois trimestres par an.
En revanche, certaines protections ne sont pas assurées aux travailleurs indépendants. Ainsi, les indépendants ne sont couverts contre les accidents du travail que s'ils souscrivent une assurance volontaire. Ils ne sont pas couverts par l'assurance chômage, et la promesse du Président de la République de mettre en oeuvre une assurance universelle s'est, au contact de la réalité, transformée en une mesure nettement moins ambitieuse. Elle est en effet soumise à des conditions restrictives qui en excluent de fait la grande majorité des travailleurs de plateformes.
Cette couverture sociale incomplète peut s'avérer problématique dans le cas de travailleurs précaires avec de faibles revenus qui ne peuvent pas s'auto-assurer et ont, du reste, une préférence pour le présent qui ne les incite pas à le faire. De plus, pour ces « petits indépendants », des questions d'équité se posent quant au rapport entre le niveau des prélèvements et les droits qui leur sont ouverts.
Il n'en reste pas moins que ce déficit de protection sociale, s'il constitue le coeur de notre sujet, doit être relativisé.
Le débat sur le droit social applicable aux travailleurs des plateformes s'est trop souvent focalisé sur la question de la requalification en travail salarié de prestations accomplies par des travailleurs indépendants. Il nous semble qu'il convient de dépasser cette question.
La distinction entre travail indépendant et salariat n'est pas clairement posée dans la loi. Elle est opérée par le juge, au cas par cas, en fonction d'un faisceau d'indices permettant ou non de constater l'existence d'un lien de subordination. Notons que le choix des parties de conclure un contrat commercial ne fait en rien obstacle à la capacité du juge de requalifier ce contrat en contrat de travail. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, le juge n'a jamais accepté de retenir la notion de dépendance économique, au demeurant difficile à définir, pour caractériser l'existence d'un contrat de travail.
La jurisprudence en la matière n'est pas nouvelle et les récentes décisions de la Cour de cassation s'inscrivent dans une continuité certaine. La Cour a ainsi récemment donné raison à un chauffeur Uber, considérant notamment que le pouvoir de sanction de la plateforme était constitutif d'une relation de subordination.
Dans d'autres cas, pour lesquels les mêmes éléments n'étaient pas réunis, les décisions des juges ont été différentes.
Il nous semble qu'il n'est pas pertinent que le législateur intervienne, ni pour créer une présomption irréfragable de non-salariat qui conduirait à valider des stratégies de contournement, ni pour inclure l'ensemble des travailleurs de plateformes dans le champ du salariat.
Il serait en effet curieux et quelque peu artificiel de considérer que, dès lors qu'un travailleur a recours aux services d'une plateforme, il en devient le salarié quand bien même il conserverait une indépendance réelle en matière de choix de ses horaires et ne serait soumis à aucun pouvoir de direction. Par ailleurs, il semble que le salariat n'est pas une revendication majoritaire parmi les travailleurs des plateformes. En effet, il n'est pas apparu au cours de nos auditions que les intéressés seraient prêts à travailler sous la direction d'un employeur qui leur dirait quand et comment ils doivent exercer leur activité.
Les propositions tendant à créer un troisième statut nous semblent également devoir être écartées. En effet, une telle solution conduirait à substituer à une frontière aujourd'hui brouillée deux frontières qui ne seraient pas nécessairement plus nettes. Surtout, les exemples étrangers montrent que la création d'un troisième statut peut exercer une force d'attraction sur les salariés précaires, qui seraient alors moins protégés.
Nous écartons également la proposition tendant à créer un statut de salarié autonome, sur laquelle notre commission aura prochainement à se prononcer. Un tel statut, permettant au travailleur de choisir unilatéralement ses heures de travail indépendamment des besoins de l'entreprise, est certes séduisant et pourrait d'ailleurs intéresser nombre de nos concitoyens, mais convenons que la gestion de tels salariés « à éclipses » serait pour le moins complexe.
Si les travailleurs indépendants ne demandent pas massivement à être requalifiés en tant que salariés, ils demandent néanmoins davantage de protection et il nous semble que cette demande est légitime.
Un certain nombre de règles issues du droit du travail et de garanties de sécurité sociale ont progressivement été étendues au-delà des seuls salariés. Nous recommandons de pousser plus loin cette logique.
La loi El Khomri a créé, au sein de la septième partie du code du travail, un chapitre dédié aux travailleurs des plateformes, et la loi d'orientation des mobilités (LOM) a contribué à lui donner de la substance. Nous proposons de compléter ces dispositions en transposant notamment les règles applicables aux salariés en matière de non-discrimination à l'embauche et de droit aux congés. Une obligation de motivation pourrait également être imposée pour lutter contre les ruptures abusives de relations commerciales.
Il nous semble en revanche difficile d'introduire une rémunération minimale. Les rémunérations horaires constatées sont en effet généralement déjà supérieures au SMIC et les pouvoirs publics n'ont pas forcément la capacité ni la légitimité pour fixer, secteur par secteur, des prix minima.
Par ailleurs, il nous semble que la logique d'universalisation de la sécurité sociale peut être prolongée. Les employeurs sont aujourd'hui tenus de proposer une complémentaire santé à leurs salariés qui n'en sont pas dotés par ailleurs. Cette obligation pourrait être étendue aux plateformes de mise en relation.
De plus, les travailleurs de plateformes ont la possibilité de s'assurer contre les accidents du travail ou de s'affilier à la sécurité sociale pour la couverture du risque accident du travail. Les cotisations sont alors prises en charge par la plateforme. Cette faculté pourrait être rendue obligatoire.
S'agissant de l'autre grand risque qui n'est pas couvert pour les indépendants, le risque de chômage, il nous semble difficile d'étendre la logique assurantielle actuelle, qui repose sur des contributions et sur la notion de perte involontaire d'emploi. Pour autant, la réforme des minima sociaux pourrait déboucher sur la création d'un véritable filet de sécurité universel, dont bénéficieraient les travailleurs indépendants perdant leur emploi.
Mme Catherine Fournier , rapporteure . - Nous recommandons en outre d'examiner les règles de la micro-entreprise.
Ce régime a été créé en 2008 afin de faciliter les créations d'activités indépendantes par des personnes sans emploi ou souhaitant développer une activité accessoire. Il est aujourd'hui largement utilisé par les travailleurs des plateformes en raison de sa simplicité et du taux de cotisations sociales relativement faible qu'il suppose. Dans ce cadre, le régime de la micro-entreprise peut conduire à solvabiliser artificiellement des activités peu créatrices de valeur. Cet effet peut être renforcé par les réductions de cotisations au titre de l'aide aux créateurs d'entreprise (ACRE), ce qui a d'ailleurs conduit le Gouvernement à resserrer les conditions d'éligibilité à cette aide à compter de 2020.
Il conviendrait sans doute de s'interroger sur ce régime et, par exemple, de prévoir une convergence progressive avec le régime de l'entrepreneur individuel classique. Cette convergence pourrait n'être prévue que pour les micro-entrepreneurs réalisant un chiffre d'affaires supérieur à un certain seuil, afin de ne pas remettre en cause les activités accessoires.
Là encore, les actions des pouvoirs publics devront être mesurées avec précaution de manière à concilier les objectifs d'emploi et de protection sociale.
Enfin, des alternatives à ce régime pourraient être encouragées, tel le statut d'entrepreneur salarié de coopérative qui permet d'allier les protections du salariat à la liberté du travail indépendant. Cette solution est peu utilisée aujourd'hui en raison de son coût pour les travailleurs. En tout état de cause, elle ne saurait être imposée, car l'adhésion à une coopérative suppose un engagement volontaire.
En matière de régulation des plateformes, nous sommes très réservés à l'égard des chartes de responsabilité sociale, facultatives et établies unilatéralement par les plateformes, qui ont été introduites par la LOM. La charte, lorsqu'elle existe, doit être homologuée par l'administration qui vérifiera sa conformité à la loi. C'est sans doute « mieux que rien », mais, en termes de protection des travailleurs, ce n'est presque rien.
Cet outil a d'abord été promu par les plateformes de mobilité à des fins de sécurisation juridique. En censurant une partie du dispositif, le Conseil constitutionnel a presque totalement désamorcé cette fonction de la charte.
Parmi les voies possibles de régulation, nous avons étudié la possibilité de soumettre certaines plateformes à un dispositif d'autorisation préalable. Une telle restriction à la liberté d'entreprendre est possible, si elle est justifiée par l'intérêt général et à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
Dans le secteur des VTC, il existe des exemples internationaux, tels que la licence délivrée à Londres aux véhicules, aux chauffeurs et aux plateformes par l'agence Transport for London.
Une telle proposition présente des inconvénients : une certaine lourdeur administrative, et un risque de favoriser les acteurs les plus importants en dressant des barrières à l'entrée.
Elle pourrait toutefois s'avérer pertinente pour des raisons de sécurité des usagers ou de régulation de l'offre, dans des secteurs comme celui des transports urbains, éventuellement dans le cadre des compétences des autorités organisatrices de mobilité. Dans les cas où il s'imposerait, un tel agrément pourrait inclure des critères sociaux : par exemple, des garanties en matière de prévention et de couverture des accidents du travail, à défaut d'assurance obligatoire, ou en matière de tarification, de manière à assurer un revenu décent aux travailleurs.
Par ailleurs, pour répondre au besoin de sécurisation des plateformes ayant des pratiques vertueuses, le rescrit est un outil souple qui permet à une entreprise de demander à l'administration de se prononcer ex ante sur la qualification de sa situation. À l'image du « rescrit Pôle emploi » créé par la loi pour un État au service d'une société de confiance, un rescrit spécifique pourrait être spécialement adressé aux plateformes pour leur permettre de s'assurer du caractère non salarié de la relation avec leurs partenaires.
Quant aux travailleurs, ils ont la possibilité de mandater la plateforme afin qu'elle réalise pour leur compte leurs démarches déclaratives ainsi que le paiement de leurs cotisations et contributions sociales. Nous proposons de rendre obligatoire ce mandatement afin de simplifier et de fiabiliser les démarches des travailleurs concernés.
Nous croyons que le dialogue social et la construction d'une représentativité des travailleurs de plateformes sont une voie de régulation féconde.
Plusieurs obstacles se dressent face au développement d'un dialogue social structuré entre travailleurs et plateformes. Premièrement, le droit de l'Union européenne considère a priori toute entente entre travailleurs indépendants comme une entrave à la libre concurrence. Des instruments internationaux peuvent néanmoins nous permettre de dépasser l'opposition entre droit de la concurrence et droit du travail.
Deuxièmement, l'atomicité et l'isolement des travailleurs ne favorisent pas leur inscription dans une démarche de défense d'intérêt collectif. De manière générale, il est difficile de construire une solidarité entre les travailleurs indépendants. Les jeunes travailleurs des plateformes sont aujourd'hui particulièrement éloignés du syndicalisme, et les organisations qui ont réussi à se faire entendre, comme le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), ont une audience difficile à mesurer parmi les livreurs.
Troisièmement, la volonté d'autonomie des plateformes les rend rétives à l'organisation d'un dialogue social dont elles ne fixeraient pas les règles, comme dans le cadre de la charte.
L'enjeu est donc de parvenir à bâtir un cadre de représentation sans le calquer sur celui du salariat. Il est souhaitable que cette représentation soit mise en place dans le cadre d'instances ad hoc au niveau du secteur professionnel et non au niveau d'une plateforme. En outre, elle devrait être territorialisée, comme dans le cas des TPE, et mise en place à une échelle pertinente déterminée en fonction du secteur.
Dans ce cadre, pourraient être représentés les plateformes, les travailleurs indépendants, mais aussi, le cas échéant, les entreprises utilisatrices de leurs services.
Nous pensons que les représentants des travailleurs devraient être élus, avec des critères d'éligibilité qui tiennent compte de la brièveté de la durée moyenne de leur collaboration avec les plateformes.
Des thèmes de négociation obligatoire pourraient être définis en vue de la conclusion d'accords collectifs au sein de ces instances. Dans cette optique, les huit items fixés dans le code du travail pour les chartes de responsabilité sociale pourraient devenir des thèmes de négociation.
Toutefois, la difficulté majeure de la conception de tels accords porte sur leur applicabilité à des travailleurs indépendants. Pour surmonter ceci, nous recommandons de prévoir un mécanisme d'extension des accords à l'ensemble des travailleurs d'un secteur, sur le modèle du mécanisme applicable aux entreprises pour les accords de branche. Les accords pourraient s'appliquer aux plateformes suivant les mêmes modalités.
M. Michel Forissier , rapporteur . - Voilà, mes chers collègues, les principaux résultats de nos travaux sur ce sujet d'actualité, situé au croisement du droit du travail et de celui de la protection sociale.
Contrairement à la présentation qui en est souvent faite, nous pensons, en résumé, que la question du statut n'est pas l'essentiel. Plaquer le modèle du salariat sur des situations auxquelles il n'est pas adapté ne saurait être une solution satisfaisante et ne répondrait ni aux aspirations des travailleurs concernés ni aux besoins de la société. Il importe plutôt d'encourager des mutations qui s'imposent à nous en renforçant la protection de l'ensemble des actifs. La crise que nous connaissons actuellement rend d'ailleurs plus évidente la nécessité de ne laisser personne au bord du chemin.
M. Alain Milon , président . - Merci pour cet excellent rapport.
Mme Pascale Gruny . - Je remercie les trois rapporteurs pour le travail de fond qu'ils ont mené sur un sujet complexe. La jurisprudence n'est pas uniforme, ce qui est dommage. Dans le domaine du transport, un chauffeur a été requalifié en salarié, car il ne travaillait que pour un seul client - le lien de subordination était évident.
Je retiens la volonté d'une partie de ces travailleurs d'avoir la liberté de s'organiser : le cadre du salariat n'est donc pas envisageable. La protection sociale est essentielle : ces travailleurs doivent être protégés. En outre, j'estime qu'une rémunération horaire minimale pourrait être envisagée.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je remercie également les rapporteurs pour leur travail.
Nous allons examiner en commission le 27 mai prochain une proposition de loi déposée par mon groupe sur les travailleurs des plateformes numériques. La crise sanitaire actuelle fragilise encore davantage ces personnes déjà vulnérables. Les travailleurs ont droit à un statut salarial, protecteur, avec des droits à une couverture maladie et à la retraite. Certains sont malades, alors même qu'ils n'ont pas de couverture sociale. Ce type de situation ne doit pas s'étendre.
Nous nous abstiendrons sur ce rapport, car nous reconnaissons le travail important qui a été effectué.
Mme Monique Lubin . - Je remercie les rapporteurs pour leur travail d'une grande qualité, qui alimentera le débat que nous aurons - je l'espère - dans les mois à venir.
Je ne suis pas d'accord avec tout ce qui a été dit, mais je partage certains constats. Nous avons, nous aussi, déposé une proposition de loi sur le sujet. Nous considérons que les conditions de travail sur un grand nombre de plateformes constituent une atteinte grave au droit du travail, et un recul important. Cette situation me fait penser au tâcheronnage ou au métayage, en vigueur dans les Landes il y a plus de 70 ans. Ce retour en arrière est absolument insupportable.
Nous souhaitons que ces travailleurs puissent accéder à des droits identiques à ceux des salariés. Nous sommes foncièrement opposés au statut de travailleur indépendant lorsque des plateformes d'intermédiation gagnent énormément d'argent sur le dos de personnes particulièrement précaires.
Nous nous battrons dans les mois à venir sur cette question qui nous tient à coeur. Dans un premier temps, l'important était que le sujet soit au moins abordé. Ces métiers se sont développés anonymement ; or tout ce qui est anonyme finit par être accepté. Vous vous êtes saisis de cette question, tout comme nous et nos collègues du groupe communiste. C'est déjà un progrès. J'espère que nous parviendrons à des résultats concrets.
Nous nous abstiendrons sur ce rapport.
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Les plateformes représentent un ensemble hétérogène. On constate que certaines plateformes permettent aux utilisateurs de gagner 120 euros par an, d'autres 150 000 euros par an : elles ne peuvent donc être traitées de la même façon.
On ne peut pas dire que les utilisateurs des plateformes, généralement sous le statut de micro-entrepreneurs, soient dépourvus de tout droit. Ils sont couverts par l'assurance maladie et ont droit aux prestations familiales. On ne peut pas apporter une solution unique, car - j'insiste - les situations sont très variées.
Madame Lubin, il faut trouver un terrain d'entente qui nous permette d'avancer, notamment en matière de droit du travail. Je ne suis pas certaine que nous le trouvions dans la proposition de loi qui va être examinée.
Mme Catherine Fournier , rapporteure . - Le modèle des plateformes est limité, puisqu'il représente seulement 1 % de la population active.
Mme Gruny a évoqué le cas du chauffeur qui avait bénéficié d'une requalification, car il ne travaillait que pour un seul client d'une plateforme. Je précise que la requalification s'est faite à l'encontre non pas de la plateforme, mais du client.
Mme Apourceau-Poly estime que chaque travailleur a droit au statut de salarié. Je ne suis pas d'accord avec ce postulat : si ce modèle économique fonctionne, c'est parce que nombre d'indépendants ne souhaitent pas un statut de salarié. Ce qu'ils veulent, c'est une protection sociale et, surtout, une reconnaissance des maladies professionnelles et des accidents du travail.
Mme Lubin a évoqué le fait que les plateformes gagnaient beaucoup d'argent : ce n'est pas vrai ! À l'heure actuelle, nombre d'entre elles ne font pas de bénéfices.
Néanmoins, nous devons rester vigilants, particulièrement dans le contexte de la crise actuelle. De nombreuses personnes pauvres ou au chômage risquent de voir dans les plateformes le seul moyen d'obtenir un revenu.
M. Michel Forissier , rapporteur . - Avec ce rapport, nous avons voulu éclairer la commission qui est saisie de propositions de loi sur le sujet. Notre travail est avant tout une photographie de la situation existante. Celle-ci découle d'un principe simple : la nature a horreur du vide. Si le modèle des plateformes s'est développé, c'est parce que tout le monde ne trouve pas sa place dans le salariat ou dans une entreprise classique.
Il faut sans doute faire évoluer le statut du micro-entrepreneur : alors que le législateur l'avait conçu pour permettre le démarrage d'une activité, on constate qu'il se pérennise.
Certains collègues ne voient que l'aspect négatif des plateformes, mais il ne faut pas oublier qu'elles permettent une forme d'insertion et qu'elles fournissent ce qu'on a coutume d'appeler des « jobs » étudiants.
Aujourd'hui, on ne peut pas résoudre par une proposition de loi la question complexe des plateformes. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé quatorze recommandations, qui forment une base de travail. J'invite nos collègues à lire attentivement notre rapport. Le législateur doit respecter la liberté d'entreprendre, tout en protégeant les travailleurs indépendants d'une dépendance excessive, de la captation du marché et d'une fixation arbitraire des tarifs.
Des modèles nouveaux doivent pouvoir se développer. Aujourd'hui, ce sont les plateformes - il faut veiller à ce que leur développement n'ait pas d'effet négatif ; demain, il y aura d'autres systèmes.
Le Président de la République a émis le souhait d'une protection sociale universelle. Le mot est peut-être un peu excessif. Tout le monde a droit à une protection sociale de base, minimale ; ensuite, chacun est libre d'épargner davantage pour avoir une retraite plus importante. C'est le premier problème à régler.
La commission autorise la publication du rapport d'information.