III. DES DÉBATS INTÉRESSANTS SUR DES SUJETS D'ACTUALITÉ

A. LA PROTECTION DES LIBERTÉS INDIVIDUELLES

1. Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe

Mardi 28 janvier 2020, l'APCE a adopté, sur le rapport de Lord George Foulkes (Royaume-Uni - SOC), au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, une résolution et une recommandation sur les menaces pesant sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe.

Il est inacceptable que, dans l'Europe des droits de l'Homme, des dizaines de journalistes soient agressés physiquement, emprisonnés de façon arbitraire et même assassinés. En outre, les responsables de ces crimes restent le plus souvent impunis. Les menaces, le harcèlement, les restrictions juridiques et administratives, de même que les pressions politiques et économiques indues contre les journalistes sont monnaie courante.

Tous les États membres du Conseil de l'Europe doivent garantir efficacement la sécurité des journalistes, créer un environnement favorable à la liberté des médias et prévenir l'utilisation abusive des lois ou dispositions normatives susceptibles d'affecter cette liberté, sans laquelle il n'y a pas de démocratie. Le droit des journalistes de protéger leurs sources doit être garanti ; la violence policière à l'encontre de journalistes doit être condamnée et les sanctions contre toute atteinte à la liberté des médias doivent être dissuasives.

La Plateforme du Conseil de l'Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes est un outil essentiel d'alerte et de collaboration qui aide à analyser la situation dans les États membres et à identifier des tendances positives et négatives. Les États membres doivent répondre rapidement et efficacement aux alertes lancées par la Plateforme et coopérer de bonne foi avec celle-ci.

Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a dénoncé les attaques physiques contre les journalistes qui se sont multipliées en Europe. Elle a salué la Plateforme mise en place par le Conseil de l'Europe, qui permet aux journalistes de signaler les attaques dont ils sont victimes. Elle s'est également félicitée de la bonne coopération avec la France, qui a créé un groupe de travail interministériel chargé de coordonner les réponses aux alertes. Enfin, elle a dénoncé la situation en Turquie, où des responsables politiques n'hésitent pas à s'en prendre aux journalistes, et en Russie, où un organisme gouvernemental dispose d'un pouvoir de contrôle et de censure des publications des journalistes.

Déplorant le retour du populisme et des violences qui l'accompagnent , M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union centriste) a rappelé que, dans aucun État membre du Conseil de l'Europe, les journalistes ne sont à l'abri, citant le cas de la France avec l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo. Il a insisté sur le fait qu'une meilleure protection des journalistes découle d'une justice indépendante et a appelé, pour cela, les États membres à appliquer les recommandations du GRECO et de la Commission de Venise. Enfin, il a souhaité que le retour des parlementaires russes permette une amélioration du sort des journalistes en Russie.

M. Dimitri Houbron (Nord - La République en Marche) a dénoncé le stratagème de certains États, qui vise à modifier la législation pénale en la rendant plus floue pour faciliter les atteintes aux libertés fondamentales, et notamment la liberté de la presse. Il a rappelé la jurisprudence « Del Río Prada contre Espagne » de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui édicte que les règles de droit doivent être claires. Cependant, il s'est inquiété des législations consacrant davantage d'exceptions ou qui sont de plus en plus répressives, facilitant ainsi les condamnations.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - La République en Marche) a commencé par citer Albert Camus pour rappeler le rôle du journaliste qui doit s'assurer de l'authenticité des nouvelles. La responsabilité des parlementaires est de garantir que les journalistes pourront toujours exercer leur mission. Face aux différentes agressions et intimidations dont ils peuvent être victimes, l'APCE doit apporter des réponses fortes et unanimes malgré les différences culturelles de ses membres. Enfin, elle a tenu à saluer la création de la Plateforme du Conseil de l'Europe, dont elle a souhaité la montée en puissance.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française , a constaté que l'indépendance et l'intégrité des journalistes n'ont jamais été autant menacées en Europe. Rappelant des chiffres alarmants avec pas moins de 26 assassinats entre avril 2015 et novembre 2017, elle a également dénoncé des remises en cause plus insidieuses de l'indépendance des médias, par des concentrations capitalistiques, des procédures intimidantes, voire le détournement de lois vouées à s'appliquer à des situations bien précises comme le terrorisme. Enfin, elle s'est félicitée que l'indignation provoquée par les meurtres de Mme Galizia et M. Kuciak aient abouti à des changements politiques importants, respectivement à Malte et en Slovaquie.

Participant au débat en tant que président de la commission de la culture, de la science, de l'éduction et des médias, M. Olivier Becht (Haut-Rhin - UDI, Agir et Indépendants) a rappelé le rôle essentiel de la liberté d'expression et de la liberté de la presse. C'est la raison pour laquelle il est particulièrement inquiétant de voir, aujourd'hui, se développer dans les législations, mais parfois aussi dans les pratiques, des obstacles à la liberté de la presse et à la sécurité des journalistes. Il a également estimé que les critiques contre un pays ne devaient pas être comprises comme des attaques mais comme des défis à relever. Il a donc appelé ses collègues à adopter le projet de recommandation et le projet de résolution proposés.

2. La protection de la liberté de religion ou de croyance sur le lieu de travail

Mercredi 29 janvier 2020, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Davor Ivo Stier (Croatie - PPE/DC), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution sur la protection de la liberté de religion ou de croyance sur le lieu de travail.

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a rappelé que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction s'applique sur le lieu de travail, même s'il ne s'agit pas d'un droit absolu. Des restrictions sont possibles mais toute ingérence dans cette liberté doit être proportionnée au but légitime poursuivi. La présence sur le lieu de travail de membres de différents groupes religieux peut être source de défis que les employeurs peuvent essayer de résoudre en imposant des règles à première vue « neutres ». Cependant, l'application de ces règles, comme celles qui prescrivent certaines tenues vestimentaires, les régimes alimentaires, les jours fériés ou la réglementation du travail, peuvent entraîner une discrimination indirecte des représentants de certains groupes religieux.

Dans certaines situations, la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme considère que « l'aménagement raisonnable » par les employeurs des pratiques religieuses de leurs employés peut être un moyen approprié pour éviter toute discrimination et assurer la proportionnalité de toute ingérence dans le droit à la liberté de religion. Ainsi, selon elle, les États membres du Conseil de l'Europe devraient considérer l'introduction dans leurs législations respectives d'une obligation faite à l'employeur d'aménagement raisonnable juridiquement contraignante ou prendre toute autre mesure afin que les employés puissent présenter des demandes à cette fin et contester un éventuel refus d'en tenir compte.

Pour M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union centriste) , cette question ne peut être traitée sans tenir compte de la culture de chaque État, de son histoire et de ses traditions politiques. Rappelant le principe de laïcité consacré par la Constitution en France et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui le considère comme fondateur, il a estimé parfois nécessaire d'assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts de divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. Dans ces conditions, il a indiqué ne pas partager la proposition consistant à prôner des aménagements raisonnables et a mis ses collègues en garde contre le risque de montée du communautarisme.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - La République en Marche) a rappelé que chacun devait trouver sa place au sein de nos sociétés et que l'instrumentalisation politique de certaines religions crée une crainte à l'égard de celles-ci. Si la liberté de croyance des uns doit être garantie, cela doit se faire dans le respect des droits des autres et des spécificités des États. Ceux-ci devront envisager la mise en place d'une obligation légale d'aménagement en tenant compte des mécanismes de recours en vigueur, de l'efficacité de la législation relative à la lutte contre la discrimination ou à l'égalité de traitement et des besoins religieux des employés.

3. Cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan

Mercredi 29 janvier 2020, l'APCE a adopté, sur le rapport de Mme Thorhildur Sunna Aevarsdottir (Islande - SOC), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution et une recommandation sur les cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan.

Le Conseil de l'Europe a été vivement préoccupé par les cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan depuis l'adhésion de ce pays en 2001. La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a adopté une série d'arrêts constatant l'arrestation et la détention arbitraires d'opposants politiques, de militants de la société civile, de défenseurs des droits humains et de journalistes critiques, souvent associés à des violations de leur liberté d'expression ou de réunion. Nombre de ces arrêts établissent des faits qui correspondent clairement à la définition de « prisonnier politique » donnée par l'Assemblée parlementaire dans sa Résolution 1900 (2012).

La commission a également considéré que la crédibilité des listes les plus exhaustives, détaillées et régulièrement mises à jour des prisonniers politiques signalés a été confirmée par les conclusions des arrêts rendus par la CEDH. Il existe donc une présomption réfragable que les personnes figurant sur ces listes sont des prisonniers politiques.

Tout en se félicitant des mesures prises par l'Azerbaïdjan pour réformer ses systèmes pénitentiaire, pénal et judiciaire, la commission n'est pas encore convaincue que ces mesures suffisent pour atteindre les résultats précis exigés par la CEDH. Elle a donc proposé une série de recommandations aux autorités azerbaïdjanaises et au Comité des Ministres afin de résoudre le problème de façon totale et définitive.

M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a commencé par rappeler les nombreuses résolutions de l'APCE sur la situation des droits de l'Homme en Azerbaïdjan. Dénonçant le sort réservé aux opposants politiques qui sont emprisonnés, il a appelé l'Assemblée parlementaire à rester ferme avec l'Azerbaïdjan, qui ne respecte pas l'article 18 de la convention européenne des droits de l'Homme. La CEDH dénonce régulièrement, dans ses arrêts, le caractère arbitraire des détentions, qu'elles soient pour un motif pénal ou administratif.

Certes, des réformes ont été entreprises, mais cela demeure bien insuffisant. En effet, le manque d'indépendance de la justice et la place accordée au droit de grâce dans le système judiciaire azéri permettent cette situation dont l'Azerbaïdjan ne semble pas prendre la mesure.

4. La démocratie piratée : comment réagir ?

Vendredi 31 janvier 2020, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Frithjof Schmidt (Allemagne - SOC), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution appelant les États membres à prendre au sérieux la menace que représentent les fausses informations circulant sur Internet pour la démocratie.

Le rapport analyse l'impact de la désinformation sur la démocratie, notamment via Internet et les médias sociaux. Il souligne la nécessité d'améliorer le contenu et l'architecture d'Internet, de renforcer la résilience des sociétés et des systèmes démocratiques européens, de lutter contre la désinformation, d'investir dans un journalisme de qualité et de préserver la liberté d'expression et le pluralisme politique et des médias, en particulier dans le contexte des élections.

Afin de relever les défis de la désinformation, les États membres du Conseil de l'Europe sont invités à mettre en oeuvre un certain nombre de stratégies dans une perspective européenne et mondiale, notamment en ce qui concerne les campagnes électorales axées sur les données tirées des médias sociaux et l'utilisation des données à caractère personnel lors d'élections, la promotion de compétences en matière de culture numérique, les initiatives de vérification des faits et la transparence des publicités à caractère politique en ligne, ainsi que l'accès des chercheurs aux données, la coopération entre agences de sécurité, des cadres d'autorégulation pour les entreprises de médias et des réformes judiciaires appropriées.

La commission des questions politiques et de la démocratie soutient les efforts de la Commission de Venise en vue d'élaborer une liste de principes pour l'utilisation des technologies numériques dans le contexte des élections.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union centriste) a exprimé ses préoccupations sur l'ampleur de la pollution de l'information sur Internet et les risques que cela engendre. Rappelant les travaux de l'Assemblée parlementaire à ce sujet et le colloque organisé au Sénat sous la présidence française du Comité des Ministres, il a appelé à soutenir le journalisme et à lutter contre la désinformation. Il a également souhaité que la Commission de Venise parvienne à élaborer une liste de principes pour l'utilisation des technologies numériques dans le contexte des élections, qui fasse référence et qui soit suivie d'effets.

M. André Reichardt (Bas-Rhin - Les Républicains) a rappelé également le colloque organisé au Sénat pour traiter de la désinformation, problème accru par l'accélération de la circulation des informations à l'ère numérique. Déplorant l'intervention d'acteurs étrangers dans des élections nationales pour en influencer le résultat, il a insisté sur la nécessité de promouvoir l'éducation aux médias pour lutter contre la désinformation et former les citoyens aux enjeux du monde numérique.

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