C. LES MOYENS DE GARANTIR L'ÉTAT DE DROIT DANS LES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE
1. Le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne
Mardi 28 janvier 2020, l'APCE a adopté une résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne, sur le rapport de Mme Azadeh Rojhan Gustafsson (Suède - SOC) et M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas - PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi). Le débat a en partie été présidé par Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), vice-présidente de l'APCE.
Les rapporteurs ont indiqué que la commission de suivi reconnaît les difficultés auxquelles sont confrontés la magistrature et le système judiciaire polonais, surtout sur le plan de l'efficacité de l'administration de la justice. Elle accueille donc avec satisfaction la priorité accordée par les autorités polonaises au fait de remédier aux insuffisances du système judiciaire polonais. En parallèle, elle souligne qu'il est essentiel que les réformes mises en oeuvre soient pleinement conformes aux normes européennes et renforcent effectivement l'indépendance des juges et l'État de droit. Elle accueille favorablement toute réforme des structures judiciaires autonomes qui vise à renforcer leur transparence et leur obligation de rendre des comptes, tout en préservant leur indépendance et leur autonomie. Elle juge cependant inacceptable que ces réformes reviennent à placer le système judiciaire sous le contrôle du pouvoir exécutif ou législatif, et donc sous le contrôle politique de la majorité au pouvoir.
La commission regrette profondément que de nombreux aspects des réformes de la magistrature et du système judiciaire polonais soient contraires aux normes européennes. Leur effet cumulé porte atteinte et nuit gravement à l'indépendance de la magistrature et à l'État de droit en Pologne. Par ailleurs, elles ont exposé le système judiciaire aux ingérences politiques et aux tentatives de prise de contrôle politique de l'Exécutif, ce qui remet en question les principes mêmes d'un État démocratique régi par la prééminence du droit. La commission appelle par conséquent les autorités à revoir l'intégralité des mesures de réforme de la magistrature et à modifier la législation et la pratique concernées, conformément aux recommandations du Conseil de l'Europe.
La commission reste préoccupée par la crise constitutionnelle provoquée par la composition de la Cour constitutionnelle, qui n'est toujours pas réglée. Le rétablissement de la légalité de la composition de la Cour, conformément aux normes européennes, est essentiel et devrait être une priorité.
L'exécution complète et sans condition des décisions de la Cour constitutionnelle, y compris pour ce qui est de sa composition, devrait être une pierre angulaire du règlement de la crise.
La commission déplore le recours abusif aux procédures disciplinaires à l'encontre des juges et des procureurs en Pologne, qui a un effet dissuasif sur la magistrature et compromet son indépendance. À ce propos, la commission appelle à l'ouverture d'une enquête publique indépendante sur la campagne de dénigrement motivée par des considérations politiques qui aurait été orchestrée contre les membres de la magistrature par et avec le concours de hauts responsables du ministère de la Justice et du Conseil national de la magistrature.
La commission souligne que ses inquiétudes au sujet du respect de l'État de droit par la Pologne concernent directement l'Europe tout entière et que ce sujet de préoccupation ne saurait être considéré comme une question interne à la Pologne. La commission recommande par conséquent à l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe de veiller à ce que les juridictions qui relèvent de leur compétence vérifient dans l'ensemble des affaires pertinentes dont elles ont à connaître au pénal et civil si une procédure judiciaire équitable au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme peut être garantie aux parties défenderesses en Pologne.
M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a estimé que les réformes de la magistrature et du système judiciaire entreprises par le gouvernement polonais nuisent gravement à l'indépendance des juges, ce qui est à la fois inquiétant et inacceptable. Il a appelé les autorités polonaises à ne pas mettre en oeuvre cette réforme qui remettrait en cause l'État de droit en Pologne. Il s'est particulièrement inquiété du pouvoir discrétionnaire dont disposera le Président polonais dans la procédure de nomination des membres de la Cour constitutionnelle et la possibilité offerte au Parlement d'appliquer de manière sélective les décisions de cette Cour.
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain) a rappelé que les réformes du système judiciaire mises en place depuis 2015 par le gouvernement polonais ont nettement affaibli son indépendance et son autonomie. Il est important d'affirmer qu'il ne s'agit pas là d'une question interne à la Pologne mais d'une atteinte aux valeurs et principes fondamentaux de la démocratie. La séparation des pouvoirs est un principe essentiel pour le bon fonctionnement de l'État de droit et la justice doit être réellement indépendante. Elle a donc appelé les autorités polonaises à revoir l'intégralité des mesures afin de se conformer aux recommandations du Conseil de l'Europe.
M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a expliqué que la réforme de la justice en Pologne constitue une véritable régression démocratique qu'il condamne, non pas au nom de la France mais au nom de ses engagements politiques. Inquiet du fait que les recommandations du Conseil de l'Europe ne soient pas suivies, il a rappelé que les juridictions polonaises ne sont pas seulement en charge de l'application du droit national : elles sont aussi en charge de l'application du droit européen. Il faudra donc être particulièrement vigilant sur la protection des droits des Polonais qui vont être menacés dans la période qui vient.
Mme Liliana Tanguy (Finistère - La République en Marche) a rappelé que les réformes en cours exposent le système judiciaire polonais aux ingérences et aux risques d'abus politiques. Malgré l'avis de la Commission de Venise et les réticences du Sénat polonais, la Chambre basse polonaise a définitivement adopté le texte le 23 janvier 2020. Ces dispositions sont pourtant contraires au principe de séparation des pouvoirs. Elle a regretté aussi la polarisation accrue du monde politique en Pologne et manifesté son soutien à l'égard de la société civile polonaise.
À l'issue du débat, l'APCE a décidé d'ouvrir une procédure de suivi à l'égard de la Pologne concernant le fonctionnement de ses institutions démocratiques et l'État de droit
2. La procédure complémentaire conjointe entre le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire en cas de violation grave par un État membre de ses obligations statutaires
Mercredi 29 janvier 2020, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Frank Schwabe (Allemagne - SOC), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution sur la procédure complémentaire conjointe entre le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire en cas de violation grave par un État membre de ses obligations statutaires.
La commission des questions politiques et de la démocratie s'est félicitée de l'intensification du dialogue et des contacts avec le Comité des Ministres en vue de mettre en place une procédure complémentaire conjointe entre les deux organes statutaires du Conseil de l'Europe en réponse à une violation grave par un État membre de ses obligations statutaires. Elle a réitéré qu'une telle procédure à laquelle participeront les deux organes statutaires et la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe renforcera la capacité de l'Organisation à réagir plus efficacement dans de telles situations et renforcera l'impact de toute mesure à prendre à la fois vis-à-vis de l'État membre concerné et de l'Organisation dans son ensemble.
À la lumière des décisions précédentes de l'APCE et du Comité des Ministres, des discussions qui ont eu lieu au sein des deux organes statutaires et entre ceux-ci, à différents niveaux et sous différentes formes, avec la participation de l'ancien Secrétaire général et de la Secrétaire générale actuelle de l'Organisation, le rapport détaille les principes fondamentaux qui devraient régir cette procédure complémentaire en insistant sur son caractère crédible, prévisible, réactif et réversible. Il définit ensuite le processus, étape par étape, qui pourrait à terme conduire à une décision du Comité des Ministres, après consultation préalable de l'Assemblée parlementaire, d'agir au titre de l'article 8 du Statut du Conseil de l'Europe.
M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union centriste) a salué la proposition de désigner la Commission des questions politiques et de la démocratie pour examiner les propositions visant à engager cette procédure conjointe, afin d'assurer une stabilité et la création d'une doctrine d'action fiable. Il a également reconnu la nécessité de bien distinguer la nouvelle procédure conjointe, qui sera exceptionnelle et limitée aux cas de violation les plus graves, et la procédure de suivi, outil efficace dont dispose aujourd'hui l'APCE. Enfin, il a approuvé les conditions de mise en oeuvre de la procédure conjointe, déclarant qu'il voterait le projet de résolution.
M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union centriste) a insisté sur la nécessité de créer des synergies et d'organiser des actions conjointes entre les deux organes statutaires du Conseil de l'Europe, afin de renforcer la capacité de l'Organisation à agir plus efficacement lorsqu'un État membre manque à ses obligations. La crédibilité et la prévisibilité de la nouvelle procédure seront des éléments essentiels pour garantir sa réussite. Le besoin de réactivité et la notion de réversibilité sont également essentiels. Si un dialogue approfondi doit être mené avec l'État membre concerné, il doit s'agir d'échanges sérieux et non de manoeuvres dilatoires. Concernant la réversibilité, il a affirmé que son principe est consubstantiel à l'objectif de cette procédure qui ne vise pas à sanctionner un État, mais bien à assurer le respect de la convention européenne des droits de l'Homme.
3. L'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée parlementaire (janvier - décembre 2019)
Jeudi 30 janvier 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de Sir Roger Gale (Royaume-Uni - CE/AD), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, une résolution sur l'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée parlementaire en 2019.
Dans son rapport annuel, la commission de suivi fait le bilan de ses activités menées de janvier à décembre 2019 et évalue les progrès relatifs au respect des engagements et des obligations découlant de leur adhésion au Conseil de l'Europe réalisés par les dix pays qui font l'objet d'une procédure complète de suivi, ainsi que les trois pays engagés dans un dialogue postsuivi. Elle salue les avancées, prend note des défis et exprime sa préoccupation sur les reculs, puis adresse des recommandations spécifiques aux pays concernés.
En outre, le rapport présente un certain nombre de recommandations visant à clarifier les règles de procédure qui régissent les travaux de la commission et formule un certain nombre de suggestions pour renforcer l'efficacité et la cohérence interne des travaux de la commission.
Au nom du groupe ADLE, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche), président de ce groupe, a rappelé que la procédure de suivi représente un instrument de travail crucial pour l'Assemblée parlementaire. Il s'est félicité de l'intervention du Président Macron devant l'APCE pour répondre à chacune des interpellations dont la France avait fait l'objet, ce qui prouve bien qu'il n'y a pas d'exemption. Il a ensuite regretté que des pays ne contribuent pas aux revues périodiques qui sont une forme d'accompagnement. Enfin, il a rappelé l'attachement de son groupe au fait que ce soit précisément les groupes politiques qui désignent les membres de la commission de suivi.