B. ACCROÎTRE LES MOYENS DE LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE
1. La lutte contre l'orpaillage illégal : d'une politique de destruction des sites à une politique de désorganisation de la logistique
La stratégie poursuivie dans la lutte contre l'orpaillage consiste à rendre l'exploitation d'or non rentable . Cela dépend toutefois des fluctuations du cours de l'or, qui a augmenté de près de 400 % en 20 ans, passant de 9 euros à 45 euros le gramme.
Cours de l'or, en euros par gramme, sur les 20 dernières années
Source : https://www.bullionbypost.fr/cours-de-lor/20ans/grammes/EUR/
Les opérations Anaconda , menées depuis 2002 par la gendarmerie et notamment l'antenne du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) en Guyane, ont pour objectif la destruction de pompes ou de groupes électrogène sur les sites d'orpaillage clandestins. Elles aboutissent à des saisies d'or et de matériels, ainsi qu'à des destructions ayant pour ambition de désorganiser l'adversaire. La régénération des sites peut toutefois aller très vite.
Instituée en 2008, l' opération Harpie est venue restructurer la lutte contre l'orpaillage illégal autour de quatre volets : sécuritaire, diplomatique, économique et social, le premier étant à la base des trois autres. L'opération Harpie permet un vaste contrôle de zone et ajoute aux opérations Anaconda un travail sur les flux logistiques, un contrôle des points clefs de passage comme par exemple certains affluents du Maroni tels que l'Inini, ainsi que des patrouilles de différentes formes et durées pour détruire le matériel utilisé sur les sites d'orpaillage et saisir l'or extrait.
Poste de contrôle fluvial sur l'Inini
Source : commission des lois du Sénat
L'objectif est de désorganiser les flux logistiques, en reconduisant systématiquement à la frontière les orpailleurs en situation irrégulière, et en saisissant ou détruisant les matériels nécessaires à l'exploitation aurifère illégale . Quand ces opérations sont suffisamment nombreuses, les coûts d'exploitation des sites d'orpaillage illégal s'envolent, réduisant le bénéfice escompté. La hausse des cours de l'or peut cependant tenir ce calcul en échec.
Les résultats de la lutte contre l'orpaillage illégal sont tangibles. Le nombre de sites d'exploitation clandestins en activité, bien qu'encore élevé, a été réduit de manière importante, passant d'environ 500 fin 2013 à 200 fin 2015. Au niveau du territoire du parc amazonien de Guyane, 177 sites avaient été dénombrés en août 2017, 132 en janvier 2019 et 145 en octobre 2019.
En 2019, 70 millions ont été engagés dans la lutte contre les activités minières illégales, pour 25,4 millions d'euros d'avoirs criminels saisis. 519 sites ont été détruits. Le préfet de Guyane a indiqué que les priorités pour 2020 sont la décrue générale de l'orpaillage illégal, suivant un objectif d'éradication dans les réserves biologiques jugées prioritaires d'un point de vue environnemental.
Pour être efficace et permettre d'assécher réellement l'approvisionnement, la pression exercée sur la logistique doit être puissante, constante et ne pas permettre la reconstitution des stocks . Les interlocuteurs de la délégation ont souligné la résilience de l'orpaillage illégal , du fait notamment de la présence de comptoirs chinois sur les berges du Maroni, côté Suriname. Des moteurs construits en Chine en juillet 2018 ont par exemple été saisis dès septembre de la même année en Guyane ! Par ailleurs, les logisticiens sont extrêmement bien organisés et fonctionnent suivant un système de sonnettes, permettant d'avertir l'ensemble des acteurs de l'orpaillage d'une opération en cours ou à venir.
Organisation de la lutte contre l'orpaillage illégal
Source : État-major de lutte contre l'orpaillage et la pêche illégale
2. Augmenter le nombre de personnes habilitées à mener des opérations de lutte contre l'orpaillage illégal
Pour mener à bien les opérations de lutte contre l'orpaillage illégal, d'importants moyens humains sont mobilisés . Avec le lancement du plan Harpie 2 en octobre 2017, une compagnie d'infanterie supplémentaire a été déployée et un état-major dédié au suivi des actions de lutte contre l'orpaillage mis en place auprès du préfet (État-major de lutte contre l'orpaillage et la pêche illégale - EMOPI). De nombreux services sont engagés dans ce combat : forces armées de Guyane (FAG), gendarmerie, parc amazonien de Guyane (PAG), office national des forêts (ONF), direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), et douanes.
La commission salue le travail important qui est réalisé par les militaires, les gendarmes et les autres acteurs impliqués dans la lutte contre l'orpaillage, dont elle a pu se rendre compte sur les lieux mêmes de leur action. Entre 150 et 250 agents sont engagés quotidiennement. Leur action est indispensable dans la lutte contre l'orpaillage.
Équipement utilisé par les patrouilles de
lutte contre l'orpaillage
pour dormir en forêt
Source : commission des lois du Sénat
Les patrouilles des forces armées de Guyane associent désormais systématiquement un « agent destructeur » pour rendre inutilisables les engins, matériels et produits saisis. Celui-ci est un officier ou un agent de police judiciaire, qui peut procéder à des interpellations ou à la destruction de matériel 15 ( * ) . Les forces armées de Guyane ont cependant souligné qu'ils se trouvaient parfois dépourvus d'officiers ou d'agents de police judiciaire, notamment au moment des relèves des brigades de gendarmerie mobile, ce qui nuisait à leur capacité d'action, car elles ne peuvent, sans lui, ni interpeller les orpailleurs ni procéder à la destruction ou à la confiscation des matériels d'orpaillage.
Au vu de l'ampleur du phénomène de l'orpaillage illégal, qui s'accroît avec le cours de l'or, et de la nécessité d'une pression forte et constante pour assurer l'efficacité de la lutte contre ce phénomène, il serait nécessaire de renforcer encore les moyens humains qui y sont consacrés . Plus particulièrement, il faudrait augmenter le nombre d'« agents destructeurs » en Guyane, afin de pouvoir monter suffisamment de dossiers pour pouvoir désorganiser les filières logistiques de l'orpaillage.
Un point d'attention toutefois : la mobilisation des agents peut avoir des implications très fortes sur leur vie et celle de leurs familles . Cette problématique, majeure, a été soulignée à la délégation de la commission par le directeur du Parc amazonien de Guyane, Pascal Verdon. Les gendarmes et les militaires ne passent que peu de temps en mission. Leurs familles ne sont, dans leur grande majorité, pas présentes sur place. À l'inverse, les agents du Parc amazonien de Guyane sont des agents locaux . Lorsqu'ils participent à la lutte contre l'orpaillage, ils peuvent être reconnus par les orpailleurs et leurs familles identifiées. Plusieurs d'entre eux ont ainsi d'ores et déjà fait l'objet de menaces et de pressions. Il importe d'assurer leur protection.
Accroître le nombre d'agents habilités à constater des infractions en matière d'exploitation aurifère illégale ne devra donc pas se faire au détriment de leur sécurité .
Lors du déplacement, la possibilité de permettre aux inspecteurs de l'environnement de constater aussi des infractions d'orpaillage en dehors du parc amazonien de Guyane a été proposée. Cette mesure semble respectueuse de l'exigence de sécurité des agents et recueille l'assentiment de la commission.
Proposition n° 5 : Accroître les catégories de personnes habilitées à constater des infractions en matière d'orpaillage illégal, en veillant cependant à assurer leur sécurité. Pour ce faire, augmenter notamment le champ d'intervention des inspecteurs de l'environnement. |
3. Adapter les moyens législatifs et réglementaires aux réalités du territoire
La nécessité d'adapter les procédures législatives et réglementaires aux spécificités de la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane a été reconnue de longue date . La loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer , puis la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique , dite loi EROM sont venues développer les outils de répression de l'orpaillage illégal, en étendant les mesures de confiscation et de destruction.
Une des difficultés dans la lutte contre l'orpaillage illégal reste toutefois de caractériser l'infraction . L'infraction d'orpaillage n'existe en effet pas en tant que telle. Les infractions les plus utilisées relèvent du code minier (exploitation de mine sans titre 16 ( * ) , notamment), du code des douanes (détention et transport d'or natif 17 ( * ) ), et du code monétaire et financier (infractions à la règlementation du commerce de l'or 18 ( * ) ). Depuis 2009, des circonstances aggravantes ont été définies pour l'exploitation de mine sans titre 19 ( * ) . Elles concernent les atteintes à l'environnement (qui accompagnent de manière systématique les activités d'orpaillage illégal en Guyane) et la commission de l'infraction en bande organisée.
D'autres infractions , comme des crimes et délits de blanchiment, d'association de malfaiteurs, de vol commis en bande organisée, d'extorsion, de proxénétisme, de trafic de stupéfiants ou d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger en situation irrégulière sont susceptibles d'être connexes à l'activité d'orpaillage illégal .
Les difficultés soulignées devant la délégation de la commission des lois ne concernent toutefois pas la constatation d'infractions sur les sites illégaux, mais plutôt celles en lien avec la logistique de l'orpaillage en dehors de ces sites. Les gendarmes ont indiqué qu'il leur était aujourd'hui très difficile de caractériser la complicité d'exploitation de mine sans titre alors que, s'ils croisent une pirogue remplie de bidons de carburant dans un lieu reculé de la forêt sans lieu d'habitation connu à proximité, il est probable que le carburant ainsi transporté a vocation à alimenter les pompes des orpailleurs. Les gendarmes indiquent qu'en application du droit actuel, il leur est nécessaire, pour caractériser la complicité d'une infraction, de connaître l'infraction principale. Or, les forces de sécurité ne connaissent pas nécessairement le lieu de la mine ainsi alimentée.
Il semble cependant que la cour d'appel de Cayenne d'abord, mais également la Cour de cassation, reconnaissent la possibilité de caractériser la complicité aux activités d'orpaillage illégal par le biais d'un faisceau d'indices , sans nécessairement connaître tous les éléments constitutifs de l'infraction principale.
À titre d'exemple, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 23 octobre 2018, considéré que l'implication d'une personne dans le milieu de l'orpaillage illégal était confirmée « par les objets transportés [(des bidons d'essence et des cylindres moteurs)], par l'analyse de ses communications téléphoniques , par la connaissance de nombreux individus qui y étaient liés et par le lieu de l'interpellation proche de plusieurs sites d'orpaillage » 20 ( * ) .
Il serait donc souhaitable, plutôt que de créer une infraction supplémentaire, de mieux faire connaître aux forces de sécurité la possibilité de caractériser la complicité d'exploitation de mine sans titre par un faisceau d'indices 21 ( * ) .
Proposition n° 6 : Former les forces de la lutte contre l'orpaillage illégal aux critères permettant de caractériser la complicité d'activités d'orpaillage illégal. |
Une deuxième difficulté réside dans les stratégies poursuivies par les garimpeiros pour se soustraire aux saisies d'or . Des évolutions récentes de la législation ont permis de développer la traçabilité de l'or , qui est un élément clef de la lutte contre l'orpaillage clandestin. Depuis 2011, les ouvrages d'or produits en Guyane sont soumis au poinçon de garantie qui permet leur traçabilité. Cela a permis d' empêcher la vente légale sous forme d'ouvrage d'or de l'or provenant de l'orpaillage illégal .
La législation prévoit par ailleurs un délit d'exportation et un délit de détention de l'or natif en Guyane 22 ( * ) . Ces deux délits sont à la base des saisies d'or extrait illégalement. Ils sont passibles d'un emprisonnement de trois ans, de la confiscation de l'objet de fraude, et d'une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude. Toutefois, sur tous les sites d'orpaillage, des bijoutiers fabriquent des bijoux à partir de l'or extrait illégalement . Une fois l'or natif transformé, il ne peut plus être saisi par les forces de sécurité intérieure, qui ne peuvent pas saisir les biens personnels.
Proposition n° 7 : Permettre la saisie des bijoux réalisés par les orpailleurs à partir de l'or natif extrait illégalement. |
Parallèlement, les forces chargées de la lutte contre l'orpaillage illégal ont exprimé devant la délégation des difficultés liées à l'immensité du territoire guyanais. Des adaptations de procédure ont été réalisées pour tenir compte des conditions particulières d'intervention en Guyane . Ainsi, en matière de garde à vue, il est prévu que si le délit d'exploitation minière sans titre s'accompagne d'atteintes graves à l'environnement 23 ( * ) ou est commis en bande organisé, le point de départ du délai légal de la garde à vue peut être reporté à l'arrivée dans les locaux de la garde à vue, sans toutefois que ce report ne puisse excéder vingt heures 24 ( * ) .
Par ailleurs, la loi EROM précitée habilite les agents de police judiciaire, sous le contrôle des officiers de police judiciaire, à saisir dans le cadre de leurs opérations tout bien, matériel ou installation ayant servi, directement ou indirectement aux opérations d'orpaillage illégal, ainsi que les produits provenant de celle-ci, et à procéder à la destruction de matériel 25 ( * ) . Les différents intervenants rencontrés ont unanimement demandé une modification de l'article L. 621-8-2 du code minier pour remplacer « sous le contrôle de » par « sur l'ordre et sous la responsabilité de » , considérant que le premier terme nécessite la présence d'un officier de police judiciaire, et que ce n'est pas le cas du second. Lors de la discussion parlementaire de la loi EROM , le rapporteur de ce texte pour le Sénat et membre de la délégation de la commission des lois s'étant rendu en Guyane avait indiqué que l'expression « sous le contrôle de » n'impliquait pas la présence de l'officier de police judiciaire . Toutefois, l'expression « sur l'ordre et sous la responsabilité de » est utilisée dans d'autres endroits du corpus législatif sur la procédure pénale. Une harmonisation permettrait donc de clarifier le droit en vigueur.
Proposition n° 8 : Clarifier l'article L. 621-8-2 du code minier afin de préciser que la saisie par les agents de police judiciaire de tout bien, matériel ou installation lié à l'orpaillage illégal n'implique pas la présence effective d'un officier de police judiciaire au cours de l'opération. |
L'état-major de lutte contre l'orpaillage et la pêche illégale (EMOPI) a également déploré que les acteurs de la lutte contre l'orpaillage ne puissent pas procéder à des visites des véhicules, à l'inspection visuelle des bagages ou à leur fouille . Ces mesures, prévues à l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, sont très encadrées pour prévenir les atteintes à la liberté individuelle et à la vie privée. Elles ne sont possibles que pour la recherche d'un nombre d'infractions limitativement énumérées, qui ne comptent pas l'exploitation de mine sans titre 26 ( * ) . L' article 78-2-4 du même code élargit toutefois la possibilité de recourir à ces mesures dans les cas où elles s'avèrent nécessaires pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens . Il pourrait être considéré que la prévention de l'orpaillage illégal entre dans ce cadre . Si cette interprétation n'était pas partagée, la commission serait favorable à inclure l'exploitation de mine sans titre, dans sa forme aggravée, parmi les infractions dont la liste figure à l'article L. 78-2-2 précité pouvant justifier de telles mesures.
Proposition n° 9 : Sécuriser juridiquement la possibilité de procéder à des visites de véhicules, à l'inspection visuelle des bagages ou à leur fouille pour prévenir l'orpaillage illégal. |
Concernant les peines encourues pour des infractions d'orpaillage, l'article L. 512-3 du code minier dispose que les personnes physiques coupables d'exploitation de mine sans titre dans sa forme aggravée encourent une interdiction de séjour comme peine complémentaire. La possibilité de prononcer une peine d'interdiction du territoire national n'est toutefois pas prévue . Cette peine serait toutefois justifiée dans certains cas, puisque les orpailleurs sont majoritairement des ressortissants étrangers en situation irrégulière qui reviennent sur le territoire français exploiter une autre mine illégale peu de temps après leur expulsion.
Proposition n° 10 : Donner la possibilité au juge de prononcer une peine complémentaire d'interdiction du territoire national en cas d'exploitation de mine sans titre en bande organisée ou s'accompagnant d'atteintes graves à l'environnement. |
* 15 La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique , dite loi EROM , a en effet habilité les officiers et agents de police judiciaire à procéder à des destructions et confiscations de biens ayant servi à ce type d'activités (actuel article L. 621-8-2 du code minier).
* 16 Article L. 512-1 du code minier.
* 17 Article L. 414-1 du code des douanes.
* 18 Chapitre 6 du titre II du livre IV du code monétaire et financier (article L. 426-1 et suivants).
* 19 Article L. 512-2 du code minier.
* 20 Cour de cassation, chambre criminelle, 23 octobre 2018, n° 17-86.118 ; Voir également 26 novembre 2014, n° 13-82.312.
* 21 À défaut, mais cela nécessiterait d'expertiser plus avant, il pourrait être envisagé de créer un délit de participation à l'exploitation de mine sans titre en bande organisée. Cette solution a semblé à la commission des lois plus réaliste que la proposition qui lui a été faite de créer un délit de transport d'essence dans les zones reculées.
* 22 Article L. 414-1 du code des douanes.
* 23 Ce qui est presque systématiquement le cas en Guyane.
* 24 Article L. 621-8 du code minier.
* 25 Article L. 621-8-2 du code minier.
* 26 Article 78-2-2 du code de procédure pénale. Il s'agit des infractions suivantes : les actes de terrorisme, les infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, les infractions en matière d'armes et d'explosifs, les infractions en matière de vol et de recel, et les infractions en matière de trafic de stupéfiants.