LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE LA DÉLÉGATION DE LA COMMISSION DES LOIS
Une délégation pluraliste de la commission des lois s'est rendue en Guyane du 4 au 11 novembre 2019. Composée de Philippe Bas, président de la commission (Les Républicains - Manche), de Thani Mohamed Soilihi (La République en Marche - Mayotte), de Mathieu Darnaud (Les Républicains - Ardèche), de Jean-Luc Fichet (Socialiste et républicain - Finistère) et de Sophie Joissains (Union centriste - Bouches-du-Rhône), la délégation a parcouru le littoral et l'Ouest guyanais. Elle s'est rendue dans les communes de Cayenne, d'Awala-Yalimapo, de Mana, de Saint-Laurent-du-Maroni, de Maripasoula et de Papaïchton. Au cours de son déplacement, la délégation s'est en premier lieu intéressée aux problématiques sécuritaires qui secouent aujourd'hui le territoire guyanais (première partie). Après avoir constaté l'importance de la délinquance en Guyane, qui sollicite fortement les forces de sécurité et les moyens judiciaires (I), la délégation s'intéresse à trois défis auxquels la Guyane est spécifiquement exposée : l'orpaillage illégal (II), le trafic de drogue (III), et l'immigration irrégulière (IV). La délégation a par la suite examiné les différents moyens d'action permettant une réponse plus adaptée des acteurs publics aux aspirations de la population guyanaise (deuxième partie), en interrogeant les facultés offertes par la Constitution pour adapter les normes nationales et locales aux réalités guyanaises (I), en recommandant des ajustements pour mieux prendre en compte l'identité culturelle, notamment coutumière, de certains groupes de population (II), et en développant les voies permettant le développement des services publics et de la proximité de l'action publique sur le territoire (III). Après avoir entendu plus de 90 personnes, la délégation de la commission des lois a émis 52 propositions , dont une partie relève du niveau législatif, qui constituent sa contribution à la préparation de cet avenir commun, dans une République qui reste garante de l'unité du territoire guyanais. |
52 PROPOSITIONS POUR UNE LOI
QUINQUENNALE
DE PROGRAMMATION ET D'ADAPTATION
DE L'ACTION PUBLIQUE EN
GUYANE
PREMIÈRE PARTIE - RÉPONDRE AUX DÉFIS SÉCURITAIRES Adapter les moyens de la justice et de l'administration pénitentiaire pour faire face à la délinquance 1. Renforcer les moyens à la disposition de la justice : - augmenter les postes de magistrat afin que l'institution judiciaire puisse suivre l'augmentation des constatations et assurer l'accès au droit de l'ensemble de la population guyanaise; - pour renforcer l'attractivité de l'institution, mettre en place des avantages en nature, lisser les primes sur l'ensemble de la période des fonctions, et permettre la perception de l'indemnité de sujétion pour les fonctionnaires et magistrats en provenance de Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy ou de Mayotte, lorsque cette précédente résidence administrative n'a pas déjà donné lieu au versement de ladite indemnité ; - pour, à terme, assurer la présence de magistrats connaissant le territoire et ses spécificités, favoriser le recrutement local par des dispositifs permettant d'attirer, de former et de recruter les jeunes Guyanais pour exercer des fonctions au service de la justice. 2. Renforcer, en lien avec le monde associatif et la collectivité territoriale de Guyane, les propositions d'activités et de formations au sein du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly. Accroître la coopération internationale des forces de sécurité 3. Transformer le centre de coopération policière de Saint-Georges de l'Oyapock en centre de coopération policière et douanière . 4. Créer un centre de coopération policière et douanière à Saint-Laurent-du-Maroni, en lien avec les autorités surinamaises. Renforcer la lutte contre l'orpaillage illégal 5. Accroître les catégories de personnes habilitées à constater des infractions en matière d'orpaillage illégal, en veillant cependant à assurer leur sécurité. Pour ce faire, augmenter notamment le champ d'intervention des inspecteurs de l'environnement. 6. F ormer les forces de la lutte contre l'orpaillage illégal aux critères permettant de caractériser la complicité d'activités d'orpaillage illégal . 7. Permettre la saisie des bijoux réalisés par les orpailleurs à partir de l'or natif extrait illégalement. 8. Clarifier l'article L. 621-8-2 du code minier afin de préciser que la saisie par les agents de police judiciaire de tout bien, matériel ou installation lié à l'orpaillage illégal n'implique pas la présence effective d'un officier de police judiciaire au cours de l'opération. 9. Sécuriser juridiquement la possibilité de procéder à des visites de véhicules, à l'inspection visuelle des bagages ou à leur fouille pour prévenir l'orpaillage illégal. 10. Donner la possibilité au juge de prononcer une peine complémentaire d'interdiction du territoire national en cas d'exploitation de mine sans titre en bande organisée ou s'accompagnant d'atteintes graves à l'environnement. 11. Engager le Brésil à appliquer l'accord signé en 2008 et relancer les négociations en matière de coopération pénale. 12. Négocier un accord entre la France et le Suriname dans le domaine de la lutte contre l'orpaillage. 13. Proposer au Suriname d'engager des négociations en vue de définir un statut de fleuve international au Maroni. Mieux lutter contre le trafic de stupéfiants 14. Adapter la campagne nationale de prévention contre le trafic de drogue aux réalités guyanaises, en la ciblant sur les risques de sanction pénale et les risques sanitaires que peuvent courir les personnes transportant clandestinement des produits stupéfiants, qualifiées de « mules ». 15. Envisager la mise en place de procédures administratives et judiciaires adaptées à la massification du trafic de drogue en Guyane, par exemple par le développement du recours à des transactions douanières. 16. Installer un scanner corporel à ondes millimétriques à l'aéroport Felix Eboué de Cayenne. Améliorer la gestion de l'immigration irrégulière 17. Améliorer les contrôles sur le fleuve Maroni par : - la construction d'un pont à Saint-Laurent-du-Maroni ; - l'augmentation du nombre de points de passage officiels de la frontière entre la France et le Suriname ; - le renforcement des contrôles fluviaux, notamment par la création de brigades de gardes-fleuve. 18. Créer un local de rétention administrative (LRA) à Saint-Laurent-du-Maroni. 19. Attribuer un avion aux services de l'État en Guyane qui serait utilisé par la police aux frontières pour réaliser des éloignements lointains. 20. Renforcer la lutte contre la fraude documentaire en : - rétablissant au niveau législatif les possibilités de vérification des actes d'état civil étrangers en cas de doute de l'administration ; - autorisant, en Guyane, une procédure particulière de vérification de l'authenticité des actes d'état civil étrangers par l'autorité judiciaire. 21. Autoriser le juge pénal à se prononcer, lors des condamnations pénales pour fraude documentaire, sur les conséquences de cette fraude en matière civile. 22. Pérenniser l'expérimentation en cours pour accélérer le traitement des demandes d'asile en Guyane. 23. Adapter les conditions d'acquisition de la nationalité française en Guyane en introduisant une condition de régularité du séjour des parents lors de la naissance de l'enfant sur le sol français. |
DEUXIÈME PARTIE - RÉPONDRE AUX ASPIRATIONS DE LA POPULATION GUYANAISE, DANS LE RESPECT DES PARTICULARITÉS DU TERRITOIRE Adapter les normes applicables en Guyane 24. Établir la programmation des moyens de fonctionnement et d'investissement nécessaires pour une mise à niveau de l'action de l'État et des collectivités territoriales en Guyane, en vue d'assurer au territoire les moyens et infrastructures nécessaires à son développement. 25. Procéder à un recensement exhaustif des blocages législatifs et réglementaires auxquels sont confrontés les acteurs publics et privés en Guyane, en vue d'adapter les lois et règlements aux spécificités du territoire dans le respect de la Constitution et des engagements européens de la France. 26. Demander une meilleure prise en considération des spécificités des régions ultrapériphériques dans le droit européen pour permettre les adaptations nécessaires aux contraintes locales. 27. Préciser les domaines dans lesquels la collectivité territoriale de Guyane pourrait, le cas échéant, se voir transférer des compétences supplémentaires. 28. Attribuer au préfet de Guyane un pouvoir de dérogation aux normes réglementaires nationales. Mieux prendre en compte l'identité culturelle des populations composant la société guyanaise 29. Faciliter l'acquisition de la nationalité française par les Hmongs présents depuis quarante ans sur le territoire. 30. Pour mieux concilier apprentissage du français et reconnaissance des langues locales à l'école : - favoriser l'immersion linguistique en français dès la classe de maternelle ; - recruter des intervenants en langue maternelle (ILM) pour les écoles situées à l'intérieur du territoire guyanais ; - renforcer la mise en place d'écoles bilingues dès le primaire. 31. Associer les autorités coutumières à la prise de décision publique dans les communes. 32. Faciliter les déplacements des chefs coutumiers dans l'exercice de leur mission. 33. Renforcer l'adéquation des moyens du grand conseil coutumier à ses missions. 34. Engager une réflexion en vue de renforcer le poids des avis du grand conseil coutumier. 35. Inclure des représentants des communautés amérindiennes et bushinenges dans les organes décisionnaires des établissements publics en charge de décisions ayant un impact sur leurs modes de vie. 36. Établir un cadastre couvrant l'ensemble du territoire guyanais. 37. Créer un établissement foncier en Guyane, en charge de procéder aux attributions foncières au profit des collectivités locales et des populations amérindiennes et bushinenges. 38. Repenser la notion de zone de droits d'usage collectifs (ZDUC) pour favoriser le développement économique des populations amérindiennes et bushinenges habitant sur ces territoires. 39. Engager un dialogue avec les autorités traditionnelles et coutumières en Guyane pour recenser les règles de droit coutumier. 40. Faire bénéficier les habitants du fleuve Maroni d'une « carte d'identité frontalière » favorisant leur passage entre la Guyane et le Suriname. 41. Engager une discussion avec le Suriname pour mettre en place des outils de coopération décentralisée entre les deux États. Développer l'accès de la population aux services publics 42. Construire de nouvelles routes sur le territoire guyanais, prioritairement sur l'axe Saint-Laurent-du-Maroni - Maripasoula. 43. Légaliser et réguler l'activité des taxis marrons guyanais. 44. Faciliter la construction de logements sociaux adaptés aux réalités locales. 45. Réaliser des aménagements spécifiques des réseaux sur les habitats informels pour répondre à l'explosion démographique. 46. Faire évoluer les conditions d'octroi des subventions publiques pour faciliter la construction de groupes scolaires. 47. Faciliter le recrutement local sur des emplois répondant exactement aux spécificités et besoins locaux. 48. Renforcer l'appui en ingénierie des collectivités territoriales afin de favoriser les projets. Assurer la proximité de l'action publique 49. Permettre la création de communes déléguées sur le modèle de celles existant dans les communes nouvelles dans les communes couvrant un vaste territoire. 50. Permettre le remboursement des frais de déplacement des élus locaux et des agents publics au sein d'une même commune couvrant un vaste territoire. 51. Construire un collège dans le Haut-Maroni. 52. Systématiser l'institution de référents de l'accès aux droits dans les communes de l'intérieur. |