EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires économiques a examiné le rapport d'information du groupe de travail sur les biocarburants constitué par les commissions des affaires européennes et des affaires économiques.
Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Monsieur le président Jean Bizet, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour examiner les conclusions du groupe de travail sur les biocarburants, qui a été institué en novembre 2018 à l'initiative de la commission des affaires européennes et de notre commission.
Il s'agit d'un organe de travail commun, dont le président Jean Bizet et moi-même avons assuré la présidence.
Regroupant dix membres issus des différentes sensibilités politiques représentées au Sénat, ce groupe de travail a permis d'entendre tout au long de l'année écoulée le point de vue de l'ensemble des parties prenantes : agriculteurs, industriels, associations de protection de l'environnement, chercheurs notamment.
Ces échanges ont été l'occasion de débattre de l'intérêt des biocarburants en matière de transition et d'indépendance énergétiques, de soutien à la production agricole ou encore de promotion de l'innovation industrielle.
C'est donc une démarche collégiale et - j'ajouterais - assez consensuelle, qui a présidé à la réalisation de ces travaux, dont notre collègue Pierre Cuypers a été le rapporteur. Je tiens ici à l'en remercier.
Avant de l'entendre présenter les conclusions de ce groupe de travail, je voudrais d'abord naturellement passer la parole au président Jean Bizet.
M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Permettez-moi de compléter très brièvement les propos de la présidente Sophie Primas.
Ainsi donc, une nouvelle fois, les membres d'un groupe de travail commun à nos deux commissions, affaires économiques et affaires européennes, ont poursuivi leur fructueuse collaboration dans un domaine essentiel : celui de l'avenir des biocarburants.
La question s'y prête d'autant plus qu'elle revêt une double dimension : française et européenne.
La filière, nous le savons, est aujourd'hui menacée par un double risque de déstabilisation. Il s'agit, d'une part, du processus de révision des priorités européennes en matière d'énergies renouvelables, d'autre part, de la reconversion, à l'initiative du groupe Total, de la raffinerie de La Mède, nécessitant des importations massives d'huile de palme.
Initialement, en 2009, l'Union européenne avait choisi d'encourager le développement des biocarburants conventionnels dits de « première génération », ce qui a permis la création d'une filière économique dynamique, notamment en France.
Cette politique a favorisé indirectement le développement de la production de protéines végétales, nous permettant ainsi de tendre vers une forme d'indépendance protéique.
Les investissements dans les biocarburants de « première génération » seraient aujourd'hui remis en cause si la Commission européenne venait à accéder à la demande de changement de cap, formulée par le Parlement européen en janvier 2018, au profit des biocarburants dits de « deuxième », voire de « troisième » générations.
Or, il ne faut pas opposer les générations les unes aux autres mais s'intéresser à la filière des biocarburants dans son ensemble.
Par ailleurs, pour rassurer les investisseurs, il faut leur offrir de la lisibilité et de la prévisibilité. Ce changement de politique apparaît donc prématuré, tant au regard de l'état des progrès technologiques que des facteurs de rentabilité économique.
Tel était notre cadre d'investigation, vous vous en rappelez, lors du lancement de nos travaux, il y a exactement un an.
Le rapport adopté par notre groupe de travail, et dont notre excellent rapporteur Pierre Cuypers s'apprête à vous présenter les grandes lignes, fournit les clés de compréhension indispensables sur la question fort complexe des biocarburants.
Il s'agit, à mes yeux, de la meilleure synthèse récente publiée sur le sujet, accompagnée d'un ensemble de six recommandations, dont je partage pleinement les conclusions.
Elle contribuera à renforcer l'information des parlementaires dans le cadre de l'examen des lois de finances : en effet, à chaque fois que nous abordions ces sujets ces dernières années, nous étions très inquiets des conséquences des évolutions fiscales envisagées par le Gouvernement sur cette filière et l'emploi, faute d'éléments suffisants dans les projets annuels de performance.
En définitive, mes chers collègues, j'ai la conviction que nous avons fait à nouveau oeuvre utile !
M. Pierre Cuypers , rapporteur . - Chers collègues, je rappelle qu'à l'initiative de la présidente Sophie Primas et du président Jean Bizet, les commissions des affaires européennes et des affaires économiques du Sénat ont constitué un groupe de travail sur les biocarburants, c'est-à-dire les carburants produits à partir de la biomasse et utilisés comme combustibles pour le transport. Sa mission était de dresser un état des lieux de la filière de production française de bioéthanol et de biogazole , en élaborant en quelque sorte un « mode d'emploi » à destination des parlementaires dans la perspective de l'examen des textes financiers. C'est à cette analyse factuelle que le groupe de travail s'est livré.
Le groupe de travail a réalisé, depuis un an, plus de 20 auditions de toutes les filières agricoles, des administrations, des industriels du secteur ainsi que des associations de protection de l'environnement. Malgré quelques voix dissonantes, il me semble que la conclusion principale du rapport pourrait être la suivante : les biocarburants sont une filière d'avenir qu'il importe de soutenir puisqu'elle répond aux défis énergétiques, environnementaux, industriels et agricoles que la France doit relever au XXI e siècle.
Je voudrais commencer par évoquer notre transition énergétique car les biocarburants en sont l'un des facteurs de succès.
Représentant 10 % environ de notre consommation d'énergie primaire renouvelable, ils contribuent en effet à diversifier notre mix énergétique. À ce jour, les biocarburants sont la principale alternative aux carburants d'origine fossile dans le secteur des transports - la seule s'agissant des carburants liquides ! - dans la mesure où l'électromobilité nécessite pour son plein développement le renouvellement du parc de véhicules automobiles... et un effort de recherche loin d'être abouti sur les batteries d'avions.
En outre, les biocarburants concourent à renforcer notre indépendance énergétique. Contrairement aux carburants d'origine fossile, leur provenance est européenne - aux deux tiers - et française - pour moitié.
Du point de vue des ménages, les biocarburants sont un atout en termes de pouvoir d'achat, puisque leur « prix à la pompe » est plus attractif que celui des carburants d'origine fossile, grâce à la fiscalité incitative qui leur est appliquée.
Fait notable, sur un plan environnemental, les biocarburants présentent aussi des bénéfices importants, selon plusieurs études de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
Leur bilan énergétique, c'est-à-dire la consommation d'énergie non renouvelable nécessaire à leur production « du puits à la roue » , est inférieur à l'essence et au gazole purs, dans des proportions entre 18 et 85 % pour les bioéthanols et 65 et 82 % pour les biogazoles.
Dans le même ordre d'idées, leurs émissions de gaz à effet de serre sont inférieures à l'essence et au gazole purs, de 24 à 72 % pour les bioéthanols et de 59 à 91 % pour les biogazoles.
On observe également des bilans plus favorables pour certaines émissions de polluants : récemment encore, l'Ademe a relevé que les carburants riches en éthanol et les huiles végétales hydrotraitées (HVO) émettaient des oxydes d'azote dans des quantités stables voire inférieures aux carburants d'origine fossile.
On ne peut donc que se réjouir que les objectifs d'incorporation des biocarburants - fixés à 7,9 % en 2019 - aient été atteints ces dernières années, dès 2012 pour le biogazole et en 2016 pour le bioéthanol.
Autre défi : celui de notre industrie. La France est un pays en pointe pour la production de biocarburants, dans un marché mondial dominé par les États-Unis et le Brésil. Sa production de bioéthanol est la 1 ère en Europe et la 5 e au monde. S'agissant du biogazole, elle est classée au 2 è rang européen et au 6 e rang mondial.
Au total, notre production de biocarburants, « du champ à la pompe » représente près de 29 000 emplois dont 16 000 emplois directs. C'est un véritable atout en matière d'aménagement du territoire, notamment en zone rurale, avec des emplois peu délocalisables car au contact direct de nos filières agricoles.
Ces performances sont dues à l'excellence de notre outil industriel, constitué à la fin des années 2000 et dont les capacités de production élevées offrent à la France un avantage comparatif. Notre industrie peut s'appuyer sur des groupes solides, largement investis dans la recherche et dans le développement.
Au contraire de la filière biodiesel, la filière bioéthanol affiche un solde extérieur excédentaire.
Venons-en aux atouts de la filière sur le plan agricole.
Il faut sans cesse rappeler que la production de biocarburants assure un débouché supplémentaire pour nos agriculteurs. 80 % du bioéthanol français est produit à partir de betterave et de blé, le reste pouvant provenir de maïs ou de marc et lie de raisin.
Concernant la filière biogazole, la France tout comme les autres pays européens se fournit principalement en colza et plus marginalement en tournesol, graisses animales et huiles usagées. Toutefois, elle importe entre la moitié et un tiers de matières premières pour consolider sa production biogazole, notamment du colza et du soja, faute d'une production suffisante, mais aussi - il faut le dire - du palme, avec toutes les problématiques environnementales que nous connaissons.
Ce débouché représente trois atouts majeurs pour notre agriculture.
Premièrement, il a un impact d'autant plus favorable sur le revenu des agriculteurs que l'approvisionnement des unités de production, fondé sur une contractualisation, permet de stabiliser les relations commerciales avec leur aval.
Deuxièmement, la diversification des cultures en faveur, notamment, des oléagineux, joue un rôle prépondérant dans les assolements des grandes cultures - on parle de rotation des cultures - et permet naturellement de réduire l'usage des engrais et produits phytosanitaires, et de valoriser efficacement l'azote minéral issu des effluents organiques.
Le colza est une plante mellifère, visitée par de nombreux insectes pollinisateurs, qui apporte une ressource incontournable aux colonies d'abeilles.
Enfin, pour nos élevages, la culture du colza permet la production de tourteaux protéinés. C'est une des grandes différences avec le palme : le colza produit en effet 44 % d'huile et 56 % de tourteau protéiné alors que le palme produit 99 % d'huile. Par conséquent, le développement du colza a eu comme effet mécanique d'augmenter la production nationale de protéines végétales, alors que la France et l'Union européenne en sont structurellement déficitaires. L'autosuffisance protéique en France est ainsi passée de 25 % dans les années 80 à plus de 50 % aujourd'hui grâce à cela. Produire des biocarburants c'est donc produire plus de protéines et réduire notre dépendance énergétique.
C'est cet argument que certains détracteurs des biocarburants oublient le plus souvent en dénonçant la concurrence alimentaire qu'ils exerceraient. Je le répète : ces cultures favorisent une réduction des importations de tourteaux et des surfaces des cultures céréalières à destination de l'alimentation animale, qui peuvent donc être dédiées à l'alimentation humaine. Le nouveau plan Protéines - un énième - annoncé par le président de la République est dans ce contexte très important pour nous rappeler le déficit protéique auquel est exposé notre pays.
Ces atouts énergétiques, environnementaux et géostratégiques peuvent être mis en valeur sans dégrader le portefeuille de nos concitoyens, dans le souci d'une écologie « positive ».
À cet égard, je rappelle que le régime fiscal des biocarburants est double. D'un côté, il pénalise les metteurs en marché s'ils incorporent moins de biocarburants que les objectifs d'incorporation prévus par le législateur ; c'est la logique de la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants (TIRIB). Cette taxe incitative est assise sur l'écart entre le taux d'incorporation réel d'un opérateur et l'objectif d'incorporation fixé dans la loi. Dans la mesure où elle ne dégage aucun rendement, on peut estimer qu'elle atteint donc ses objectifs. D'un autre côté, le système est incitatif en créant un différentiel de prix entre les carburants fossiles et les biocarburants.
La taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) est réduite pour l'ED 95, l'E85 et le B100. Pour mémoire, je rappelle que l'ED 95 et l'E85 sont majoritairement composés de bioéthanol alors que le B100 est exclusivement constitué de biodiesel. Le taux de TICPE est fixé entre 6 et 12 € par hectolitre pour ces biocarburants, contre 60 à 70 € pour l'essence ou le gazole. Compte tenu de l'écart de prix à la production, cela se traduit directement par un différentiel d'environ 70 centimes au litre à la pompe. C'est environ 500 euros d'économie par an pour un véhicule réalisant entre 10 et 15 000 kilomètres par an.
Nous l'avons vu tout au long de nos auditions : les biocarburants permettent de relever nombre de défis auxquels nous sommes confrontés. Et ce à très court terme car les solutions existent déjà !
Quel plan d'actions, dès lors, pour préparer l'avenir et soutenir cette filière ?
Avant tout, il importe que la « première génération » soit consolidée avant de nous tourner exclusivement vers les biocarburants de « deuxième » et « troisième générations ». Certains de ces biocarburants ne sont encore qu'à l'état de projets et peinent à trouver un équilibre économique voire technique. Certains programmes de recherche, tels que ceux soutenus par l'ADEME et l'Agence nationale de la recherche (ANR), sont tout à fait prometteurs et doivent être poursuivis. Mais j'insiste : plutôt que d'opposer les générations de biocarburants, travaillons à leur complémentarité.
Pour atteindre cet objectif, il nous faut suivre une triple ambition : à court, moyen et à long termes. À court terme, il importe d'assurer en France un soutien à la filière des biocarburants produits sur notre territoire. Cela passe par une fiscalité qui se veut plus incitative, notamment pour favoriser le recours des biocarburants dans les flottes captives. Pour cela, la fiscalité relative à la consommation de biocarburants et à l'acquisition de véhicules les utilisant doit être clairement avantageuse, lisible, stable dans le temps et neutre quant à la nature des biocarburants utilisés. Il ne faut surtout pas opposer les filières du bioéthanol et du biodiesel, qui sont avant tout complémentaires.
À cet égard, je porte trois propositions d'amendements dans le cadre des débats budgétaires. D'une part, je propose d'étendre le mécanisme de suramortissement aux véhicules qui utilisent du B100 de manière exclusive et irréversible. Le suramortissement proposé permettra une harmonisation en rejoignant ainsi d'autres filières durables qui bénéficient déjà de ce suramortissement. Je pense au gaz naturel pour véhicules (GNV), à l'hydrogène et à d'autres énergies alternatives. D'autre part, je propose d'appliquer aux véhicules Flexfuel essence E85 les mêmes avantages accordés aux véhicules essence gaz naturel et gaz de pétrole liquéfié (GPL) dans le cadre de la taxe sur les véhicules des sociétés (TVS). Enfin, je propose d'instituer un crédit d'impôt sur le revenu pour l'acquisition par les ménages de boîtiers Flexfuel, des primes existant dans seulement trois régions aujourd'hui (Hauts-de-France, Grand-Est et Sud).
Nous devons aussi nous doter d'une stratégie claire. Le rapport juge indispensable d'inscrire dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) un véritable cadre stratégique relatif aux biocarburants, qui pourrait comprendre - outre les niveaux d'incorporation déjà présents - des objectifs en termes de déploiement de véhicules ou de technologies de conversion ainsi que d'infrastructures de recharge.
De même, il est nécessaire d'avoir une plus grande visibilité du soutien public apporté à la recherche sur les biocarburants. Le rapport propose de fixer des objectifs nationaux dans la future loi de programmation de la recherche, et d'identifier spécifiquement les appels à projets sur les biocarburants lancés par les opérateurs de l'État.
À moyen terme, en l'absence de réelle concurrence alimentaire et compte tenu des avantages de la filière que nous avons détaillés, il convient d'étudier l'opportunité, sur le plan économique, social et environnemental, d'engager des négociations à l'échelle européenne pour relever les objectifs d'incorporation des biocarburants. En effet, la directive européenne du 11 décembre 2018 sur les énergies renouvelables, qui définit le nouveau cadre juridique applicable des biocarburants, prévoit le principe de sa révision en 2026 : nous devons donc préparer activement cette échéance !
Enfin, le rapport préconise à long-terme de porter une attention spécifique aux biocarburants aéronautiques, qui constituent une solution précieuse pour concourir à la décarbonation des avions.
La direction générale de l'aviation civile (DGAC) nous a confirmé qu'un objectif obligatoire d'incorporation de biocarburants aéronautiques était à l'étude par le Gouvernement, de 2 % en 2025 et 5 % en 2030, appliqué dans un premier temps aux aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et d'Orly.
Or, la filière française des biocarburants aéronautiques n'est pas mature étant donné qu'une seule usine est en capacité de produire des biocarburants aéronautiques à l'échelle industrielle... et qu'aucun aéroport n'est desservi par ce type de carburant de manière continue.
Par ailleurs, le carburant représente un tiers des coûts des compagnies aériennes, les biocarburants carburants aéronautiques étant quant à eux 2 à 4 fois plus onéreux que le kérosène d'origine fossile.
Dans ce contexte, l'enjeu est moins d'instaurer un objectif d'incorporation obligatoire que de favoriser l'émergence d'une filière française de production et de distribution des biocarburants aéronautiques et d'envisager la compensation aux compagnies aériennes des surcoûts induits par leur utilisation.
Je voudrais donc conclure, madame la présidente et monsieur le président, en disant que relever ces défis, à court, moyen et long termes, c'est renforcer une filière biocarburants créatrice d'emplois dans nos territoires, génératrice d'externalités environnementales positives, directement connectée au revenu de nos agriculteurs, assurant notre indépendance énergétique et protéique. C'est pour rappeler tous ces motifs que le rapport que je vous propose d'adopter était très important, et je vous remercie encore d'en avoir proposé l'idée.
M. Daniel Gremillet . - Je veux remercier le rapporteur de la qualité du travail réalisé. Il s'agit d'un dossier central pour le devenir de notre industrie et de notre mobilité, l'agriculture et la forêt constituant les deux « colonnes vertébrales territoriales » de notre économie.
Je partage tout à fait les éléments évoqués par le rapporteur. Je voudrais insister sur le fait que les biocarburants constituent une réponse intéressante proposée par la France puis l'Union européenne pour diversifier la nourriture animale et garantir une alimentation sans OGM. C'est tout l'intérêt du colza, qui permet aux éleveurs de trouver aujourd'hui une forme d'indépendance par rapport au soja importé.
Je souhaiterais appeler votre attention sur un point. Il ne faudrait pas que nous assistions à une dérive, qui consisterait à ce que les co-produits issus des biocarburants passent de l'alimentation animale à la méthanisation. Cela priverait les agriculteurs de ce surcroît d'indépendance et les empêcherait de répondre à l'attente sociétale des consommateurs. Nous ne devons pas perdre notre longueur d'avance sur les autres pays européens !
Ma seconde remarque porte sur la filière bois. J'ai visité, avec notre collègue Jacky Pierre et la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon, un projet pilote de bioraffinerie à partir de bois à Épinal. La forêt pourrait permettre d'enrichir la production de biocarburants à partir de fibres de bois, puisque ce démonstrateur fonctionne et va entrer dans sa phase industrielle. Je voudrais insister sur l'importance stratégique et industrielle des secteurs de l'agriculture et du bois.
M. Laurent Duplomb . - Madame la présidente, monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier Pierre Cuypers. Les débats portant sur les biocarburants sont révélateurs de ceux plus larges sur les énergies renouvelables et nos politiques publiques. Dès que nous parvenons à instituer un système qui fonctionne, il y a toujours des voix pour émettre des critiques et prôner sa modification ou son abandon. C'est le cas du photovoltaïque, de l'hydroélectricité et bientôt de la méthanisation.
Or, lorsqu'on demande à des industriels ou à des agriculteurs de réaliser des investissements très coûteux, il faut leur donner de la lisibilité et de la prévisibilité pour permettre l'amortissement des coûts induits. Car la conséquence de cette instabilité c'est in fine une dépendance plus grande aux importations.
Après avoir exclu l'huile de palme de la TIRB l'année dernière, l'Assemblée nationale a adopté une modification de cette disposition... avant de revenir sur ce vote quelques jours plus tard.
Je crois au contraire que la promotion des biocarburants nécessite d'accompagner les professionnels dans la durée.
Plus généralement, n'oublions jamais que l'agriculture a toujours été confrontée à cet enjeu : celui d'utiliser des produits alimentaires comme force motrice. Avant l'arrivée du tracteur, un tiers de la production agricole était utilisé par les boeufs ou par les chevaux. Aujourd'hui, l'agriculture retrouve une partie de cet assolement, qui peut être utilisée pour d'autres formes de mobilité. C'est une évolution historique mais réaliste.
Sur le sujet des tourteaux, il faut se souvenir que notre dépendance à ceux importés était exceptionnelle avant les biocarburants. Par ailleurs, nous nous trouvons face à un paradoxe : nous refusons les OGM mais, si nous supprimons les biocarburants, alors nous ouvrerons encore un peu plus la porte aux tourteaux produits à partir d'OGM.
M. Franck Menonville . - Madame la présidente, Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, je voudrais vous féliciter de ce rapport qui arrive au bon moment. C'est un rapport factuel, de vérité sur une filière. Il faut saluer les acteurs actuels de la filière et ceux qui l'ont bâtie. C'est un rapport qui arrive au bon moment parce que nous sommes dans une période où le débat public sur l'agriculture est alimenté par un certain nombre de contrevérités et d'approximations.
Les biocarburants sont une filière qui contribue à une forme d'« économie circulaire » dans nos territoires et qui repose sur l'allongement des rotations et une connaissance fine de l'agronomie. C'est une filière qui garantit aussi un approvisionnement local et tracé en matière de protéines. Dans mon département, un groupe laitier allemand fortement impliqué sur notre territoire lorrain et meusien a besoin de lait issu de filières non OGM. Les biocarburants offrent une garantie de traçabilité quasiment parfaite des sources de protéines.
Si l'on veut garantir l'avenir et la prospérité de cette filière, qui est absolument indispensable, il faut lui offrir de la stabilité réglementaire, de la visibilité en matière d'investissements et un effort de recherche.
M. Joël Labbé . - Je voudrais saluer le travail de mes collègues car il constitue une base pour débattre. Ma voix va être quelque peu dissonante. Plus j'avance dans ma réflexion et plus je suis convaincu que notre future économie va devoir être résiliente, par la force des choses. Il y a des aspects intéressants dans la filière des biocarburants, notamment l'utilisation du colza en substitution du soja importé. Le colza a un intérêt pour notre indépendance protéique ainsi que pour les pollinisateurs s'il est exploité en bio dans les rotations - parce que l'on connaît l'impact du colza traité sur les abeilles et les pollinisateurs !
La question fondamentale est celle de la terre nourricière, celles des terres africaines sacrifiées pour faire des carburants pour nos voitures. Maintenant, on dit qu'il faut aussi penser à l'avion, ce qui se comprend dans une logique de développement de la mobilité. Cependant, je suis convaincu que cela ne sera pas possible car les déplacements en avion vont poursuivre leur croissance exponentielle.
Je crois en la résilience, en une économie nourricière. Ma vision n'est donc pas la même que la vôtre.
M. Michel Raison . - À mon tour, je souhaiterais féliciter le rapporteur. Comme notre collègue Joël Labbé, je crois en l'agriculture mais nous la concevons différemment ; il en est de même de ceux qui croient en la France. Je crois surtout à la science, même si la science n'est jamais parfaitement exacte. En général, elle est plus forte que les slogans.
À travers ce rapport, nous avons eu droit à un rappel de nos leçons d'agronomie. Avant les discussions de la loi Egalim, j'avais tenu à ce qu'un chercheur de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), un économiste, vienne présenter au Sénat l'évolution globale des marchés agricoles internationaux. Cela permet d'avoir une vision plus large.
Cette démarche est indispensable, surtout en ce moment dans le monde agricole. Tout le monde croit savoir comment fonctionne un sol mais les propos sont le plus souvent peu étayés scientifiquement. Les apiculteurs professionnels mettent leurs ruches au pied des plants de colza pour offrir de la nourriture aux abeilles. En matière d'agronomie, le colza est quasiment aussi bénéfique qu'une luzerne, en particulier en termes de structure du sol car les racines arrivent en un an à se développer à plusieurs mètres de profondeur.
Sur le même débat, je tenais aussi à souligner que l'on parle beaucoup du glyphosate. Cela semble masquer le fait que l'on est en train de retirer du marché d'autres produits phytopharmaceutiques, en particulier certains fongicides. Gardons ces éléments en tête. Les agriculteurs sont des professionnels. Ils savent comment fonctionnent un sol.
M. Jean-Claude Tissot . - À mon tour de saluer le travail du rapporteur qui, comme l'a dit mon collègue Joël Labbé, sert de base de discussion même si nous ne sommes pas forcément d'accord avec tout le raisonnement. Je rejoins notre collègue Michel Raison lorsqu'il dit que de plus en plus de concitoyens donnent des leçons d'agronomie. C'est un peu comme si le sélectionneur de l'équipe de France se retrouvait avec 50 millions de co-sélectionneurs.
Quand on parle de biocarburants ou de méthanisation, le risque est celui de la concurrence qui pourrait s'installer avec l'alimentation. Si on élargit notre vision à l'Amazonie ou aux pays producteurs d'huile de palme, il faut retenir que nos décisions peuvent y avoir des effets.
Aujourd'hui, on peut faire des rotations avec des légumineuses qui fonctionnent. Mais le temps est long en agriculture. On doit tenir compte d'un vrai plan cultural sur plusieurs années qui doit poursuivre un objectif : celui de nourrir la planète.
Je ne trouve pas bonne la comparaison de notre collègue Laurent Duplomb avec la production végétale qui devait être produite pour la traction au début du siècle. Il faut faire attention à ne comparer que ce qui est comparable.
M. Jean Bizet . - Je souhaiterais répondre aux propos de nos collègues Joël Labbé et Daniel Gremillet. En ce qui concerne la filière aéronautique, je voudrais rappeler qu'elle représente 2 % du CO 2 émis au niveau mondial. À titre de comparaison, la gestion des données représente environ 4 % de ces émissions.
Notre collègue Gremillet parle souvent de la forêt à juste titre : il faut effectivement la cultiver. La forêt en France couvre aujourd'hui 16,5 millions d'hectares et ne capte que 145 millions de tonnes de CO 2 alors que les céréales - qui rentrent dans la filière des biocarburants - représentent 14 millions d'hectares et captent 250 millions de tonnes de CO 2 . Avec les biocarburants, on fabrique des protéines végétales, du carburant et, sur le plan climatique, le processus est plutôt vertueux.
M. Pierre Cuypers . - Je voudrais simplement rappeler que les biocarburants s'inscrivent dans le cadre d'un bouquet d'énergies. Toutes les énergies sont complémentaires. Bien sûr, et je tiens à le rappeler, la production de biocarburants n'est pas en concurrence avec la production alimentaire humaine. Le déficit protéique français était très important mais a été réduit grâce à la production de biocarburants. Cela signifie que produire des biocarburants, c'est à la fois produire de l'énergie et assurer notre indépendance protéique, en évitant d'importer du soja notamment.
Il n'y a pas de conflit d'usage ; il existe une vraie complémentarité. Les apiculteurs se pressent pour mettre leurs ruches devant les champs. Nous avons besoin d'une rotation des cultures, conformément aux obligations européennes et dans le souci d'une bonne gestion des sols, ce qui passe par ce type de production.
Mme Sophie Primas . - Merci beaucoup Pierre Cuypers. Je remercie également l'ensemble du groupe de travail car il s'agit d'un travail collégial. Je vous demande d'approuver ou non ce rapport. Personne ne s'y oppose ?
Il est adopté.
La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport d'information.