II. UNE SOUS UTILISATION CHRONIQUE DES FONDS EUROPÉENS ? UN DIAGNOSTIC À NUANCER

A. UN INDÉNIABLE RESSENTI NÉGATIF DANS LES TERRITOIRES

De nombreux élus locaux et porteurs de projets potentiels ont fait part de leur très grande difficulté à bénéficier des fonds européens. Tant la presse nationale - Le Figaro titrait, dans son article du 7 mars 2019, Développement rural : des millions d'euros d'aides européennes bientôt perdues , tandis que le journal La Croix évoquait, le 19 mars dernier, des Aides européennes, un fiasco français ,- que la presse régionale - le quotidien Sud-Ouest titrait, en mars 2018, Les fonds européens tardent à venir, en évoquant une enveloppe LEADER de 1,7 million d'euros « pour l'instant virtuelle » ; quant au quotidien Ouest-France , il mentionnait, pour sa part, le 20 mars 2019, des Aides européennes : la France gâche des millions d'euros - se sont fait l'écho des difficultés rencontrées en France.

Un sentiment de paralysie dans l'utilisation de ces fonds est ainsi apparu. Le groupe d'études de l'Assemblée nationale consacré aux enjeux de la ruralité a d'ailleurs interpellé Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, par lettre du 5 décembre 2018, sur le retard très important que connaîtrait la France dans la consommation des crédits du programme LEADER et les risques de dégagement d'office qui pourraient en découler.

Interrogé par notre collègue Maryse Carrère, le 7 mars dernier 21 ( * ) , M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, a d'ailleurs déclaré que « la situation n'était pas rassurante » et que « très peu de dossiers sont complètement apurés et ont donc pu être payés. Il est vrai -  et c'est un drame absolu ! - que la France va perdre de ce fait plusieurs millions d'euros, voire plusieurs centaines de millions », avant d'annoncer une mobilisation de l'ensemble des acteurs et la nécessité d'une simplification et d'une clarification des compétences de chacun dans la prochaine programmation.

De même, lors des auditions de la mission d'information, votre rapporteure a pu constater ce ressenti négatif des territoires vis-à-vis des fonds européens. Ainsi, M. David Le Bras, délégué général de l'Association des directeurs généraux des communautés de France, a indiqué que les termes associés à leur gestion revenant le plus dans les contributions des membres de son association consultés en amont de son audition étaient « mitigé », voire « catastrophique ». « Sur les 44 réponses recensées, j'ai eu très peu de réponses positives - 4 ou 5. Ont été notamment regrettés : des transferts inadaptés, un personnel manquant d'expertise, la temporalité et les retards dans les versements. »

Notre collègue Raymond Vall, président de l'Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays (ANPP), a tenu devant votre mission d'information des propos alarmants : « Si je m'en tiens au seul programme LEADER, nous sortons d'une période catastrophique et décourageante ». M. Michael Restier, directeur de l'ANPP, a pour sa part témoigné de la difficulté du travail des « animateurs du programme LEADER, qui, contre vents et marées, se battent pour ce programme, pour promouvoir une vision et une image de l'Europe, auxquelles ils croient. Malheureusement, on a pu constater sur le terrain la règle des trois D : démobilisation, dépression et démission. Le turnover sur le programme LEADER a été très important. Ces agents passent énormément de temps au quotidien à expliquer aux agriculteurs et aux petits porteurs de projets les dysfonctionnements des institutions françaises chargées de la gestion des fonds européens et les raisons pour lesquelles ils n'ont toujours pas été payés trois ans après le dépôt des dossiers ». Ce constat est partagé par l'AMF : selon l'enquête qu'elle a réalisée auprès des membres des comités de programmation des groupes d'action locale (GAL), 46 % d'entre eux ont fait part de leur démobilisation.

De même, Mme Lucie Becdelièvre, déléguée générale d'Alliance Villes Emploi, indiquait, pour le Fonds social européen (FSE), que, « si le bilan global est positif, des difficultés subsistent néanmoins », et que « les procédures sont complexes » ; elle mettait également en évidence l'existence de « difficultés de trésorerie ou une certaine insécurité juridique et financière à cause de la durée des procédures de justification des dépenses : des dépenses peuvent se voir déclarées inéligibles au terme d'un contrôle deux ou trois ans plus tard, ce qui peut mettre en difficulté les organismes ».

La complexité des procédures peut en effet avoir des conséquences graves pour les petits porteurs de projets .

Ainsi, comme le souligne M. David Le Bras, certains directeurs généraux d'intercommunalités rurales indiquent ne pas disposer de l'ingénierie suffisante pour répondre à des appels à projets et sont contraints, dans certains cas, à ne plus y répondre, renonçant de facto à bénéficier des fonds européens, alors même qu'ils y seraient éligibles . D'autres n'y répondent que si « le montant de l'aide versée est jugé suffisamment important. L'engagement nécessaire pour répondre est tel - notamment parce qu'il est parfois nécessaire de faire appel à un cabinet extérieur -, qu'il n'y a de rentabilité que si le montant obtenu est substantiel ». Dans d'autres cas, le projet, porté aussi bien par un acteur public que par un acteur privé, a été arrêté, la difficulté ou les délais étaient tels que cela prenait trop temps ou coûtait trop cher. C'est notamment le cas de projets en matière culturelle, ou encore d'un projet de maison médicale qui n'a pas abouti en raison des délais. Il en est de même pour un projet porté par une plateforme logistique de produits bio, en raison de sa cessation d'activité avant l'obtention des fonds.

Face à ce ressenti légitime des acteurs de terrain confrontés à la complexité des dossiers, au retard dans la mise en place des procédures et aux délais de paiement parfois longs, votre rapporteure a souhaité faire le point sur l'état de l'utilisation des fonds européens en France, pour chaque fonds et en comparaison avec les autres pays de l'Union européenne.


* 21 Question d'actualité au gouvernement n°0681G de Mme Maryse Carrère.

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