B. QUELLES CONSÉQUENCES EN MATIÈRE D'ORGANISATION ?

1. Une organisation moins efficace ?

Dans le cadre de son appréciation de la réforme « Ministère fort » en 2016, la Cour des comptes s'est interrogée sur l'affectation des deux tiers du corps de l'inspection du travail en dehors des UC, principalement au sein des pôles travail et emploi des DIRECCTE.

Il convient de relever que le PMDIT ne trouvait pas non plus grâce aux yeux de la Cour des comptes, pour qui la fusion des corps a eu pour conséquence la constitution de sections entièrement tournées vers l'agriculture sans pour autant que les objectifs définis à l'occasion de ce transfert ne soient in fine atteints. Les compétences techniques en matière de transports n'ont, quant à elles, pas été suffisamment diffusées. La Cour notait ainsi que les gains de productivité attendus n'ont pas été obtenus : l'augmentation des interventions enregistrée en 2010 étant inférieure à celle du nombre d'emplois.

Vos rapporteurs spéciaux rappellent, par ailleurs, les observations du CNIT lors du lancement de la réforme « Ministère fort ». Dans l'avis rendu à cette occasion, le Conseil a attiré l'attention du ministre du travail sur des « points de vigilance ». Parmi ceux-ci figure l'articulation des compétences et attributions entre les inspecteurs du travail, les responsables des unités de contrôle et les agents des unités régionales de contrôle. Le Conseil recommandait ainsi de mettre en oeuvre une procédure d'arbitrage, en veillant à respecter les principes d'indépendance et de libre décision 33 ( * ) .

2. La question des priorités

Vos rapporteurs spéciaux trouvent légitime l'affichage de priorités nationales, tant la réalité du monde du travail tend à dépasser la logique territoriale et implique des actions collectives, mieux coordonnées. Celles-ci ne doivent pas, pour autant, déboucher sur une politique du chiffre (cf infra ) compte-tenu, notamment, des incertitudes pesant sur la fiabilité des statistiques fournies. Elles ne doivent pas, non plus, aboutir à couper l'agent de contrôle de sa section d'inspection. Il semble impératif de lui permettre de conserver sa capacité à enquêter de manière individuelle mais aussi d'accompagner et de conseiller. Au-delà des réponses aux demandes de renseignement, il s'agit aussi de permettre à l'inspection du travail d'aller au-devant de celles-ci en se rendant disponible auprès des salariés issus de la nouvelle économie, « ubérisés » ou « invisibles ».

Vos rapporteurs spéciaux rappellent que les tâches liées à la mise en oeuvre du régime d'autorisation préalable (licenciement d'emploi protégés, suivi des ruptures conventionnelles...) peuvent représenter plus de 25 % de l'activité d'un inspecteur du travail, voire plus dans les régions dotées de nombreux sièges sociaux. Si l'on y ajoute les 50 % de temps de travail dédiés aux priorités nationales, la marge de manoeuvre individuelle est réduite.

Recommandation n° 16 : Concilier pilotage de l'activité de l'inspection du travail et préservation de la capacité d'initiative des agents de contrôle.

3. La question des moyens juridiques et matériels

L'accent mis sur les priorités nationales doit, de surcroît, être accompagné de moyens tant matériels que juridiques. Le cas est particulièrement patent en ce qui concerne la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs. Dans un rapport publié en février 2019, la Cour des comptes a ainsi relevé que les corps de contrôle ne disposaient pas encore totalement des outils leur permettant de cibler leurs recherches et de partager les fichiers pertinents 34 ( * ) . Elle insiste ainsi pour que soit mise en place une cartographie partagée des risques de fraude. La Cour note, par ailleurs, que les sanctions prononcées au niveau pénal sont peu nombreuses et peu dissuasives.

Les conclusions de la Cour des comptes sur les sanctions rejoignent les observations formulées par les représentants du personnel de l'inspection du travail auprès de vos rapporteurs spéciaux. La plupart constataient l'absence de portée, au plan pénal, de leurs contrôles, regrettant la faiblesse de leur implication dans les suites à donner au plan judiciaire. Vos rapporteurs spéciaux rappellent que le CNIT a indiqué, dans son avis sur la réforme dite « Ministère fort », que, concernant les possibilités de recours alternatives entre l'ordonnance pénale et la transaction pénale, les relations entre l'inspecteur du travail, le DIRECCTE et le procureur de la République devraient être définies selon des modalités préservant, d'une part, le principe de libre décision et, d'autre part, la nécessaire dissociation entre l'autorité chargée de relever les infractions et celle qui prononce les sanctions pénales 35 ( * ) . Cette méthodologie semble aujourd'hui faire défaut.

Vos rapporteurs spéciaux partagent de fait le constat de la Cour des comptes sur les sanctions. Ils estiment que l'absence de suites juridiques fragilise clairement la qualité des contrôles, leur efficacité et donc l'implication des agents de contrôle, notamment en matière de fraude au détachement. Par-delà, elle remet en cause les intentions des promoteurs des réformes entreprises depuis près de dix ans. Elle peut également éclairer le malaise social constaté au sein du service de l'inspection du travail.

Recommandation n° 6 : Opérer un rapprochement du service de l'inspection du travail avec les parquets, notamment en matière de fraude au détachement, afin de garantir un suivi de son action.

S'agissant de la question des moyens, vos rapporteurs spéciaux seront particulièrement vigilants quant à l'application de la circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale. Celle-ci ne saurait déboucher sur une mutualisation des moyens au sein des nouvelles unités départementales au détriment de l'action des inspecteurs du travail. Le cas du parc automobile de l'inspection du travail est notamment crucial. Il ne saurait être mis en commun avec celui des autres services économiques et sociaux rassemblés sous l'autorité du préfet de département, sous peine de brider la capacité d'intervention des agents de contrôle. Le ministère du travail a assuré à vos rapporteurs que des mesures seraient prises en ce sens.

Recommandation n° 5 : Veiller à ce que l'application de la circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État ne se traduise pas par une diminution des moyens affectés à l'inspection du travail.


* 33 Avis n° 13-0002

* 34 Cour des comptes, la lutte contre la fraude au travail détaché : un cadre juridique renforcé, des lacunes dans les sanctions, février 2019.

* 35 Avis n° 13-0002

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