INTRODUCTION DE MME JOSIANE COSTES,
RAPPORTEURE DE LA MISSION D'INFORMATION

Mesdames, Messieurs,

Le 3 octobre 2018, alors ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard faisait le constat suivant : « aujourd'hui 1 million de Français vivent à plus de 45 minutes d'un accès à l'autoroute, une gare TGV ou un aérodrome . 10 millions n'ont accès qu'à un seul de ces modes de déplacement . Cela signifie qu'ils sont assignés à résidence. Ce n'est pas acceptable » 1 ( * ) .

La montée des inégalités économiques et sociales entre les territoires , notamment le sentiment d'abandon géographique d'une partie de la population française, font de l'amélioration des mobilités territoriales un objectif essentiel pour le développement et le maintien de l'activité dans les zones enclavées , notamment par le transport aérien, lorsqu'elles se trouvent à l'écart des voies de communication à grande vitesse, qu'elles soient ferroviaires ou autoroutières.

Ces constats ont conduit le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) à formuler, le 9 avril 2019, en application du « droit de tirage » prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat, une demande de constitution de mission d'information sur le thème « Transports aériens et aménagement des territoires ». Après la nomination des 27 membres la composant lors de la séance publique du mardi 30 avril 2019, la mission s'est constituée le 14 mai 2019 pour définir son périmètre et son programme de travail.

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D'emblée la création de cette mission s'inscrivait dans la continuité d'une double actualité sénatoriale et gouvernementale.

S ur le plan sénatorial , la mission s'est constituée dans le prolongement de la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires déposée le 21 décembre 2018 par M. Jacques Mézard et les membres du groupe RDSE. Cette proposition visait à améliorer la qualité et l'accessibilité des moyens de transport dans les zones enclavées, notamment en matière de transports aériens, en prévoyant d'attribuer une compétence partagée entre les régions, les départements et les communes et de renforcer le contrôle des entreprises de transport aérien soumises à une obligation de service public . Ce texte a été adopté à une large majorité 2 ( * ) par le Sénat, le 20 février dernier, puis transmis à l'Assemblée nationale où son examen mériterait d'être poursuivi.

Au niveau gouvernemental , les « Assises du transport aérien », organisée de mars à octobre 2018, ont abouti en mars 2019 à la présentation d'une « Stratégie nationale du transport aérien 2025 » par Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports. Le Gouvernement y fixe quatre axes stratégiques : la transition écologique, la performance du transport aérien français, la connexion des territoires au trafic aérien et le transport aérien de demain. Parmi ces quatre axes, le troisième, « la connexion des territoires au trafic aérien », correspond au thème de la mission d'information demandée par le groupe RDSE. Certes, l'État a pris acte que le développement du TGV a réduit la part de l'avion sur les liaisons entre les métropoles et Paris mais il souligne que « l'aérien n'en demeure pas moins pertinent pour les liaisons internationales desservant Paris et les grandes métropoles nationales, les lignes transversales ou le développement touristique. Il permet, le cas échéant, le désenclavement de certains territoires. Pour les territoires ultra-marins, le transport aérien est également le garant de la continuité territoriale et un levier pour mieux connecter chacun de ces territoires à leur environnement régional ». Plus récemment, le Gouvernement a réaffirmé son soutien aux lignes d'aménagement du territoire dans le cadre du plan d'action en faveur des territoires ruraux 3 ( * ) .

Parallèlement, la mission a pris en compte un contexte nouveau plutôt défavorable au transport aérien sur le plan sociétal et législatif : « honte de prendre l'avion » ( flygskam en suédois), amendement à la loi d'orientation des mobilités prévoyant d'augmenter la taxe sur le kérosène et le taux de TVA sur les billets d'avion, proposition de loi visant à interdire les vols domestiques lorsqu'il est possible de prendre le train avec un temps de parcours supplémentaire inférieur à deux heures et demie.

Votre mission d'information a néanmoins insisté sur le rôle essentiel des transports aériens pour le désenclavement et le développement des territoires non desservis efficacement par le rail et par la route . Votre rapporteure a notamment été alertée sur le fait que les dessertes de plusieurs villes étaient menacées de suppression, notamment par la réorganisation du réseau des lignes commerciales régionales du groupe Air France (anciennement HOP !). Cette situation justifiait également de faire valoir la place des territoires, en régions mais aussi outre-mer, dans la Stratégie nationale du transport aérien .

Face au dénigrement systématique et médiatique de l'aérien, votre rapporteure a résolument pris le parti de considérer, de manière équilibrée, que le transport aérien régional restait pertinent lorsque d'autres moyens de transports ne lui sont pas substituables ou ne rendent pas un service comparable , sans ignorer pour autant les questions environnementales, avec des propositions concrètes tant sur la taxation du carbone que sur l'avenir d'une aviation régionale durable .

Le périmètre de travail de la mission s'est construit autour de questions concrètes :

- quel est l'état des lieux de la construction de stratégies interrégionales et infrarégionales de transport aérien entre l'État et les régions, et le cas échéant les départements et les EPCI ?

- comment s'assurer de la qualité des services aériens et d'accueil (fiabilité, régularité, ponctualité, etc .) auprès des entreprises de transport aérien qui exploitent des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public et auprès des plateformes aéroportuaires (notamment Paris-Orly) ?

- quel est le modèle économique des lignes d'aménagement des territoires en tenant compte des participations financières de toutes les parties prenantes (État, régions, départements et EPCI) ?

- quelles sont les implications environnementales des lignes d'aménagement du territoire et leur avenir ?

La mission d'information s'est ainsi intéressée au rôle méconnu du transport aérien pour désenclaver les zones isolées et pour relier les populations des territoires périphériques, en métropole et en outre-mer . Elle s'est plus particulièrement concentrée sur les lignes d'aménagement du territoire , tout en intégrant une réflexion plus large sur la gestion des aéroports et la transition écologique .

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La mission d'information a auditionné plus de 70 personnalités , dont la ministre chargée des transports. Elle a effectué trois déplacements à Quimper, Aurillac et Rodez pour rencontrer les acteurs locaux, expertiser plusieurs types de lignes d'aménagement du territoire et évaluer l'impact de ces liaisons sur le développement économique et touristique.

Elle a organisé trois tables rondes réunissant des compagnies aériennes régionales, des experts du transport aérien et des parlementaires ultramarins, députés et sénateurs, sur la continuité territoriale et la connectivité sur les bassins régionaux.

À la demande de votre mission d'information, la direction de l'initiative parlementaire et des délégations du Sénat a réalisé une étude de législation comparée sur le soutien au transport aérien comme instrument de désenclavement 4 ( * ) . Ciblée sur six pays dont trois membres de l'Union européenne, l'Italie, l'Espagne et la Suède, et trois pays se situant sur d'autres continents, le Canada, l'Australie et la Colombie, cette étude révèle les caractéristiques - les forces et faiblesses - des différents modèles et permet de mettre en exergue un certain nombre de bonnes pratiques.

Enfin, la mission a souhaité permettre à chacun de s'exprimer sur le sujet en organisant, entre le 14 juin et le 21 juillet 2019, une consultation en ligne sur la plateforme participative du Sénat, laquelle a recueilli 512 réponses et 180 contributions libres dont les résultats sont annexés au présent rapport 5 ( * ) .

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Au terme de ses travaux, la mission d'information formule 30 propositions concrètes, réparties en sept axes thématiques . Elles portent d'une part sur des recommandations législatives et réglementaires et d'autre part sur des préconisations de bonnes pratiques à l'attention de l'État et des collectivités territoriales qui y retrouveront, mises en lumière dans ce rapport, certaines de leurs actions prévues au sein de la Stratégie nationale du transport aérien 2025 ou de leurs stratégies régionales.

En proposant de renforcer le suivi de la Stratégie nationale , la mission en soutient donc les objectifs principaux : la connexion des territoires et le désenclavement des zones isolées . La mission propose également de conforter les lignes d'aménagement du territoire , d'améliorer leur qualité de service , d'optimiser la gestion des aéroports par les collectivités territoriales et d'encourager la connectivité aérienne régionale .

Sur ces 30 propositions, cinq d'entre-elles sont plus spécifiquement dédiées aux outre-mer (ajuster les aides aux passagers ultramarins et associer les outre-mer aux négociations sur les droits de trafic dans leur environnement régional). Enfin, cinq propositions visent à inscrire la desserte aérienne des territoires dans une trajectoire durable , notamment dans la perspective de la discussion du projet de loi de finances pour 2020, et à proposer une vision pour le transport aérien régional de demain .

Au final, votre rapporteure insiste sur la nécessité de réduire la fracture territoriale et se félicite que, par ce rapport, le Sénat participe à mieux orienter la contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires .


* 1 Discours d'ouverture du colloque Aéroports et territoires du 3 octobre 2018 organisé dans le cadre des Assises nationales du transport aérien.

* 2 La proposition de loi n° 234 (2018-2019) visant à faciliter le désenclavement des territoires a été adopté le 20 février 2019 par 305 votes pour (groupes LR, SOCR, UC, RDSE et RTLI) et 40 abstentions (groupes LREM et CRCE) et transmise à l'Assemblée nationale.

* 3 Présentation de l'« Agenda rural » par le Premier ministre le 20 septembre 2019 au congrès de l'association des maires ruraux de France à Eppe-Sauvage.

* 4 Cf . annexe 1.

* 5 Cf . annexe 2.

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