B. UNE INDEMNITÉ DE RÉSIDENCE À L'ÉTRANGER DONT LE CALCUL EST ILLISIBLE
1. Un calcul qui repose sur 242 grilles et 18 groupes
L'indemnité de résidence à l'étranger (IRE) , versée à l'ensemble des agents expatriés de l'État et des établissements publics administratifs, qu'ils soient titulaires ou contractuels, est destinée à « compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d'exercice de ces fonctions et aux conditions locales d'existence » (article 5 du décret n°67-290 du 28 mars 1967). Les IRE sont attribuées forfaitairement conformément aux dispositions du décret précité et des décrets d'application, propres à chaque administration.
Le montant de l'IRE servie à chaque agent est très variable dans la mesure où il est déterminé par le croisement de plusieurs critères , notamment :
- le niveau de difficulté de la zone dans laquelle il est affecté : zone A pour les postes très difficiles, B pour les postes moyennement difficiles ou C pour les autres postes. Une rémunération bonifiée, appelée « sur-vocation », s'ajoute à l'indemnité de résidence des agents de catégorie A et B exerçant dans les pays des zones A et B ;
- le lieu d'affectation : il existe 242 grilles correspondant aux pays et villes où la France est représentée, sachant qu'un même pays peut avoir plusieurs grilles pour tenir compte des disparités de conditions de vie, de coût de la vie et de logement au sein des différentes villes du pays. C'est le cas au Brésil, qui compte quatre grilles distinctes pour Brasilia, Rio de Janeiro, São Paulo et le reste du pays. Ces grilles sont élaborées sur la base des indices fournis par la société MERCER qui analyse les prix de 200 produits dans trois catégories de magasins dans 200 villes et qui évalue les conditions de vie à travers 39 critères (infrastructures, criminalité, environnement politique, conditions sanitaires, etc) ;
- l'emploi occupé par l'agent : le classement comporte 18 groupes 15 ( * ) allant des agents d'exécution aux postes d'encadrement ;
- le corps, le grade et l'échelon de l'agent .
Par ailleurs, lorsque deux agents sont conjoints (mariés, partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou concubins) et ont une résidence commune à l'étranger, leur IRE est respectivement réduite de 10 %.
Les modalités de rémunération
à l'étranger des fonctionnaires allemands :
La rémunération à l'étranger des agents de l'État allemands se caractérise par un système pluri-indemnitaire, qui diffère de l'indemnité de résidence à l'étranger française. Publiée et disponible sur internet, la rémunération à l'étranger des diplomates allemands fait l'objet d'une transparence totale vis-à-vis du Parlement mais également de l'opinion publique. |
Elle se compose : - d'une indemnité d'expatriation (IE) qui est versée à l'ensemble des agents expatriés de l'État et destinée à compenser les difficultés spéciales, matérielles et immatérielles affectant les conditions de vie des agents à l'étranger ainsi que les pertes de pouvoir d'achat résultant des conditions de vie à l'étranger. Elle fait l'objet d'une classification, déterminée en fonction du traitement de l'agent (15 groupes) et du lieu d'affectation (chaque lieu étant réparti dans 20 groupes, en fonction de leurs difficultés de vie). L'indemnité d'expatriation se compose des indemnités suivantes : ? indemnité compensant les frais liés à l'expatriation ; ? indemnité compensant le différentiel de qualité de vie entre les postes concernés et Berlin (difficulté de la langue, criminalité locale, etc...) ; ? indemnité mobilité (rotation entre l'administration centrale et l'étranger) ; ? supplément familial, destiné à compenser la perte d'emploi du conjoint. L'IE n'est pas fixe et varie au cours de l'année en fonction de deux mécanismes : ? le mécanisme mensuel de maintien du pouvoir d'achat ; ? l'exercice de reclassement annuel des postes. - d'une indemnité de logement , qui est ajustée, à la différence de l'IRE française, en fonction de la composition de la famille ; - de majorations familiales , qui ne sont attribuées à l'agent que lorsque l'enfant à charge l'accompagne à l'étranger, à l'inverse des majorations familiales françaises. Elles se composent des frais de scolarité et des frais périscolaires - non inclus dans les majorations familiales françaises - en fonction de la situation individuelle des agents, qui sont remboursés aux frais réels ; - d'une prime exceptionnelle de risque , plafonnée à 700 euros par mois et versée en cas de crise exceptionnelle ; - des frais de représentation . Les agents doivent justifier, à travers la présentation des factures, d'au moins 50 % de leurs frais. Source : réponses du ministère de l'Europe et des affaires étrangères |
L'existence, dans le système français, de 18 groupes d'IRE pour chaque pays est à l'origine d'une dispersion importante des montants d'IRE versés, en fonction de l'emploi occupé par l'agent . Si dans la pratique seuls 12 groupes sont utilisés, les agents de catégorie C appartiennent tous aux groupes 10 à 12 et se situent par conséquent sous le groupe pivot que constitue le groupe 9 et à partir duquel les arbitrages annuels sur les montants d'IRE sont faits 16 ( * ) .
Répartition des agents de catégorie C entre les groupes d'IRE
Groupe 10 |
Groupe 11 |
Groupe 12 |
1,5 % |
42,7 % |
55,6 % |
Note de lecture : groupe 10 : responsables de secteur consulaire, responsables SGA et régisseurs ; groupe 11 : secrétaires de chefs de postes, agents visas, agents ressources et intendants ; groupe 12 : agents consulaires, gestionnaires comptables, administratifs et techniques, courrier, archives, secrétaires.
Source : commission des finances du Sénat d'après les données du MEAE
Par conséquent et à l'aune des constats que vos rapporteurs spéciaux ont faits sur la dispersion des salaires à l'étranger ( cf. supra ), ils appellent de leurs voeux la réduction de la dispersion des montants d'IRE entre catégories d'agents en réduisant le nombre de groupes utilisés et en faisant remonter les agents de catégorie C des derniers groupes vers des groupes plus élevés. Afin que cette mesure de réduction du nombre de groupes ne se traduise pas par une augmentation de la masse salariale , vos rapporteurs spéciaux recommandent, dans la lignée de la proposition faite par le MEAE à la direction du budget, de faire disparaître le mécanisme de « sur-vocation » , qui permet aux agents de catégories A et B affectés dans les zones difficiles d'avoir une rémunération bonifiée 17 ( * ) .
Recommandation n°2 : réduire le nombre de groupes d'IRE en faisant par exemple remonter les agents de catégorie C appartenant au dernier groupe vers un groupe plus favorable et gager cette réforme par la suppression du dispositif de « sur-vocation » des agents de catégorie A et B. |
2. Une indemnité qui varie régulièrement
L'IRE n'est pas fixe et varie au cours de l'année en fonction de deux mécanismes :
- l'ajustement trimestriel du change-prix (1 er janvier, 1 er avril, 1 er juillet, 1 er octobre) vise à maintenir constant le pouvoir d'achat des personnels expatriés. L'IRE varie selon deux critères : l'évolution des taux de change entre euro et monnaies locales et l'évolution du coût de la vie dans le pays de résidence, rapportée à l'inflation observée en France sur la même période. Dans le cas d'une inflation ou d'une appréciation de la monnaie dans le pays par rapport à l'euro, les conséquences sur la masse salariale sont négatives puisque les dépenses de personnel exécutées en euros augmentent et le MEAE doit alors supporter un surcoût. À l'inverse, en cas de déflation ou de dépréciation de la monnaie locale par rapport à l'euro, les retombées financières sont positives puisque la masse salariale baisse. Chaque trimestre, un arrêté cosigné avec la direction du budget modifie les montants des IRE à la hausse ou à la baisse ;
- l'exercice de reclassement annuel ( au 1 er janvier) vise à assurer la cohérence du classement des montants d'IRE entre chaque pays . Dans le cadre de cet exercice interministériel auquel sont conviés les principaux ministères concernés 18 ( * ) , les montants d'IRE sont révisés à la hausse ou à la baisse en fonction de l'évolution de trois critères : conditions de vie (y compris insécurité), coût de la vie et coût du logement . Cet exercice est mené à partir d'une enquête réalisée par un cabinet international spécialisé en matière d'expatriation (société MERCER). Il est également mené en concertation avec les ambassades sur la base d'un appel à contribution, en particulier pour fournir des informations complémentaires sur le coût du logement et tenir compte des problématiques sécuritaires pouvant s'imposer à des représentants de l'État français. Il est opéré à coût nul, des baisses devant compenser toute mesure de hausse.
L'exercice de reclassement annuel ne repose donc pas uniquement sur l'application d'une formule de calcul à partir des indices évalués par la société MERCER mais également sur l'appréciation collégiale du niveau de l'IRE par zone géographique et par pays.
*
Vos rapporteurs spéciaux, au gré des entretiens menés, ont constaté l'illisibilité du mode de fixation du montant de l'IRE. L'application de la formule de calcul à 240 grilles de pays, modulée ensuite en fonction du groupe d'appartenance de l'agent au sein des 18 groupes existants, rend d'emblée le montant de l'indemnité très peu compréhensible. Les ajustements réalisés lors de l'exercice de reclassement annuel au sein d'une réunion réunissant les principaux directeurs rendent le mécanisme d'autant plus illisible, ces ajustements ne répondant pas à l'application mécanique de critères, mais à des appréciations personnelles . Les nombreux entretiens menés avec des agents du ministère ont montré que le mode de fixation du montant des IRE n'était que très vaguement connu et que ses variations étaient très mal comprises, d'où une perte de légitimité du mécanisme. Vos rapporteurs spéciaux jugent par conséquent nécessaire de rendre la méthode de calcul plus accessible et de faire un effort de transparence auprès des agents pour leur expliquer les variations individuelles.
Recommandation n°3 : rendre la méthode de calcul de l'IRE plus transparente et mieux expliquer les évolutions individuelles de celle-ci en adressant chaque année à chaque secrétaire général d'ambassade une fiche explicitant les évolutions d'IRE pour son poste. |
* 15 Arrêté du 26 juillet 2011 fixant la liste des groupes d'indemnité de résidence et modifiant les montants de l'indemnité de résidence en application du décret du 28 mars 1967.
* 16 Cf. infra.
* 17 En avril 2019, 284 agents étaient concernés par la « sur-vocation ».
* 18 MEAE (directions géographiques, Inspection générale, DRH, secrétariats de programmes, services chargés des affaires immobilières et de la sécurité des postes) ; ministère des Armées, ministère de l'Intérieur, ministère de l'Économie.