C. L'OLAF NE S'EST PAS NON PLUS IMPOSÉ COMME VÉRITABLE CHEF D'ORCHESTRE

La stratégie antifraude de l'Union européenne de 2011 prévoyait que l'OLAF joue « un rôle proactif et renforcé » et qu'il assiste les services de la Commission européenne « en leur fournissant notamment une méthodologie et des orientations pour l'élaboration et la mise en oeuvre des stratégies antifraude sectorielles » 22 ( * ) . Seul organe doté de pouvoirs d'enquête au niveau de l'Union européenne, l'OLAF constitue la principale entité compétente en matière de protection des intérêts financiers de l'Union européenne.

Néanmoins, dès sa création, l'efficacité de l'action de l'OLAF a été questionnée en raison de son positionnement institutionnel qui ne lui accorde pas de réelles garanties d'indépendance , et de l'absence de compétences judiciaires , renvoyant ainsi aux États membres la responsabilité de prononcer une sanction pénale appropriée.

En effet, si l'OLAF est indépendant dans la sélection des dossiers pour lesquels il souhaite conduire une enquête administrative, il dépend fonctionnellement de la direction générale du budget de la Commission européenne .

Votre rapporteur spécial a constaté qu'en dépit de l'augmentation de l'activité de l'OLAF, ses effectifs ont baissé au cours des dernières années. Les nombre de signalements reçus et d'enquêtes ouvertes depuis 2009, ont augmenté de près de 35 %. De la même façon, le nombre de recommandations financières annuel est passé de 194 en 2009 à 309 en 2017, soit une hausse de près de 60 %. Dans le même temps, les effectifs ont été réduits de 7 % entre 2009 et 2017, pour s'établir à 405 agents 23 ( * ) .

De plus, les enquêtes conduites par l'OLAF ne ciblent pas en priorité les principaux gisements potentiels de la fraude aux fonds européens . Ainsi, à la fin de l'année 2017, 38 % des enquêtes en cours portaient sur des soupçons de fraude de la part de fonctionnaires et agents de l'Union européenne (18 %), ou sur des dépenses gérées en direct par les services de la Commission européenne (20 %) 24 ( * ) .

Si votre rapporteur spécial salue cette recherche d'exemplarité des institutions européennes, et reconnaît son efficacité en la matière, il regrette toutefois que les priorités de l'OLAF ne reflètent pas l'importance relative de chaque domaine de dépenses du budget de l'Union européenne .

Votre rapporteur spécial estime également que l'OLAF ne peut, faute de moyens suffisants, assumer pleinement son rôle de stratège en matière de lutte contre la fraude , et se concentre essentiellement sur la conduite opérationnelle des enquêtes.

Outre son positionnement institutionnel délicat, l'OLAF est critiqué pour la longueur de ses procédures , la durée moyenne des dossiers clôturés s'élevant en 2017 à près de 24 mois . Lors de la clôture, les dossiers donnent lieu, le cas échéant, à des recommandations financières, disciplinaires et/ou judiciaires, dont la portée est toutefois limitée.

Concernant les recommandations financières, le recouvrement des fonds revient aux directions générales de la Commission européenne compétentes, ou aux États membres lorsque les recommandations financières leur sont directement adressées. La Cour des comptes européenne 25 ( * ) a estimé que l'OLAF avait recommandé, entre 2012 et 2016, le recouvrement de 1,9 milliard d'euros aux directions générales chargées de l'exécution des dépenses. Fin 2018, les directions générales n'avaient procédé au recouvrement de ce montant qu'à hauteur de 13 %, soit 243 millions d'euros .

Ce faible taux de recouvrement résulterait des difficultés à engager des procédures auprès des États membres dans le cadre de la gestion partagée. Toutefois, la Cour des comptes européenne a relevé des disparités dans la diligence du suivi du recouvrement par les directions générales. Par exemple, la direction générale en charge de l'agriculture « considère que son rôle consiste à superviser l'exercice de recouvrement, qui relève entièrement de la responsabilité de l'État membre concerné » 26 ( * ) .

Concernant les recommandations judiciaires adressées aux autorités nationales des États membres, moins de la moitié d'entre elles sont aujourd'hui suivies d'une mise en accusation (42 %) .

À ce titre, votre rapporteur spécial a interrogé le ministère de la justice. Ce dernier lui a indiqué qu'entre 2010 et 2017, la France a reçu 17 recommandations judiciaires de l'OLAF, dont seulement 5 ont fait l'objet de poursuites. Toutefois, le ministère n'a pas été en mesure de préciser le préjudice financier moyen, les motifs de classement sans suite, ni les condamnations effectives, ce qui témoigne d'un manque de suivi de ces dossiers.

Ce constat illustre la faiblesse de la coopération entre l'OLAF et les autorités judiciaires des États membres . Le classement sans suite des recommandations judiciaires de l'OLAF se fonde, entre autres, sur la validité des éléments de preuve versés au dossier l'OLAF dans le cadre d'une procédure judiciaire nationale. En effet, le droit national en termes de garanties procédurales peut comporter des exigences supérieures à celles appliquées par l'OLAF. En France, la Cour de cassation a considéré que, dès lors qu'ils étaient versés à la procédure pénale française, les actes des enquêteurs de l'OLAF étaient susceptibles d'être annulés s'ils violaient des droits fondamentaux 27 ( * ) . La collecte de preuves valides requiert ainsi la conduite d'une enquête pénale par l'État membre, à la suite de l'enquête administrative de l'OLAF, ce qui proroge d'autant plus le délai de clôture du dossier et de recouvrement.


* 22 COM (2011) 376

* 23 Rapport d'activité de l'OLAF pour 2017.

* 24 Idem.

* 25 Rapport de la Cour des comptes européenne n°01/2019, « Dépenses financées par l'UE : des mesures s'imposent pour lutter contre la fraude », janvier 2019, §107.

* 26 Idem, §113.

* 27 Cass. Crim., 9 décembre 2015, n° 15-82.300, d'après la réponse de la direction des affaires criminelles et des grâces au questionnaire écrit du rapporteur spécial.

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