B. LES LOURDES INCERTITUDES QUI PÈSENT SUR LA TRAJECTOIRE DES COMPTES SOCIAUX DÈS 2019

Si le tableau de l'année 2018 apparaît donc relativement flatteur, en tout cas un peu meilleur que les prévisions initiales, il est très probable que l'année 2019 marque une rupture dans le chemin du retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, dont cette année devait précisément marquer une étape décisive avec le retour dans le vert du solde du régime général et du FSV. A plus long terme, l'objectif de l'extinction complète de la dette de la sécurité sociale d'ici à 2024 pourrait sembler remis en question.

1. Une croissance ralentie

Comme cela a été décrit précédemment, le retour à meilleure fortune des comptes de la sécurité sociale (et même des ASSO dans leur ensemble) a été tiré en 2018, comme les années précédentes d'ailleurs, par un fort dynamisme des recettes.

Du fait de leur nature, ces recettes sont très sensibles à la conjoncture économique et sont fortement liées, en particulier, à l'évolution de la masse salariale. Ainsi, selon des données de la DSS, l'impact d'une hausse de 1 % de la masse salariale du secteur privé s'élève à 2 milliards d'euros pour le seul régime général 6 ( * ) .

Or, tandis que la LFSS pour 2019 s'appuyait sur l'hypothèse d'une croissance de la masse salariale de 3,5 % en 2019, les prévisions actualisées tablent désormais sur une progression de « seulement » 3,1 %, dont 0,2 % lié à l'effet de la prime exceptionnelle totalement exonérée d'un point de vue fiscal et social - soit une hausse de 2,9 % de la masse salariale finançant les organismes de sécurité sociale.

Cette révision pourrait donc se traduire par un manque à gagner de l'ordre de 1,2 milliard d'euros pour le régime général .

Ce ralentissement est le principal facteur qui a amené la commission des comptes de la sécurité sociale à prévoir un creusement du déficit consolidé du régime général et du FSV, à -1,7 milliard d'euros en 2019 au lieu de - 1,2 milliard en 2018, alors même que le Parlement a adopté à l'automne dernier un solde positif de 0,1 milliard d'euros. Le symbole fort du retour à l'équilibre ne sera donc pas atteint cette année.

2. Le financement des mesures d'urgence économiques et sociales

Cette dégradation des comptes pourrait être encore renforcée (et même fortement) par les mesures d'urgence économiques et sociales adoptées dans le cadre de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018, dans le droit fil du discours du Président de la République du 10 décembre en réponse au mouvement des « gilets jaunes ».

Le rapporteur général, rapporteur de ce texte, a détaillé l'impact financier des différentes mesures qui y figurent au sein du rapport qu'il lui a consacré 7 ( * ) .

S'agissant des comptes de la sécurité sociale, cet impact s'élève en 2019 à 2,7 milliards d'euros, se répartissant pour moitié entre :

- un effet ponctuel lié à l'anticipation au 1 er janvier 2019 (au lieu du 1 er septembre) de l'exonération de cotisations et contributions sociales des rémunérations dues au titre des heures supplémentaires 8 ( * ) ;

- et un effet pérenne , lié au rétablissement du taux de CSG de 6,6 % aux pensions de retraite dont les titulaires ne dépassent pas un certain seuil de revenu .

Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause la légitimité de ces mesures, que le Sénat a d'ailleurs votées, suivant en cela la recommandation de sa commission des affaires sociales.

Mais la question de leur compensation ou non à la sécurité sociale n'est pas tranchée à ce jour. Or, en l'absence d'une telle compensation, le déficit du régime général et du FSV atteindrait 4,4 milliards d'euros en 2019, effaçant ainsi presque le gain de l'année 2018 .

Évolution du solde du régime général et du FSV entre 2017 et 2019

Source : Commission des affaires sociales, d'après LFSS pour 2019 et CCSS

3. L'insoutenable légèreté de la dette sociale

Cette correction de la trajectoire financière de la sécurité sociale ne sera évidemment pas sans conséquence sur l'apurement de la dette sociale . Ce n'est pas la fin de la Cades à l'échéance prévue de 2024 qui est en cause : les dispositions organiques en vigueur la prémunissent contre tout nouveau transfert de dettes non accompagné des ressources lui permettant de la solder avant son extinction 9 ( * ) . Mais plutôt l'existence à long terme de déficits cumulés des différentes branches de la sécurité sociale, logés au sein de l'Acoss et constituant une dette larvée à financer constamment à très court terme, comme un découvert de trésorerie.

Le rapporteur général a déjà montré 10 ( * ) que, même dans l'hypothèse où la trajectoire financière optimiste des comptes sociaux entre 2019 et 2022 était respectée, l'extinction de la dette portée par l'Acoss risquait de ne pouvoir être atteinte à horizon prévisible.

Il va de soi qu'une dégradation significative de cette trajectoire compliquerait encore l'atteinte de cet objectif . D'autant qu' un maintien dans le rouge du solde du régime général et du FSV entre 2020 et 2022 interdirait , d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel 11 ( * ) , le transfert prévu à cette date de quelque 15 milliards d'euros de déficits cumulés de l'Acoss à la Cades .

En effet, le transfert concomitant d'une fraction de CSG à la Cades afin de lui permettre d'apurer cette date en 2024 au plus tard dégraderait alors les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, ce que ne permet précisément pas la jurisprudence constitutionnelle.

Dans cette perspective, il est inquiétant d'entendre certains interlocuteurs de la commission des affaires sociales souligner que les conditions de marché actuelles permettent de lever de la dette publique française très facilement, parfois même à des taux négatifs, d'où il faudrait déduire qu'un accroissement de la dette de la sécurité sociale ne serait pas grave.

C'est ce qu'au moment de l'éclatement de la crise financière de 2008, Philippe Marini, alors rapporteur général de la commission des finances, avait joliment appelé « l'insoutenable légèreté de la dette » : légèreté car les conditions de marché permettent bel et bien à court terme d'augmenter la dette avec facilité et dans des conditions financières avantageuses ; mais insoutenable car, un jour ou l'autre, ces conditions se retourneront et qu'il vaudrait mieux que les administrations publiques aient d'ici là, sérieusement réduit (voire annulé dans le cas de la sécurité sociale) leur exposition à ce risque.

4. Retraites et dépendance : un horizon toujours incertain

Enfin, à l'heure où ces lignes sont écrites, les modalités précises de la réforme des retraites et du financement du risque de dépendance ne sont toujours pas connues.

Il va de soi qu'au vu des sommes en jeu, ces réformes peuvent peser de manière significative sur la trajectoire des comptes sociaux à moyen et long termes.

Il conviendra donc de veiller, le jour venu, à ce que ces réformes n'aboutissent pas à une dégradation des comptes de la sécurité sociale susceptible de creuser un nouveau « trou », notamment après l'extinction de la Cades.


* 6 Dans le détail, le gain est de 830 millions d'euros pour la branche maladie, 120 millions pour la branche AT-MP, 780 millions pour la branche vieillesse et 260 millions pour la branche famille.

* 7 Rapport Sénat n° 232 (2018-2019).

* 8 En outre, ces rémunérations seront également exonérées d'impôt sur le revenu, ce qui représente un coût pour l'Etat de 1,1 milliard d'euros.

* 9 Article 4 bis de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

* 10 Cf. rapport Sénat n° 111 (2018-2019), Tome I et Tome II (commentaire de l'article 26).

* 11 Décision du Conseil constitutionnel n° 2010-620 DC du 16 décembre 2010, considérant n° 6.

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