EXAMEN EN COMMISSION
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M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'ai été chargé il y a un an, par notre commission, de ce rapport sur la thanatopraxie, sujet austère mais extrêmement important. Le droit funéraire est pour moi un long combat.
En 1991, secrétaire d'État aux collectivités territoriales, j'ai trouvé sur mon bureau une mission sur les pompes funèbres. Trois premiers ministres m'ont fait confiance, et en janvier 1993, cela a abouti à une loi mettant fin au monopole existant en redéfinissant le service extérieur des pompes funèbres auparavant exercé par les seules communes. Cette mission de service public peut désormais non seulement être exercée par les communes, mais aussi par des entreprises ou des sociétés d'économie mixte, par exemple. Au Sénat, j'ai présenté plusieurs propositions de loi sur les contrats obsèques dont certaines ont été adoptées. Il y a quelques semaines, le ministre des finances m'a indiqué que la loi n'était pas appliquée dans 67 % des contrats - une proportion très importante ! Dans un autre domaine, j'ai oeuvré pour que la loi impose au praticien ayant procédé à une autopsie judiciaire de s'assurer de la meilleure restauration possible du corps avant sa remise aux proches du défunt. Cela est prévu à l'article 230-29 du code de procédure pénale depuis la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Avec notre ancien collègue Jean-René Lecerf, nous avons publié un rapport en 2006 sur la législation funéraire qui formulait 27 recommandations, dont de nombreuses ont ensuite été reprises dans la loi du 19 décembre 2008 sur la législation funéraire, qui a notamment donné un statut aux cendres des personnes décédées et créé les devis modèles.
Depuis 26 ans, je n'ai qu'un seul objectif : soutenir les familles endeuillées, qui doivent prendre de nombreuses décisions en vingt-quatre heures et qui doivent être protégées, grâce à la transparence des prix établis par les professionnels, la définition des prestations et l'application de principes déontologiques. Le texte de loi adopté à l'initiative du Sénat a d'ailleurs donné lieu à plusieurs décisions de justice : les restes humains doivent être traités avec respect, dignité et décence. Même si ce sujet n'est pas gai, il concerne malheureusement toutes les familles.
Je ne m'étais encore jamais penché sur le sujet de la thanatopraxie, pratiquée pour près de 40 % des obsèques. J'ai entendu au cours de mes travaux 84 personnes et je vous présente 58 propositions afin de définir un cadre plus rigoureux pour l'avenir de la thanatopraxie.
Le premier axe de ces propositions vise à faire de la protection des familles une priorité.
Parmi elles, la proposition n° 7 vise à renforcer la portée du document d'information sur la thanatopraxie mis à disposition des familles ; elle rend obligatoire sa transmission avec le devis remis à la famille ; elle prévoit de l'annexer aux devis modèles, obligatoires depuis 2008, déposés dans certaines communes selon l'arrêté du 23 août 2010 portant définition de ces devis modèles, et elle étend sa mise à disposition aux chambres mortuaires.
En effet, la plupart du temps, les familles ne connaissent pas la thanatopraxie ; elles ne la distinguent pas d'une simple toilette funéraire ou mortuaire, ou des soins de présentation cosmétique. Or, la thanatopraxie est un acte invasif qui a pour objet de retarder, par l'injection de produits chimiques, le processus de dégradation du corps qui intervient après la mort. Le prix de ces prestations n'est pas le même. Normalement, tous les opérateurs funéraires doivent, chaque année, transmettre aux communes de plus de 5 000 habitants du département où ils ont leur siège social, un devis modèle, comportant une liste de prestations, avec un engagement de prix pour chaque prestation. Sous la responsabilité des maires, ils sont mis à disposition du public pour que chaque famille puisse les comparer rapidement.
Or, l'arrêté ne définit pas les prestations, ce qui peut entraîner une confusion entre la thanatopraxie et les autres prestations. Il faudrait donc inscrire les trois rubriques - toilette funéraire, soins de présentation et soins de conservation, c'est-à-dire la thanatopraxie - dans les devis modèles (proposition n° 8). La toilette funéraire est la plus simple et la moins onéreuse ; les soins de présentation, qui reviennent souvent au maquillage du visage et des mains, coûte autour de 80 euros. La thanatopraxie coûte entre 300 et 500 euros. Il est important que les familles soient informées et choisissent en toute connaissance de cause les soins apportés au défunt.
La proposition n° 9 prévoit de formaliser le consentement à la thanatopraxie ou aux soins de présentation dans les contrats prévoyant des prestations d'obsèques à l'avance. Près de 67 % des contrats ne sont pas conformes à la loi. En outre, je rappelle qu'il est possible de prélever 5 000 euros sur l'héritage du défunt pour financer ses obsèques, ce qui rend souvent inutile la signature d'un contrat obsèques. Par ailleurs, tout contrat ne comprenant pas une description détaillée et personnalisée des obsèques est nul et non avenu, conformément à l'article L. 2223-34-1 du code général des collectivités territoriales.
Il faut aussi renforcer les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (proposition n° 10) et sanctionner davantage, sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses, les opérateurs funéraires qui imposent des soins de conservation, alors qu'il s'agit d'une prestation optionnelle ; qui facturent une toilette funéraire et/ou des soins de présentation lorsqu'il y a déjà été procédé par le personnel des chambres mortuaires dans les hôpitaux ; qui facturent des soins sans que leur nature - toilette funéraire, soins de présentation, soins de conservation ou thanatopraxie - soit définie ; ou qui facturent des soins de conservation et des soins de présentation lorsqu'un thanatopracteur intervient alors que ce dernier effectue obligatoirement l'ensemble de ces prestations. Ces nombreuses imprécisions se traduisent sur la facture...
La proposition n° 11 concerne l'explantation de certains dispositifs médicaux : avant une crémation, il faut retirer du corps les prothèses fonctionnant au moyen d'une pile pour éviter les dommages sur les appareils de crémation. Les textes, modifiés récemment, ne sont pas suffisamment clairs sur les responsabilités respectives des médecins et des thanatopracteurs à qui incombent ces explantations. Prévoyons formellement qu'un infirmier puisse y procéder sur délégation des médecins comme cela se fait en pratique. Dans ce cas, il faut prévoir une rétribution propre pour les médecins et les infirmiers. Telles sont les principales propositions pour mieux protéger les familles.
Une deuxième série de propositions vise à mieux prévenir les risques associés à la thanatopraxie en sécurisant les conditions d'intervention des thanatopracteurs. Il s'agit d'abord d'imposer le respect de précautions universelles standard, quel que soit le lieu d'exercice de la thanatopraxie (proposition n° 12). Le thanatopracteur doit porter une tenue de protection, des gants, utiliser du matériel à usage unique, et suivre une conduite précise, comme en milieu médical, en cas d'exposition accidentelle au sang. Les déchets résultant de l'activité de thanatopraxie, qui sont des déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI), doivent aussi être traités avec la plus grande attention, et conformément aux règles strictes prévues par la réglementation.
La proposition n° 13 prévoit d'assurer le respect par les thanatopracteurs en formation ou en exercice de leur obligation de vaccination contre l'hépatite B par une meilleure information et un contrôle effectif des préfectures. Il faut aussi rappeler aux thanatopracteurs leur obligation d'être vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite en application de l'arrêté du 15 mars 1991, et revoir la rédaction de cet arrêté pour viser clairement les opérateurs funéraires et les thanatopracteurs (proposition n° 14).
Nous demandons aussi de clarifier la rédaction de l'article R. 1335-2 du code de la santé publique sur le régime de responsabilité des producteurs de déchets d'activités de soins à risque infectieux (DASRI) pour prendre explicitement en compte les professionnels assimilés à des professionnels de santé qui produisent de tels déchets, dont les thanatopracteurs (proposition n° 15), et de définir une doctrine de contrôle des agences régionales de santé (ARS) sur le respect de l'élimination des DASRI par les thanatopracteurs et mener les contrôles ciblés (proposition n° 16). Il faudrait d'ailleurs inclure la transmission des pièces attestant de la traçabilité des DASRI parmi les critères de renouvellement de l'habilitation des thanatopracteurs (proposition n° 17).
Nous devons garantir aux thanatopracteurs des outils efficaces
de prévention des risques. Cela passe notamment par l'installation d'un
système de captation de l'air à la source dans les chambres
mortuaires et funéraires, avec évacuation extérieure de
l'air pollué (proposition n° 20)
- cela n'existe
pas toujours. Il faut mobiliser l'inspection du travail, en lien avec les ARS,
pour mener à bien des campagnes de contrôle des chambres
mortuaires et funéraires (proposition n° 21), et
contraindre les propriétaires de ces chambres qui ne sont pas les
employeurs des thanatopracteurs à se conformer aux mesures de
prévention des risques chimiques et infectieux
(proposition n° 22).
Autre sujet important : le thanatopracteur à domicile. Je suggère de faire un bilan, en 2021, du respect des règles imposées pour la thanatopraxie à domicile, (proposition n° 24). L'arrêté du 10 mai 2017 fixe tellement de conditions, en contrepartie du maintien de cette pratique courante en milieu rural, qu'il est quasiment impossible de toutes les respecter... Il faudrait avoir un domicile adapté ! Soyons pragmatiques, et décidons alors, après analyse, de maintenir ou non cette autorisation.
Il faudrait aussi mettre plus largement à profit les dispositions de l'article L. 2223-39 du code général des collectivités territoriales permettant à une chambre mortuaire d'accueillir le corps de personnes décédées hors de l'établissement de santé gestionnaire de ladite chambre (proposition n° 25), cela permettrait au moins à la famille d'avoir le choix entre une chambre mortuaire ou funéraire. Nous devrions aussi permettre la transmission au thanatopracteur par voie dématérialisée du volet administratif du certificat de décès, dans le cadre de la mise en place du certificat de décès électronique (proposition n° 26), ce qui faciliterait son activité : il doit en effet vérifier qu'il n'y a pas de contestation médico-légale à la thanatopraxie. Je pense aussi indispensable de créer des modalités ad hoc de suivi médical pour les thanatopracteurs indépendants qui ne sont pas couverts par la médecine du travail, en identifiant des médecins généralistes référents par région et en imposant aux thanatopracteurs de les consulter au moins une fois par an (proposition n° 29). Ce d'autant que la thanatopraxie peut être pratiquée sur des personnes porteuses du VIH ou de l'hépatite B.
La proposition n° 29 concerne le formol, formaldéhyde de son nom complet, seul produit efficace actuellement, mais qui comporte de nombreux dangers pour la santé humaine et l'environnement. Des produits alternatifs ont été mis sur le marché mais ils n'ont, semble-t-il, pas la même efficacité. Il est absolument nécessaire de lancer un programme public de recherche sur ce sujet.
Une troisième série de propositions vise à renforcer le pilotage des pouvoirs publics sur l'activité de thanatopraxie.
L'habilitation est actuellement renouvelée quasiment automatiquement. Cela mérite réflexion, car dans certains cas, il faudrait pouvoir refuser ce renouvellement.
Revoyons les logiques d'habilitation en y adjoignant des contrôles inopinés (proposition n° 30), et sanctionnons davantage les opérateurs funéraires par le retrait ou la suspension de leur habilitation, lorsqu'ils ne respectent pas leurs obligations légales et poursuivons pénalement ceux qui proposent des prestations de thanatopraxie sans y être habilités (proposition n° 31). Il est aussi nécessaire de mettre en oeuvre le référentiel dématérialisé des opérateurs funéraires (ROF) comprenant des indicateurs quantitatifs et qualitatifs (proposition n° 32) et de créer un fichier national des thanatopracteurs pour assurer le suivi de la profession (proposition n° 34).
Actuellement, trois ministères - de l'intérieur, de la santé et du travail - sont compétents pour le contrôle et la régulation de la thanatopraxie. Confions au ministère en charge du secteur funéraire, en général le ministère de l'intérieur ou des collectivités territoriales, le rôle de « chef de file » pour la supervision de l'activité et de la profession (proposition n° 35), avec l'appui des ministères de la santé et du travail (proposition n° 36) pour l'exercice de leurs compétences respectives, et modifions la composition du Conseil national des opérations funéraires (CNOF) pour y intégrer des représentants du ministère du travail (proposition n° 38).
Une quatrième et dernière série de propositions vise à mettre fin aux dysfonctionnements dans l'accès à la profession de thanatopracteur et à mieux l'accompagner dans l'exercice de son métier.
Confions l'organisation du diplôme national de thanatopracteur au ministère chef de file en charge du secteur funéraire, avec l'appui des ministères de la santé et du travail (proposition n° 39). La formation au diplôme comprend deux volets : l'un est théorique, l'autre est pratique. L'organisation de l'évaluation de la formation pratique est assurée par le Comité national d'évaluation de la formation pratique des thanatopracteurs (CNT), association privée qui regroupe les représentants de sept écoles privées et deux formations publiques intégrées à l'université. Je propose de substituer au CNT un dispositif à caractère public pour l'organisation de l'évaluation de la formation pratique au diplôme national de thanatopracteur (proposition n° 40) - ce qui pourra susciter des oppositions... Je préconise également de revoir le processus d'élaboration des sujets des épreuves théoriques en confiant au président du jury national la détermination de leur contenu en totale indépendance par rapport aux organismes de formation (proposition n° 41), ainsi que de prévoir des critères éliminatoires relatifs aux gestes techniques de la thanatopraxie pour l'évaluation de la formation pratique (proposition n° 42).
Autre enjeu primordial à mon sens : il faut garantir l'impartialité et l'indépendance des évaluateurs de la formation pratique en proscrivant l'évaluation d'un candidat par son propre formateur ; en prévoyant la présence d'un évaluateur membre du jury national pour chaque candidat ; en organisant des modalités de déport en cas de lien personnel ou professionnel entre un candidat et un évaluateur ; en rendant publique la liste des évaluateurs désignés par voie d'arrêté ministériel et en organisant les évaluations sur le territoire de façon à limiter les conflits d'intérêts (proposition n° 43). Un meilleur défraiement des évaluateurs permettrait de faciliter la mise en oeuvre de ces mesures. Les membres du jury et les évaluateurs de la formation pratique doivent être formés à leurs fonctions (proposition n° 44) et le jury devrait publier, chaque année, un rapport présentant un bilan quantitatif et qualitatif de l'attribution du diplôme national de thanatopracteur (proposition n° 45) - comme cela se fait pour la plupart des concours ou examens organisés par les pouvoirs publics.
Le calendrier d'organisation du concours pourrait être rationalisé afin de délivrer le diplôme dans un meilleur délai qu'aujourd'hui (proposition n° 47), et le numerus clausus relevé de 10 à 15 % pour diversifier l'offre de thanatopracteurs sur le territoire.
S'agissant de la formation elle-même, je préconise un stage de sensibilisation préalablement à la formation théorique (proposition n° 50). Il faudrait aussi mettre en place une procédure de présélection des candidats commune à tous les organismes publics ou privés qui proposent une formation au diplôme national de thanatopracteur (proposition n° 51) et revoir le contenu du programme de la formation théorique pour l'adapter aux besoins de la profession (proposition n° 52). Nous proposons d'augmenter le nombre d'heures de formation - actuellement de 195 heures - d'un quart à un tiers. Je souhaite aussi mieux définir les titres et diplômes requis pour enseigner les matières au programme de la formation théorique du diplôme national de thanatopraxie (proposition n° 53) et généraliser, pour la formation pratique en entreprise, la signature de conventions de stage tripartites entre l'organisme de formation, le stagiaire et l'organisme d'accueil (proposition n° 54).
Enfin, mettons en place une formation continue aujourd'hui inexistante (proposition n° 55) et confions aux professionnels, sous l'égide des pouvoirs publics, le soin d'élaborer un cahier des charges standardisé du processus de thanatopraxie et un guide de bonnes pratiques (proposition n° 56). Prévoyons également la rédaction d'un compte rendu d'intervention pour chaque thanatopraxie quel que soit le lieu où elle est effectuée (proposition n° 57), et l'élaboration d'un corpus de règles déontologiques propre à la profession de thanatopracteur (proposition n° 58).
Actuellement, certaines personnes débutent une formation théorique sans connaissance du métier, qui est difficile - il s'agit de préparer des cadavres.
Voilà mes propositions concrètes sur un sujet difficile et austère ; il faut clarifier les règles et les renforcer.
Je vous propose d'intituler ce premier rapport parlementaire sur le sujet Définir enfin un cadre rigoureux pour l'exercice de la thanatopraxie : une urgence pour les familles et les professionnels .
M. Philippe Bas , président . - Merci d'avoir approfondi ce sujet qui nous touche tous, que ce soit pour les décès auxquels nous faisons face ou notre propre mort. Je suis satisfait que des parlementaires abordent cette question.
Vous mettez aussi en évidence les risques d'une profession mal protégée - agir relève d'un impératif de santé publique - et la nécessité de protéger les familles en deuil contre le risque d'abus. Certains abordent ce sujet avec pudeur, d'autres avec l'humour du déni...
M. François Bonhomme . - Merci pour ce rapport exhaustif. Ce sujet, inhabituel, nous concerne tous, et touche à la dignité de la personne humaine. Vous avez pris soin de mettre les familles au coeur de vos préoccupations. J'ai été surpris de l'étendue des thèmes soulevés : sécurité sanitaire, contrôles...
Pouvez-vous préciser votre proposition n° 34 relative au fichier national des thanatopracteurs pour assurer le suivi de la profession ? Sur quels chiffres vous fondez-vous pour augmenter le numerus clausus de 10 à 15 % ? Craint-on une pénurie de compétences ? Merci pour cet exposé complet et vivant...
M. Yves Détraigne . - Ces sujets concernent toutes les familles, mais ils sont rarement abordés, souvent par peur.
Durant vingt-huit ans de mandat à Witry-lès-Reims, j'ai signé des milliers d'actes concernant des décès sans jamais entendre parler de thanatopraxie. Existe-t-il une réelle demande ? Le terme est très rarement utilisé...
M. Jean-Luc Fichet . - Merci pour ce rapport sur ce sujet extrêmement difficile. Nous sommes confrontés à la douleur des familles et à l'urgence de ces questions. Je ne connais pas beaucoup la thanatopraxie. Il s'agit, pour moi, d'actes commerciaux et la famille ne sait souvent que répondre face à des devis exorbitants. Comment mieux encadrer ces opérations et faciliter la décision des familles au regard de tarifs que l'on peut parfois considérer comme exagérés ?
M. Éric Kerrouche . - La Rochefoucauld disait « le soleil, comme la mort, ne peuvent se regarder en face »... Ces sujets sont difficiles à titre personnel et pour la famille. La garantie de la liberté du choix des familles doit être au coeur de nos préoccupations. Devant le démarchage commercial, protégeons les familles.
Il y a en outre de réels dysfonctionnements dans l'accès à la formation, qu'il faut corriger.
Mme Josiane Costes . - Merci pour ce rapport sur un sujet qu'on a malheureusement tendance à éluder. Une famille écrasée par la douleur est prête à signer n'importe quoi, avec une facture parfois terrible à la clé. La thanatopraxie n'est pas pratiquée de façon homogène sur tout le territoire. Je n'en ai pas beaucoup entendu parler... Certains n'abusent-ils pas en faisant croire qu'ils font de la thanatopraxie alors qu'ils effectuent de simples soins de présentation ? Existe-t-il des territoires sans thanatopracteurs ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur Bonhomme, le fichier national permettrait de connaître le nombre de thanatopracteurs en fonction et de faire le rapport entre thanatopracteurs diplômés et ceux réellement en exercice. En raison des difficultés de ce métier, de nombreux professionnels arrêtent leur activité. Le fichier assurerait également un suivi de la profession. Ses modalités concrètes seraient bien sûr à déterminer.
Les coûts d'inscription dans les écoles varient de 1 à 10, pouvant atteindre 9 000 euros pour certaines formations privées. Si on augmente le numerus clausus de 10 à 15 %, on passerait de 55 à 60 thanatopracteurs formés par an à environ 70 ; cela améliorera la couverture du territoire. Les auditions ont montré qu'une dizaine environ de thanatopracteurs diplômés n'exerçaient jamais.
Ce sujet de la thanatopraxie est quasiment tabou, comme d'autres qui touchent à la mort. Il y a 600 000 décès par an, et dans 40 % des cas, une thanatopraxie est effectuée, alors qu'elle n'est parfois pas nécessaire, selon ce que nous a indiqué plusieurs personnes entendues - notamment lorsqu'une crémation est prévue moins de 24 heures après. Je ne suis pas sûr que toutes les familles aient conscience qu'elles ont demandé une thanatopraxie, or cela coûte entre 300 et 500 euros, ce qui n'est pas négligeable.
Monsieur Détraigne, en principe, la société de pompes funèbres doit faire une déclaration préalable à la mairie chaque fois qu'elle effectue une thanatopraxie. Mais l'Association des maires de France (AMF) nous a indiqué qu'elle n'avait aucun moyen de vérifier le respect de cette obligation.
Limiter les coûts pour les familles est mon combat depuis 26 ans.
De nombreux professionnels font bien leur travail, je veux le souligner.
Mais lorsque vous devez choisir un cercueil, vous ne prendrez jamais le moins cher, par respect pour le défunt ; le prix du capiton varie, par exemple, du simple au quintuple ; ou on vous présente la toilette et les soins de présentation sur le visage et les mains, en même temps qu'une thanatopraxie sans vraiment distinguer les deux.
Les entreprises sont libres de proposer une multitude de prestations au prix qu'elles souhaitent, mais elles doivent en informer les familles. J'ai dit plusieurs fois aux professionnels qu'il était dans leur intérêt de jouer la carte de la transparence. Les Français doivent savoir ce qui leur est proposé et à quel prix.
De la même manière, de nombreux Français se soucient de souscrire un contrat obsèques. Lors d'une émission de radio, une auditrice me disait avoir payé pour que 3 000 euros soient affectés à ses obsèques, mais qu'elle avait déjà versé plus ! Si elle arrêtait de payer, on aurait déjà dû lui donner 1 000 euros... Si elle vivait alors quatre fois plus longtemps, elle aurait payé quatre fois les 3 000 euros ! Et les contrats sont nuls s'ils ne sont pas détaillés. Dans ce cas, mieux vaut ne pas faire de contrat obsèques à 40 ou 50 ans...
Dans la loi du 19 décembre 2008 était prévue une revalorisation des sommes versées au titre des contrats obsèques. Mais au bout de quelques années, les fédérations nationales d'assureurs m'ont dit ne plus appliquer ce texte, qu'elles considéraient contraire aux règles européennes. Nous avons dû renégocier avec le ministère des finances et refaire passer un nouveau texte de dix lignes, incompréhensible pour les non médaillés Fields... Analysons méthodiquement ces questions d'argent, car cela concerne les familles. J'ai bénéficié du soutien des associations familiales, de l'UFC Que choisir. Familles rurales a regretté, il y a un an, que dans la moitié des cas, les dispositions législatives sur les devis modèles n'étaient pas appliquées.
Bien sûr, Monsieur Fichet, le démarchage commercial est proscrit dans les deux mois du décès. Il est interdit aux entreprises de consulter les avis d'obsèques pour adresser aux parents du défunt des propositions. Cela est prévu par l'article L. 2223-33 du code général des collectivités territoriales.
Dans le même esprit, j'ai écrit à des préfets pour faire retirer l'habilitation à des entreprises qui n'avaient pas respecté la dignité des obsèques ou avaient proposé des prestations commerciales en contradiction avec l'interdiction du démarchage commercial. De telles pratiques sont contraires à la loi. C'est un motif de retrait ou de suspension de l'habilitation. L'habilitation à exercer une profession doit être délivrée et maintenue de façon sérieuse : il ne suffit pas de présenter quelques papiers.
J'en viens aux dysfonctionnements en matière de formation, Monsieur Kerrouche. Dans les écoles actuelles, la formation délivrée dans les différents domaines est assez limitée à mon sens. Qui plus est, on ne précise pas, sauf pour deux matières, qui est habilité à délivrer cette formation.
Madame Costes, vous avez tenu des propos que j'estime très importants. Les personnes confrontées à un deuil sont très éprouvées et se trouvent dans un état de grande vulnérabilité. Et pourtant il y a là un combat dont on parle peu pour protéger les familles.
Certes, on peut se contenter de dire que c'est la loi de la concurrence et que c'est mieux qu'un monopole. Lorsqu'il a été mis fin au monopole, un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale de l'administration (IGA) a souligné qu'il s'agissait d'un monopole biaisé qui cohabitait avec une concurrence faussée. En effet, des sociétés filiales de la société monopolistique donnaient l'illusion de la concurrence.
Je pensais que la concurrence ferait baisser les prix. Cela a été en partie le cas. La loi a aussi permis d'améliorer la qualité de la prestation dans de nombreux domaines.
M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, sommes-nous bien tous d'accord pour autoriser la publication de ce rapport d'information ?
La commission autorise la publication du rapport.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie et renouvelle également mes remerciements au rapporteur, Jean-Pierre Sueur.