II. MIEUX PRÉVENIR LES RISQUES ASSOCIÉS À LA THANATOPRAXIE EN SÉCURISANT LES CONDITIONS D'INTERVENTION DES THANATOPRACTEURS
A. UNE PRATIQUE FUNÉRAIRE QUI EXPOSE À DES RISQUES SPÉCIFIQUES
1. Outre les risques chimique et infectieux, la thanatopraxie expose à des risques physiques et psychosociaux
Les experts de plusieurs institutions entendus par votre
rapporteur
- l'Institut national de recherche et de
sécurité pour la prévention des accidents du travail et
des maladies professionnelles (INRS), l'Agence nationale de
sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du
travail (ANSES), ainsi que le Haut Conseil
de la santé
publique (HCSP) - ont émis des analyses concordantes s'agissant de la
typologie de risques auxquels expose la pratique de la thanatopraxie.
Il existe trois grandes catégories de risques dans la pratique professionnelle des thanatopracteurs : le risque chimique, le risque infectieux , et les autres risques , moins spécifiques, qui relèvent des domaines physique ou psychosocial.
Le risque chimique auquel les thanatopracteurs sont exposés résulte de l'utilisation des produits contenant des substances cancérogènes ou toxiques.
La thanatopraxie a pour objet de retarder le processus de décomposition du corps par l'injection d'un produit qui réduit la charge microbiologique (cellules vivantes) du corps du défunt en tuant un maximum de microorganismes impliqués dans les phénomènes de décomposition. Dès lors, afin de remplir leur fonction, les produits utilisés sont nécessairement toxiques pour les organismes vivants et contiennent des agents chimiques dangereux.
Les produits destinés aux soins de conservation du corps de la personne décédée (ou fluides de thanatopraxie) sont des produits biocides, dont la substance active est, pour la majorité d'entre eux, le formaldéhyde. Les thanatopracteurs utilisent donc majoritairement ce biocide qu'ils associent au méthanol. Le formaldéhyde est un gaz incolore d'odeur piquante et suffocante. Il est commercialisé uniquement en solutions aqueuses, stabilisées au méthanol. Il est utilisé par les thanatopracteurs en injection ou à la surface du corps du défunt en très grande quantité.
D'après les personnes entendues par votre rapporteur, le formaldéhyde est toxique par inhalation, ingestion, contact cutané ( via des projections ou une mauvaise protection), avec pour conséquences possibles un choc allergique cutané ou respiratoire - voire dans le pire des cas un choc anaphylactique pouvant aller jusqu'au décès.
Il s'agit d'une substance classée
cancérogène avéré pour l'espèce
humaine
, par le
centre international de recherche sur le
cancer
(CIRC) depuis 2004, sur la base d'études
épidémiologiques en milieu de travail portant sur la survenue du
cancer du nasopharynx par inhalation
111
(
*
)
. Au
niveau européen
, il est
considéré comme une
substance
cancérogène
de catégorie 1B
- «
peut provoquer le cancer
» - et
mutagène de catégorie
2
- «
susceptible d'induire des anomalies
génétiques
» - selon le règlement UE
n° 605/2014 de la Commission du 5 juin 2014 modifiant aux fins de son
adaptation au progrès scientifique le règlement
«
CLP
» sur la classification et
l'étiquetage harmonisés
112
(
*
)
. Il est considéré comme
génotoxique
, ce qui signifie
qu'il n'existe pas
de seuil d'exposition en-deçà duquel le risque de cancer serait
nul
.
Le méthanol qui y est associé est toxique par inhalation, ingestion, contact cutané et est, en outre, inflammable.
En plus du risque pour le thanatopracteur lui-même , doivent être mentionnés les risques éventuels pour la famille , lorsque la thanatopraxie a lieu à domicile, et pour l' environnement , résultant des déchets à éliminer après chaque thanatopraxie .
Les corps des personnes décédées peuvent être porteurs d'une très grande variété d'agents biologiques, pathogènes ou non, la présence de ces agents infectieux n'étant pas toujours connue ou rapportée. Après le décès, le corps n'est plus oxygéné, les agents biologiques vont mourir peu à peu mais, au moment de la thanatopraxie, les agents infectieux sont toujours présents. Les agents transmissibles par le sang sont les plus dangereux 113 ( * ) . La thanatopraxie expose donc également au risque infectieux .
À cet égard, les thanatopracteurs sont exposés par blessure, coupure, projection, mais également par voie aérienne, voire par voie orale en cas de défaut d'hygiène. Il est à noter que l'état des corps, après certains accidents de voie publique ou autres, peut présenter des grands délabrements, ce qui peut accentuer les risques d'accidents pour les professionnels. L'INRS a toutefois confirmé qu'il n'y avait pas d'étude récente en France de cas de thanatopracteur auquel aurait été transmis par le sang un virus de type hépatite B ou VIH 114 ( * ) .
Les thanatopracteurs sont aussi exposés aux risques physique et psychosocial , qui ne sont pas, à l'inverse des risques chimique et infectieux, des risques spécifiques à la pratique de la thanatopraxie. Ils existent évidemment dans d'autres professions et en particulier chez les professionnels de santé : la manipulation et le transport de corps peuvent en être la cause. De même, il s'agit d'une profession dans laquelle le thanatopracteur fait face à des exigences émotionnelles - contact quotidien avec des cadavres - qui peuvent entraîner, en compensation, des comportements addictifs.
François Michaud-Nérard, ancien directeur des services funéraires de la Ville de Paris, entendu par votre rapporteur, résumait ainsi la difficulté d'exercice commune aux professions du funéraire, parmi lesquelles la profession de thanatopracteur, qui doivent « concilier rapidité, technicité, et supporter des choses incroyables sans mépriser ce que l'on fait, arriver à se distancier tout en conservant du respect pour les morts » .
2. Les conditions de travail des thanatopracteurs sont variables selon les locaux utilisés
La thanatopraxie peut être réalisée, selon la situation, en chambre mortuaire, funéraire ou à domicile. Les soins de conservation sont réalisés « dans le respect de la dignité de la personne décédée », conformément à l'article R. 2223-132 du code général des collectivités territoriales créé en 2017 115 ( * ) , qui reprend le principe édicté à l'article 16-1-1 du code civil précité.
Cet article formalise également expressément pour la première fois les trois lieux dans lesquels il peut être procédé à la thanatopraxie :
- dans le local de préparation des corps de la zone technique d'une chambre mortuaire ;
- dans la salle de préparation de la partie technique d'une chambre funéraire ;
- ou au domicile du défunt.
Les chambres mortuaires ou funéraires La chambre mortuaire 116 ( * ) , comme la chambre funéraire, ont pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, les corps des personnes décédées (articles L. 2223-38 et L. 2223-39 du code général des collectivités territoriales) en attendant la cérémonie des obsèques. La chambre mortuaire est un équipement obligatoire dans les établissements de santé publics ou privés qui enregistrent au moins deux cents décès par an (article R. 2223-90 du même code). Les établissements de santé qui enregistrent moins de deux cents décès par an n'y sont pas tenus, de même que les établissements assurant l'hébergement des personnes âgées, mais ils peuvent en créer une. Elle permet le dépôt des corps des personnes décédées dans ces établissements dans des casiers réfrigérés. Gratuit les trois premiers jours suivant le décès (article R. 2223-89 dudit code), il permet aux familles de disposer du temps nécessaire à l'organisation des obsèques dans la mesure où le maintien des corps des défunts dans les locaux destinés aux soins et à l'hébergement n'est pas envisageable au-delà de quelques heures. Le corps peut également être mis en bière sur place. Dès lors, il ne peut y rester que dans la limite du délai maximum d'inhumation ou de crémation de six jours 117 ( * ) . La chambre mortuaire ne peut, en principe, recevoir d'autres corps que ceux des personnes décédées dans l'établissement de santé dont elle dépend, à l'exception des corps venant d'autres établissements dans le cadre de la coopération hospitalière (article R. 2223-92 du code général des collectivités territoriales) ou des corps transportés pour des prélèvements destinés à la recherche des causes du décès (article R. 2213-14 du même code). L'article L. 2223-39 prévoit toutefois que « la chambre mortuaire peut accessoirement recevoir, à titre onéreux, les corps des personnes décédées hors de ces établissements en cas d'absence de chambre funéraire à sa proximité ». La chambre mortuaire se distingue de la chambre funéraire puisque sa gestion relève de la responsabilité de l'établissement de santé qui l'a créée. La chambre funéraire constitue l'un des éléments du service extérieur des pompes funèbres 118 ( * ) et relève donc de la procédure d'habilitation prévue à l'article L. 2223-23 du code général des collectivités territoriales. Elle est gérée par des opérateurs funéraires qui, souvent, proposent d'autres prestations funéraires. Toutefois, les locaux dans lesquels l'opérateur offre ces autres prestations doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire (article L. 2223-38 du même code). Celle-ci se compose d'un salon d'accueil pour recevoir les proches, d'une chambre où repose le défunt et d'une salle technique, interdite au public. L'admission des défunts en chambre funéraire intervient dans un délai de quarante-huit heures après le décès (article R. 2223-76 dudit code), conformément aux règles encadrant le transport de corps avant mise en bière. Source : commission des lois du Sénat. |
Le thanatopracteur intervient toujours seul . Ni les professionnels des chambres mortuaires dans le cas d'un décès à l'hôpital, ni les familles dans le cas d'un décès à domicile n'assistent au soin de conservation.
Mandatés par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles - par l'intermédiaire des opérateurs funéraires -, les thanatopracteurs ont ainsi accès aux chambres mortuaires et funéraires pour y réaliser les soins de thanatopraxie (articles R. 2223-90-1 et R. 2223-76 du code général des collectivités territoriales).
D'après les opérateurs de pompes funèbres entendus par votre rapporteur, lorsque le décès a lieu à l'hôpital, le plus souvent le corps y demeure, sauf souhait de la famille pour des visites élargies. Le thanatopracteur intervient alors dans les locaux mis à disposition gratuitement par l'hôpital.
À l'inverse, lorsque les défunts sont transportés hors de l'hôpital vers une chambre funéraire, la thanatopraxie a lieu sur place.
Dans son avis rendu en 2012 119 ( * ) , le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a considéré que les conditions de travail variaient notablement en fonction des locaux dans lesquels sont réalisés les soins (lieu dédié ou domicile) et que la réalisation des soins à domicile n'offrait pas les conditions d'hygiène et de protection nécessaires 120 ( * ) .
* 111 World health organization, IARC monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans, Volume 88 (2006). Formaldehyde, 2-Butoxyethanol and 1-tert-Butoxypropan-2-ol. Cette étude uniquement disponible en anglais, est accessible à l'adresse suivante :
https://monographs.iarc.fr/iarc-monographs-on-the-evaluation-of-carcinogenic-risks-to-humans-33/
* 112 Règlement (UE) n° 605/2014 de la commission du 5 juin 2014 modifiant, aux fins d'ajouts de mentions de danger et de conseils de prudence en langue croate et aux fins de son adaptation au progrès scientifique et technique, le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges.
* 113 Transmissibles par les peaux lésées, les muqueuses et les germes présents dans le tube digestif.
* 114 Même constat que dans l'article publié en 2005, La thanatopraxie : état des pratiques et risques professionnels , TC 105, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), 2005. Cette étude est consultable à l'adresse suivante : http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TC%20105
* 115 Décret n° 2017-983 du 10 mai 2017 relatif aux conditions d'intervention des thanatopracteurs et à l'information des familles concernant les soins de conservation.
* 116 Elle est parfois appelée « morgue », « amphithéâtre » ou « dépositoire ».
* 117 Sauf dans le cas où aucun membre de la famille n'est présent lors du décès, la famille ou les proches ont alors dix jours pour réclamer le corps de la personne décédée dans l'établissement de santé (article R. 1112-75 du code de la santé publique).
* 118 6° de l'article L. 2223-19 du code général des collectivités territoriales.
* 119 Haut Conseil de la santé publique, avis portant recommandations pour les conditions d'exercice de la thanatopraxie, 20 décembre 2012. Cet avis est consultable à l'adresse suivante :
https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=303
* 120 Voir infra .