C. L'ENJEU DES ÉCHÉANCES FUTURES : RÉUSSIR LA PROCHAINE RÉUNION DE L'ESA ET MAINTENIR UN LIEN FORT AVEC LE ROYAUME-UNI EN CAS DE BREXIT
1. Une conférence de l'Agence spatiale européenne stratégique
La prochaine réunion de l'ESA déterminera le programme de l'agence pour les années à venir. Réunis en octobre 2018, les ministres ont arrêté la feuille de route suivante :
1. Au plan programmatique :
- rétablir le leadership du Programme scientifique de l'ESA dans le domaine de la physique de l'Univers, en remédiant à la lente érosion de pouvoir d'achat du niveau de ses ressources.
- faire de l'Europe un acteur incontournable des nouvelles initiatives mondiales d'exploration spatiale - à destination de la Lune et de Mars - en collaboration avec des partenaires actuels (ex. : États-Unis) ou nouveaux (ex. : Chine) ;
- travailler en coopération avec l'industrie au bénéfice de la croissance économique et de la société dans les domaines traditionnels ainsi que dans le domaine émergent de la sûreté et de la sécurité spatiales (ex. : inclusion de satellites dans les réseaux mondiaux de télécommunications 5G, gestion des menaces découlant de phénomènes extrêmes de météorologie spatiale - l'activité solaire -, ouverture de nouveaux marchés spatiaux et opportunités, tels que les services logistiques en orbite), dans le cadre de partenariats et projets traditionnels, mais également de mécanismes fondés sur une implication et une responsabilité industrielles accrues.
- renforcer les transferts d'innovations techniques vers et depuis le secteur spatial.
2. Eu égard à la consolidation du partenariat UE/ESA sur la base de projets de développement communs :
- assurer la continuité et l'évolution de la composante spatiale Copernicus ;
- assurer la conduite d'activités de Recherche et développement dans le domaine de la navigation afin de poser les jalons du GNSS européen de prochaine génération.
3. Aux plans politique et réglementaire :
- améliorer la politique industrielle de l'ESA afin d'accélérer le processus décisionnel, de rationaliser les procédures et d'adapter ces dernières aux différents types d'activité/projet ;
- établir des priorités en matière de sûreté et de sécurité spatiales afin de créer de nouveaux marchés ;
- soutenir la compétitivité européenne dans le domaine de l'accès à l'espace en appliquant aux missions de l'ESA une politique de préférence européenne.
Outre le niveau des investissements dans la recherche spatiale, deux questions sensibles devront être tranchées : celle des relations entre la future agence de l'Union européenne pour le programme spatial et l'ESA, c'est à dire la question de la gouvernance, et celle d'un aménagement du principe du retour géographique.
L'ESA fonctionne en effet sur la base d'un retour géographique sur investissement, c'est-à-dire que la somme investie par un État membre dans un projet de l'ESA est dépensée auprès des centres de recherche et de l'industrie spatiale de ce pays. Autrement dit, un euro investi rapporte un euro. Cela est tout à fait contraire au fonctionnement de l'Union européenne. En outre, ce système a montré ses limites, car il ne permet pas l'émergence de grands projets. Toutefois, les États y sont très attachés. C'est pourquoi, des négociations sont en cours pour tenter de trouver un aménagement satisfaisant. Vos rapporteurs souhaitent qu'un tel aménagement soit trouvé .
La question de la gouvernance est posée par la création de la nouvelle Agence de l'Union pour le programme spatial européen à laquelle la Commission voulait déléguer une grande partie de ses prérogatives. Or, d'une part, cette nouvelle agence est vue comme une rivale par l'ESA, et, d'autre part, beaucoup craignent une duplication des fonctions. C'est la raison pour laquelle le règlement adopté par les législateurs européens a défini les rôles de chacun en s'appuyant sur deux principes : la complémentarité des acteurs et une relation UE/ESA équilibrée qui permet à l'Union de continuer à bénéficier de l'expertise unique en Europe de l'ESA.
Aux termes du règlement, il reviendra :
- à l'Union européenne qui finance les programmes (elle est le premier contributeur de l'ESA) d'assurer le pilotage stratégique afin de préserver l'autonomie de l'Union et de ses États membres ;
- à l'Agence spatiale européenne de développer l'infrastructure spatiale de Copernicus, de concevoir et développer l'évolution des systèmes Galileo et EGNOS (satellites et segment terrestre), de mener des activités de recherche et développement dans ses domaines d'expertise ;
- à l'Agence de l'Union pour le programme spatial d'assurer l'homologation de sécurité de toutes les composantes du programme spatial, de coordonner les différents aspects de Govsatcom et surtout d'assurer les activités de communication et de promotion ainsi que les activités de commercialisation des services offerts par Galileo, ainsi que leur gestion .
La conférence interministérielle de l'ESA en novembre 2019 sera, elle, stratégique parce qu'elle définira les nouvelles orientations des programmes de recherche et développement, ainsi que l'évolution des grands programmes européens.
2. Conserver une relation forte avec le Royaume-Uni en cas de Brexit
Le Royaume-Uni est un acteur majeur du secteur spatial européen avec la France, l'Allemagne et l'Italie. Tant ses laboratoires et ses chercheurs que ses entreprises sont à la pointe, y compris dans le domaine de la défense. Ils ont grandement contribué à Galileo, en particulier sur son segment sécurité. Enfin, certaines grandes entreprises comme Airbus et Thales ont des succursales au Royaume-Uni.
Le spatial illustre pleinement les grandes difficultés que pourrait poser la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne . S'il a lieu, le Brexit sera une catastrophe pour ce secteur.
Comme l'ont rappelé les représentants d'Airbus au Bureau de la commission des affaires européennes, les conditions de construction d'une fusée ou d'un satellite en Europe témoignent de l'importance de la libre circulation entre les pays européens. Les différents éléments sont construits dans différents pays en fonction des compétences, des prestataires et de la spécialisation. En provenance de plusieurs régions et de plusieurs pays, ils sont ensuite assemblés en un endroit unique avant lancement. À titre d'exemple, les ailes des Airbus sont fabriquées au Royaume-Uni.
Dans l'hypothèse du Brexit, les biens et marchandises devront passer par les douanes, avec taxes et retards afférents. Dès lors, la question de la rentabilité se posera et les transferts d'entreprises, filiales et compétences vers l'Europe continentale devraient se multiplier.
L'accès aux services de Galileo est un autre exemple, plus sensible car relevant de la sécurité. En effet, si Galileo est avant tout un programme civil, son service public réglementé a pour principale vocation la sécurité et la défense, comme le montre l'encadré ci-dessous. C'est un service chiffré, qui est notamment utilisé pour le guidage des systèmes d'armement. De ce fait, son bénéfice est soumis à des règles strictes définies par une décision de 2011. Le principe en est une claire distinction entre les États membres de l'Union et ses institutions, qui ont accès de plein droit au PRS, et les États tiers et les organisations internationales qui doivent passer un accord de sécurité avec l'Union.
LE SERVICE PUBLIC RÉGLEMENTÉ DE GALILEO Galileo offre cinq services distincts : ouvert, commercial, sécurisé, recherche et sauvetage et le service public réglementé (souvent appelé PRS pour son acronyme anglais). Le service public réglementé obéit à des conditions strictes car il est réservé à des applications sensibles comme la protection des infrastructures critiques, la police, la défense, la sécurité et les services d'urgence. Son utilisation pour la défense ne remet pas en cause le caractère civil de Galileo, mais apparaît comme un service supplémentaire. Les modalités d'accès à son signal sont définies par la décision n° 104/2011/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux modalités d'accès au service public réglementé offert par le système mondial de radionavigation par satellite issu du programme Galileo. Le cadre de contrôle doit permettre essentiellement d'anticiper une situation de crise, d'encadrer strictement les conditions de l'utilisation des récepteurs PRS et de surveiller étroitement l'activité des fabricants de tels récepteurs afin d'assurer que ces récepteurs soient hautement sécurisés et que leur duplication soit impossible en cas de perte ou de vol. Le texte fait une distinction claire entre les participants, tels que les États membres, le Conseil, la Commission, ainsi que les agences de l'UE, certains États tiers et organisations internationales, d'une part, et, d'autre part, les usagers du PRS, tels que les entreprises, autorités et personnes physiques autorisées par les participants à développer, à détenir ou à utiliser les récepteurs. Les usagers doivent respecter des impératifs de sécurité et appliquer des clés de chiffrement lors de l'utilisation. Le texte définit les modalités d'accès selon les trois axes suivants : - le Conseil, la Commission et les États membres y ont accès de manière illimitée dans toutes les parties du monde, tandis que l'accès au PRS des agences de l'Union européenne, des pays tiers et des organisations internationales impose la signature d'un accord de sécurité ; - l'obligation pour les organisations ou les États utilisateurs du PRS de désigner une « autorité PRS » pour contrôler la fabrication, la détention et l'utilisation des récepteurs PRS, et de faire appliquer des normes communes minimales ; - des dispositions sur les conditions de fabrication et de sécurisation des récepteurs PRS, sur le contrôle des exportations d'équipements et de technologies, sur les stations de surveillance des signaux déployées autour du globe, et sur l'application des procédures prévues par l'Action Commune 2004/552/PESC. Les accords avec les pays tiers sous condition Un État tiers ou une organisation internationale ne peut devenir un usager du service public réglementé de Galileo que sous trois conditions : • un accord sur la sécurité des informations définissant le cadre d'échange et de protection des informations classifiées qui offre un degré de protection au moins équivalent à celui des États membres; • un accord fixant les conditions et modalités de l'accès au PRS par cet État tiers ou cette organisation internationale. Cet accord pourrait notamment porter sur la fabrication, à certaines conditions, de récepteurs PRS, à l'exclusion des modules de sécurité ; • le respect de certaines conditions. Ces accords doivent « être négociés en tenant pleinement compte de l'importance du respect de la démocratie, de l'État de droit, de l'universalité et de l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la liberté de pensée, de conscience, de religion, d'expression et d'information, de la dignité de la personne humaine, des principes d'égalité et de solidarité ainsi que de ceux consacrés par la Charte des Nations unies et le droit international ». |
La perspective d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne soulève plusieurs enjeux. En premier lieu, le Royaume-Uni devra conclure avec l'Union un accord de sécurité et en respecter les conditions pour continuer à bénéficier du service. En second lieu, les entreprises britanniques du secteur se verront exclues des prochains appels d'offre de Galileo. Cela pourrait poser une difficulté à l'Union européenne. En effet, le chiffrage utilisé pour le service public réglementé est une technologie britannique. De fait, le Royaume-Uni investit largement dans la recherche sur les technologies de défense, souvent en partenariat avec la France. Une solution respectant les intérêts des deux parties et la souveraineté européenne serait donc à trouver.
Tout comme dans le secteur de la recherche, vos rapporteurs estiment que l'Union européenne aurait fort à perdre à une séparation trop marquée avec le Royaume-Uni en cas de Brexit. Dans une telle hypothèse, ils souhaitent qu'un accord de coopération approfondie soit trouvé, dans l'intérêt de tous.