D. LA POLOGNE, UNE SENSIBILITÉ DIFFÉRENTE À DES PRÉOCCUPATIONS COMMUNES
Vos rapporteurs ont souhaité se rendre en Pologne, car ce pays est souvent cité dans le cadre des deux schémas d'analyse préconçus dont nous avons vu qu'il convient de les dépasser, à savoir l'opposition entre l'Union européenne et l'OTAN, d'une part ; et l'opposition entre le front sud et le front est, d'autre part.
1. Le souci de préserver le lien transatlantique
Les interlocuteurs polonais que vos rapporteurs ont rencontrés ont naturellement souligné l'importance que la Pologne accorde à la protection offerte par l'OTAN, et donc leur souci de maintenir à tout prix les meilleures relations avec les États-Unis. Sur ce point, comme l'a dit une des personnes lors de ce déplacement, « la Pologne et les pays de l'Est en général sont confrontés à une menace réelle et immédiate. Or seuls les États-Unis sont en capacité de faire face rapidement à cette menace ».
Comme les autres pays européens, la Pologne a bien perçu le pivot stratégique américain. Mais elle en tire une conclusion différente de la France. Là où la France conclut des déclarations américaines que l'Europe doit se préparer à être en capacité de se défendre un jour par elle-même, la Pologne se préoccupe surtout de différer au maximum, voire de stopper, le relatif désengagement américain en Europe.
2. Les prémices d'un réveil stratégique ?
Il ressort des échanges que vos rapporteurs ont eus aussi bien en Pologne que dans le cadre otanien, que la frontière Est n'est pas perçue comme menacée d'une invasion des pays de l'Union européenne par la Russie, mais plutôt comme exposée à un effort constant de la Russie pour désarrimer les États-Unis de l'Europe et diviser les Européens. Il est donc faux de présenter les pays de l'Est de l'Europe, comme c'est parfois le cas dans certaines analyses, comme s'attendant à une invasion russe imminente. Le scénario anticipé est plus celui de tentatives répétées et opportunistes de déstabilisation des pays européens, et en particulier de ceux qui sont les plus proches de la Russie. A cette fin, les moyens hybrides seraient privilégiés : attaques cyber, désinformation, manipulations de la vie politique et des scrutins, espionnage...
Dans le même temps, les pays de l'est de l'Europe rappellent que pour la Russie, le recours à la force reste une option qui ne fait l'objet d'aucun interdit, comme l'ont montré une succession d'opérations, de la guerre en Géorgie en 2008 au Donbass et à la Crimée, jusqu'à l'incident récent du détroit de Kertch.
L'une des personnes auditionnées a formulé les choses d'une façon assez pragmatique : « nous savons que la protection offerte par les États-Unis n'est peut-être pas inconditionnelle ni éternelle. Mais aujourd'hui, l'Europe n'est pas capable de faire face seule aux menaces auxquelles elle est exposée. Or nous sommes confrontés à une menace actuelle, pas hypothétique. Donc nous sommes condamnés à maintenir le lien transatlantique ».
Comme on le voit, il n'y a pas de rejet de principe d'une défense européenne, mais plutôt une inquiétude sur le fait que la mise en place d'une défense européenne accélère le retrait des Américains avant qu'une éventuelle défense européenne ne soit réellement opérationnelle et efficace.
Deux indices témoignent de cet intérêt de principe pour un renforcement de la défense européenne, certes toujours conçue pour l'instant comme un complément minoritaire de la protection américaine : l'acceptation du FEDef et l'adhésion à la CSP. Certes, ce soutien est toujours assorti de mises en garde sur la nécessité que les développements européens soient toujours compatibles avec l'OTAN et ne détériorent pas la relation transatlantique. L'adhésion de la Pologne à la CSP avait du reste été assortie d'une lettre précisant qu'elle se faisait sur la base de la compatibilité avec les objectifs de l'OTAN.
Pour l'heure, la Pologne n'est pas encore fortement engagée dans la CSP. Du moins n'y est-elle pas hostile, dans les limites déjà évoquées.
3. Développer la coopération militaire avec la Pologne
Avec une armée de 123.000 hommes, et une population de 38 millions d'habitants, la Pologne pourrait être un élément important de la défense européenne. Dans cette perspective, il serait sans doute tout à fait bénéfique à nos deux pays d'intensifier leurs relations militaires, mais aussi les échanges en matière de formation. A ce titre il serait très positif que de jeunes officiers polonais puissent venir accomplir une partie de leur formation initiale en France, à l'image des partenariats que nous avons par exemple avec l'Allemagne ou le Royaume-Uni.