CONTRIBUTION DE MME
FRANÇOISE LABORDE,
MEMBRE DU GROUPE RDSE
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J'ai participé avec grand intérêt aux travaux de la mission commune d'information - MCI - sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions.
Les auditions de nombreux experts et intervenants ont été très riches et instructives.
Si une première demande avait été formulée par les collègues du groupe socialiste pour ouvrir une mission spécifique aux violences sexuelles à caractère pédophile dans l'église, le Sénat a jugé nécessaire d'élargir le champ de compétences de la mission commune d'information à l'ensemble des personnes en contact avec les mineurs... Je ne peux qu'y souscrire.
Les trente-huit propositions auxquelles ont abouti nos échanges sont très satisfaisantes et contribueront assurément, non seulement, à briser ce tabou, mais aussi, à engager une politique globale de prévention de la pédocriminalité, depuis la libération de la parole jusqu'au signalement de ces actes délictueux, en passant par la formation du plus grand nombre.
Avant de présenter ma contribution personnelle à ce rapport, je tiens à rappeler que nous avons engagé cette réflexion au Sénat au sein de la MCI, suite aux trop nombreux scandales pédophiles dénoncés au sein des services de l'Aide Sociale à l'Enfance ou encore de l'Église. Ces atteintes ont d'ailleurs fait la une de l'actualité internationale, avec une ampleur médiatique comparable à celle prise, en 2017, par la campagne de dénonciation des actes de harcèlement sexuel, elle-même relayée par le mouvement #Metoo qui s'en est suivi à l'échelle mondiale.
De mon côté, je n'ai pas attendu la constitution de la MCI pour demander au gouvernement d'agir contre ce fléau.
En 2016, j'avais posé une première question écrite sur la nécessité de constituer une cellule interministérielle en vue de mener une politique globale de prévention contre les actes de pédophilie auprès des prescripteurs institutionnels, des services régaliens de l'État et de toute autre organisation en lien avec les enfants.
Durant les années précédentes, en effet, plusieurs scandales d'abus sexuels à caractère pédophile avaient été rendus publics concernant des personnels en contact avec les enfants, que ce soit dans un cadre professionnel, éducatif, spirituel, confessionnel ou encore humanitaire.
La question de la responsabilité morale des employeurs des agresseurs, de la prescription de ces faits, y compris devant la justice, avait déjà été posée.
Faisant le constat que les abus sexuels commis par des personnes ayant un lien d'autorité sur les enfants restent encore tabou dans les institutions de notre pays, par exemple dans les services publics (armée, éducation nationale, santé, police, médico-social, justice et fonction publique territoriale...) ou dans les lieux de cultes et institutions confessionnelles, j'avais signalé que ces abus sont particulièrement traumatisants pour les victimes causant des dommages psychologiques à long terme, pouvant les conduire à se mettre en danger par des conduites addictives, dépressives ou même suicidaires.
Cette souffrance est accentuée par le déni de justice qui résulte du fait que, le plus souvent, la loi du silence des institutions et employeurs protège d'abord, de fait, l'agresseur au détriment de la victime.
Ces barrières institutionnelles s'ajoutent aux réticences des victimes de voir les faits rendus publics et limitent à la fois les poursuites pénales et les procédures civiles en dommages et intérêts, comme en témoignent les rares statistiques existant sur le sujet.
Beaucoup reste à faire pour contribuer à la libération de la parole, à la reconnaissance des actes délictueux, à celle des droits des victimes ou encore au durcissement des procédures disciplinaires.
C'est pourquoi, j'avais alors demandé à la ministre des affaires sociales de constituer de toute urgence une cellule interministérielle en vue d'inciter fortement les autorités morales, institutionnelles, ou encore les employeurs des personnels en contact direct avec les enfants, à conduire des politiques de prévention, à en rendre compte publiquement et à mettre en oeuvre des mesures coercitives pour pallier ces situations de violences sexuelles inacceptables et toujours tabou.
Plus largement, j'avais également insisté sur la nécessité de consacrer davantage de moyens à la mise en oeuvre de cette politique de prévention mais aussi de mesures de réparation pour les victimes d'actes pédophiles à l'issue des procédures judiciaires au pénal et au civil.
Afin de briser la loi du silence qui persiste dans notre pays et dans nos institutions républicaines, il est urgent de mettre en oeuvre l'ensemble des propositions issues des travaux de notre MCI.
Elles ne sont pourtant pas suffisantes à mes yeux en ce qui concerne la problématique, tabou des tabous, des violences sexuelles intrafamiliales envers les mineurs, autrement dit, à caractère incestueux.
Si la loi votée en août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a apporté un arsenal de mesures utiles et nécessaires, je regrette que lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, en octobre 2018, aucun de mes amendements proposant une surqualification pénale de l'inceste n'ait été repris par le gouvernement. J'estime en effet urgent de durcir la pénalisation des infractions sexuelles à caractère incestueux.
Le vote de cette loi étant encore récent, le Sénat sera dans son rôle de contrôle de l'application de la loi d'ici quelques temps et ne manquera pas de faire des propositions pour remédier à cette lacune sérieuse.
En conséquence, je déplore que la question de l'inceste ait purement et simplement été écartée du champ de compétences de notre MCI.
Ce dossier doit être ouvert à la réflexion des parlementaires. Notre pays est, par exemple, très en retard dans la mesure du phénomène et ne dispose pas d'outils statistiques suffisants ni en quantité ni en régularité. Comme nous l'a rappelé la Défenseure des Enfants, un phénomène qui n'est pas mesuré ne peut être ni formulé ni combattu de façon pertinente.
La construction de la personnalité de l'enfant repose sur la confiance en sa famille. Or, en cas d'inceste le traumatisme du mineur est aggravé. De même, dans le cas où l'auteur des violences sexuelles est le représentant d'une religion, la personne est doublement affectée dans son intimité et sa spiritualité, et sa reconstruction est d'autant plus difficile.
Avant de conclure, je tiens à commenter rapidement plusieurs des propositions présentées dans le rapport.
Les propositions 8 et 9 me semblent très utiles car je suis favorable à l'instauration d'une obligation de signalement des violences sexuelles sur mineurs, pour les professions tenues au secret médical comme les médecins ou les infirmiers. Nous l'avions déjà demandé lors de l'examen de la loi Schiappa, pour autant je regrette la nouvelle version édulcorée adoptée par notre mission. En effet, entre « étudier via une mission spécifique la possibilité d'introduire dans le code pénal une obligation de signalement... », texte de la nouvelle version, ou « introduire dans le code pénal une obligation de signalement », texte initial, il y a un fossé.
Le signalement devrait aussi devenir une obligation pour les enseignants ou les personnels des services publics, du secteur médico-social ou encore parascolaire (sport, culture, activités artistiques, centres de loisir, centres de vacances, ...).
L'organisation de campagnes de sensibilisation du grand public, demandée par la proposition 10, doit être élargie aussi au tabou de l'inceste.
Concernant la prévention des violences sexuelles envers les mineurs, à l'école et dans les établissements scolaires, cela passe aussi de mon point de vue par l'éducation à la sexualité dès la maternelle, de façon adaptée à chaque tranche d'âge. Remettre les ABCD de l'égalité contribuerait à cet effort pour favoriser l'égalité entre filles et garçons.
Je souligne qu'une campagne de prévention devrait être déployée par les enseignants au collège et au lycée, en particulier, pour alerter les jeunes contre le phénomène de prostitution des mineurs qui s'appuie notamment sur les réseaux sociaux et autres applications installées sur les téléphones mobiles.
Il serait aussi utile d'améliorer l'information des chefs d'établissement et des enseignants sur les circuits d'alerte en cas de nécessaire signalement d'un enfant auprès des services de l'Aide Sociale à l'Enfance. Cet effort serait favorable à une meilleure coordination des services avec l'inspection, l'académie, le conseil départemental, par exemple.
Consacrer davantage de moyens humains à cet effet avec une personne référente par exemple dans chaque académie serait un vecteur favorable pour accélérer la prise en charge des enfants et des jeunes dans les cas les plus urgents.
Je tiens également à insister sur une évidence : la formation des personnels des services publics est un élément clé de la réussite de toute politique globale de prévention pour lutter contre les violences sexuelles envers les mineurs.
Ainsi, la question du recrutement des personnels en contact avec des enfants est primordiale, elle se pose pour les élus mais aussi pour les enseignants, les personnels éducatifs et du secteur médico-social.
Les fichiers centralisés pour signaler les personnes déjà condamnées pour de tels faits est une avancée dont le contrôle doit être assuré pour éviter tout dérapage. Des outils tels que le FIJAIS existent et sont très utiles, cependant ils restent encore trop peu connus des professionnels auxquels ils sont destinés. Un effort d'information doit être entrepris en ce sens.
Enfin, concernant les propositions 29/30/31 relatives aux représentants de l'église, il me paraît réducteur de limiter leur champ à l'église ou au CFCM. C'est l'ensemble des représentants des cultes qui doivent être concernés par ces obligations de signalement des auteurs et d'indemnisation des victimes.
La proposition 33 de prise en charge à 100 % par la protection sociale des victimes de telles violences est une excellente mesure tout comme il faudrait s'assurer qu'y sont incluses les dépenses liées au suivi psychologique de la victime.
En conclusion, je souligne que les obstacles sur lesquels bute le législateur pour faire évoluer la loi vers une meilleure prévention et lutte contre les violences sexuelles à caractère pédophile restent les mêmes que ceux rencontrés pour les lois visant à lutter contre les violences faites aux femmes, c'est-à-dire :
L'insuffisance des mesures statistiques des faits ;
La difficile libération de la parole des victimes ;
Le signalement non systématique auprès de la Justice des faits dénoncés ;
L'application insuffisante des textes de loi existants et bien sûr le temps long de la Justice qui aboutit au non-respect du délai raisonnable de jugement.