C. APRÈS 2050, UNE SITUATION CLIMATIQUE VRAISEMBLABLEMENT TRÈS DÉGRADÉE
1. Regarder au-delà de 2050 pour penser l'adaptation aux dérèglements climatiques : un exercice nécessaire mais incertain
Même si le présent rapport a pour objet les politiques d'adaptation aux changements climatiques à l'horizon 2050, il ne peut ignorer ce que seront les dérèglements climatiques et les enjeux d'adaptation à un horizon plus éloigné. En effet, la temporalité des actions d'adaptation est très variable : elle va du court à moyen terme pour l'essentiel des décisions des acteurs économiques privés à des horizons de plusieurs décennies, voire même un siècle, dès lors qu'on envisage des décisions en matière d'aménagement public, de construction d'infrastructures ou de replantation des forêts. Parce que nous prenons dès aujourd'hui certaines décisions qui déterminent notre capacité de résilience aux dérèglements climatiques à la fin du XXI e siècle, nous sommes obligés d'anticiper ce qui se passera alors.
Si l'on a une idée relativement précise de ce que sera le climat des vingt ou trente prochaines années, il est en revanche beaucoup plus difficile de prédire ce qu'il sera dans cinquante ans ou plus. L'incertitude des prévisions de très long terme tient aux limites de nos connaissances dans le domaine du climat, mais aussi au fait que la dynamique climatique dans la deuxième partie du XXI e siècle dépendra très fortement des choix faits par la communauté internationale pour réduire (ou pas) les émissions de GES. Comme on l'a souligné plus haut, les divers scénarios RCP du GIEC conduisent à des trajectoires climatiques très divergentes après 2050. Selon qu'on se situe dans le cadre du scénario RCP2.6, qui correspond à une réduction immédiate et forte des émissions, ou dans le cadre du scénario RCP8.5 du GIEC, qui correspond à la poursuite des émissions au rythme actuel, l'avenir climatique du monde et de la France sera radicalement différent à la fin de ce siècle.
2. Quel scénario choisir pour prendre dès aujourd'hui les décisions d'adaptation de très long terme ?
Le 2 e Plan national d'adaptation au changement climatique est construit sur l'hypothèse d'« une hausse de la température moyenne mondiale de 2°C par rapport à l'ère préindustrielle », hypothèse qui correspond au scénario RCP2.6 du GIEC.
Une telle hypothèse peut être qualifiée de « forte ». Il est en effet désormais peu probable qu'il soit possible de limiter à 2° le réchauffement global. C'est ce qu'indique le dernier rapport du GIEC, même si c'est en termes diplomatiques. Limiter le réchauffement sous le seuil des 2° serait encore possible à condition de renforcer immédiatement et drastiquement les politiques de réduction des émissions de CO 2 au niveau international et de mettre en oeuvre massivement des solutions de stockage du carbone qui n'existent pas encore. Or, rien de tel ne s'observe. La dynamique qu'on observe est bien celle de la poursuite des émissions de GES au rythme passé.
Par ailleurs, lors de son audition par vos rapporteurs, le climatologue Hervé Le Treut a rappelé que, même si les pays signataires respectaient les engagements qu'ils ont pris dans les Accords de Paris, on irait sans doute vers un réchauffement global nettement supérieur à 2° à la fin de ce siècle, de l'ordre de 3°C ou plus, car ces engagements (qui ne sont même pas respectés par les pays signataires) sont notoirement insuffisants par rapport aux objectifs officiellement affichés par la communauté internationale. La courbe des émissions poursuit donc pour l'instant sa hausse tendancielle.
Si l'on veut être réaliste dans la construction de la politique nationale d'adaptation, il ne faut donc pas exclure a priori des scénarios de changement climatique plus pessimistes que celui qui sert de référence aux Accords de Paris et prendre en compte ce qu'on pourrait appeler « une marge de sécurité » lorsqu'il s'agit de prendre des décisions d'adaptation qui nous projettent à un horizon éloigné. Par exemple, si l'on construit aujourd'hui une digue ou une route littorale, il est prudent de postuler une hausse du niveau de la mer proche de la fourchette haute des prévisions pour la fin du siècle - faute de quoi on risque de devoir démolir et reconstruire les ouvrages dans vingt ou trente ans. C'est pourquoi il est important que les pouvoirs publics, avec l'aide des scientifiques, établissent clairement les paramètres climatiques et les marges de sécurité à prendre en compte dans ce type d'adaptation de long terme.
3. Le climat français vers 2080- 2100 dans un scénario de poursuite des émissions de GES
Dans ce scénario, la France est à la fin de ce siècle un pays écrasé de chaleur. Ce scénario conduit en effet à une forte hausse des températures moyennes . Elle atteint +3,4°C à +3,6°C en hiver et +2,6°C à +5,3°C en été. Cette hausse est particulièrement marquée dans le Sud-Est du pays, où elle pourrait largement dépasser les 5°C en été par rapport à la moyenne de référence.
Outre une élévation forte de la température moyenne, on assisterait à des vagues de chaleur intenses et longues, totalement inconnues jusqu'à présent, auprès desquelles la canicule de 2003 apparaît comme un phénomène relativement banal (proche de la médiane de la plupart des modèles). La répétition de canicules extrêmes, bien plus sévères que l'exception historique de 2003, est l'un des phénomènes les plus alarmants auxquels on doit s'attendre . Cela pourrait avoir des conséquences sanitaires considérables.
En ce qui concerne les précipitations , les projections climatiques montrent une stabilité ou une légère hausse des précipitations moyennes annuelles en France métropolitaine d'ici la fin du XXI e siècle. Toutefois, cette absence d'évolution moyenne sur le territoire métropolitain cache des contrastes régionaux et/ou saisonniers, à savoir :
- une augmentation des précipitations hivernales, sauf sur le Sud-Ouest, notamment sur les contreforts pyrénéens, où on observe une baisse ;
- une diminution des précipitations estivales, particulièrement marquée sur certains territoires (cf. graphique suivant).
Enfin, concernant la hausse du niveau de la mer , on peut s'attendre à la fin du siècle à une hausse de 60 cm à 1 m par rapport au début du XX e siècle.