B. DES OBSTACLES POLITIQUES ET SOCIÉTAUX, QUI NE SONT PAS INSURMONTABLES
Dans certains territoires, les mesures d'adaptation fondées sur les économies d'eau ou le développement de solutions fondées sur la nature ne sont déjà plus suffisantes ou ne montent pas en puissance suffisamment vite pour réduire les déficits entre ressources et besoins en eau. Dans ces conditions, des arrêtés de limitation des prélèvements ou de la consommation conduisent de plus en plus fréquemment à ajuster assez brutalement les besoins à la ressource, avec des conséquences économiques fortes. Ce mode court-termiste de régulation du déficit hydrique est évidemment peu satisfaisant et constitue un exemple typique de mal-adaptation au changement climatique.
Pour éviter cette régulation purement administrative du déficit et la généralisation des conflits d'usages à l'avenir sous l'effet du changement climatique, chaque territoire doit maintenant s'engager dans une réflexion prospective pragmatique sur la question de l'eau pour déterminer quelle sera la ressource disponible et quels seront les besoins à satisfaire à l'horizon 2050. Cela suppose non seulement de bâtir des scénarios climatiques, mais aussi socio-économiques, notamment en ce qui concerne la capacité des acteurs à faire évoluer leurs usages de l'eau.
Comme on l'a signalé précédemment, une étude prospective de ce type a été réalisée sur le bassin Adour-Garonne. C'est malheureusement la seule de ce type en France actuellement. Elle conclut sans ambiguïté que même en réduisant fortement les débits d'étiage (-25 %) et en imposant au secteur agricole des efforts sensibles d'économie d'eau, un développement assez significatif des capacités de stockage de l'eau paraît indispensable dans le Sud-Ouest dans les décennies à venir (de l'ordre de 300 millions de m 3 dans le scénario qui cherche à concilier le plus possible les usages concurrents de l'eau). Encore ce résultat suppose-t-il une mobilisation forte des réserves hydroélectriques, ce qui ne sera peut-être pas possible si les contrats de concessions des retenues sont révisés sans prendre en compte les effets du changement climatique.
Quoi qu'il en soit, cette étude régionale pose très clairement la question du développement des capacités de stockage de l'eau à l'avenir, question très sensible tant l'acceptabilité sociétale et politique des retenues d'eau est aujourd'hui faible. Comme vos rapporteurs l'ont indiqué dès l'introduction de ce rapport, le développement des capacités de stockage de l'eau n'est pas, pour l'heure, suffisamment abordé dans le débat public. Il est temps qu'il le soit à l'aulne des enjeux d'adaptation au changement climatique.
Dans ce domaine, il est essentiel de faire preuve d'intelligence collective et de pragmatisme. La voie tracée par le PNACC 2 est à cet égard la bonne : « adapter les besoins en eau aux ressources utilisables dans le présent et le futur et réaliser, là où c'est utile et durable, des projets de stockage hivernal de l'eau sur la base des meilleures connaissances possibles ». Autrement dit : ne pas exclure a priori la construction de retenues mais soumettre les projets à une condition forte : faire la preuve objective et chiffrée que ces retenues sont nécessaires et que leur construction ne se fait pas au détriment de solutions d'adaptation alternatives, notamment sur le plan de l'impact paysager et environnemental.
Pour parvenir à apporter des réponses pertinentes, il faudra être capable de faire émerger, au niveau des bassins hydrologiques, des visions communes sur l'avenir de l'eau et des projets de territoire partagés par tous les acteurs . C'est possible comme l'illustre le cas des Deux-Sèvres.
Projet de territoire et politique de l'eau : l'exemple des Deux-Sèvres Les Deux-Sèvres constituent un exemple intéressant d'une évolution de la politique de l'eau qui a pu s'appuyer sur la définition d'un projet de territoire partagé. La construction de haute lutte de ce projet a permis l'intégration des visions jusqu'alors antagonistes des acteurs et le dépassement des blocages qui immobilisaient le territoire dans une situation insoutenable à long terme. Sur les bassins de la Sèvre Niortaise amont et du Mignon, 9 600 ha sont irrigués dans 230 exploitations agricoles. L'eau utilisée actuellement provient pour l'essentiel de pompages estivaux dans la nappe. Ce dispositif ne peut cependant être maintenu à moyen terme en raison de l'application de la réglementation sur les volumes prélevables. C'est dans ce contexte que la Société coopérative anonyme de l'eau des Deux-Sèvres a été autorisée à réaliser 19 retenues à remplir en hiver, pour un volume de 8,65 millions de m. Ces réserves devaient permettre de remplacer le prélèvement actuel d'été par un pompage d'hiver à une période où la ressource en eau est plus abondante. Ce projet a suscité de vives oppositions. Ses opposants ont en effet jugé les volumes des retenues excessifs et ont considéré qu'elles risquaient de favoriser une forme d'agriculture intensive « industrielle » susceptible de dégrader les milieux aquatiques et notamment la qualité de l'eau des cours d'eau et des nappes. Cette situation de blocage relativement courante entre agriculture et écologie a cependant pu être dépassée grâce à un travail de médiation réalisé à un haut niveau politique et administratif par le représentant de l'État dans le département et par une députée élue dans le département. Cette médiation a permis au point de vue écologiste de reconnaître que la pérennité de l'activité agricole était impossible sans la mise en place d'une solution d'irrigation de substitution au pompage estival. Le monde agricole a reconnu de son côté que l'acceptabilité sociétale du projet de retenue était conditionnée à une évolution des pratiques agricoles vers l'agroécologie. Cette convergence des points de vue a permis de déboucher sur un accord autour d'un projet rénové de retenues d'eau. Les amendements au projet initial portent sur les points suivants : - un redimensionnement du projet (réexamen de certaines retenues et de certains forages de remplissage) ; - l'engagement d'un travail d'évolution des cultures et pratiques agricoles, puis leur mise en oeuvre et leur contrôle ; - le conditionnement des volumes de prélèvement autorisés dans le milieu en étiage à une mise en oeuvre effective de ces évolutions ; - la fixation des règles de réattribution des volumes individuels d'irrigation priorisant les cultures et pratiques adaptées à la sensibilité du milieu ; - l'élaboration puis la mise en oeuvre d'un programme de renaturation des sols et des paysages (rétablissement de haies en limite de parcelles, la réhabilitation de fossés, le développement de cultures sous couverts arborés, etc.). |
Il faudra également mettre en place les conditions institutionnelles d'une gestion intégrée de la ressource hydrique qui permette d'arbitrer entre les différents usages dans le respect du projet de territoire élaboré par tous les acteurs. Le changement climatique impose ainsi d' aller vers une gestion intégrée de la ressource des grands fleuves sur le modèle du Rhône et de la compagnie nationale du Rhône . Il faudra donc être vigilant, dans la réattribution des concessions hydroélectriques, pour éviter un morcellement des cours d'eau et une gestion fractionnée de chaque installation.
Enfin parce qu'une gestion commune de l'eau repose sur la confiance des acteurs et la transparence des usages, il faut impérativement progresser vers une meilleure connaissance de la réalité des prélèvements opérés par les différents acteurs . Le cas du Rhône est à cet égard emblématique, puisqu'on ne dispose pas d'outils de mesure permettant de savoir quels sont les volumes prélevés annuellement sur le fleuve !