C. LES AUDITIONS ET ÉCHANGES DE L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE AVEC PLUSIEURS PERSONNALITÉS
Chaque partie de la session ordinaire de l'APCE offre l'opportunité à ses membres d'entendre et, éventuellement, d'interroger un représentant du pouvoir exécutif de l'un ou de plusieurs États membres du Conseil de l'Europe sur les questions touchant aux droits de l'Homme et à la démocratie. Celle d'avril 2019 s'est, à cet égard, révélée particulièrement riche.
De même, une part de l'ordre du jour a aussi été consacrée, conformément à l'habitude, à l'audition par l'ensemble des membres de l'Assemblée parlementaire des plus hauts représentants de l'organe exécutif du Conseil de l'Europe (à savoir le Président du Comité des Ministres) et des services de l'Organisation (à travers son Secrétaire général et la Commissaire aux droits de l'Homme).
1. Deux allocutions de Chefs de Gouvernement
Au cours de la session de printemps, deux Premiers ministres ont été amenés à s'exprimer devant l'Assemblée parlementaire, en séance plénière : M. Mamuka Bakhtadze, Chef du Gouvernement de la Géorgie, pays qui prendra la présidence du Comité des Ministres en novembre 2019, et M. Nikol Pashinyan, son homologue de la République d'Arménie, qui a remporté les dernières élections législatives en décembre 2018.
a) L'intervention de M. Mamuka Bakhtadze, Premier ministre de la Géorgie
Mercredi 10 avril 2019, l'APCE a écouté une allocution de M. Mamuka Bakhtadze, Premier ministre de la Géorgie, pays qui prendra la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe à l'issue du semestre de présidence française, fin novembre 2019.
En ouverture de son allocution, le Premier Ministre géorgien a rappelé que la Géorgie venait de commémorer les 30 ans de la manifestation du 9 avril 1989, pacifique, antisoviétique, exigeant la liberté et l'indépendance du pays et réprimée de façon violente par l'armée soviétique avec des chars et des tirs, au centre de Tbilissi. Il a considéré que cette lutte, réprimée dans le sang, pour l'indépendance, la liberté et la démocratie, n'avait pas été vaine, puisque, deux ans plus tard, le rétablissement de l'indépendance avait été proclamé, de sorte que grâce à ces sacrifices, la Géorgie avait retrouvé son identité européenne.
M. Mamuka Bakhtadze a salué les progrès accomplis par la Géorgie depuis son adhésion au Conseil de l'Europe il y a vingt ans, citant les réformes constitutionnelles et électorale, une justice plus indépendante et un meilleur contrôle des droits de l'Homme, ainsi qu'à titre plus symbolique l'accession d'une femme à la Présidence de la République. Il a exprimé l'ambition de son pays de devenir un pont entre l'Europe et l'Asie, mais aussi de vivre dans la paix, dans une région pleine de défis, et d'être un modèle de démocratie.
Il a remercié l'APCE ainsi que les autres institutions du Conseil de l'Europe pour leur contribution à la réforme des institutions et de la société géorgienne. Il a notamment précisé qu'en avril 2017, la Géorgie avait ratifié la convention d'Istanbul contre les violences faites aux femmes. Soulignant qu'il y avait encore du travail à faire, il s'est engagé à augmenter considérablement les ressources consacrées à l'éducation, la part du produit intérieur brut (PIB) géorgien dédiée à ce secteur représentant 6 %, soit le quart du budget de l'État.
M. Mamuka Bakhtadze a déclaré que son pays faisait toujours face à un défi majeur dans l'occupation de certaines parties du territoire géorgien, 20 % du territoire national restant occupé par la Fédération de Russie et plus de 300 000 personnes se trouvant déplacées. Tout en déplorant la gravité de la situation humanitaire et des droits de l'Homme dans ces régions, il s'est engagé à ce que la Géorgie ne règle le conflit que pacifiquement, en citant notamment l'initiative de paix inclusive globale de son Gouvernement intitulée « Step2Better Future », la deuxième étape vers un futur meilleur. Il a néanmoins regretté que la Fédération de Russie ignore toujours les obligations qu'elle avait contractées en 2008 dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu, en refusant de retirer ses troupes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie.
Remerciant le Conseil de l'Europe pour son soutien sans faille à la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Géorgie, il a apporté son appui aux efforts en cours visant à résoudre les difficultés financières actuelles de l'Organisation. Il a néanmoins estimé que le non-paiement par la Russie de sa contribution ne devrait pas entraîner la modification du Règlement de l'APCE. En remerciement des apports du Conseil de l'Europe à son pays, il a indiqué que son Gouvernement avait décidé de verser une contribution volontaire de 500 000 euros à l'Organisation.
Le Premier ministre de la Géorgie a alors conclu son discours en rappelant les paroles de l'ancien Président du Parlement de la Géorgie, M. Zurab Zhvania, lorsque le pays a rejoint le Conseil de l'Europe vingt ans plus tôt : « Je suis géorgien, donc je suis européen ».
b) Le discours de M. Nikol Pashinyan, Premier ministre de la République d'Arménie
Jeudi 12 avril 2019, l'Assemblée parlementaire a reçu M. Nikol Pashinyan, Premier ministre de la République d'Arménie, nommé en 2018 pour mettre fin à la crise liée à la désignation de l'ancien Président de la République comme Premier ministre et conforté par les élections législatives du 9 décembre dernier.
Au début de son intervention, le Premier ministre de la République d'Arménie a mis en exergue qu'au moment de l'adhésion de son pays au Conseil de l'Europe, alors rédacteur en chef au quotidien Oragir , il avait bénéficié d'un élargissement de sa condamnation arbitraire pour avoir exprimé des opinions dissidentes. Visé par la suite par plusieurs procédures, il n'avait finalement été emprisonné, à l'instar de milliers d'opposants, qu'après les événements du 1 er mars 2008 et la mort de huit manifestants pacifiques. Là encore, le Conseil de l'Europe avait apporté des motifs d'espoir, notamment à travers son Assemblée parlementaire qui avait adopté cinq résolutions sur les événements, et avait permis sa libération anticipée, en 2010, après la visite du Commissaire aux droits de l'Homme d'alors, M. Thomas Hammarberg.
M. Nikol Pashinyan a inscrit dans la lignée de ces antécédents sa récente prise de contacts étroits avec l'Organisation, en décembre 2018, alors qu'il venait d'accéder au poste de Premier ministre de son pays à la suite de la révolution de velours, non violente et populaire, d'avril et mai 2018. À l'occasion des élections parlementaires anticipées, au cours desquelles son parti a obtenu plus de 70 % des voix, une mission d'observation de l'APCE s'est rendue en Arménie et elle a conclu que le scrutin s'était déroulé de manière démocratique. Le résultat officiel n'a d'ailleurs pas été contesté devant la Cour constitutionnelle, une première.
Il a déduit de ces constats que son pays est aujourd'hui clairement un État démocratique doté d'une liberté absolue d'expression et de réunion, son Gouvernement y renforçant le respect des droits de l'Homme. Il s'est félicité que la révolution de velours ait été le fait du seul peuple arménien, aucune puissance étrangère n'ayant interféré avec les aspirations de ce dernier.
Il a également déclaré que les autorités arméniennes ont réussi à éliminer la corruption systémique et à créer de véritables conditions préalables à l'égalité de tous devant la loi. Se réjouissant que le nouveau Gouvernement qu'il dirige repousse, chaque jour un peu plus, les frontières de l'économie souterraine, il a indiqué qu'au fil des dix derniers mois, plus de 50 000 emplois avaient été créés ou sortis de l'économie grise, soit 10 % du nombre total d'emplois sur le marché du travail. Il a également précisé que les recettes fiscales, pour l'exercice 2019, devraient excéder les prévisions d'au moins 70 millions d'euros, soit une augmentation de 2,6 %.
Le Premier ministre de la République d'Arménie a convenu que, malgré ces évolutions encourageantes, la démocratie devait encore être consolidée, notamment par la mise en place de garanties économiques et institutionnelles. Pour ce faire, il en a appelé au soutien du Conseil de l'Europe. Il a considéré cette coopération importante, non seulement pour consolider les résultats de la révolution politique, mais aussi pour réussir les changements économiques lancés récemment, qui visent à encourager l'activité et rendre l'Arménie plus attractive pour les investissements et le tourisme.
M. Nikol Pashinyan a enfin souligné que le conflit du Haut-Karabakh restait un défi de taille pour toute la région et que son Gouvernement était attaché au principe du règlement pacifique de la question. Il s'est toutefois déclaré convaincu que le simple dialogue entre dirigeants ne suffisait pas, un dialogue complémentaire entre sociétés en faveur de la paix lui semblant nécessaire, notamment grâce au vecteur des réseaux sociaux.
Il a rappelé avoir personnellement fait preuve d'ouverture en déclarant, à plusieurs reprises, notamment devant le Parlement arménien, que toute solution à la question du Haut-Karabakh devait être considérée comme acceptable par le peuple d'Arménie, par le peuple d'Azerbaïdjan et par celui du Haut-Karabakh, insistant sur le caractère sans précédent d'une telle déclaration qui esquisse le chemin pouvant mener à une résolution pacifique de la question. Il a fait part de sa déception devant l'absence d'écho similaire venant d'Azerbaïdjan, espérant que son message, transmis depuis la tribune de la paix que constitue le Conseil de l'Europe, suscitera une réaction adéquate au sein la société azerbaïdjanaise.
Il a ajouté que son pays continuait à considérer que les coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE devaient être les seuls à traiter de la question du règlement du conflit du Haut-Karabakh, aux côtés des trois parties au conflit. Il a néanmoins appelé le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire à accorder leur attention aux organisations non gouvernementales présentes sur zone, estimant que cela n'aurait pas pour effet de valoir reconnaissance de la souveraineté du Haut-Karabakh.
En conclusion, le Premier ministre de la République d'Arménie a clamé sa fierté de voir la démocratie enracinée de manière irréversible dans son pays. Il a vu dans les événements l'ayant porté aux responsabilités la victoire du peuple, des citoyens et de la jeunesse.
À l'occasion des questions posées au Premier ministre de la République d'Arménie, M me Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) a tout d'abord observé qu'une grande partie de l'opinion publique est convaincue que, dans certaines Républiques de l'ex-Union soviétique, les dirigeants et les membres de leurs familles deviennent très riches, très vite. Se félicitant que le Gouvernement arménien ait mis en oeuvre un plan de lutte contre la corruption, y compris au plus haut niveau, elle a souhaité avoir des précisions sur les mesures concrètes prises en la matière et sur leurs effets déjà constatés dans le pays.
M. Nikol Pashinyan a répondu en insistant sur l'exemplarité qu'il devait lui-même montrer en matière de probité. Il a vu dans cette exemplarité des dirigeants contre la corruption l'outil le plus efficace pour lutter contre ce fléau, la confiance du peuple étant le prérequis principal. Il s'est déclaré totalement disposé, avec son entourage, à faire l'objet de contrôles réguliers, la transparence étant nécessaire. Admettant que tout n'était pas parfait, il a insisté sur les progrès de son pays en la matière. Il en a pris pour preuve le fait qu'une procédure judiciaire avait été engagée, il y a peu de temps, à l'encontre de l'un de ses proches, s'en remettant à une enquête judiciaire indépendante et impartiale pour statuer sur le cas d'espèce.
2. Trois interventions de hauts responsables du Conseil de l'Europe
Lors de la session de printemps, les membres de l'Assemblée parlementaire ont entendu la traditionnelle allocution du Président en exercice du Comité des Ministres, de même qu'ils ont pu interroger le Secrétaire général de l'Organisation. Cette semaine de débats a toutefois été marquée par une particularité, dans la mesure où la nouvelle Commissaire aux droits de l'Homme, qui a pris ses fonctions le 1 er avril 2018, a présenté son rapport annuel d'activité.
a) La communication du Président du Comité des Ministres, M. Timo Soini, Ministre des Affaires étrangères de la Finlande
Deuxième session du semestre de présidence finlandaise du Comité des Ministres, cette session plénière de printemps de l'APCE a été l'occasion, pour M. Timo Soini, Ministre des Affaires étrangères de la Finlande, de dresser un bilan de l'action de son pays en faveur du Conseil de l'Europe au cours des six mois écoulés. Il est intervenu à cet effet devant l'ensemble des membres de l'Assemblée parlementaire, le lundi 8 avril 2019, et a répondu à leurs questions.
À l'occasion de sa communication aux membres de l'Assemblée parlementaire, le Ministre des Affaires étrangères finlandais a appelé, pour trouver une solution à la crise politique et institutionnelle actuelle du Conseil de l'Europe, à une coopération plus étroite entre tous les États membres et entre les deux organes statutaires de l'Organisation, à savoir l'Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres. Il a souhaité voir les différents points de vue converger vers une vision unique.
Constatant que le Conseil de l'Europe se trouve encore dans une situation de crise à la fois politique, financière et institutionnelle, liée à l'annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie, M. Timo Soini a considéré que la recherche de résultats exigeait un esprit constructif de la part de toutes les parties. Il a d'autre part clairement rappelé que les États membres du Conseil de l'Europe devaient s'acquitter de toutes leurs obligations et que le paiement des contributions faisait partie de ces obligations leur incombant à tous.
Il s'est félicité d'avoir initié un dialogue renforcé entre le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire, afin de faire en sorte que ces deux organes se réunissent, s'écoutent mutuellement et s'efforcent de trouver une issue aux problèmes. Soulignant que ce dialogue avait plus particulièrement porté sur la coopération, la recherche d'une réponse commune pour faire face au non-respect des obligations des États membres, le suivi des engagements et la situation financière du Conseil de l'Europe, il a estimé qu'une réponse conjointe des deux organes statutaires au non-respect des obligations semblait pouvoir garantir l'avenir de l'Organisation.
Le Ministre des Affaires étrangères finlandais a détaillé la procédure selon les étapes suivantes : l'entrée dans un dialogue spécial ; un suivi spécial ; des actions et des déclarations publiques. Il a ajouté que chaque étape permettrait de poursuivre le dialogue avec l'État membre qui aurait enfreint ses obligations, l'objectif étant de remédier au fait générateur de la crise, et qu'en cas d'échec, le Comité des Ministres pourrait être saisi sur la base des articles 7 et 8 du Statut.
M. Timo Soini a estimé que l'établissement d'une telle procédure de réponse commune ne nécessitait pas la révision du Statut du Conseil de l'Europe, mais seulement une action concertée de l'Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres, la commission des questions politiques et de la démocratie s'étant saisie de cette thématique. Il a fait valoir qu'une réponse commune aux problèmes actuels renforcerait toute l'Organisation, la solution s'en trouvant plus efficace et légitime, et indiqué que son objectif était de parvenir à un résultat constructif lors de la réunion ministérielle d'Helsinki, mi-mai.
Le Président en exercice du Comité des Ministres a aussi évoqué, au cours de son intervention, un certain nombre d'événements organisés dans le cadre de la présidence finlandaise, en rapport avec ses priorités qui avaient été le renforcement du système des droits de l'Homme et de l'État de droit, l'égalité et les droits des femmes, ainsi que l'inclusion, avec un accent particulier mis sur les jeunes et la prévention de la radicalisation.
Il a ainsi évoqué la Conférence de haut niveau sur l'intelligence artificielle organisée à Helsinki, en février 2019, qui avait permis d'envisager comment l'intelligence artificielle pourrait soutenir les droits de l'Homme, la démocratie et l'État de droit. Il a également cité la Conférence internationale des femmes Roms à Helsinki, il y a 15 jours. Il a enfin précisé qu'il s'était rendu en personne dans plusieurs établissements scolaires pour évoquer la prévention de l'extrémisme violent et de la radicalisation, discuter avec les jeunes et écouter ce qu'ils avaient à dire sur le sujet.
M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains), rappelant les efforts de la Présidence finlandaise pour trouver une solution à la crise du Conseil de l'Europe, a demandé au Président du Comité des Ministres de rappeler les principales échéances à venir concernant les problèmes de financement de l'Organisation et de préciser la réponse que le Comité des Ministres entend apporter au non-paiement par la Russie de sa contribution.
Le Ministre finlandais des Affaires étrangères a fait part de son incompréhension à l'égard de certains membres de l'APCE, russes en l'occurrence, qui ne respectent pas leurs obligations et n'y siègent pas. Il a mis en parallèle le grand honneur de siéger à Strasbourg avec celui d'honorer ses contributions financières au Conseil de l'Europe, ainsi que toutes les responsabilités associées au statut d'État membre d'ailleurs. Considérant que tous les États membres doivent avoir les mêmes droits et les mêmes responsabilités, il a appelé les Russes à remplir leurs obligations car il n'y avait pas, selon lui, d'alternative.
b) La présentation du rapport annuel d'activité de la Commissaire aux droits de l'Homme, par Mme Dunja Mijatoviæ
Au cours de la dernière séance du lundi 8 avril 2019, l'APCE a examiné le premier rapport annuel d'activité de la cinquième Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, M me Dunja Mijatoviæ, élue par l'Assemblée parlementaire lors de sa session d'hiver de 2018.
Au cours de la présentation de ce document aux membres de l'Assemblée parlementaire, la Commissaire aux droits de l'Homme a plus particulièrement tenu à mettre en exergue les droits des immigrés, ceux des femmes et des personnes handicapées, la protection des défenseurs des droits de l'Homme et la sécurité des journalistes, qu'elle a considérés comme thèmes récurrents de son travail, dans un contexte de déclin rapide du respect des droits de l'Homme dans nos sociétés. Elle a également dénoncé les discours toxiques, nationalistes, irresponsables et cyniques d'un grand nombre de leaders politiques en Europe, qui minent le socle fragile du système des droits de l'Homme.
Déclarant accorder une attention particulière à la question des migrations, M me Dunja Mijatoviæ a appelé les autorités nationales à améliorer le traitement des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés, et à mettre les droits de l'Homme, ainsi que le principe du partage des responsabilités, au centre de leurs politiques migratoires et de leurs politiques d'asile.
S'agissant des droits des femmes, la Commissaire aux droits de l'Homme a souligné la nécessité de lutter contre les préjugés et les stéréotypes sexistes, de même que contre toute forme de violence à l'égard des femmes. Elle a invité les autorités nationales à réduire l'écart salarial entre hommes et femmes, qui reste un obstacle majeur à la réalisation de l'égalité et un problème commun à tous les États membres du Conseil de l'Europe, dans le secteur public comme dans le secteur privé.
M me Dunja Mijatoviæ a aussi insisté sur la nécessaire protection des défenseurs des droits de l'Homme et des journalistes. Elle a déploré que des agressions physiques et certains textes législatifs ou certaines pratiques réduisent considérablement leur capacité à renforcer le tissu démocratique de la société. De même, elle a pointé la persistance de discriminations et de préjugés profondément ancrés contre les personnes handicapées, les enfants, les personnes âgées, les Roms et les personnes lesbiennes, gays, bi et transsexuels ou inter-sexes (LGBTI). Elle a enfin regretté que les difficultés culturelles, sociales et économiques favorisent les inégalités et la ségrégation.
Si elle a craint un recul des valeurs et principes d'égalité, de respect, de diversité, d'inclusion qui définissent le Conseil de l'Europe, la Commissaire aux droits de l'Homme s'est déclarée optimiste pour l'avenir, pour trois raisons :
- en premier lieu, grâce à un dialogue constructif engagé avec une majorité d'autorités nationales, ce qui s'est traduit par un accès aux endroits pertinents, aux informations demandées et aux rencontres désirées lors de ses différentes visites dans les États membres ;
- en deuxième lieu, grâce à la vitalité des ONG et au travail des journalistes, des défenseurs des droits de l'Homme, des militants, à qui elle a rendu hommage ;
- enfin, grâce à la jeunesse, qui réclame plutôt plus que moins de droits de l'Homme.
En conclusion, la Commissaire aux droits de l'Homme a estimé que beaucoup restait à faire pour protéger les droits de l'Homme dans toute l'Europe. Elle a souhaité pouvoir bénéficier de l'aide et du soutien des membres de l'APCE dans l'accomplissement de sa mission, soulignant que si des désaccords avec eux pouvaient apparaître, tous partagent avec elle un attachement résolu aux principes, aux normes et aux valeurs sur lesquels se fonde le Conseil de l'Europe.
Lors de la séance de questions qui s'en est suivie, M me Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) a rappelé que, en février 2019, la Commissaire aux droits de l'Homme avait rendu public un mémorandum sur le maintien de l'ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes » en France, qui contenait plusieurs recommandations. Indiquant que le Conseil constitutionnel venait de rendre sa décision sur la proposition de loi dite « anti-casseurs », alors que la France et ses forces de l'ordre venaient de vivre 21 samedis d'affilée de manifestations et de violences, elle a souhaité connaître l'appréciation de M me Dunja Mijatoviæ sur la situation, et notamment si elle pensait que ses recommandations puissent mettre fin à la violence à l'oeuvre en France.
La Commissaire aux droits de l'Homme a dit espérer que ses recommandations soient prises au sérieux par les autorités françaises. Ne souhaitant pas ajouter quoi que ce soit au document de février, elle a rappelé qu'elle s'était rendue à Paris pour y rencontrer toutes les parties - police, autorités, structures de défense des droits de l'Homme, notamment le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, membres de la société civile -, avant de formuler ses observations. Elle a estimé que le plus important était de mettre fin à la violence, ce qui n'est pas facile pour des autorités soucieuses d'assurer la sécurité. Se déclarant attentive à l'évolution de la situation, elle a souligné qu'elle continuera à travailler étroitement avec les autorités et la société civile en France.
De même, M me Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) , après avoir affirmé que la liberté de la presse doit être défendue et se réinventer, a demandé si une initiative d'ampleur de l'APCE ne devrait pas être engagée sur le sujet, de concert avec la Commissaire aux droits de l'Homme, afin de pouvoir débattre des enjeux et promouvoir les meilleures conditions possibles pour cette liberté, qui permet aux citoyens de se forger une opinion et d'éclairer le débat démocratique partout en Europe et dans le monde.
En réponse, la Commissaire aux droits de l'Homme a observé que l'Assemblée parlementaire agissait déjà beaucoup en faveur de la liberté de la presse. Elle a, à cet égard, salué les nombreuses initiatives visant à sensibiliser sur les assassinats de journalistes ou à faire la lumière sur les crimes commis à leur encontre. Appelant à accepter la critique de la presse et à augmenter le niveau de tolérance à son égard, elle a formé le voeu que le Conseil de l'Europe continue à jouer son rôle de défenseur des journalistes et des droits de l'Homme, afin d'encourager la liberté d'expression.
c) La séance de questions à M. Thorbjøn Jagland, Secrétaire général du Conseil de l'Europe
Le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Thorbjørn Jagland, a répondu à plusieurs questions orales de membres de l'APCE lors d'une séance spécifique sur le sujet, mardi 9 avril 2019. À la différence des autres personnalités du Conseil de l'Europe, il n'a pas prononcé de propos liminaire.
L'essentiel des questions posées au Secrétaire général par les membres de l'Assemblée parlementaire a porté sur la situation budgétaire du Conseil de l'Europe, ainsi que sur le plan de contingence préparé sous son égide, le devenir de l'appartenance de la Russie à l'Organisation, les résultats des élections municipales en Turquie, de même que sa propre succession d'ici l'automne 2019.
Au cours de cette séance, M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste), après avoir rappelé qu'en 2015, le Conseil de l'Europe avait créé la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, a demandé à M. Thorbjørn Jagland de dresser un bilan de cette initiative. Il a souhaité savoir, à cette occasion, s'il jugeait la coopération entre les États membres au sein du dispositif globalement satisfaisante.
Le Secrétaire général du Conseil de l'Europe a répondu sur ce point que douze des organisations de journalistes parmi les plus prestigieuses en Europe sont partenaires de ce dispositif. Il a indiqué qu'elles étaient satisfaites de la mise en place de la Plateforme, jugeant lui-même que le dispositif fonctionnait plutôt bien. Admettant quelques difficultés de la part de certains États membres, il a estimé que la coopération était dans l'ensemble assez bonne, ce qui avait permis de résoudre un certain nombre de problèmes de façon convenable.
Après avoir constaté que, dès le début de la campagne électorale des prochaines élections européennes, les propos haineux et agressifs et les influences étrangères avaient commencé à essaimer sur les réseaux sociaux, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a demandé s'il ne serait pas utile que le Conseil de l'Europe s'intéresse aussi au déroulement de ce scrutin à l'avenir, comme il le fait pour les élections nationales et les référendums.
Le Secrétaire général du Conseil de l'Europe s'est borné à indiquer que, pour ce qui est des prochaines élections au Parlement européen, l'Assemblée parlementaire n'avait pas été invitée à les suivre en tant qu'observateur.