N° 450
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 avril 2019 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les moyens mis en place pour faire face aux nouveaux actes de violence et de vandalisme commis à Paris ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc, André Reichardt , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled . |
LISTE DES
PROPOSITIONS
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AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le 16 mars 2019, Paris a à nouveau été le théâtre d'actes de violence et de dégradation inacceptables , commis en marge d'une manifestation des « gilets jaunes ». Aussitôt, le Gouvernement a revu les dispositifs de maintien de l'ordre pour tirer les conséquences des défaillances qu'il a lui-même publiquement constatées.
Ces évènements ont non seulement constitué un nouveau défi pour la sécurité publique, mais ils ont également eu des conséquences très négatives sur l'image de notre pays, sur son attractivité, ainsi que sur l'activité économique.
L'impression, partagée par nombre de nos concitoyens, a été celle d'un « retour à la case départ », c'est-à-dire au 1 er décembre 2018, date à laquelle l'Arc de Triomphe, l'un des symboles de notre République et de notre Histoire, avait été livré aux casseurs et où, déjà, plusieurs dizaines de commerces avaient été saccagés, pillés voire incendiés , tandis que nos forces de police essuyaient, pendant plusieurs heures, des attaques d'une violence extrême.
À la suite des évènements du 1 er décembre 2018, une évolution des techniques de maintien de l'ordre avait certes déjà été engagée par le Gouvernement. Plusieurs mesures avaient ainsi été prises, dès le 8 décembre, afin de mieux prévenir et contenir l'action de groupes de casseurs qui, de manière régulière désormais depuis plusieurs années, nuisent au libre exercice de la liberté de manifester.
Force est néanmoins de constater que, même si pendant quelques semaines les phénomènes de violence se sont atténués au sein des cortèges des « gilets jaunes », ces mesures se sont révélées insuffisantes pour faire front aux casseurs qui ont déferlé, le samedi 16 mars, dans le quartier des Champs-Élysées.
En dépit de l'engagement sans faille des forces de l'ordre qui, depuis maintenant près de cinq mois, sont soumises à rude épreuve, ces évènements ont mis en lumière des dysfonctionnements dans le dispositif de maintien de l'ordre déployé. Ils ont également rappelé, si besoin en était, l'urgence, pour l'État, à adapter sa réponse à la radicalisation des comportements sur la voie publique .
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C'est dans ce contexte que votre commission, comme elle l'avait fait au mois de décembre 2018 en entendant le ministre de l'intérieur, 1 ( * ) a souhaité, dès le lendemain du samedi 16 mars, engager un programme d'auditions, afin d'entendre les principaux acteurs impliqués dans la gestion du maintien de l'ordre public.
Cette démarche n'a pas eu pour objectif de déterminer les responsabilités individuelles. Bien au contraire, elle s'est inscrite dans une approche constructive, avec la volonté de comprendre les dysfonctionnements et d'identifier les pistes d'évolution de nature à prévenir et, le cas échéant, à réduire, à l'avenir, les risques de débordement.
Dès le 19 mars, votre commission a ainsi auditionné, en commun avec la commission des affaires économiques, le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, le ministre de l'intérieur, M. Christophe Castaner et son secrétaire d'État, M. Laurent Nunez.
Elle a, consécutivement, entendu la garde des sceaux, ministre de la justice, Mme Nicole Belloubet, les hauts responsables du ministère de l'intérieur - le directeur général de la police nationale, M. Éric Morvan, le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Richard Lizurey et le préfet de police, M. Didier Lallement -, ainsi que les représentants des forces de police et de gendarmerie 2 ( * ) .
Au total, 30 personnes ont été entendues, à l'occasion de 12 auditions dont les comptes rendus figurent en annexe du présent rapport.
Les auditions de votre commission ont permis d'établir l'existence de dysfonctionnements majeurs, ainsi que l'a du reste reconnu le Premier ministre lui-même le 18 mars, dans l'organisation du dispositif de maintien de l'ordre mis en place le 16 mars à Paris, alors même que la présence de près de 1 500 black blocs y avait été annoncée par les services de renseignement.
À l'aune des propos recueillis, votre commission a pu constater que si nul n'appelait à une révolution de la doctrine française de maintien de l'ordre, des ajustements indispensables devaient y être apportés pour permettre aux forces de l'ordre de répondre efficacement à l'émergence de nouvelles formes de contestation sociale et à la présence, de plus en plus systématique, de groupes de casseurs à l'occasion des manifestations d'ampleur.
Plusieurs pistes d'évolution ont été évoquées au cours des auditions, qui s'articulent autour de trois axes principaux : le renforcement des mesures de prévention, en amont des manifestations ; l'adaptation de la doctrine de maintien de l'ordre au cours des manifestations, afin de redonner une nécessaire souplesse d'action à nos forces de l'ordre ; la judiciarisation et la sanction, en aval, des fauteurs de troubles.
Certaines des propositions évoquées ont d'ores et déjà donné lieu à de premières évolutions au sein de la préfecture de police de Paris, conformément aux orientations données par le Gouvernement dès le 18 mars dernier. D'autres paraissent ne pas avoir encore été prises en compte par les pouvoirs publics.
C'est pourquoi votre commission a jugé utile de présenter ses principaux constats et d'exposer les propositions d'évolution qui lui sont apparues pertinentes pour garantir l'efficacité de notre dispositif de maintien de l'ordre et éviter que ne se reproduise un nouveau « 16 mars ».
* *
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1. Renforcer la prévention en amont des manifestations
Il ressort des auditions menées par votre commission que les dispositifs de prévention déployés en amont de la manifestation du 16 mars se sont révélés insuffisants pour éviter l'infiltration de plusieurs centaines de casseurs au sein du cortège des « gilets jaunes ».
Conformément aux orientations de politique pénale rappelées par la garde des sceaux dans une circulaire du 22 novembre 2018 3 ( * ) , des contrôles sur réquisitions du procureur de la République ont été diligentés aux abords de Paris, au niveau des péages ainsi que des principales gares de l'agglomération parisienne. 7 300 contrôles ont, au total, été réalisés par les forces de police et de gendarmerie le 16 mars.
Pour autant, il apparaît que ces contrôles ont été très largement inefficaces, ne permettant d'identifier que peu de personnes transportant des armes ou des objets susceptibles de constituer des armes par destination. Comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur à votre commission, les individus appartenant aux mouvances ultra paraissent s'être progressivement adaptés aux mesures mises en oeuvre par les pouvoirs publics, anticipant l'acheminement d'équipements et d'armes sur les lieux de la manifestation et réduisant, ce faisant, l'efficacité des mesures de contrôles préventifs.
Outre cette capacité d'adaptation des
black
blocs
, les représentants des forces de police et de gendarmerie
entendus estiment que les points de contrôles disposés en amont de
l'agglomération parisienne auraient été
trop peu
nombreux
. Si cette observation n'a pas été
partagée par les autorités politiques et administratives du
ministère de l'intérieur au cours des auditions, force est
pourtant de constater que le nombre de contrôles réalisés
le 16 mars a été très largement inférieur aux
semaines qui ont suivi
- 14 000 contrôles
réalisés le 30 mars - alors même que les
renseignements transmis anticipaient la venue de plusieurs centaines de
black blocs
.
Pour votre commission, le renforcement et l'adaptation des dispositifs de contrôles en amont des manifestations doit constituer un axe majeur de l'amélioration de la gestion du maintien de l'ordre public , en particulier à Paris.
La loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, récemment entrée en vigueur, devrait, à cet égard, apporter une nouvelle souplesse aux autorités publiques grâce à l'introduction, au sein du code de procédure pénale, d'un régime de contrôles sur réquisitions du procureur mieux adapté au contexte spécifique des manifestations se déroulant sur la voie publique 4 ( * ) .
Au-delà de cette avancée juridique, il apparaît également nécessaire d'exploiter le plus possible les informations transmises par les services de renseignement afin d'adapter les dispositifs de contrôle et de déjouer les comportements d'évitement.
Enfin, un déploiement d'effectifs suffisants de police et de gendarmerie doit être assuré, de manière à multiplier, en amont des manifestations d'ampleur, les points de filtrage.
Proposition n° 1 : Renforcer et adapter les dispositifs de contrôles sur réquisitions du procureur en amont des manifestations, notamment par le déploiement d'effectifs suffisants et l'exploitation du renseignement. |
Il est également indispensable qu'un investissement majeur soit conduit en matière de renseignement . Il a été indiqué que d'importants progrès avaient été constatés, en la matière, depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Votre commission n'a pas été en mesure d'apprécier pleinement cette assertion au cours de ses auditions, seule la délégation parlementaire au renseignement 5 ( * ) disposant, le cas échéant, des prérogatives permettant d'assurer le suivi et le contrôle de l'activité des services de renseignement. Elle constate néanmoins que les services de renseignement avaient anticipé la venue de black blocs dans la capitale le 16 mars.
Des avancées paraissent toutefois possibles dans l'exploitation de ces renseignements, notamment à des fins judiciaires . Depuis 2010, les actes préparatoires à la commission d'actes de violence ou de dégradation en réunion sont constitutifs d'un délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende 6 ( * ) . Il ressort des auditions que ce délit, qui vise à permettre l'interpellation de casseurs en amont de manifestations, n'est, dans la pratique, que peu retenu, y compris lorsque les individus sont identifiés grâce à des renseignements collectés en amont.
Votre commission estime qu'un travail doit donc être mené entre les autorités judiciaires et les services de renseignement en vue de réorienter et d'amplifier l'effort de renseignement pour permettre la poursuite des personnes qui préparent la commission d'actes de violence dans le cadre de manifestations se déroulant sur la voie publique.
Proposition n° 2 : Amplifier l'effort de renseignement pour permettre la poursuite, en amont des manifestations, des personnes qui préparent la commission d'actes de violence. |
Le renforcement des dispositifs de prévention en amont des manifestations s'impose d'autant plus aujourd'hui que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2019-780 DC du 4 avril 2019 relative à la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, a déclaré la mesure d'interdiction administrative de manifester non conforme à la Constitution.
2. Adapter la doctrine opérationnelle du maintien de l'ordre pour mieux endiguer les actes de violence et de dégradation
De l'avis de l'ensemble des personnes entendues par votre commission, plusieurs éléments de contexte ont, le 16 mars, contribué à fragiliser le dispositif de maintien de l'ordre déployé à Paris .
Il est, tout d'abord, indéniable que les manifestations des « gilets jaunes » bousculent, depuis maintenant plusieurs mois, le schéma classique de contestation sociale et, avec lui, la doctrine traditionnelle du maintien de l'ordre. L'imprévisibilité de ces nouvelles formes de manifester ainsi que l'absence d'organisateurs compliquent en effet le travail préparatoire habituellement mené par les autorités publiques et la définition d'une stratégie de maintien de l'ordre adaptée.
En outre, la concomitance, ce samedi 16 mars, de manifestations d'ampleur dans l'agglomération parisienne 7 ( * ) a conduit à disséminer les unités de maintien de l'ordre sur l'ensemble de la capitale et a, en conséquence, généré des tensions importantes sur les dispositifs déployés.
a) Des dysfonctionnements importants dans l'organisation et la gestion du dispositif de maintien de l'ordre
Ces difficultés, si elles ont nécessairement joué dans le déroulement des évènements, ne suffisent toutefois pas à expliquer les débordements commis le samedi 16 mars. Les auditions conduites par votre commission ont, parallèlement, mis au jour des dysfonctionnements importants dans l'organisation et la gestion du dispositif de maintien de l'ordre , certaines d'ordre structurel, d'autres de nature plus conjoncturelle.
En premier lieu, il a été constaté un manque réel de réactivité des forces de l'ordre face aux exactions commises dans le quartier des Champs-Élysées. Les représentants des forces de l'ordre entendus ont, à l'unanimité, fait part de leur incompréhension devant des temps de latence très importants dans la délivrance des instructions par le commandement. Il a été rapporté à votre commission que, dans certains cas, trente minutes se seraient écoulées entre la demande de consigne en provenance du terrain et la délivrance effective de l'instruction par la salle de commandement. À plusieurs reprises, des consignes appelant les unités, pourtant en capacité d'agir, à rester en retrait auraient également été données.
Loin d'être purement conjoncturelle, cette situation semble trouver son origine dans la complexité de la chaîne de commandement de l'ordre public à Paris, historiquement articulée autour de trois à quatre échelons, de même que dans l'éloignement de l'autorité décisionnelle du terrain. De l'avis de plusieurs personnes entendues, l'absence de consultation des unités de maintien de l'ordre lors de la phase préparatoire à une manifestation contribuerait, également, à une distanciation importante entre le commandement et les unités de terrain.
A été relevé, en deuxième lieu, un manque de coordination entre les unités présentes sur le terrain . L'existence de deux chaînes de commandement séparées au sein de la préfecture de police de Paris, l'une relevant de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), l'autre de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), aurait en effet entraîné des difficultés d'articulation entre les unités de maintien de l'ordre et les unités d'interpellation, en particulier les détachements d'action rapide, voire, dans certains cas, des contradictions dans les manoeuvres engagées.
Enfin, il s'avère que des instructions inadaptées sur l'usage du lanceur de balles de défense ont été données aux unités de maintien de l'ordre, sans qu'il ait été possible à votre commission d'identifier précisément l'origine de ces instructions. Dotées d'un nombre restreint d'armes et de munitions à plus faible portée, les unités de maintien de l'ordre comme les unités civiles dédiées aux interpellations auraient été contraintes, dans de nombreux cas, de rester en retrait, faute de pouvoir intervenir en toute sécurité.
b) Des ajustements d'ores et déjà opérés aux stratégies de maintien de l'ordre pour mettre fin à ces dysfonctionnements
De l'avis de l'ensemble des personnes entendues, ces dysfonctionnements , s'ils doivent être corrigés, n'appellent pas une remise en cause de la doctrine française du maintien de l'ordre , fondée sur trois grands principes : l'intervention de forces spécialisées, le maintien à distance des manifestants ainsi que l'usage strictement nécessaire et proportionné de la force en cas d'attroupement sur la voie publique. Bien qu'elle soit, depuis plusieurs mois, soumise à rude épreuve, cette doctrine continue en effet de démontrer son efficacité dans la gestion des manifestations plus traditionnelles. Il peut d'ailleurs être relevé que les autres manifestations qui se tenaient, le 16 mars également, dans la capitale, se sont déroulées sans aucun heurt.
Ce sont donc plutôt à des ajustements qu'il convient de procéder, non pas pour révolutionner, mais pour adapter les stratégies de maintien de l'ordre aux nouvelles formes de contestation sur la voie publique .
Conformément à la feuille de route présentée par le Premier ministre le 18 mars, des réformes ont d'ores et déjà été engagées, dans cette optique, par la préfecture de police, selon deux axes.
Il a, d'une part, été procédé à une unification de la chaîne de commandement des opérations d'ordre public afin d'assurer une meilleure articulation des unités déployées sur le terrain . Comme cela est d'ores et déjà le cas en province, toutes les unités déployées à Paris, dès lors qu'elles participeront à des missions de maintien de l'ordre, seront désormais placées sous la direction unique de la salle de commandement de la DOPC.
D'autre part, plusieurs mesures ont été prises en vue de renforcer la réactivité des unités ainsi que leur capacité d'intervention face à des groupes violents.
Il a, ainsi, été procédé à un renforcement de l' autonomie des unités de terrain , qui disposent désormais d'une plus grande initiative d'action, sans besoin d'instruction préalable de la salle de commandement, sur des secteurs préalablement définis. Conformément à cette nouvelle logique, les commandants d'unité sont désormais systématiquement associés aux briefings effectués, la veille des manifestations, par le préfet de police.
En parallèle, comme l'avait annoncé le Premier ministre, il a été décidé de prononcer plus systématiquement des interdictions de manifester dans les quartiers plus particulièrement touchés par des actes de dégradation. Cette mesure, appliquée à Paris dès le samedi 23 mars, vise non seulement à réduire les tensions dans des zones symboliques, mais aussi à permettre aux forces de l'ordre d'agir plus rapidement en vue d'éviter la constitution d'attroupements violents sur la voie publique.
Enfin, la préfecture de police a fait évoluer le modèle des unités dédiées à l'interpellation . De manière à renforcer leur capacité d'action contre les individus violents, les nouvelles brigades de répression contre l'action violente (BRAV), qui remplacent désormais les détachements d'action rapide (DAR), ont été dotées d'un nombre plus important de fonctionnaires - 60 agents contre 20 pour les DAR. Leur composition a également évolué pour favoriser leur meilleure adaptation au contexte du maintien de l'ordre : elles comprennent désormais deux tiers de personnels issus des compagnies d'intervention, plus habitués au maintien de l'ordre, et un tiers d'agents plus mobiles issus des forces de sécurité publique, pour l'essentiel des brigades anti-criminalité.
c) D'autres correctifs doivent être envisagés
Ces évolutions déjà décidées apportent, sans aucun doute, des réponses utiles aux dysfonctionnements relevés . Force est toutefois de constater que les nouveaux dispositifs expérimentés n'ont, à ce jour, pas été mis à l'épreuve d'une situation similaire au 16 mars dernier et n'ont, dès lors, pas eu l'occasion de démontrer pleinement leur efficacité.
D'ores et déjà, votre commission estime, à la lumière des analyses qu'elle a recueillies, que les mesures mises en oeuvre mériteraient d'être approfondies et complétées , à plusieurs égards.
Il lui apparaît, en premier lieu, indispensable de perfectionner le dispositif des BRAV afin de garantir leur parfaite intégration dans les dispositifs de maintien de l'ordre. Si le placement de ces nouvelles unités d'interpellation sous le commandement de la DOPC est de nature à assurer une meilleure articulation avec les unités de forces mobiles, votre commission estime, à l'instar de plusieurs représentants de la police et de la gendarmerie nationales, que la mise en place d'une réelle complémentarité opérationnelle de ces forces sur le terrain nécessite la conduite d'exercices d'entraînement communs, en grandeur nature. Au-delà, elle s'interroge sur la possibilité d'adosser, sur le plan opérationnel, ces nouvelles unités dédiées à l'interpellation aux unités de forces mobiles de manière à garantir une meilleure coordination, sur le terrain, entre les manoeuvres de maintien de l'ordre et les actions d'interpellation.
Parallèlement, votre commission recommande que les agents issus des effectifs de sécurité publique affectés dans les BRAV, en particulier les agents issus des brigades anti-criminalité, fassent l'objet d'une formation spécifique au maintien de l'ordre .
Proposition n° 3 : Organiser, sur une base régulière, la conduite d'exercices d'entraînement communs en grandeur nature avec les forces mobiles et les unités dédiées à l'interpellation, notamment les brigades d'action contre l'action violente (BRAV), afin d'assurer leur complémentarité opérationnelle. Proposition n° 4 : Former au maintien de l'ordre les effectifs de sécurité publique amenés à intervenir dans le cadre des brigades d'action contre l'action violente (BRAV). |
En deuxième lieu, votre commission estime urgent d'accompagner l'ensemble des réformes annoncées d'un plan global de modernisation des forces mobiles.
Le renforcement de la réactivité des forces de l'ordre ne saurait en effet être achevé sans qu'une attention particulière soit donnée à leur mobilité, actuellement mise à mal par le vieillissement de leurs équipements. Il s'avère au demeurant nécessaire de doter les unités de forces mobiles de l'ensemble des moyens technologiques de nature à fournir, sur le terrain, un appui tactique à la prise de décision.
Or, pour l'heure, les annonces du Gouvernement en la matière ne se sont traduites que par des initiatives timides, à savoir l'expérimentation de produits marquants et le recours à des drones, qui avaient du reste déjà été utilisés par le passé. Il peut, au demeurant, être noté que, de l'avis du préfet de police, les drones actuellement déployés à Paris n'ont, en pratique, qu'un effet opérationnel limité, eu égard à leurs caractéristiques techniques inadaptées.
Proposition n° 5 : Engager un plan national de modernisation des équipements et des outils à disposition des forces mobiles . |
En troisième et dernier lieu, votre commission considère, à l'instar de plusieurs personnes entendues, qu'il serait souhaitable de systématiser la pratique des retours d'expérience au sein de la préfecture de police, à l'issue de chaque opération de maintien de l'ordre d'ampleur. En incitant à un dialogue plus nourri entre les unités et le commandement, une telle pratique favoriserait, sans aucun doute, une remontée des difficultés rencontrées et une adaptation permanente des dispositifs déployés aux réalités du terrain.
Proposition n° 6 : Systématiser la pratique des retours d'expérience au sein de la préfecture de police, à l'issue de chaque opération de maintien de l'ordre d'ampleur. |
3. Améliorer la judiciarisation du maintien de l'ordre
Au cours des auditions conduites par votre commission, la question de la sanction des auteurs de violences et de dégradations dans le cadre des manifestations a, à plusieurs reprises, été présentée comme un axe majeur d'amélioration de la réponse apportée par l'État à la radicalisation des modes d'expression sur la voie publique.
Pour votre commission, la difficulté ne paraît toutefois pas résider, en dépit des déclarations de plusieurs représentants des forces de police et de gendarmerie, dans la réponse apportée par la justice. Les statistiques portées à la connaissance de votre commission démontrent en effet que la réponse pénale a été à la fois rapide et ferme pour les personnes arrêtées par les forces de l'ordre, dès lors que les éléments de preuve réunis étaient suffisants.
Sur les 9 000 individus interpellés en marge des manifestations des « gilets jaunes » depuis le 17 novembre 2018, seuls 150 jugements de relaxe ont été, au 3 avril 2019 8 ( * ) , prononcés et 1 800 individus ont fait l'objet d'un classement sans suite pour absence de charge ou en raison d'une irrégularité de la procédure. 2 200 individus renvoyés devant les tribunaux ont fait, à ce jour, l'objet d'une condamnation 9 ( * ) , dont 40 % à une peine d'emprisonnement ferme, dont le quantum s'élève entre quelques mois et trois ans. 400 individus ont par ailleurs fait l'objet d'un mandat de dépôt.
Conformément aux instructions de politique pénale de la garde des sceaux 10 ( * ) , de nombreuses peines complémentaires d'interdiction de séjour ont également été prononcées.
Les auditions conduites par la commission ont en revanche révélé que la judiciarisation des faits commis dans le cadre de manifestations se heurte, en pratique, à d'importantes difficultés opérationnelles .
En dépit des efforts conduits pour favoriser les interpellations dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre, notamment par la création d'unités dédiées à l'interpellation, l'articulation entre la logique judiciaire et la logique du maintien de l'ordre demeure complexe à mettre en oeuvre en pratique. L'extraction et l'interpellation de fauteurs de troubles peut, en effet, ne pas se révéler souhaitable du point de vue de la préservation du maintien de l'ordre public, dès lors qu'elle peut contribuer à aggraver les tensions ou déséquilibrer un schéma tactique.
Par ailleurs, il a été fait état devant votre commission de la difficile application du cadre pénal dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre . Les conditions d'interpellation au sein d'une manifestation violente ne permettent en effet pas toujours de garantir la qualité procédurale des procédures diligentées et augmentent considérablement les risques d'irrégularité. Qui plus est, la collecte de preuves permettant d'imputer les infractions constatées aux personnes interpellées peut se révéler complexe dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre. De telles difficultés sont au demeurant aggravées par le traitement en masse de faits délictuels qu'impliquent généralement les manifestations.
L'engagement de poursuites judiciaires se révèle d'autant plus complexe à l'égard des individus les plus violents, en particulier des black blocs, plus difficiles à identifier et à interpeller. Entraînés et souvent cagoulés, ces individus font preuve d'une grande capacité de dissimulation et parviennent, dans les faits, à échapper aux forces de l'ordre. En témoigne le fait qu'une majorité de personnes présentées à la justice depuis le mois de novembre ne présentait aucun antécédent judiciaire et n'était pas connue des services de renseignement.
Votre commission note que le délit de dissimulation du visage dans une manifestation, récemment introduit par la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, offrira un outil essentiel pour interpeller et sanctionner dans le cadre des manifestations les fauteurs de trouble, avant même qu'ils ne commettent des exactions.
Au-delà, un effort important doit être réalisé pour favoriser la judiciarisation des faits délictueux commis dans le cadre des manifestations .
Des adaptations du dispositif judiciaire ont d'ores et déjà été engagées par le ministère de la justice pour faciliter l'absorption du nombre conséquent de personnes interpellées dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes » . Ainsi, la circulaire de la garde des sceaux du 22 novembre 2018 précitée formule à l'attention des procureurs généraux et des procureurs de la République plusieurs consignes d'adaptation du dispositif judiciaire. Il y est notamment recommandé de prévoir la mise en place d'une organisation dédiée au traitement des infractions commises dans les manifestations. Il est également requis de recourir aux dispositifs de captation d'images et de systématiser la rédaction de fiches de mise à disposition en cas d'interpellation pour garantir la qualité des procédures judiciaires.
Conformément à ces orientations, la préfecture de police et le parquet du tribunal de grande instance de Paris ont déployé, à compter du mois de décembre 2018, des dispositifs spécifiques destinés à faciliter le traitement judiciaire des personnes interpellées dans le cadre des manifestations. Outre une mobilisation importante de magistrats et de policiers, des centres de traitement judiciaire situés dans les dépôts présentant des capacités d'accueil importantes 11 ( * ) ont été spécialement affectés, certains samedis 12 ( * ) , à la gestion, par les services de police judiciaire, des actes de procédure et des placements en garde à vue.
Certaines personnes entendues par votre commission ont proposé d'aller plus loin, en envoyant sur le terrain de vraies cellules judiciaires, composées d'officiers de police judiciaire mais également de magistrats. Une telle proposition est toutefois apparue complexe à mettre en oeuvre, d'un point de vue opérationnel, à votre commission.
Celle-ci estime en revanche qu'il pourrait être souhaitable d' adapter et de renforcer les centres dédiés au traitement judiciaire des personnes interpellées dans le cadre des manifestations mis en place par la préfecture de police, en y associant des équipes de magistrats du parquet , présents sur place. Un tel dispositif permettrait de fluidifier la gestion des procédures judiciaires, par exemple pour les renouvellements de gardes à vue ou la conduite des entretiens de déferrement, tout en réduisant la charge logistique, en particulier de transport, engendrée par le traitement en masse d'interpellations.
Sa mise en place ne saurait, bien entendu, se substituer au déploiement, sur le terrain, d'un nombre suffisant d'officiers de police judiciaire pour garantir un traitement rapide et précis des interpellations.
Proposition n° 7 : Garantir le déploiement d'officiers de police judiciaire en nombre suffisant dans les manifestations afin de fluidifier le traitement des procédures judiciaires et d'en garantir l'efficacité. Proposition n° 8 : Renforcer, à Paris, lors des manifestations d'ampleur, les centres de traitement judiciaire affectés à la prise en charge des personnes interpellées, en y associant des équipes dédiées de magistrats du parquet. |
Au regard des difficultés inhérentes au contexte du maintien de l'ordre, votre commission estime qu'un effort conséquent doit également être mené pour améliorer la judiciarisation, en aval, des infractions commises au cours des manifestations . Elle salue, à cet égard, la constitution de quinze cellules sur le territoire national spécialement dédiées à la conduite d'investigations judiciaires sur les dégradations et violences commises dans le cadre des manifestations.
L'exploitation accrue des moyens technologiques à disposition des forces de l'ordre doit être privilégiée pour apporter de nouveaux moyens de preuve à l'autorité judiciaire. Les expérimentations actuellement initiées par la préfecture de police sur l'usage de produits marquants, de même que sur le recours plus fréquent aux drones pour la collecte d'images susceptibles de constituer des preuves, constituent des pistes intéressantes. De l'avis des personnes entendues, des adaptations de ces nouveaux moyens doivent être conduites pour les rendre complètement opérationnels. Le préfet de police a notamment indiqué à votre commission qu'il apparaissait nécessaire de procéder à l'acquisition de drones moins lourds et plus maniables, et que des réflexions devraient être engagées sur l'usage des produits marquants, en particulier pour les associer au dispositif des lanceurs d'eau.
Proposition n° 9 : Perfectionner et diversifier les moyens de preuve pour favoriser la judiciarisation des auteurs d'infractions en aval des manifestations. |
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Les auditions menées par votre commission entre le 19 mars et le 4 avril ont fait apparaître une prise de conscience réelle, de la part des autorités de l'État, de la nécessité d'adapter les dispositifs de maintien de l'ordre à la radicalisation des mouvements de contestation sociale sur la voie publique. Des mesures correctives, qu'on aurait pu espérer moins tardives, ont été mises en oeuvre depuis quelques semaines, conformément à la feuille de route définie par le Gouvernement. D'autres mériteraient de l'être.
Si ces mesures semblent a priori pertinentes, c'est bien l'épreuve du terrain qui montrera, en définitive, si elles sont pleinement adaptées à la réalité et à même de prévenir les comportements intolérables auxquels nous assistons depuis plusieurs mois. Votre commission des lois demeurera vigilante en la matière.
* 1 Le compte rendu de l'audition est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20181203/lois.html#toc2.
* 2 En parallèle, la commission des affaires économiques conduit ses propres travaux sur les incidences économiques de ces actes de violence et de dégradation.
* 3 Circulaire CRIM/2018-15/E1 du 22 novembre 2018 de la garde des sceaux relative au traitement judiciaire des infractions commises en lien avec le mouvement de contestation dit des « gilets jaunes ».
* 4 L'article 2 de la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations introduit dans le code pénal un article 78-2-5, autorisant les officiers de police judiciaire et, sous leur contrôle, les agents de police judiciaire, à procéder, sur réquisitions du procureur de la République à des inspections visuelles et à des fouilles de bagages, ainsi qu'à des visites de véhicules, sur les lieux d'une manifestation et à ses abords immédiats.
* 5 Créée par la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007, la délégation parlementaire au renseignement est une entité commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, chargée du contrôle de l'activité des services de renseignement. Elle est composée de huit parlementaires - quatre députés et quatre sénateurs. Son fonctionnement est fixé par l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
* 6 L'article 222-14-2 du code pénal prévoit que le « fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ».
* 7 Se réunissaient en particulier, à Paris, la marche pour le climat et la marche contre les violences diverses.
* 8 L'ensemble des statistiques décrites sont arrêtées au 3 avril 2019. Elles sont susceptibles d'évoluer au gré des jugements prononcés.
* 9 Au 3 avril 2019, 1 800 affaires étaient en attente de jugement.
* 10 La circulaire précitée du 22 novembre 2018 incite les parquets à requérir les peines complémentaires d'interdiction de séjour et d'interdiction de participer à une manifestation, particulièrement adaptées pour éviter la réitération d'infractions.
* 11 Selon les semaines de manifestations, ont été mobilisés alternativement le centre de traitement judiciaire situé rue de l'Évangile, dans le 18 ème arrondissement de Paris, et l'ancien dépôt du palais de justice sur l'île de la Cité, spécifiquement réactivé à cet effet.
* 12 Les dispositifs ont été adaptés, chaque semaine, en fonction de l'ampleur annoncée des mobilisations et des renseignements transmis par la direction du renseignement de la préfecture de police.