II. LES OUTRE-MER DANS L'AUDIOVISUEL PUBLIC DEMAIN : POUR UNE AMBITION VÉRITABLE ET DURABLE

Face à un projet insatisfaisant mis sur la table, les rapporteurs refusent d'apporter comme unique réponse le statu quo. Aussi, ils proposent de donner de nouveaux moyens pour la présence des outre-mer sur les ondes, en se servant notamment d'un média France Ô redessiné comme levier de cette dynamique.

A. ASSURER LA PLEINE EFFECTIVITÉ DE LA JUSTE PRÉSENCE DES OUTRE-MER SUR LES ANTENNES PUBLIQUES

1. Par une restructuration programmatique et fonctionnelle des chaînes publiques
a) Un lien fonctionnel indispensable : rôle de vigie et d'aiguillon

Garantir la présence des outre-mer sur les antennes de France Télévisions passe nécessairement par la présence, dans les organigrammes, de responsables de cette mission .

Si un pôle dédié aux antennes ultramarines - stations La 1 ère et France Ô - doit demeurer, il est nécessaire que des référents outre-mer soient présents dans les grandes directions du groupe.

Les rapporteurs proposent ainsi qu'en plus du directeur exécutif chargé du pôle outre-mer soient nommés des responsables des outre-mer au sein de la direction de l'information et de la direction de la programmation . L'initiative prise par France Télévisions d'un référent au sein des conférences de rédaction doit être saluée et devenir la norme.

Ces responsables et référents doivent être issus du pôle outre-mer au sein duquel ils doivent conserver des fonctions : il est primordial que se créent enfin les passerelles nécessaires avec le pôle outre-mer.

Enfin, il ne peut être fait abstraction d'une chose : pour parler des outre-mer, il faut aussi des ultramarins . Si trop souvent les ultramarins ont été anormalement cantonnés aux sujets relatifs aux outre-mer, ceux-ci ne doivent pas être écartés de ces nouveaux postes. En effet, pour parler des outre-mer, il faut les connaître. À ce titre, il conviendra de valoriser les ressources disponibles au pôle outre-mer à Malakoff comme dans l'ensemble du réseau qui comporte des responsables dynamiques et dotés d'une riche expérience de terrain.

Recommandation n° 1 :  Désigner des référents outre-mer au sein des directions des antennes et des programmes, particulièrement au sein des pôles de commande et de production, ainsi qu'au sein de la direction de l'information et des rédactions nationales.

Recommandation n° 2 : Promouvoir dans les antennes et au sein des organigrammes des directions de France Télévisions les talents et les compétences issus de France Ô et du réseau La 1 ère .

b) Des exigences concrètes de programmation pour la grille
(1) Les quotas, une fausse bonne idée ?

Le Gouvernement a renvoyé à des réflexions ultérieures les objectifs chiffrés de programmation. Ceux-ci semblent pour autant bien nécessaires pour assurer demain une juste représentation des outre-mer dans l'audiovisuel.

Alors que le terme de « quota » revient régulièrement dans le débat public, les rapporteurs souhaitent alerter sur les risques d'une telle mesure. En effet, si des quotas existent déjà aujourd'hui pour protéger les productions de musique francophone par exemple, ils ne doivent pas être perçus comme une solution miracle , d'autant qu'en accumulation de tels dispositifs deviennent rapidement impraticables, en corsetant la programmation.

D'une part, d'un point de vue technique, fixer un pourcentage de contenus ultramarins ou de temps d'antenne ne garantira pas la qualité de ce qui sera diffusé pour remplir ce quota. Si d'aventure le quota se définissait en proportion de la population des territoires par rapport à la population nationale, cela supposerait que le temps d'antenne comme la totalité des contenus concernent de manière exclusive la France ou les Français, ce qui n'a pas de sens.

D'autre part, fixer un quota serait attribuer aux Français issus des territoires ultramarins une quote-part dans la société française . Les sénateurs, attachés à l'indivisibilité de la République comme de la nation française, se refusent à ce qu'un chiffre puisse aujourd'hui distinguer deux parties de la population française répartie entre hexagonaux et ultramarins.

Enfin, quand bien même ce chiffre serait fixé, il serait la première étape d'un engrenage dangereux où une clé de répartition devrait se faire entre les territoires eux-mêmes. Cette conception reviendrait très rapidement et infailliblement à opposer les territoires entre eux du fait de leurs évolutions démographiques contrastées. Cette dérive pourrait être encore plus néfaste avec des revendications reconventionnelles d'autres territoires ou parties de la population.

(2) Des exigences précises, chiffrées et vérifiables pour enfin ménager une juste place aux outre-mer dans les chaînes publiques

Aussi, les rapporteurs souhaitent davantage que soient fixées des exigences chiffrées de programmation par créneau horaire et par type de contenus . S'il n'appartient pas au législateur, pas plus qu'à l'exécutif d'établir les grilles de programmes des chaînes publiques, on ne peut aujourd'hui faire l'économie d'exigences précises. Aussi, celles-ci devront répondre :

- à un objectif de meilleur connaissance par le grand public des réalités politiques, économiques, sociales, culturelles et environnementales des outre-mer et des particularités qui peuvent être celles de ces territoires ;

- à une garantie d'un lien entre les outre-mer et l'hexagone ;

- à une visibilité de chacun des territoires considérés distinctement comme à une mise en perspective de problématiques transversales ;

- à intégrer spontanément les outre-mer dans le traitement normal et ordinaire de l'ensemble des sujets d'actualité .

Ainsi, les rapporteurs proposent que soient consacrés dans une « saison » audiovisuelle 149 ( * ) sur l'ensemble des grandes chaînes nationales de France Télévisions :

- au moins un programme essentiellement dédié aux outre-mer par semaine en soirée, dont la moitié en première partie de soirée et dont au moins un quart sur France 2 , étant précisé qu'il conviendra de ne pas restreindre ces programmes à des émissions de « découverte » ;

- au moins un numéro de chaque magazine hebdomadaire d'ordre économique, social ou culturel 150 ( * ) dédié aux outre-mer, cette fréquence étant relevée à un par mois pour les émissions quotidiennes ;

- un magazine d'information ou d'investigation par trimestre consacré en tout ou partie principale aux outre-mer ;

- un programme participatif hebdomadaire , sur le modèle de l'émission « Les Témoins d'outre-mer », programmé en journée.

En matière d' information , ils proposent durant toute l'année :

- un bulletin d'information relatif aux outre-mer rétabli dans le journal de la mi-journée de France 3 ;

- au sein du journal télévisé de France 2 , selon une régularité hebdomadaire, des focus d'information sur des sujets propres aux outre-mer ou la déclinaison ultramarine de sujets d'intérêt national ;

En dehors des émissions dédiées, le service public doit s'attacher - particulièrement dans l'information - à inclure très régulièrement des éléments relatifs aux outre-mer dans le traitement des sujets généraux , cette démarche devant faire l'objet d'un taggage spécifique et d'évaluations régulières, jusqu'à ce que le pli soit pris.

Ces exigences doivent être contractualisées . Surtout, elles ne doivent pas être pensées comme autant de « cases à cocher » : il s'agit ici de réaliser un effet de levier. Faire enfin entrer les outre-mer dans tous les types de contenus mais aussi à toute heure et notamment sur les heures d'écoute favorable pour que, demain, ne se pose même plus la question de devoir remplir ces objectifs : là sera la « normalisation ».

Recommandation n° 3 : Une périodicité chiffrée de contenus dédiés aux thématiques ultramarines sur les programmes récurrents des chaînes de France Télévisions assurant une visibilité dans différents genres et différents créneaux horaires, selon les modalités précises préconisées et inscrites dans le COM sur la base des propositions de la délégation.

Recommandation n° 4 :  Un traitement renforcé de l'information ultramarine via un programme quotidien dédié sur l'antenne de France 3 et, régulièrement, des sujets évoquant les outre-mer dans les journaux de France 2, appuyés sur les contenus produits par les rédactions des stations La 1 ère .

(3) Une meilleure communication autour des programmes ultramarins

Pour garantir la réussite de ces efforts programmatiques, il faudra aussi que la communication autour de l'offre de programmes ultramarins soit effective et régulière. Les rapporteurs avaient souligné lors de l'audition de Delphine Ernotte-Cunci l'absence, sur les antennes du groupe, de promotion pour les programmes de France Ô en dehors de l'annonce des programmes de première partie de soirée, soit quelques secondes.

Cela doit changer et la promotion des programmes ultramarins doit être assurée. Il s'agira donc de communiquer sur les programmes consacrés aux outre-mer sur France 2, France 3 et France 5, mais aussi de communiquer sur France Ô et la plateforme qui sera créée.

c) Des synergies pour habiller le PAF aux couleurs des outre-mer
(1) De meilleurs liens aux chaînes La 1ère

Cette nouvelle dynamique que doit connaître France Télévisions doit naturellement puiser dans les territoires, cela est particulièrement vrai dans le traitement de l'information.

La prescription maintes fois renouvelée dans les cahiers des charges d'une visibilité des programmes des stations La 1 ère doit devenir une réalité .

Cela passe par de meilleures relations entre les rédactions mais aussi, potentiellement, par un réseau de référents dans les stations ayant vocation à identifier ou produire des contenus - dans différents genres - pouvant être repris sur les antennes nationales.

Pour ce qui est de l'information, l'expérience de France info montre que les chaînes La 1 ère comme le pôle outre-mer ont l'expérience et la capacité de répondre à cette commande, sous réserve de la disponibilité réelle de débouchés sur les trois antennes généralistes.

Recommandation n° 5 :  Organiser une meilleure participation des stations La 1 ère dans les programmes comme dans le traitement de l'information ultramarine, sur le modèle de France info.

(2) France Ô, pivot des outre-mer au sein de France Télévisions

France Ô compte aujourd'hui des personnels compétents dotés d'une expérience riche : il faut que ce « capital humain » puisse irriguer l'ensemble du groupe . France Ô peut être positionnée comme le rassemblement de l'expertise en matière d'outre-mer au sein du groupe France Télévisions . La chaîne et le pôle outre-mer doivent ainsi être en situation également d'appui aux autres chaînes du groupe - France 2, France 3 et France 5 - comme ils le sont déjà pour France info aujourd'hui.

Aussi, si les contenus des chaînes La 1 ère doivent mieux accéder aux écrans, France Ô doit être leur appui au sein du groupe à Paris : France Ô doit être la « courroie de transmission », la représentante de chacune des stations du réseau au sein du groupe.

La chaîne doit ainsi s'incarner comme un pivot entre l'ensemble du réseau et l'ensemble des chaînes nationales .

Enfin, si la chaîne est bien la référence en la matière, forte de son expérience solide, elle a toute la légitimité à assurer le rôle de vigie et de suivi du respect des obligations futures qui seront faites à France Télévisions en matière de visibilité sur l'ensemble des chaînes du groupe.

Recommandation n° 6 :  Faire de France Ô le pivot et le coeur de réseau des outre-mer au sein de France Télévisions, appui aux autres chaînes du groupe, porte-voix du réseau La 1 ère mais aussi vigie du respect des exigences futures.

(3) Des passerelles avec les autres sociétés de l'audiovisuel public

Ce nouvel élan demandé à France Télévisions doit servir à irriguer l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public. Dans cette perspective, les rapporteurs invitent à ce que des conventions en ce sens soient conclues entre les différentes sociétés .

Recommandation n° 7 :  Renforcer les conventions et partenariats avec les autres sociétés de l'audiovisuel public afin de « diffuser » l'élan de visibilité des outre-mer sur l'ensemble des ondes publiques.

2. Par un monitoring régulier

Trop longtemps répétées sans être vérifiées, les exigences formulées doivent être mieux évaluées.

Les rapporteurs souhaitent ainsi que France Télévisions rende annuellement compte des programmes ayant permis de satisfaire cette exigence au sein de son rapport annuel .

Ce reporting sera une base à une évaluation qualitative et non seulement quantitative de la réalisation des objectifs assignés.

Il pourrait également être pertinent à l'avenir de solliciter l'INA pour assurer la mission de vigie de la présence des outre-mer sur les antennes publiques.

Recommandation n° 8 :  Établir, dans le rapport annuel de France Télévisions, un bilan circonstancié des efforts menés en faveur de la visibilité des outre-mer sur les antennes du groupe et une liste des programmes y ayant contribué.

3. Par des moyens de contrôle accrus du CSA
a) Modifier la loi de 1986 pour « garantir » la présence des outre-mer
(1) Rétablir une mission générale pour les sociétés de l'audiovisuel public

Les rapporteurs souhaitent renforcer au plus haut niveau les exigences relatives à la représentation des outre-mer. Aussi, ils estiment nécessaire une consécration législative de cet impératif , comme cela a été temporairement le cas durant les années 2000. Cette base légale confortera la nécessaire présence des futures exigences réglementaires au sein des cahiers des charges.

Il conviendrait ainsi d'inscrire à l'article 44 de la loi de 1986 que « les sociétés nationales de programme assurent la promotion et le rayonnement des cultures des outre-mer dans l'hexagone » .

Recommandation n° 9 :  Inscrire, dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la mission de juste représentation des outre-mer pour les sociétés de l'audiovisuel public.

(2) Renforcer les moyens de contrôle du CSA

Afin de mieux assurer le contrôle à l'avenir des exigences relatives aux outre-mer fixées dans les cahiers des charges, il convient de renforcer les pouvoirs de contrainte du CSA.

Aussi, les rapporteurs souhaitent que soit inscrit dans la loi non plus que le Conseil supérieur de l'audiovisuel « veille » mais bien qu'il « garantit la juste représentation des outre-mer » dans l'audiovisuel . Une modification de l'article 3-1 de la loi de 1986 est donc nécessaire sur ce point aussi.

Recommandation n° 10 :  Modifier la loi du 30 septembre 1986 précitée pour assurer au CSA des moyens de contrôle accrus en matière de visibilité des outre-mer.

b) Exiger des garanties plus précises au sein des conventions conclues avec les grandes chaînes privées

La visibilité de l'ensemble des territoires de la République, et particulièrement des outre-mer, ne doit pas être le seul fait du service public. Aussi, les modalités de prise en compte des outre-mer sur les chaînes privées prévues au sein des conventions qui les lient au CSA doivent dépasser la seule mise à disposition de contenus pour les chaînes ultramarines.

Le CSA doit ainsi également mieux favoriser la bonne représentation des outre-mer sur les antennes privées .

4. Par des commandes et programmations rééquilibrées
a) Sanctuariser l'enveloppe dédiée au niveau national

Les moyens dédiés aujourd'hui aux contenus relatifs aux outre-mer dans la programmation de France Ô doivent être sanctuarisés et renforcés.

Au regard d'une exigence qualitative réévaluée sur la chaîne elle-même et dans la perspective d'une amplification de sa ligne dédiée aux outre-mer, un simple maintien des moyens actuels, au demeurant fort modestes, ne sera sans doute pas suffisant et un renforcement du budget dédié à la programmation ultramarine devra être sérieusement envisagé pour France Ô. Les séries quotidiennes diffusées sur le créneau d'avant première-partie de soirée sur France 2 et France 3, « Un si grand soleil » et « Plus belle la vie », représentent un budget annuel de plus de 30 millions d'euros chacune. Comment imaginer alimenter toute une chaîne en contenus de qualité avec un budget de productions ultramarines représentant la moitié d'une série de 20 minutes par jour ?

Ce renforcement des moyens au niveau national doit pouvoir également irriguer les stations : un montant précis et contractualisé doit être fixé pour les cofinancements entre les stations La 1 ère et les chaînes nationales du groupe France Télévisions . Afin de garantir un soutien effectif aux stations, ce budget doit être établi comme objectif en tant que tel, non confondu dans une enveloppe globale.

L'enveloppe dédiée à la production régionale de France Télévisions devra être également mieux mobilisée en direction des outre-mer, pour un traitement plus équitable avec les autres régions.

b) Fixer des exigences de production réalisée outre-mer

Le soutien aux productions ultramarines doit également être un levier pour la structuration et le développement du secteur de la production outre-mer. Les rapporteurs souhaitent que l'ambition d'une meilleure présence et visibilité des outre-mer au niveau national s'appuie sur les ressources disponibles dans les territoires.

Aussi, il conviendra d'inscrire dans les contrats d'objectifs et de moyens des préconisations claires à destination des commandes de contenus dédiés aux outre-mer.

Expliquant qu'« aucune distinction n'est établie entre les productions lancées sur le territoire, par des réalisateurs locaux, et les productions initiées en métropole, par des réalisateurs métropolitains », la présidente du SPACOM, Christine Della Maggiora, insistait 151 ( * ) en ce sens auprès de la délégation sur la définition selon elle d'une production ultramarine : « une production locale concerne une société dont le siège social se trouve en outre-mer, qui travaille dans son département ou ces territoires, à la mise en valeur de ceux-ci, en étroite collaboration, avec les techniciens locaux ».

Doivent être ainsi pris en compte la localisation de la société de production mais aussi et surtout les moyens de production et les personnels et techniciens mobilisés . Il s'agit de soutenir une économie territoriale de l'audiovisuel, dont les ressources sont présentes mais dont la structuration naissante semble encore fragile.

Recommandation n° 11 :  Contribuer au développement de l'écosystème de la production audiovisuelle outre-mer, par les commandes devant nourrir la programmation des chaînes publiques.

c) Étendre les critères d'éligibilité aux financements du CNC

La question des critères d'éligibilité aux financements du CNC pour les contenus produits pour une diffusion numérique doit être posée.

À ce titre, il est important de faire valoir la nécessité de soutenir la création de contenus numériques dédiés aux outre-mer , documentaires et programmes culturels particulièrement. Il en va de la présence de la diversité culturelle des territoires dans les réseaux et médias de demain.

Recommandation n° 12 :  Revoir les critères d'éligibilité aux financements du CNC pour permettre la création de contenus numériques dédiés aux outre-mer.


* 149 De septembre à juin, soit environ 35 semaines de programmes.

* 150 Cet objectif ne peut être satisfait par une « semaine dédiée » une fois par an.

* 151 Table ronde sur la production audiovisuelle outre-mer le 7 février 2019.

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