N° 117
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 novembre 2018 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur les nouvelles mobilités ,
Par Mme Françoise CARTRON, MM. Alain FOUCHÉ, Olivier JACQUIN, Didier RAMBAUD et Mme Michèle VULLIEN,
Sénateurs
(1) Cette délégation est composée de : M. Roger Karoutchi, président ; MM. Julien Bargeton, Pierre-Yves Collombat, Ronan Dantec, Alain Fouché, Mme Fabienne Keller, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Marie Mercier, MM. René-Paul Savary, Yannick Vaugrenard, Mme Michèle Vullien, vice-présidents ; MM. Olivier Henno, Jean-François Mayet, Jean-Yves Roux, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Serge Babary, Arnaud Bazin, Mmes Maryse Carrère, Françoise Cartron, Marie-Christine Chauvin, M. Édouard Courtial, Mme Cécile Cukierman, MM. Rémi Féraud, Jean-Luc Fichet, Mme Colette Giudicelli, MM. Alain Houpert, Jean-Raymond Hugonet, Olivier Jacquin, Mme Christine Lavarde, MM. Jean-Pierre Moga, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Hugues Saury, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Sylvie Vermeillet. |
AVANT-PROPOS
Madame, Monsieur,
Se déplacer plus vite, plus loin, de manière plus sûre et moins coûteuse est une quête constante de l'humanité, qui a connu des avancées spectaculaires durant les deux derniers siècles : création du chemin de fer qui a permis de massifier les flux de voyageurs et de marchandises sur longues distances à partir du 19 ème siècle, invention du moteur à explosion et du véhicule individuel à moteur au 20 ème siècle, poursuivant la massification mais en offrant de nouvelles libertés aux déplacements individuels, démocratisation de l'avion depuis les années 1960 pour des déplacements tout autour du monde et peut-être demain, développement de vols spatiaux. Dans le même temps, des modes traditionnels de déplacement se sont renouvelés et connaissent une nouvelle pertinence : marche, vélo.
Comme dans de nombreux autres domaines, le numérique transforme les déplacements des hommes et des marchandises , modifie à un rythme prodigieux les approches des fournisseurs de services de mobilité comme des utilisateurs de ces mêmes services. Avec le numérique, pour la première fois, la révolution des mobilités vient non pas de l'apparition d'un nouveau mode de transport mais de nouveaux usages, de nouvelles pratiques, correspondant à de nouvelles attentes sociétales.
Nous entrons dans une ère de « mobilité augmentée 1 ( * ) » où les parcours des voyageurs et des marchandises sont à la fois simplifiés et enrichis et où l'approche de la mobilité ne se réduit pas à l'existence d'un mode de transport que l'on utilise passivement. D'ailleurs, le concept de mobilité est plus large que celui du transport. Selon une définition retenue par la société des ingénieurs et scientifiques de France (IESF), la mobilité désigne : « les aptitudes et les possibilités des personnes d'accéder à leurs activités quotidiennes ou occasionnelles en utilisant différents modes de déplacement, voire l'absence de déplacement lorsque l'activité est accessible au lieu où elles se trouvent » 2 ( * ) . La mobilité doit donc être appréhendée comme une opportunité offerte aux individus d'aller dans d'autres lieux que ceux où ils se trouvent. D'une certaine manière, on est mobile même si l'on choisit de ne pas bouger, dès lors que la possibilité de le faire nous est offerte.
Vos rapporteurs constatent que la mobilité reste une préoccupation importante des français et que la dépense de transport représente une part significative des dépenses de consommation, relativement stable depuis une décennie aux alentours de 14 % de l'ensemble du budget des ménages. La durée de trajet domicile-travail constitue elle aussi une variable clé des stratégies résidentielles des ménages. La mobilité est donc au coeur de la vie quotidienne, mais elle est aussi au carrefour d'enjeux majeurs : des enjeux environnementaux, avec l'impératif de décarbonation des transports, qui émettent environ un quart des gaz à effet de serre (GES) en Europe 3 ( * ) , mais aussi des enjeux économiques avec l'impératif de maîtrise des coûts des déplacements et enfin des enjeux sociaux, avec l'objectif de mobilités partout et pour tous.
Le Sénat s'est penché sur la question des mobilités à travers plusieurs travaux récents : le rapport Keller-Baupin de 2014 sur les véhicules propres, élaboré et adopté dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) 4 ( * ) , le rapport Maurey sur les infrastructures routières et autoroutières de mars 2017 5 ( * ) , ou encore le rapport d'information de la commission des affaires européennes sur les véhicules autonomes 6 ( * ) . Mais il ne s'était pas encore livré à un travail de prospective sur ce thème avant que votre délégation à la prospective décide, lors de la réunion du 7 décembre 2017 de l'inscrire à son programme de travail.
Vos rapporteurs se sont donc emparés de cette question des « nouvelles mobilités », dans un contexte marqué, en ce début de quinquennat, par le foisonnement d'initiatives visant le secteur des transports : organisation des assises nationales de la mobilité entre septembre et décembre 2017, afin de préparer la loi d'orientation des mobilités (LOM), remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures présidé par Philippe Duron en février 2018, concernant la programmation et le financement des infrastructures de transport routières et ferroviaires, remise du rapport de Jean-Cyril Spinetta sur l'avenir du transport ferroviaire en février 2018, prélude à la réforme de la SNCF.
L'objet du présent rapport n'est certainement pas de fournir une liste opérationnelle de dispositions qui devraient être inscrites dans la LOM, ni de faire le catalogue des dernières inventions dans le domaine des mobilités, mais, en prenant de la hauteur et dans une démarche de prospective, d'identifier les grandes mutations en cours, de repérer les facteurs de changement majeurs et d'imaginer les différents scénarios à échéance de 15 à 20 ans, sans céder à l'illusion toujours séduisante consistant à croire que les solutions techniques apporteront naturellement des réponses toutes faites aux problèmes structurels que nous connaissons : congestion, pollution, manque de coordination entre modes.
La politique des transports s'est toujours inscrite dans le temps long , celui nécessaire au financement et à la construction d'infrastructures. En même temps, l'avenir des mobilités est de plus en plus complexe à appréhender et la démarche de planification est percutée de plein fouet par des innovations très rapides permises par le numérique : utilisation du smartphone, exploitation des données produites par les voyageurs ou encore par des innovations touchant les moyens de transport : véhicule autonome, vélos à assistance électrique, roue gyroscopique, trottinette, covoiturage ...
Les acteurs publics chargés de piloter les infrastructures et organiser les politiques de déplacement à l'échelle des territoires doivent à la fois intégrer et encadrer les innovations sur le court terme et réfléchir à l'adaptation à 10 ou 15 ans de l'action territoriale aux nouvelles possibilités offertes par l'évolution des technologies combinées aux nouvelles attentes de la population, notamment en matière de variété des déplacements ou encore de lutte contre la pollution et de préservation de l'environnement. Beaucoup de champs sont concernés et intéressent nos travaux : les déplacements quotidiens de voyageurs entre villes et campagnes, au sein des villes, entre pôles urbains mais aussi la logistique urbaine et la stratégie d'implantation des pôles d'échanges et de stockage de marchandises, car l'économie numérique n'a pas fait disparaître les échanges de biens matériels, mais impose au contraire de les repenser en profondeur.
Vos rapporteurs constatent qu'en matière de mobilités, il existe déjà aujourd'hui une multitude d'expérimentations locales innovantes, souvent lancées avec des soutiens publics (programme des investissements d'avenir, appel à manifestation d'intérêt « French Mobility », fonds européens) et s'appuyant sur les collectivités territoriales, afin d'apporter des services supplémentaires aux utilisateurs de services de mobilité. Ces expérimentations sont la partie émergée de l'iceberg géant des progrès techniques imaginés dans les laboratoires des grandes firmes du secteur des transports : constructeurs automobiles, équipementiers, opérateurs de transport en commun, mais aussi dans les centres de recherche des géants du numérique car la mobilité du futur constitue un axe majeur de développement pour les GAFA. Au-delà de ces grands acteurs bien identifiés, il existe aussi une myriade de start-up qui contribuent à créer un écosystème innovant autour de la question des mobilités, certaines ayant pris en peu d'années une place importante, dans le covoiturage (blablacar), l'autopartage (drivy), le transport individuel de personnes (Uber) ....
Or, si l'innovation est souvent source de progrès, elle suscite aussi des inquiétudes . Elle peut invalider les choix stratégiques et les lourds investissements en infrastructure de transport qui ne sont pertinents que sur du temps long, ensuite elle peut remettre en cause des acteurs économiques installés (industrie automobile, entreprises de transport, modèle des taxis), enfin elle peut produire de nouvelles inégalités sociales ou territoriales avec un déploiement moins rapide voire inexistant des nouvelles solutions de mobilité dans les territoires peu denses ou moins riches que les coeurs urbains des agglomérations : territoires ruraux et territoires périurbains.
L'enjeu des prochaines années est bien que les nouvelles mobilités ne soient pas des mobilités à plusieurs vitesses , laissant sur le bord du chemin une part importante de la population et des territoires, ce qui conduirait à donner des libertés nouvelles de déplacement aux uns, tout en laissant les autres s'installer dans un nouvel enclavement, économique (des mobilités plus coûteuses), environnemental (des mobilités moins propres) et social (des interactions limitées avec les autres territoires).
Les scénarios de la mobilité du futur ne sont pas écrits d'avance . Les craintes d'un nouvel âge des exclusions à travers les mobilités ne sont pas aujourd'hui levées mais les scénarios positifs peuvent aussi se concrétiser, à condition d'anticiper les évolutions déjà à l'oeuvre, et que les pouvoirs publics et les autorités locales ne renoncent pas à un véritable pilotage politique des nouvelles mobilités.
* 1 La mobilité augmentée en 2035, publication de juin 2016 du design tank de la SNCF : http://medias.sncf.com/sncfcom/pdf/designtank/Livre_blanc_Liens_interactifs_Planche.pdf
* 2 La mobilité refondée avec le numérique, Les cahiers de l'IESF n° 21, novembre 2015 : http://home.iesf.fr/offres/file_inline_src/752/752_pj_181217_165117.pdf
* 3 Source : Ministère de la transition écologique et solidaire : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2669/1072/chiffres-cles-climat-france-europe-monde.html
* 4 Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir et utiliser des véhicules écologiques, rapport de Mme Fabienne Keller, sénateur et M. Denis Baupin, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en janvier 2014 : https://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-293-3-notice.html
* 5 Infrastructures routières et autoroutières: un réseau en danger, rapport d'information de M. Hervé Maurey, président, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le 8 mars 2017 : https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-458-notice.html
* 6 Véhicule sans chauffeur : le futur imminent, rapport d'information de M. René Danesi, Mmes Pascale Gruny, Gisèle Jourda et M. Pierre Médevielle, fait au nom de la commission des affaires européennes, le 27 novembre 2017 : https://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-117-notice.html