D. LA CIRCULATION DES ÉLITES DIRIGEANTES : PANTOUFLAGE ET RÉTRO-PANTOUFLAGE.

Les allers-retours entre public et privé sont donc nécessaires au bon fonctionnement de ce système collusif, indispensables à l'État dont ils permettent d'entretenir voire d'étendre l'influence et utiles aux entreprises et intermédiaires divers auxquels ils ouvrent des portes publiques ainsi que des clefs d'interprétation du fonctionnement de l'État et de son administration.

L'exemple des conditions de nomination de François Pérol alors Secrétaire général adjoint de l'Élysée à la tête de la banque privé BPCE, rapporté plus haut (Première partie III-C-1) est particulièrement révélateur du fonctionnement réel du système. Pour être un cas extrême, le pouvoir d'influence se manifeste généralement plus discrètement, il n'en est pas moins significatif d'une organisation où tout le monde « se tient, plus ou moins, par la barbichette », d'un « capitalisme de connivence » 90 ( * ) .

François Villeroy de Galhau (ancien Polytechnicien, énarque, Inspecteur des finances, directeur général de BNP-Paribas devient Gouverneur de la Banque de France et Éric Lombard venant de Générali et de BNP-Paribas est nommé à la tête de la Caisse des dépôts. Ces chassés croisés sont nécessaires au fonctionnement du système en place.

Si l'État facilite autant le pantouflage et rétro-pantouflage des hauts fonctionnaires 91 ( * ) , s'il traine les pieds pour mettre en place un dispositif réellement dissuasif en matière de conflits d'intérêts pour ne pas dire de trafic d'influence 92 ( * ) , n'est pas un hasard mais une nécessité.

L'État a trop besoin de l'oligarchie administrative pour la priver de perspectives aussi lucratives et valorisantes. Placée désormais au coeur d'un système de pouvoirs complexe, comme on l'a vu, elle ne lui est plus nécessaire seulement, comme traditionnellement, pour ses compétences administratives, son expertise, ses capacités à le représenter dans les territoires ou à l'étranger, mais pour son rôle directement politique dans un régime de concentration extrême du pouvoir politique à l'Élysée. Elle lui est nécessaire en outre, comme on vient de le dire, pour son rôle de « passeur » et d'intermédiaire entre sphère publique et intérêts privés. On aura compris que le « pantouflage », le rétro-pantouflage et les conflits d'intérêts qui les nimbent ne sont en rien des exceptions mineures, tolérables au prix du respect de quelques règles déontologiques, ils sont nécessaires au fonctionnement du système collusif public-privé résultant de l'abandon volontaire des pouvoirs et moyens d'action de l'État au fil du processus de libéralisation du pays.

Le pantouflage est le nom symbolique du système de pouvoirs et de production de la richesse qui a poussé sur les cendres de l'État tel qu'on l'entendait jusqu'ici. Quant à savoir sur quoi débouchera sa rupture, bien imprudent qui le dira.


* 90 Voir Jean Peyrelevade « Journal d'un sauvetage » (Albin Michel) où il raconte le sauvetage du Crédit Lyonnais dont il fut PDG de 1993 à 2003.

« Aujourd'hui comme hier, les mêmes connivences, la même consanguinité, le même opportunisme, la même absence de responsabilité, la même incompétence que l'on oublie de sanctionner, produisent et continueront de produire les mêmes effets délétères. Longue est la liste des désastres qui, chacun dans sa singularité, sont comme une reprise de celui du Crédit lyonnais. Comptoir des entrepreneurs, Crédit foncier, Dexia dans le domaine bancaire, le Gan en matière d'assurances, mais aussi pour ce qui est de l'économie réelle Elf avant la privatisation de 1994, France Télécom au tournant des années 2000 et Areva depuis sa création en 2001, en attendant que d'autres noms viennent inéluctablement nourrir ce déplorable palmarès. Sans doute pourrait-on y ajouter quelques grandes entreprises privées (Vivendi, Alcatel-Alstom...) dont, pour des raisons voisines, les moeurs ne furent guère différentes. »

* 91 Voir Partie II.A.IV.2.3.5

* 92 Voir Partie II.B

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