B. QUE FAIRE DE L'ENA ET DES GRANDS CORPS ?

La réponse à la première partie de la question dépend de ce qu'on en entend faire de l'ENA : une école de formation de hauts fonctionnaires au service de l'État et de l'intérêt général ou une business school de managers multicartes en poursuivant la tendance actuelle 44 ( * ) , managers, pour qui l'intérêt de leur entreprise et l'intérêt général se confondent, l'administration d'un État devenant alors une forme particulière de gouvernance, pour qui la réussite se mesure au revenu tirés de l'activité avec le prestige qui en découle.

Question éminemment politique qui comme telle appellera des réponses différentes.

Fidèles à leur choix les néolibéraux opteront pour la business school et s'ils sont cohérents, pour la suppression pure et simple de l'ENA qui serait avantageusement remplacée par des business schools en concurrence, au sein desquelles l'État viendra faire son marché de gestionnaires modernes, comme cela se pratique dans d'autres pays. Là comme ailleurs, il appartiendra à la « concurrence libre et non faussée » de garantir la cohérence du système.

Ceux, par contre qui font une différence entre gouverner, administrer une démocratie républicaine au nom de l'intérêt général et gérer une entreprise s'inscriront dans la tradition d'Hippolyte Carnot, Jean Zay et Michel Debré tout en cherchant à rompre avec le système actuel qui en habit de 1945 donne les mêmes résultats que celui de l'avant-guerre : la reproduction d'une oligarchie qui a su occuper les lieux de pouvoir où c'était possible, voire y a été encouragée.

Ils voudront conserver le « rôle de colonne vertébrale que joue l'ENA puisqu'elle incarne les valeurs de la République et du service public. » (Daniel Keller), en supprimant celui qu'elle joue dans la sélection de l'oligarchie, une oligarchie qui, confondant intérêt public et intérêts privés s'est approprié la plupart des centres de pouvoir essentiels.

Revenir à l'éthique du fonctionnaire de François Bloch-Lainé qui, comme on l'a dit, pouvait écrire dans « Profession fonctionnaire » (Seuil, 1976) qu'il avait « choisi de servir un maître et un seul l'État », un « maître dont les agents jouissent d'une indépendance, d'une liberté qu'on trouve dans peu d'autres métiers ».

1. Séparer le recrutement des administrateurs civils de celui des grands corps

La question de fond n'est pas l'ENA mais son rôle dans la sélection d'une élite de l'élite dès la fin des études au moyen d'un classement qui lui confère une allure méritocratique, détournant ainsi l'École de sa vocation. Comme dira Ghislaine Ottenheimer durant son audition : « Le problème est justement qu'en France on fait l'ENA pour gagner de l'argent ».

Grande est donc la tentation de penser qu'en supprimant ce classement final on réglera le problème : « Supprimez le classement de sortie de l'ENA, et vous aurez résolu une grande partie du problème ! » nous dit, avec beaucoup d'autres, Vincent Jauvert.

Ce à quoi le directeur de l'École Patrick Gérard répond : « Selon moi, les grands corps doivent être recrutés par la haute fonction publique, sans aucune hésitation. L'attractivité de l'ENA est notamment due aux débouchés qu'elle offre à sa sortie. Les corps d'inspection et de contrôle sont des phares de l'administration française. Un certain nombre de jeunes ne se dirigeraient pas vers l'ENA si elle ne débouchait pas sur ces grands corps ».

Certes, qu'un classement dans les quinze premiers en déterminant l'appartenance d'un énarque à un corps prestigieux décide de sa carrière, quoi qu'il fasse ou presque, toute sa vie, a quelque chose de surréaliste 45 ( * ) et de totalement injuste pour beaucoup de ceux qui n'ont pas pour autant démérité.

Certes, comme reconnaît Augustin de Romanet, « Ce n'est pas parce qu'on a été reçu à Polytechnique, à l'ENA ou à l'École des mines qu'on aura toute sa vie dynamisme et motivation dans son métier » , mais supprimer le classement par lequel sont désignées les étoiles filantes de la très haute administration ne supprimerait ni le favoritisme ni les accointances. C'est plutôt du côté de l'objectivisation des besoins (Voir I-B), de la transparence des nominations et de la fluidification des corps (Voir C) qu'il faudrait chercher les éléments de solution.

Et puis, par quoi remplacer le classement ?

Surtout la question essentielle n'est pas le classement en lui-même mais le classement dans des grands corps qui permettront, pour peu qu'on ait quelques relations avec les milieux politiques ou des affaires d'aller chercher fortune dans une autre profession que celle pour laquelle vous avez été recruté, dans des fonctions où les compétences juridiques, comptables, financières ou économiques que vous aurez acquises après un court passage dans l'administration ne vous seront pas d'un grand secours : d'ailleurs, une part non négligeable des membres de ces grands corps est recrutée au tour extérieur et une part tout aussi essentielle de leur travail technique exécutée par d'autres fonctionnaires moins prestigieux.

Il a paru plus fécond à la commission de contourner la difficulté en suivant la voie suggérée par Jean-Pierre Chevènement lors de son audition, à quelques aménagements près tenant compte d'autres observations faites à la commission.

Jean-Pierre Chevènement propose de « concentrer le recrutement de l'ENA sur les administrateurs civils », réservant celui des grands corps à un « Centre des hautes études administratives » 46 ( * ) après recrutement par « la voie de la formation interne continue », avec la création d'un « Centre des hautes études administratives » auquel accéderaient les anciens élèves de l'ENA pour 50% des effectifs, le reste étant issu d'autres corps, y compris de la fonction publique territoriale dans des conditions de formation et d'ancienneté à préciser 47 ( * ) .

On pourrait retenir cette idée en réduisant la durée minimale de pratique professionnelle à 4/5 ans au lieu de 7/10 ans du projet Chevènement de manière à ne pas allonger trop le cursus en assortissant la nomination dans les grands corps d'une obligation d'y servir pendant dix ans, comme le recommande Ezra Suleiman.

Cette solution aurait l'avantage de dissuader ceux qui n'ont pas l'intention de servir l'État et pour qui l'ENA n'est qu'un tremplin vers une toute autre carrière, tout en permettant l'accès aux grands corps à des hommes et des femmes jeunes motivés par les hautes responsabilités publiques.

Elle aurait aussi l'avantage de modifier substantiellement le vivier à partir duquel seront sélectionnés les membres des grands corps, de les diversifier, en leur donnant une connaissance suffisante de l'administration, de ses problèmes et des difficultés auxquelles elle doit faire face.

Une solution dans l'esprit des projets d'École de guerre administrative souvent évoqués.

L'avantage de ne recruter dans les grands corps des fonctionnaires motivés par la fonction et non pour la carte de visite.

Elle aurait aussi celui de permettre une sélection moins aléatoire au moment de l'admission au « centre des hautes études administratives » et moins dépendante de l'enseignement de l'Institut d'Études Politiques de Paris, grande couveuse d'oligarques. Comme l'observe en effet Sylvain Laurens : « Si on ne regarde que les énarques [adeptes du] revolving door , c'est-à-dire principalement ceux sortis dans la botte [Inspection générale des finances, Conseil d'État, Cour des comptes], la part des étudiants issus de Sciences Po Paris frise désormais les 100 %. » (Audition). La diversification du recrutement de l'ENA passe aussi par celle des études qui y conduisent 48 ( * ) .

2. Revoir les modalités de sélection à l'entrée de l'ENA

Dans l'esprit des précédentes propositions, le plus simple pour diversifier le recrutement de l'École, serait d'augmenter le nombre de places au troisième concours.

Se pose aussi la question de la diversité de la composition du jury. Comme l'a rappelé Marc-Olivier Baruch à la commission « C'est le Premier ministre - c'est-à-dire son directeur de cabinet, qui est toujours membre du Conseil d'État ou de l'IGF- qui nomme le président du jury de l'ENA. Ce qu'il faut, c'est être imprévisible. Le corps qui compte le plus d'anciens élèves de l'ENA est celui des administrateurs civils. Pourtant, jamais un administrateur civil n'a présidé ce jury. [Ce pourrait être un administrateur civil, un universitaire, quelqu'un issu d'un corps technique...] C'est de l'entre soi organisé. »

Signe que les choses sont en train de changer ou ultime paradoxe d'une institution qui les cultive, dans son dernier rapport (2017) le jury du concours extérieur, que présidait une préfète, Madame Michèle Kirry, las de « traquer l'originalité comme une denrée rare », décrit des candidats moutonniers, incultes, incapables de penser par eux-mêmes, seulement de répéter le contenu de fiches prédigérées : « D'une manière générale et très regrettable, les candidats ont fortement tendance à construire leur devoir à partir de fiches toutes préparées par thèmes », fiches répétées mot à mot par plusieurs candidats.

D'où l'impression que pour le candidat la copie idéale est « comme un texte éthéré, où n'apparaîtraient surtout pas les sujets délicats », encore moins la plus insignifiante critique des décisions du pouvoir !

« Une tête bien faite valant mieux, dans tous les univers professionnels et sous tous les cieux, qu'une tête trop pleine » , le jury dit avoir privilégié dans sa sélection les candidats capables de penser par eux-mêmes, exhortant les futurs candidats au « courage qui consiste à faire une analyse personnelle » , plutôt que des « raisonnements formatés » . L'aube de nouvelles lumières et le crépuscule de l'IEP de Paris ? 49 ( * )

3. Revoir la formation dispensée
a) Donner un sens aux études

Si le but est de former des serviteurs de la République et de l'intérêt général, il est indispensable d'ancrer l'enseignement de l'École dans l'histoire du pays qui seule explique la forme spécifique de l'organisation politique républicaine démocratique française qui lui vaut son caractère social ainsi que les principes fondateurs de son mode d'être politique : liberté, égalité, laïcité. Qui lui donne son caractère national et par là son mode d'administration. S'il n'a pas vocation universelle il en vaut bien d'autres, contrairement à ce qu'essaient de faire croire les chantres des modèles anglo-saxons jugés plus conformes aux exigences du temps.

Dans ENA, il y a nation et « s'il n'y a plus de nation, pourquoi y aurait-il des fonctionnaires ? » interroge Pierre Legendre 50 ( * ) et c'est dans l'histoire que s'ancre la nation. D'où l'obligation de rappeler et de faire sentir ce qu'elle est à ses futurs hauts fonctionnaires d'où l'importance du rappel de l'histoire du pays.

b) Revoir la formation

Il ne s'agit pas ici de présenter la X ème réforme de l'ENA, exercice que l'École pratique d'ailleurs régulièrement, mais de rappeler quelques conclusions tirées des auditions de la commission.

Les principales critiques faites à la formation actuelle c'est que :

- Si l'intérêt et l'utilité de la première année de stages (en préfecture, à l'étranger et en entreprise) ne sont remises en causes par personne (anciens élèves, responsables de stages) elle pourraient être plus diversifiée, compte tenu du faible nombre d'élèves qui feront leur carrière dans la préfectorale, dans la diplomatie ou l'économie et surtout conçue selon une autre optique qu'actuellement : par immersion dans le métier de ceux qu'on devra diriger 51 ( * ) plutôt que par imitation de ceux qu'on sera censé être un jour (préfet, ambassadeur, manager d'entreprise, directeur d'une administration), autrement dit effectués ailleurs qu' à des niveaux hiérarchiques et de généralité qui ne permettent pas d'appréhender concrètement le métier et ses difficultés 52 ( * ) ,

- La seconde année réservée à des enseignements théoriques à Strasbourg est globalement jugée, sinon inutile, sans grand intérêt du fait là aussi de sa conception et de l'absence de corps enseignant permanent (sauf en langue).

Guère utile parce que ces enseignements se limitent trop à la répétition de cours de Sciences Po par des intervenants occasionnels, ignorant splendidement l'histoire, les problématiques du monde actuel et les réflexions qu'elles ont suscitées : montée des inégalités sociales et territoriales, migrations, crise économique, européenne et géopolitiques, développement du populisme etc. Ignorant splendidement les enrichissements que les sciences humaines ainsi que les théories économiques ne baignant pas dans le « mainstream libéral » peuvent apporter à la réflexion.

Sauf à penser que l'objectif de l'ENA est le formatage d'élèves conformistes, on a peine à comprendre que l'analyse d'une économie et d'une société financiarisées comme la nôtre, que celle de la production monétaire et des crises tiennent aussi peu de place dans la formation de « l'élite de l'élite » 53 ( * ) .

Comme dit encore Adeline Baldaccino, les énarques sont « dressés à savoir un peu sur tout, sans savoir tout sur rien » La Ferme des énarques » ). D'où sa proposition d'organiser la seconde année d'étude autours d'options permettant, au choix des élèves, d'acquérir dans les domaines choisis les solides rudiments qu'ils pourront faire prospérer ensuite au cours de leur carrière. Cette organisation rendrait possible une véritable réflexion critique enrichie par les apports d'universitaires et de spécialistes de telle ou telle question, par des échanges entre élèves de différents pays. Un point de vue qui rejoint le constat formulé par Marc-Olivier Baruch, qui regrettait la séparation particulièrement nette qui existe en France entre la sphère universitaire et la sphère du pouvoir.

Cette deuxième année serait complétée « par un stage ouvrier de terrain. Si un élève se destine aux affaires sociales, par exemple, il pourrait passer quelques semaines ou quelques mois dans un EHPAD. Nous créerions ainsi un espace vital et enrichissant de confrontation au réel. », avant la plongée dans ce réel pour les recrues du premier concours.

Préconisation n° 26 : Introduire dans la première partie de la scolarité à l'ENA des élèves issus du concours externe des stages d'observation sur des postes de catégories A ou B y compris au sein des collectivités locales et sur différents territoires, notamment dans les territoires ruraux et en banlieue.

Préconisation n° 27 : Modifier la seconde partie de la scolarité à l'ENA en faisant une plus grande place aux universitaires, aux sciences sociales et aux échanges avec des élèves étrangers.

Préconisation n° 28 : Modifier les conditions de sortie de l'École nationale d'administration en faisant dépendre les affectations des besoins de l'administration.

Préconisation n° 29 : Affectation des nouveaux hauts fonctionnaires sur ces postes prioritaires pendant 4 à 5 ans avant de recruter ceux qui seront affectés dans les « grands corps ».

4. Préciser la fonction des grands corps, le nombre et le mode de nomination de leurs membres

La fonction de conseil du gouvernement attribuée au Conseil d'État a-t-elle une légitimité démocratique ?

Le poids médiatique de la Cour des comptes est-il légitime alors qu'elle ne défend qu'une politique budgétaire restrictive sans tenir aucun compte de ses effets économiques et que l'équilibre budgétaire pourrait être obtenu par d'autres voies à condition de s'en donner les moyens politiques ?

Est-il nécessaire que le Secrétaire général du Conseil constitutionnel soit toujours choisi parmi les conseillers d'État alors que les conseillers constitutionnels eux-mêmes sont dépourvus de moyens d'expertise propre ?

N'est-il pas temps aussi de limiter les nominations au tour extérieur pour les grands corps, d'instituer un temps de latence entre participation à un cabinet et nomination ? Ce d'autant plus que, comme l'a montré la thèse de Lucie Sponchiado sur la compétence de nomination du Président de la V e République, le Président de la République s'est progressivement approprié une part importante du pouvoir de nomination. Au départ le Président de la République ne procédait à des nominations qu'en Conseil des ministres, et sur des sujets restreints, avec le contreseing du Premier ministre. L'idée était simplement de garantir la neutralité de quelques grandes fonctions, mais le pouvoir de nomination appartenait au Premier ministre. Or, comme l'écrivait Michel Rocard dans un article publié à l'occasion des 40 ans de la V e République, celui qui tient le pouvoir de nomination tient la carrière des fonctionnaires, et a donc un pouvoir colossal. En étendant son pouvoir de nomination, le Président de la V e République a accru son pouvoir sur l'administration.

Autant de questions que pose la formation d'une oligarchie politico administrative aux commandes de l'État, de l'administration et d'une part significative des pouvoirs financiers et industriels.

Préconisation n° 30 : Mettre fin au monopole de fait du Conseil d'État sur le poste de Secrétaire général du Conseil constitutionnel.

Préconisation n° 31 : Fusionner l'Inspection des finances et le Contrôle général économique et financier.

Préconisation n° 32 : Renforcer le contrôle des nominations au tour extérieur pour réduire les nominations politiques de convenance.

Préconisation n° 33 : Instituer un temps de latence de deux ans entre participation à un cabinet présidentiel ou ministériel et nomination dans un grand corps.

5. Limiter strictement les migrations des hauts fonctionnaires

Ce dont ont besoin la Nation et l'État ce n'est pas d'un couteau suisse oligarchique à lames politique, économique et administrative mais de hauts fonctionnaires en charge, sous la responsabilité du politique, de l'intérêt général.

Il importe donc de dissocier les intérêts de la haute administration de ceux de la sphère économique et financière donc de rendre le pantouflage, notamment les allers-retours sinon impossibles, du moins beaucoup plus difficiles.

La solution la plus simple et la plus radicale serait d'interdire toute forme de pantouflage, sauf à démissionner de la fonction publique en remboursant l'ensemble des frais liés à la formation. Non seulement il ne serait plus question de conflits d'intérêts et les candidats prenant la fonction publique comme cheval de Troie de la finance, de l'industrie ou du conseil seraient dissuadés. Telle est la position de Jean-Pierre Chevènement et de Marc-Olivier Baruch : Rappelant que pour le général de Gaulle, le service de l'État était « la plus haute fonction dans l'ordre temporel », ce dernier ajoute : « On ne propose pas à un évêque de diriger les ressources humaines d'une grande banque ! » 54 ( * ) .

Une solution de rattrapage pour ceux qui se seraient trompés de bonne foi sur leur vocation au service public, en réglant l'essentiel des problèmes de conflits d'intérêts, serait d'autoriser un seul aller (après un délai d'activité de 5/6 ans) et un éventuel retour (dans un délai de 3/4 ans), ce qui est largement suffisant pour se déterminer sur sa véritable vocation 55 ( * ) . À l'issue de cette expérience, l'intéressé aurait le choix entre réintégrer la fonction publique ou démissionner pour poursuivre sa carrière dans le privé.

En tout état de cause, le « revolving doors » serait interdit.

Au final : faut-il supprimer l'ENA avec le risque que le système qui la remplacera, qui ne pourra faire l'économie de financements privés importants, accentue encore la dérive oligarchique actuelle ou tenter de le modifier dans le sens esquissé, tout en sachant à quelles oppositions on se heurtera nécessairement ?

Comme le souligne Ghislaine Ottenheimer : « En dépit des tentatives de réforme de l'ENA, on sent bien que cela bloque ! Jamais on ne s'est attaqué au coeur du problème qui est celui de la diversité du recrutement et de la formation, essentiels pour garantir la respiration de la fonction publique. Jean-Pierre Jouyet qualifie l'ENA de Spoutnik : il suffit d'y entrer pour être immédiatement propulsé aux plus hauts postes... » (Audition).

Mais s'il est plus que probable que les obstacles à toute réforme de la haute fonction publique, même une réforme sectorielle comme celle de l'ENA, ne disparaîtront qu'avec le système qui les sécrète, il est peu probable, vu les oppositions de plus en plus fortes qui se manifestent dans les urnes, qu'il sera éternel.

Faisons comme s'il s'agissait de propositions pour l'ère post-oligarchique


* 44 « La vocation croissante de l'ENA à se positionner comme une business school contribue également fortement à encourager ce type d'allers-retours. Il est à signaler que l'ENA a d'ailleurs adopté le langage de ces écoles, avec une certaine réussite, puisqu'elle s'intéresse désormais aux enjeux du numérique et à une série de mantras de l'innovation publique qui associent la vision de l'État à celle d'une start-up. Or il s'agit là de logiques de communication et non d'action publique », Adeline Baldacchino (audition).

* 45 « D'un coup, lors du dévoilement du classement, une quinzaine de personnes savent qu'elles dirigeront. Cela peut fasciner... » note Marc Olivier Baruch (audition) .

* 46 Dès 1967 les co-auteurs de « L'énarchie » proposaient de « supprimer l'accès aux grands corps, à la sortie de l'ENA ». Le recrutement dans les grands corps « se ferait par la voie de la formation interne continue, avec la création d'un Centre des hautes études administratives qui recruterait après sept à dix ans d'exercice en fonction d'aptitudes vérifiées par une pratique professionnelle réelle. » (Audition).

* 47 Certes on peut craindre, comme l'a souligné Adeline Baldacchino lors de son audition que, « d'un point de vue pratique, il (soit) difficile d'obtenir des garanties visant à s'assurer que l'admission ne soit pas liée à des formes de compromission ou de lâcheté administrative » mais, après bien d'autres, le système actuel montre que des critères parfaitement objectifs, judicieusement choisis, peuvent donner des résultats tout aussi biaisés.

* 48 Parmi les membres du conseil d'administration de l'IEP Paris en octobre 2017 : Marc Guillaume (SG du gouvernement), Jean-Marc Sauvé (alors Vice-président du Conseil d'État), Pascal Lamy (ancien élève de l'ENA), Henry de Castri (ancien élève de l'ENA), Louis Schweitzer (ancien élève de l'ENA) Michel Pébereau (Ancien élève de l'ENA IF).

* 49 Presque du Kant dans le texte : « Sapere aude ! Aie le courage de penser : telle est la devise des Lumières », Kant, « qu'est-ce que les lumières ».

* 50 ENA : Miroir d'une Nation

* 51 « Plutôt que de déguiser l'énarque directeur de cabinet de préfet, habillons-le en aide-soignante, en aide-inspecteur du travail, en aide-douanier, en aide- officier de police judiciaire, en aide-substitut du procureur et en aide-instituteur spécialisée dans une zone éducative prioritaire... Au lieu de le conforter dans la tranquille magie de ses privilèges, qu'il finira par croire mérités, pratiquons la tactique de l'électrochoc, de l'anguille électrique.

Ainsi l'énarque saurait-il vaguement de quoi il parle et pourquoi la théorie n'a pas toujours grand rapport avec la pratique si elle ne s'en nourrit pas », Adeline Baldaccino (« La ferme des énarques » Michalon ).

* 52 « Aujourd'hui, les stages occupent plus de la moitié du temps de scolarité. L'énarque y joue au préfet, à l'ambassadeur miniature : il apprend en suppléant et en copiant. Il se fait tout petit et très fidèle, parce que l'essentiel de sa note en dépend. Il reproduit des tics de langage, de comportement, les codes du grand chef lui-même passé par là vingt ou trente ans auparavant. À la fin du stage, en grand secret, le dit chefs note ses anciens stagiaires des années passées les uns par rapport aux autres. », Adeline Baldacchino, (« La ferme des énarques »,Éditions Michalon, 2015 ).

* 53 « La rétraction de la pensée qu'on observe à Bercy est préoccupante, alors qu'on aurait besoin de fonctionnaires divers et originaux. Pourquoi un agrégé de lettres ne serait-il pas compétent ? Et pourquoi sélectionner les élites publiques à vingt ans, sur une seule formation ? M. Bayrou, en 2007, proposait de calquer le modèle de l'École de guerre en créant un établissement qui sélectionnerait les meilleurs éléments une fois la trentaine venue, après qu'ils ont fait leurs preuves. Nous voulons des fonctionnaires capables de dire non (...)! Pour cela, il ne faut pas des petits hommes gris tous semblables, mais une fonction publique diverse, c'est-à-dire l'inverse de ce que nous connaissons aujourd'hui », a relevé Laurent Mauduit lors de son audition.

* 54 Sauf évidemment « L'Institut pour les OEuvres de Religion » (IOR).

* 55 « Je pense qu'il faut qu'on soit beaucoup plus rigide en termes de droit de mobilité... Une mobilité oui, plusieurs, je ne sais pas », Marylise Lebranchu (Audition).

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