2ÈME
PARTIE :
« QUEL AVENIR POUR L'AUDIOVISUEL
À L'HEURE DU NUMÉRIQUE »
I. QUELLE ÉDUCATION AUX MÉDIAS ET À L'INFORMATION DANS UN MONDE HYPERCONNECTÉ ? »
Jean-Michel BLANQUER,
Ministre de l'éducation
nationale
Je suis heureux d'intervenir dans le cadre du colloque organisé par le Sénat sur l'audiovisuel public.
La démocratie n'est pas seulement un bulletin de vote, mais également un espace public, lieu de débat. Le bruit médiatique représente une marque de vigueur de notre démocratie, autant qu'un vecteur d'aliénation, comme l'a décrit Georges Orwell dans 1984 : « Le son de l'appareil pouvait être assourdi, mais il n'y avait aucun moyen de l'éteindre complètement ». Jürgen Habermas nous a, depuis fort longtemps, alerté sur l'hybris médiatique en évoquant le risque de vassalisation d'une opinion publique alors neutralisée, parcourue par des idées non réfléchies, non critiques, qui deviennent des réflexes.
La défiance de certains, notamment chez les jeunes, à l'égard des médias relève de l'esprit que je combats lorsque j'évoque l'école de la confiance pour une société de la confiance. Dès lors qu'avec les moyens technologiques chacun peut construire et diffuser de l'information, il apparaît fondamental de transmettre aux élèves une éthique de responsabilité et un regard critique. Comment un monde de plus en plus technologique peut devenir à la fois de plus en plus humain ? La question concerne de nombreux sujets et la réponse n'est pas aisée. Elle dépend d'abord de l'éducation nationale, capable de donner aux élèves les outils de demain au travers du Centre pour l'éducation aux médias et à l'information (Clémi), de CANOPE et du plan pour l'éducation à l'image
Le CLEMI remplit une mission fondamentale : promouvoir la liberté d'expression ; rechercher, vérifier et apprendre à publier l'information ; forger l'esprit critique des élèves dans un monde complexe où les outils numériques permettent une prolifération d'informations, qui ne sont pas toujours accompagnées du regard critique nécessaire. Il organise chaque année une semaine de la presse et des médias, occasion de réfléchir avec les élèves à une composante clef de nos démocraties : la presse, les médias et, surtout, l'information. En 2018, l'événement a impliqué 17 500 établissements scolaires, 220 000 professeurs, près de 4 millions d'élèves, presqu'un million de titres de presse offerts et 1 750 médias partenaires. Je saisis l'occasion de remercier les acteurs de l'audiovisuel public pour leur implication : il est important d'aller au-devant des élèves dans les classes pour évoquer les contraintes et les finalités de notre métier.
Par ailleurs, sur un budget de fonctionnement de 80 millions d'euros, notre opérateur CANOPE consacre presque 2 millions d'euros à l'éducation aux médias. Enfin, avec Françoise Nyssen, nous avons annoncé un plan pour l'éducation à l'image. Les sociétés de l'audiovisuel public vont créer, dans ce cadre, une plateforme commune de décryptage de l'information pour un budget, qui passera de 3 à 6 millions d'euros. Elle profitera aux associations intervenant dans les médiathèques et les écoles.
Le travail sur l'esprit critique est essentiel et je tiens à l'ancrer au coeur de l'école, convaincu que la finalité de toute éducation ressort de l'émancipation pour la liberté : la liberté de jugement, d'action et d'être, pour chacun, ce qu'il souhaite être. La liberté de la presse, établie par la loi du 29 juillet 1881, est née concomitamment à l'école républicaine, installée par la loi du 8 mars 1882 : elles représentent respectivement l'aval et l'amont de la démocratie.
Lorsque j'évoque les piliers « lire, écrire, compter et respecter autrui », j'insiste sur quatre objectifs majeurs de l'école, dont je réfute la réputation surannée. De fait, si les citoyens ne savent pas lire, notre action n'a nul sens. Or, la lecture n'est pas consolidée chez beaucoup. La culture générale représente également une finalité essentielle de l'école. Ne craignons pas d'apparaître classique ! Si les élèves ne disposent pas d'une culture générale solide, leur lecture de la presse sera défaillante. Les humanités demeurent fondamentales à la compréhension du monde, raison de mon attachement à un socle de connaissances, de compétences et de culture, qu'avec la réforme du baccalauréat les élèves partageront. Aux humanités classiques s'ajoutent désormais les humanités numériques, dont l'éducation nationale doit intégrer l'enseignement : les élèves du lycée général suivront tous un cours d'humanités scientifiques et numériques. Certains disposent, en effet, d'une culture numérique superficielle, à l'origine d'une superficialité des usages comme de mauvais usages.
Nous devons collectivement nous engager pour que les élèves tirent profit de la richesse numérique au-delà de la seule semaine de la presse à l'école. À cet effet, les centres de documentation et d'information (CDI) deviendront des centres de connaissances et de culture portée par une double dimension : individuelle, propice à la lecture silencieuse, à la prise de recul, à la concentration et au travail ; collective et numérique, destinée aux travaux de groupes et aux échanges. Telle sera la bibliothèque du futur dans nos établissements scolaires, qui servira l'objectif éducatif de civilisation. Mon ministère ne disposant à cet endroit que d'une compétence indirecte, j'engagerai un dialogue avec les collectivités territoriales.
La civilisation de la technologie va modifier l'espace et le temps de l'élève au profit du temps individuel, qu'il faut penser en développant notamment des lieux modernes du savoir. Nous habitons l'ère de la post-vérité, dont l'antidote le plus efficace est l'éducation. Des raisonnements et des diffamations de tous ordres sont répandus sur Internet et même ceux qui prétendent parfois décoder encodent. Le citoyen doit savoir décoder le décodage, grâce à des outils intellectuels adéquats.
Avec les acteurs de l'audiovisuel public, les opérateurs publics, les élus nationaux et locaux, nous devons nous mobiliser pour prouver que l'école représente la matrice de l'esprit civique, entendu comme la capacité à s'informer par soi-même, à discerner les différents éléments d'une information, à être soi-même producteur d'informations correspondant à des critères de rationalité et de respect.
Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale