III. LA DIFFICILE « COPRODUCTION DE SÉCURITÉ »

Fragilisées par le manque de moyens et les dysfonctionnements internes de leurs institutions, la police et la gendarmerie nationales pâtissent également de l'existence de relations tendues, voire conflictuelles, avec les autres forces de sécurité intérieure ou avec les autres institutions, avec lesquelles la coordination paraît perfectible. Les relations avec la population et les médias sont également sources de difficultés importantes.

A. UNE ÉROSION PALPABLE DU LIEN DE CONFIANCE AVEC LA JUSTICE

Partenaire quotidien des forces de sécurité intérieure, la justice est pourtant souvent perçue par les forces de sécurité intérieure comme un obstacle dans la conduite de leurs missions.

1. Le sentiment d'une insuffisance de la réponse pénale : un facteur important de démobilisation des agents

Au-delà des difficultés liées au fonctionnement même de leurs institutions, les forces de sécurité intérieure voient dans les dysfonctionnements de la chaîne pénale, prise dans son ensemble, l'une des sources du mal-être ressenti par les agents dans l'exercice de leurs missions.

Nombreux sont en effet ceux qui, face à une réponse pénale qu'ils jugent très largement insuffisante , s'interrogent sur le sens même de leurs missions. S'il est moins prégnant au sein des services spécialisés de police judiciaire, dont l'activité est centrée sur des affaires criminelles qui débouchent généralement sur le prononcé de peines lourdes, le sentiment de démotivation qui en découle est particulièrement répandu au sein des effectifs de sécurité publique, qui traitent en volume l'essentiel de l'activité judiciaire. Pour reprendre les termes employés par Alain Bauer, les forces de sécurité intérieure paraissent aujourd'hui confrontées à une vraie crise d'efficacité : « ce qui est en cause, c'est la relation avec la partie pénale et judiciaire. Les policiers ont le sentiment de passer leur temps à interpeller des personnes qui sont libérées avant même la fin de la procédure, et de faire l'objet de moqueries et d'humiliations en raison de l'absence de chaîne pénale cohérente ».

Les policiers et gendarmes insistent notamment, à cet égard, sur l'inadéquation de la politique pénale à l'encontre des mineurs, qui contribue à la diffusion d'un sentiment d'impunité, parmi la population comme parmi les forces de sécurité intérieure. Comme le relevait Guillaume Lebeau, « l'ordonnance de 1945 n'est plus adaptée aux réalités d'aujourd'hui. En tant que policiers de terrain, nous sommes quotidiennement confrontés à des mineurs, qui représentent jusqu'à 70 % des personnes auxquelles nous avons affaire. Ce sont souvent eux qui créent des troubles, brûlent des voitures et pourrissent le quotidien des habitants des secteurs difficiles, avec un total sentiment d'impunité ».

Cette absence de réponse pénale efficace pèse sur le moral des agents, qui constatent souvent dans ce domaine que les interpellations qu'ils accomplissent et les enquêtes qu'ils mènent à bien ne se traduisent pas par des sanctions efficaces, c'est-à-dire bien comprises en tant que telles et dissuasives de sorte qu'elles permettent de mettre un coup d'arrêt à la poursuite d'un parcours délinquant avant qu'il n'aboutisse à des faits graves.

L'équipe dirigeante de l'établissement du Courbat, sur le site duquel votre commission d'enquête s'est déplacée, confirmait également l'impact de ce ressenti sur l'état moral des policiers, en constatant que l'absence de résultat pénal était souvent citée par les policiers pris en charge comme l' une des raisons de leur dépression .

Force est pourtant de constater que, sur le plan statistique, notre système judiciaire n'a jamais autant condamné ni jamais prononcé de peines aussi lourdes. Entre 2004 et 2016, le nombre de condamnations prononcées à l'encontre de personnes majeures pour délit a ainsi augmenté de 17 % 40 ( * ) . Par ailleurs, bien que le nombre d'affaires poursuivables évolue à la baisse depuis plusieurs années, on constate un mouvement d'aggravation des peines prononcées , qui se traduit par un recours plus important, tant en proportion qu'en valeur absolue, à la peine d'emprisonnement. Parmi les peines prononcées, le nombre de peines d'emprisonnement en tout ou partie ferme a augmenté de 21 %, au détriment des peines avec sursis partiel ou total. En outre, le quantum moyen d'emprisonnement ferme, qui s'élève à un peu plus de 8 mois, n'a jamais été aussi élevé.

Nombre de policiers et de gendarmes estiment quant à eux que l'aggravation des peines reflète un durcissement général de la délinquance ainsi qu'un accroissement de la gravité des faits commis et ont le sentiment que, parallèlement, un nombre croissant d'affaires ne sont pas poursuivies du fait de l'engorgement des services de police et des tribunaux.

Ferme sur le plan des condamnations, il semble en revanche que le système judiciaire français pêche en matière d'exécution des peines . Selon les données communiquées par le ministère de la justice, en 2016, 44 % des peines d'emprisonnement ferme prononcées par les tribunaux correctionnels n'étaient pas mises à exécution au bout de 6 mois, 18 % ne l'étaient pas au bout de 12 mois et 16 % ne l'étaient pas au bout de 24 mois. Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, reconnaissait à cet égard qu' « il faut veiller à l'effectivité des peines. Ce que disent les policiers, mais aussi nos concitoyens, c'est qu'il arrive qu'on revoie dans la rue une personne peu de temps après son arrestation. Pour les policiers, c'est encore plus grave parce que quand vous êtes victime d'un attentat et que la peine n'est pas totalement appliquée, vous doutez de l'utilité de votre travail et de la façon dont la société le prend en compte ».

Quoique plus difficilement quantifiable, il ne peut par ailleurs être exclu que l'image véhiculée d'un système judiciaire trop laxiste résulte également d'une différence structurelle d'appréciation et de temporalité entre policiers et gendarmes, d'une part, et les représentants de l'autorité judiciaire, d'autre part. Jean-Marie Godard constatait ainsi que « l'institution judiciaire est faite pour que le jugement soit serein, mais les policiers, confrontés en permanence à la violence, à la mort, ont du mal à comprendre que le jugement n'aille pas dans le sens de leur émotion » .

Votre commission d'enquête estime que des initiatives pourraient utilement être lancées par le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur en vue d 'améliorer les relations entre ces deux sphères qui, bien qu'amenées à travailler quotidiennement ensemble, font preuve d'une profonde méconnaissance l'une à l'égard de l'autre. Christian Mouhanna, lors de son audition, abondait en ce sens, en estimant « qu'il existe du côté policier une forte méconnaissance de l'appareil judiciaire et de la réponse pénale exacte » . Comme le proposent plusieurs représentants syndicaux, il pourrait à cet effet être envisagé de mettre en place, au cours de la formation initiale des agents, des stages d'immersion réciproques - des élèves policiers ou gendarmes au sein des juridictions et, à l'inverse, des magistrats au sein des services de police - qui faciliteraient la compréhension mutuelle et permettrait aux uns et aux autres de découvrir les contraintes qu'ils rencontrent.

Proposition n° 21 : Instaurer, dans le cursus de formation initiale des forces de sécurité intérieure, un stage d'immersion au sein de la magistrature.

2. Les lourdeurs de la procédure pénale, facteur d'engorgement et de surmobilisation des services
a) Des services engorgés par les lourdeurs de la procédure pénale

Lourde, complexe et empreinte de trop nombreux formalismes, la procédure pénale constitue l'une des principales sources de difficultés rapportées à votre commission d'enquête et son allègement l'une des principales revendications des forces de sécurité intérieure.

L'accumulation de réformes législatives au cours des dernières années, notamment sous l'influence du droit de l'Union européenne, est à l'origine d'une stratification et d'une complexification du code de procédure pénale que nul ne conteste. Selon Jacques Beaume, co-auteur du rapport sur la simplification de la procédure pénale dans le cadre des chantiers de la justice : « la lourdeur de la procédure pénale est incontestable. [Le code de procédure pénale] est illisible, tant pour nos enquêteurs que pour le parquet, le juge d'instruction et la quasi-totalité des intervenants de la procédure pénale. L'effort de conceptualisation qui a conduit à une remise à plat complète du code pénal n'a jamais été fait pour le code de procédure pénale. Celui-ci résulte ainsi de stratifications successives, qui ne sont elles-mêmes pas raisonnées, mais contraintes ».

Les personnels de la police comme de la gendarmerie nationales s'inquiètent de l'augmentation progressive du temps consacré à la rédaction des procédures , qui nuit indéniablement à la présence des policiers sur le terrain et réduit le temps consacré à l'investigation. Comme l'indiquait un représentant de la fédération syndicale de la police nationale CFDT, « la procédure pénale s'est considérablement alourdie et mobilise toute une partie des effectifs en tenue, qui ne sont donc plus sur la voie publique. [...] Il faut aujourd'hui dix procès-verbaux pour une garde à vue. Un tiers des procès-verbaux ne sont pas lus par les magistrats et ne servent à rien. [...] On ne peut avoir des policiers qui à la fois »remplissent de la paperasse« et sont sur le terrain ».

Ce constat a été très largement confirmé à votre commission d'enquête lors du déplacement qu'elle a effectué en Gironde sur les problématiques de police judiciaire. Selon les agents de police affectés à la sécurité publique au commissariat de Bordeaux, la durée moyenne des procédures aurait considérablement augmenté en seulement quelques années, passant de 22 heures à 28 heures. Illustrant l'incohérence, voire l'incongruité de notre système pénal, un représentant du groupement de gendarmerie indiquait que sur les 60 minutes consacrées en moyenne au traitement d'un vol à l'étalage, 45 minutes sont consacrées à la procédure, 15 minutes seulement à l'intervention sur le terrain. En moyenne, jusqu'aux deux tiers du temps de travail seraient ainsi consacrés à la procédure pour les agents de la sécurité publique et jusqu'aux cinq sixièmes pour les OPJ.

Outre son caractère chronophage, la complexification de la procédure pénale accroît la vulnérabilité des procédures et l'insécurité juridique des agents , en augmentant le risque d'erreurs de procédure.

Bien qu'il n'en soit pas la cause unique 41 ( * ) , l'alourdissement de la procédure pénale contribue à une désaffection croissante, parmi les agents des services, pour les postes à qualification judiciaire . Le recrutement des officiers de police judiciaire devient ainsi de plus en plus complexe au sein de la police nationale. Comme le rappelait le ministre d'État, ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, lors de son audition, environ 2 600 officiers de police judiciaire auraient, en 2017, rendu leur accréditation en raison de la charge procédurale qui en découle.

Or, la baisse d'attractivité de l'activité judiciaire et la baisse du nombre d'officiers de police judiciaire nuit à la capacité d'enquête et au taux d'élucidation des affaires. Au demeurant, les difficultés croissantes à recruter des officiers de police judiciaire induit une baisse de l'encadrement des équipes et contribue à placer les agents de police judiciaire au contact direct des parquets, qui tendent ainsi à devenir des directeurs d'enquête à la place de la hiérarchie policière.

b) Une simplification de la procédure pénale engagée, mais qui tarde à porter ses fruits
(1) Des projets de simplification de la procédure pénale en demi-teinte

Face au « découragement des enquêteurs devant l'accumulation des contraintes et des formalités procédurales » que relevait Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, un chantier a récemment été engagé par la garde des sceaux, ministre de la justice, Nicole Belloubet, en vue de simplifier la procédure pénale .

Établi en partie sur la base des conclusions du rapport de Jacques Beaume et Franck Natali, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice , adopté en conseil des ministres le 20 avril dernier, inclut un volet pénal important, qui vise principalement à simplifier, pour les enquêteurs et les magistrats, un certain nombre de procédures. Comme l'a rappelé la garde des sceaux lors de son audition devant votre commission d'enquête, ce texte entend « conduire des réformes pragmatiques, venues du terrain, permettant de dénouer une certaine complexité lourde à porter pour les services d'enquête et les magistrats ».

Le projet de loi de programmation et de réforme de la justice : les principales mesures de simplification pénale proposées

Les mesures de simplification de la procédure pénale contenues dans le projet de loi de programmation et de réforme de la justice s'articulent autour de cinq axes principaux :

1. Renforcer l'efficacité de l'enquête pénale , notamment en harmonisant les régimes applicables aux techniques spéciales d'enquête, en étendant leur usage aux crimes et en étendant la possibilité de conduire des enquêtes sous pseudonyme à l'ensemble des infractions punies d'une peine d'emprisonnement ;

2. Étendre les pouvoirs des enquêteurs . Plusieurs mesures sont prévues à cet effet par le projet de loi, parmi lesquelles l'extension de la durée de l'enquête de flagrance pour tous les délits puni d'au moins trois ans d'emprisonnement (contre cinq actuellement), l'extension du cadre des perquisitions administratives en enquête préliminaire et la suppression de l'exigence d'une autorisation préalable du procureur de la République pour étendre la compétence des officiers de police judiciaire à tout le territoire.

3. Alléger les tâches des enquêteurs . Le projet de loi prévoit une simplification de plusieurs dispositions relatives à la garde à vue, notamment en rendant facultative la présentation de la personne devant le procureur de la République ou le juge d'instruction pour la première prolongation de 24 heures. Il étend également les prérogatives des agents de police judiciaire à certains actes d'enquête non coercitifs (réquisitions, mesures de dépistage des conducteurs en matière d'alcoolémie ou d'usage de stupéfiants).

4. Forfaitiser certains délits , notamment les délits de vente d'alcool aux mineurs et d'usage de stupéfiants.

5. Mettre en place une procédure pénale numérique, notamment par la mise en place d'un dossier pénal numérique unique.

S'il n'a jamais eu pour ambition de procéder à une remise à plat du code de procédure pénale, ce projet de loi n'en demeure pas moins, pour les personnels de la police comme de la gendarmerie, insuffisant et bien en-deçà des attentes exprimées par les agents . Les représentants syndicaux ont exprimé devant votre commission d'enquête leur profonde déception face à ce texte , qui se voulait pourtant le résultat d'une consultation large menée pendant plusieurs mois auprès des acteurs judiciaires comme des forces de sécurité intérieure. Nombreux sont ceux qui appellent à une réforme plus profonde et des allégements plus conséquents de la procédure .

Parmi les mesures de réforme revendiquées par les services mais non reprises par le Gouvernement, force est de constater que toutes ne paraissent pouvoir être suivies d'effet. Ainsi en est-il notamment des propositions relatives à l'allègement du régime de la garde à vue, qui résultent, pour l'essentiel, d'une transposition du droit de l'Union européenne. En tout état de cause, si simplification il doit y avoir, le maintien d'un équilibre entre l'enjeu d'allègement et la protection des droits individuels demeure nécessaire . Comme le rappelait Alain Bauer, « la procédure pénale a été inventée pour protéger de l'arbitraire et des exactions de la police, pour lutter contre les aveux extorqués qui avaient cours dans ce pays et pour lesquels la France a plusieurs fois été condamnée. On ne va pas passer cette procédure, qui garantit les libertés fondamentales, à la trappe juste pour un gain de temps ». Franck Natali indiquait, à juste titre, que le formalisme constitue également une garantie pour les forces de sécurité intérieure , dans la mesure où il « protège aussi le rédacteur de l'acte ».

Certaines des pistes remontées par les agents des forces de sécurité intérieure paraissent toutefois mériter une attention particulière. Il en est notamment ainsi de l' oralisation de certaines procédures, pour laquelle les personnels de la police comme de la gendarmerie souhaiteraient qu'une expérimentation soit menée. L'oralisation consisterait à faire de certains enregistrements audio des pièces de procédure à part entière, qui seraient versées au dossier au même titre qu'une pièce écrite, éventuellement accompagnées d'un procès-verbal de synthèse. Rien ne permet en effet de postuler que seule la forme écrite permette d'assurer le formalisme de la procédure, dont le respect peut être aussi garanti par un enregistrement sécurisé.

Votre rapporteur est conscient qu'une telle proposition est loin de faire l'unanimité. Évoquée par Jacques Beaume, dans le cadre d'un rapport publié en 2014 42 ( * ) , l'oralisation soulève, de l'avis de la chancellerie, des difficultés importantes de mise en oeuvre, dès lors qu'elle conduirait à alourdir la tâche des magistrats et allongerait les délais de traitement des procédures judiciaires.

L'oralisation induirait en effet un bouleversement des méthodes de travail des magistrats et des avocats, qui y sont dès lors, à une large majorité, opposés. Force est toutefois de constater que policiers et gendarmes consacrent une part significative de leur temps de travail à des opérations de transcription, alors même qu'une partie conséquente des actes de procédures, notamment dans les affaires qui ne prospèrent pas, n'est pas lue par les magistrats.

Il apparait donc souhaitable à votre rapporteur d'amorcer le mouvement d'oralisation de manière partielle et progressive. Si une oralisation totale des procédures paraît à ce stade exclue, l'oralisation de certains actes de procédure, dans le cadre de procédures simples , comme le proposait d'ailleurs Jacques Beaume en 2014, mériterait néanmoins d'être mise en oeuvre. Le lancement d'une expérimentation avait d'ailleurs été envisagé en 2015 par la direction générale de la gendarmerie nationale, avec l'accord de la direction des affaires criminelles et des grâces, sans malheureusement trouver de traduction pratique à ce jour.

La possibilité actuellement étudiée par le ministère de la justice d'introduire, dans le cadre des logiciels de rédaction des procédures, des modules audio, notamment pour la notification des droits, paraît constituer une première étape intéressante vers cette oralisation. Trop lentement et trop timidement menée, cette évolution n'apparait toutefois pas suffisante pour permettre aux forces de sécurité de consacrer davantage de temps à l'opérationnel.

Proposition n° 22 : Lancer de toute urgence un chantier de remise à plat du code de procédure pénale. Dans l'attente de cette réforme indispensable, aller plus loin dans la simplification de la procédure, notamment en organisant l'oralisation de certains actes dans les procédures simples.

(2) Garantir l'application des mesures de simplification adoptées

Loin de constituer une initiative inédite, la réforme de la procédure pénale engagée par le Gouvernement s'inscrit en réalité dans un effort de simplification engagé dès 2013 entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur et qui a donné lieu, au cours des dernières années, à l'adoption de plusieurs mesures visant à alléger la tâche des enquêteurs et des magistrats.

L'assimilation de ces réformes par les services et leur mise en oeuvre sur le terrain paraissent toutefois pâtir d'un certain retard . Comme le relevait Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, « on a constaté que beaucoup de mesures de simplification avaient déjà été prises mais qu'elles n'étaient pas encore appliquées, comme, par exemple, les mesures simplifiant la restitution procédurale des gardes à vue de la loi du 3 juin 2016 ».

Votre commission d'enquête a en effet pu constater que certaines revendications portées par les personnels de la police comme de la gendarmerie avaient déjà trouvé une concrétisation juridique , qu'elle soit de niveau législatif ou réglementaire. Ainsi, alors même que de nombreux agents continuent de souhaiter la mise en place d'un procès-verbal unique, le décret n° 2016-1202 du 7 septembre 2016 a étendu la possibilité, pour les enquêteurs et à leur initiative, de déroger à la règle traditionnelle « un acte-un PV », non seulement aux enquêtes conduites en préliminaire, mais également aux enquêtes en flagrance. Le même décret prévoit par ailleurs la possibilité pour les enquêteurs de rédiger un procès-verbal unique récapitulant l'ensemble des diligences accomplies pour l'exercice des droits dans le cadre d'une garde à vue, plutôt que de dresser, pour chacune d'entre elles, un procès-verbal distinct. Cette mesure continue pourtant d'être revendiquée par les personnels.

Il est évident que l'inflation et la versatilité législatives en matière pénale ne facilitent pas l'assimilation, par les agents des forces de sécurité intérieure, d'évolutions législatives trop régulières , même si elles ont pour objet la simplification de la procédure pénale. Au demeurant, comme le relevait un rapport d'inspection d'octobre 2014 sur la qualité des procédures judiciaires, « la diffusion [des évolutions législatives] à l'échelle collective, en l'espèce donc de grosses organisations et de personnels concernés nombreux
- intervenant de surcroît dans des délais excessivement contraints - renforce la difficulté de l'exercice
».

Il apparaît dans ce contexte que la communication institutionnelle revêt un caractère primordial pour assurer la diffusion des circulaires relatives aux nouvelles dispositions législatives et réglementaires jusqu'à la base. La mise en place récente d'un groupe de travail commun au ministère de la justice et au ministère de l'intérieur en vue de créer un mémento destiné à faciliter l'appropriation par les services d'enquêtes des mesures de simplification déjà adoptées constitue une initiative intéressante, dont votre commission espère qu'elle se traduira dans les faits. Au-delà, votre commission estime qu'il serait utile de conduire une mission d'évaluation destinée à auditer le niveau d'assimilation, par les services, de ces mesures de simplification.

Enfin, le réinvestissement de la formation continue prôné par votre commission d'enquête (voir II. B. 2) constituerait également un axe essentiel pour assurer une meilleure information des services et des agents sur les dernières évolutions en matière de procédure pénale.

Proposition n° 23 : Mener une évaluation du niveau d'appropriation par les services de police et de gendarmerie des mesures de simplification de la procédure pénale déjà adoptées et adapter, en conséquence, les dispositifs et support de communication pour assurer une meilleure connaissance desdites mesures.

c) Accélérer de toute urgence la dématérialisation de la chaîne pénale

Quoique les mesures précédemment évoquées méritent d'être poursuivies et approfondies, aucune réforme de la procédure pénale ne pourra, dans un contexte d'accroissement continu du volume d'activité délictueuse des services de police et de gendarmerie, exercer un réel levier en matière d'allègement de la charge des forces de sécurité intérieure sans qu'il ne soit procédé, en parallèle, à une dématérialisation de la chaîne pénale . Selon Franck Natali, « la dématérialisation la plus complète possible des différentes étapes de la procédure est indispensable. Le temps passé par tous les acteurs de la justice à demander et obtenir des actes, très souvent en se déplaçant jusqu'à la juridiction, en attendant sur place, en multipliant le temps que les greffiers qui sont déjà bien occupés doivent ainsi consacrer à un nombre d'interlocuteurs important, est considérable. Ce n'est pas rationnel ».

Plus de dix ans après le lancement, en 2006, du plan de numérisation des procédures pénales, force est en effet de constater que bien qu'elle ait progressé dans certains domaines, la transmission dématérialisée des procédures d'un bout à l'autre de la chaîne pénale est encore loin d'être devenue la règle . Comme le relevait d'ailleurs le rapport de la mission d'évaluation de la dématérialisation des procédures pénales conduite par l'Inspection générale des services judiciaires en 2016, les relations entre les services d'enquête et les autorités judiciaires constituent le maillon faible de cette dématérialisation .

Sur le plan juridique, le législateur a, au cours des dernières années, préparé le terrain en vue d'engager une transformation numérique de la procédure pénale. Il a ainsi autorisé, en 2009, la signature électronique et numérique des procédures 43 ( * ) et, en 2016, la transmission électronique des procédures 44 ( * ) .

Dans la pratique, l'usage des outils numériques, notamment dans le cadre des échanges entre services d'enquête et parquets, s'est certes développé au cours des dernières années, mais de manière très hétérogène et selon des méthodes qui restent très largement artisanales.

Ainsi, l'utilisation des équivalents électroniques de procédures (EEP), qui consistent à transmettre les procès-verbaux, non signés, issus des logiciels de rédaction de la police et de la gendarmerie, accélère certes le traitement des procédures pour les parquets, mais se heurte encore à l'absence de valeur légale des documents transmis en raison de l'absence de signature.

En parallèle, de nombreuses juridictions ont cherché à développer les échanges dématérialisés des dossiers de procédure, mais par le biais d'une numérisation des pièces de procédure, qui continue de représenter une charge lourde pour les services d'enquête.

Conscient que seul un saut technologique majeur permettrait d'aboutir à un allègement conséquent des tâches administratives des services d'enquête comme des juridictions, le Gouvernement a fait de la dématérialisation totale de la chaîne pénale un axe fort du projet de réforme de la justice. Une mission de préfiguration commune aux ministères de la justice et de l'intérieur a, dans cette optique, été lancée et a rendu ses conclusions en avril dernier.

La feuille de route esquissée va, de l'avis de votre rapporteur, dans le sens des attentes formulées par les forces de sécurité intérieure . Il s'agirait en effet d'aboutir, d'ici 2020, à une procédure pénale totalement numérique et à un abandon complet du papier. Le projet n'envisage pas à ce stade la mise en place d'un nouvel outil informatique, mais se fonde sur le développement de nouvelles interconnexions entre les outils et logiciels existants. Il inclut également la mise en place rapide d'un système de signature électronique , qui constituera une étape préalable indispensable à toute dématérialisation de la procédure.

Pourtant jugé trop étalé par les syndicats, le calendrier envisagé pour la réalisation de ce projet informatique d'ampleur apparaît pour le moins ambitieux . Aboutir, d'ici 2020, à une procédure pénale dématérialisée constitue un défi d'autant plus grand que deux ministères sont impliqués dans sa mise en oeuvre et que de nombreux autres projets informatiques sont actuellement en cours de développement, au ministère de l'intérieur comme au ministère de la justice. Aussi votre commission recommande-t-elle qu'une feuille de route précise et réaliste soit définie par les ministères concernés , de manière à éviter toute dérive dans la mise en place de ce projet pourtant capital pour l'avenir de nos forces de sécurité intérieure et de notre justice.

De manière plus ambitieuse, votre commission d'enquête estime qu'une réflexion commune au ministère de la justice et au ministère de l'intérieur mériterait d'être lancée en vue d'envisager, à l'avenir, la possibilité d'échanges dématérialisés et en temps réel entre les parquets et les services d'enquête . Il s'agirait notamment de fluidifier les échanges dans le cadre du traitement en temps réel des procédures, qui fait l'objet, dans certaines juridictions, d'un engorgement conséquent et se révèle fortement chronophage pour les services d'enquête. Il paraîtrait utile, dans cette optique, d'étudier le développement d'outils actuellement expérimentés dans certaines juridictions, comme le tableau de bord déployé au sein de certaines unités de la gendarmerie nationale, sorte de discussion instantanée entre enquêteurs et magistrats, ou encore le logiciel de traitement des gardes à vue iGAV expérimenté par la police nationale.

Proposition n° 24 : Établir une feuille de route précise et réaliste du projet de dématérialisation totale de la procédure pénale, accompagnée d'une programmation budgétaire sincère, et étudier la mise en place d'outils d'échanges dématérialisés en temps réel entre enquêteurs et magistrats.


* 40 Infostat Justice 156.

* 41 Le rapport sur la qualité des procédures judiciaires diligentées par les services de police et unités de gendarmerie confrontés à la délinquance de masse, publié en octobre 2014 par l'Inspection générale de l'administration, l'Inspection générale de la police nationale et l'Inspection générale de la gendarmerie nationale, relevait que la police nationale avait, au cours de la dernière décennie, mis l'accent sur la présence sur la voie publique, au détriment des carrières judiciaires, d'où un désengagement progressif des agents des postes à qualification judiciaire.

* 42 Jacques Beaume, Rapport sur la procédure pénale, juillet 2014.

* 43 Art. 801-1 du code de procédure pénale.

* 44 Art. 19 du code de procédure pénale.

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