B. UN ÉTAT RENTIER RICHE DE SES HYDROCARBURES (PÉTROLE ET GAZ)

1. Un pays riche de ses ressources en hydrocarbures

La Libye détient les secondes réserves pétrolières du continent africain après le Nigéria, environ 48 Gb 10 ( * ) . Elle faisait partie jusqu'à la révolution de 2011 des cinq principaux pays exportateurs de pétrole.

Le pays détient également des réserves de gaz estimées à 53,1 Tcf 11 ( * ) .

La production de pétrole a démarré en 1961 et a culminé à 3.2 Mb/j en 1970. Elle est restée constante autour de 1.5 Mb/j depuis 1990.

Près des deux tiers de la production d'hydrocarbures en Libye se situent au centre, dans la région de Syrte (70% du pétrole, 60% du gaz). L'exploitation est principalement située à terre. Il existe peu de gisements en exploitation en mer. En conséquence, les coûts techniques sont bas.

Source : Foreign Policy blogs

L'activité d'exploration a fluctué ensuite au gré des événements politiques en Libye (sanctions), du prix du pétrole et des conditions fiscales offertes par la Libye.

2. Une compagnie nationale détient le monopole de l'exploitation et de la commercialisation

Créée en 1970, la National Oil Corporation (NOC) 12 ( * ) détient directement, par l'intermédiaire de deux filiales propres à 100%, Agoco et Sirte Oil qui opèrent environ 1/4 de la production ou au moyen de contrats d'investissement avec des entreprises étrangères 13 ( * ) , le monopole de l'exploration, de la production, du transport et de l'exportation. Elle constitue l'interlocuteur unique du secteur pétrolier et assure la pérennité et la régulation globale du secteur. La NOC est également chargée des négociations avec l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP).

Le taux de prélèvement de l'État est l'un des plus élevés au monde.

Les exportations de pétrole représentent une grosse partie de la production, moins de 100 kb/j étant destinés au marché local.

La Libye dispose de 5 raffineries : Zawiya (120 kb/j), Ras Lanuf (220 kb/j), El Brega (10 kb/j), Sarir (10 kb/j) et Tobruk (20 kb/j) mais elles ne sont pas en état de fournir le marché local, soit par manque de maintenance, soit à cause d'une inadéquation des produits. Des unités pétrochimiques jouxtent les raffineries de Ras Lanuf (Ethylène-Polyéthylène) et de Marsa El Brega (Méthanol-Ammoniaque-Urée), mais elles sont à l'arrêt depuis la révolution.

La demande locale de produits pétroliers est supérieure à 300 kb/j, et la production de produits pétroliers est inférieure à 100 bb/j. La Libye importe donc la différence aux prix internationaux et revend ces volumes importés au prix du marché local (essence : 0.15 LYD /l, soit 0.10 $/l au t; officiel et 0.015 $/l au taux parallèle), ce qui revient à une forme de subventionnement par l'État. Une partie non négligeable de ces volumes alimente donc les pays voisins.

3. Une organisation de la redistribution de la rente

Le montant des ventes de brut a pu atteindre 50 Mds $ en 2011, à une époque où les cours étaient plus élevés qu'aujourd'hui pour une production de 1,6 million de barils par jour.

L'économie libyenne se caractérise par sa grande dépendance vis-à-vis du secteur des hydrocarbures qui représente entre 60 % et 70 % du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays et près de 95 % des revenus de l'État et de la valeur des exportations. Elle est donc hypersensible à toute variation de la production et du cours des hydrocarbures.

Les recettes pétrolières proviennent :

• des royalties et taxes payées par les sociétés étrangères sur les différents blocs où elles participent ;

• des ventes de pétrole brut et de gaz directement réalisées par la NOC sur sa quote-part production des EPSAs ou sur la production de ses filiales (Sirte ON et Agoco).

Ses revenus étant intégralement versés sur des comptes de la Banque Centrale Libyenne (BCL), la NOC est tributaire du Ministre des Finances et du Gouverneur de la BCL pour payer ses coûts opératoires et assurer ses investissements de maintenance et de croissance. Ses dirigeants doivent donc solliciter des fonds auprès du gouvernement de Tripoli, et il n'est donc pas rare que la NOC demande aux compagnies pétrolières étrangères de financer à sa place certains investissements.

Cette sensibilité est d'autant plus grande qu'une économie de rente a été mise en place sous le contrôle de l'État et sous la forme d'une hypertrophie du secteur public qui emploie 75 % de la population active. Le poste des salaires du secteur public représente environ le tiers du PIB. Le système d'assistance sous forme de subventions aux produits de base (dont les carburants) représente environ 10 % du PIB. Ces dépenses sont évidemment difficilement compressibles pour maintenir la paix sociale.

La rente pétrolière permet également à la Libye d'accumuler des réserves qui peuvent être placées dans un fonds souverain, la Libyan Investment Authority, fondé en 2006 ou dans d'autres structures 14 ( * ) . En mars 2013, le montant des actifs de la LIA était évalué à 67 milliards de dollars (50 milliards d'actifs financiers et 20 milliards d'avoirs immobiliers et d'infrastructures) 15 ( * ) , plaçant cet investisseur dormant au 12 e rang mondial. Ces avoirs sont gelés depuis 2011 16 ( * ) .

4. Un modèle économique patrimonial

La rente pétrolière constitue donc le fondement de l'économie libyenne que l'on pourrait qualifier d'économie patrimoniale.

Si la richesse économique de la Libye est un facteur de solidité intrinsèque, le système d'exploitation et de redistribution de la rente est en revanche particulièrement fragile et peu résilient.

Il conduit à privilégier un système d'assistance dans lequel un secteur public relativement peu productif domine au détriment du développement d'activités privées entrepreneuriales, en dehors d'activités marginales liées aux trafics transfrontaliers et de la distribution des produits importés. Jusqu'en 2005, le secteur privé légal n'existait pas et il ne représente aujourd'hui que 5 à 15 % de l'économie.

Dans les phases de développement, compte tenu de la faiblesse de la population, l'économie repose sur l'exploitation d'une main d'oeuvre immigrée qui occupe une grande partie des emplois salariés. Évaluée à plus de la moitié de la force de travail dans les années 1980, la main-d'oeuvre étrangère en constituerait aujourd'hui encore un cinquième, voire un quart. Il est très difficile de connaître le nombre exact de travailleurs étrangers en Libye, du fait de l'étendue de l'économie informelle et de la manipulation des données statistiques. Le recensement effectué par les Nations unies évalue leur nombre à environ 700 000 à la fin des années 2000. Il faudrait ajouter les migrations saisonnières traditionnelles (par exemple dans le sud en provenance du Niger) et un nombre d'étrangers en situation irrégulière difficile à estimer.

Quelles que soient les données exactes, la Libye constituait un pôle d'attraction régional en raison d'un marché du travail relativement ouvert. Principalement constituée d'Égyptiens, de Tunisiens et de ressortissants des pays voisins, la population immigrée s'est élargie à la fin des années 1990, quand le régime a encouragé les migrations de travailleurs dans le cadre de sa stratégie panafricaine d'influence. La situation s'est détériorée dans les années 2000 au cours de laquelle la Libye a commencé à devenir un pays de transit des migrations vers l'Europe, plus qu'un pays de destination.

La fragmentation et le dysfonctionnement post-révolutionnaire montreront la fragilité et la faible résilience de ce modèle qui va devenir un terrain fertile pour le développement d'une économie d'appropriation, de prédation et de pillage, s'appuyant sur des groupes armés dont les motivations sont tout à la fois politiques et économiques, et générer des désordres importants, y compris en terme de mouvements de population.


* 10 BP Statistical review of World energy https://www.bp.com/content/dam/bp/en/corporate/pdf/energy-economics/statistical-review-2017/bp-statistical-review-of-world-energy-2017-full-report.pdf.

* 11 idem

* 12 Présidée depuis 2014 par Mustafa Sanalla.

* 13 Il s'agit de participations directes dans les concessions ou de contrats de partage de production (EPSA). La production est opérée généralement par des compagnies opératrices, qui agissent pour le compte des joint-ventures: Mabruk Oil Operations (NOC- Total), Akakus Oil Operations (NOC-Repsol), Melittah Oil (NOC-ENI), Harouge (NOC-Suncor), Zuetina (NOC-OMV), Waha (NOC 100%). Ainsi, récemment, Total, dont l'activité est historiquement importante en Libye, a procédé, au premier trimestre 2018, au rachat des parts du groupe américain Marathon Petroleum pour 450 MUSD (365 MEUR) dans la concession de Waha. Cette opération lui octroie une production supplémentaire de 50 000 b/j et la perspective d'explorer un espace vaste et très prometteur dans le Bassin de Syrte. L'ENI italienne est la compagnie étrangère la plus importante, implantée depuis 1959, sa production s'est élevée en 2017 à 384 000 b/j. Total produit 31 000 b/j, l'espagnol Repsol : 25 400 b/j, l'autrichien OMV 25 000b/j.

* 14 Le total des avoirs libyens a été estimé à 150 Mds $ en 2011 et font l'objet de mesures de gel.

* 15 La première moitié de cette somme provient de participations dans 550 entreprises libyennes, souvent bien implantées dans le reste du continent (Oil Libya, les hôtels Laico, le fournisseur de téléphonie LAP GreenN...). L'autre moitié vient d'investissements à l'international, notamment de participations en Italie (Unicredit, ENI, Finmeccanica...), en France (Lafarge, Orange...) et en Allemagne (Siemens, Allianz...). La LIA détiendrait un certain nombre (environ une soixantaine) de participations dans des multinationales occidentales. Le portefeuille d'actions de la LIA s'élèverait, en tout, à environ 7 Mds $

* 16 Les avoirs libyens gelés à l'étranger sont estimés à 60Mds$ (soit environ le montant des avoirs gelés de la LIA à l'étranger). Une part significative de ces avoirs n'a pas encore été identifiée et le travail de recensement s'avère encore complexe.

Chaque État membre des Nations Unies est responsable de l'application des dispositions des résolutions. La résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité des Nations Unies a créé un groupe d'experts, placé sous la direction du Comité des sanctions. Ce groupe est chargé de réunir, examiner et analyser toutes informations provenant des États, d'organismes non gouvernementaux et organisations régionales concernant l'application et la violation des dispositions édictées dans les résolutions 1970 et 1973.

Parmi les noms des personnes et entités visées par des mesures de gel d'avoirs par le règlement UE n°2016/44 (qui a abrogé le règlement UE n°204/2011), seuls la Libyan Investment Authority (LIA) et Libyan Africa Investment Portfolio (LAFICO) disposaient de fonds dans des banques sous juridiction française (banques dont les sièges sont sur le territoire national ou leurs filiales à l'étranger). Conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement 2016/44, les fonds de ces entités, détenus hors de Libye à la date du 16 septembre 2011, sont gelés. Ces fonds génèrent des intérêts qui sont portés au crédit des comptes existants et sont également gelés.

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