C.
« L'UTILISATION TESTIMONIALE ECLAIRÉE
ET SURVEILLÉE » :
UN DISPOSITIF QUI SOULÈVE
DES ENJEUX D'ÉTHIQUE
ET DE SECURITÉ
Au regard des délais de mise à disposition d'un médicament innovant aux patients sans solution ou en échec thérapeutique, la question de l'accès le plus précoce possible à une molécule prometteuse, y compris en phase préclinique, est posée.
C'est le sens d'un amendement adopté au Sénat à l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 109 ( * ) , à l'initiative de notre collègue René-Paul Savary, visant à instituer une « utilisation testimoniale éclairée et surveillée » (UTES) d'un médicament en développement.
Il s'agirait de rendre accessibles à des patients, incurables et volontaires, des molécules susceptibles de déboucher sur une innovation thérapeutique, même si ces substances sont à un stade d'évaluation clinique précoce et dès lors que la preuve de l'existence d'éléments scientifiques, pré-cliniques ou cliniques, démontrant leur potentiel intérêt thérapeutique chez l'homme et permettant de présumer de leur sécurité, pourrait être fournie. L'UTES constituerait ainsi un nouveau mode d'accès au médicament, à côté de l'essai clinique, de l'AMM et de l'ATU.
Dans sa version adoptée au Sénat, le recours à ce dispositif serait conditionné au consentement éclairé du patient et se fonderait sur une décision médicale. Sa mise en oeuvre s'effectuerait sous la surveillance de l'ANSM. Selon ses concepteurs, ce dispositif aurait vocation à s'appliquer notamment dans le domaine des maladies neuro-dégénératives pour faire accéder des patients à des traitements expérimentaux dans un cadre dérogeant à la législation sur les essais cliniques. Le recours à l'UTES dans ce domaine se justifierait, d'après les auteurs de l'amendement, « non seulement en ce que les essais cliniques y sont les plus longs, à cause de l'évolution très lente des neuro-dégénérescences, mais également parce que les médications neuro-protectrices présentent par nature un profil de sécurité encourageant. »
Pour vos rapporteurs, le délai de mise en place des essais cliniques pouvant, incontestablement, constituer un frein en cas d'urgence thérapeutique, l'intérêt d'un dispositif tel que l'UTES est une question majeure.
La plupart des personnes auditionnées par vos rapporteurs, en particulier les associations de patients, ont toutefois exprimé des réserves dans la mesure où ce dispositif soulève un fort enjeu de sécurité et d'éthique : son recours doit se concevoir avec une certaine vigilance car il conduit à mettre à la disposition des patients des médicaments très peu évalués et aux effets secondaires méconnus ou sous-évalués. Comme le souligne la HAS, une grande incertitude règne à cette étape particulièrement précoce du développement, ce qui implique, compte tenu des risques encourus, une approche éthique de l'accord que le patient donnerait à son utilisation, même si cet accord était parfaitement éclairé. De son côté, France Assos Santé « s'oppose à la déclinaison en France d'un tel dispositif... qui, en répondant à des demandes individuelles, remettrait en cause les principes collectifs de notre système d'évaluation du bénéfice-risque, d'accès aux traitements et de recueil des données » 110 ( * ) .
Il apparaît que dans certaines situations, des dispositifs juridiques proches de ceux existants, en particulier un dispositif d'ATU précoce et réactive comme celui présenté à la proposition n°1 du présent rapport, pourraient atteindre l'objectif poursuivi par l'UTES.
L'ANSM estime pour sa part que « les essais cliniques et les ATU peuvent répondre à cette problématique et sont déjà des dispositifs d'accès aux traitements innovants. Si un tel dispositif concernant l'utilisation testimoniale des innovations pharmaceutiques pourrait être mis en oeuvre, il conviendrait que ce dispositif soit particulièrement encadré afin de ne pas être en concurrence avec l'encadrement des essais cliniques. » En tout de cause, ainsi que l'a indiqué l'INSERM, « si la question est celle des rares AMM obtenues en phase I de façon exceptionnelle pour des médicaments en cancérologie ou pour les maladies rares par exemple, il convient effectivement d'encadrer ces usages avec un suivi en vie réelle du médicament ». A cet égard, il pourrait être envisagé, dans un premier temps, d'évaluer l'UTES dans un cadre expérimental en se fondant sur les réflexions en cours dans d'autres pays et les expériences acquises par exemple aux États-Unis, où un dispositif analogue a récemment été adopté dans le cadre du « Right to try act » - à savoir un « droit à essayer » - qui s'adresse aux patients en fin de vie sans solution thérapeutique 111 ( * ) .
La mise en place d'une expérimentation permettrait par ailleurs d'alimenter la réflexion sur des questions importantes soulevées par l'UTES, relatives à la prise en charge financière des traitements expérimentaux, à la volonté des laboratoires de les mettre à disposition et aux responsabilités juridiques encourues par les acteurs concernés. Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, vos rapporteurs estiment que la réflexion sur l'UTES doit se poursuivre et sa valeur ajoutée s'apprécier au regard des améliorations apportées aux dispositifs d'accès précoce déjà existants. Selon les indications qui leur ont été communiquées, les services du ministère des solidarités et de la santé et l'ANSM seraient d'ailleurs saisis d'une commande en ce sens, visant à analyser l'état des besoins.
* 109 Amendement n° 424 rect. présenté par M. Savary et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, 13 novembre 2017.
* 110 Réponses au questionnaire de vos rapporteurs.
* 111 Le « Right to try Act » a été adopté par le Congrès américain en mai 2018.